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France Culture

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Podcast France Culture dans l’émission La Suite dans les Idées de Sylvain Bourmeau, épisode du samedi 18 mai

Explorer la Terre (pour ne pas la perdre)

En imaginant un manuel de cartographies potentielles, Frédérique Aït Touati, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire nous offrent de transformer notre rapport à un monde abîmé. L’écrivaine Maylis de Kerangal les rejoint en seconde partie d’émission.

La diffusion récente d’une technologie qui nous relie directement et en permanence à des satellites a progressivement modifié notre rapport au monde. Peu à peu, sans qu’on s’en aperçoive véritablement, le GPS qui équipe nos smartphone a remplacé, souvent, la carte traditionnelle que nous avions l’habitude de consulter. Et si nous profitions de ce trouble pour mettre en œuvre de nouvelles expériences du rapport au monde ? De nouvelles manières de nous représenter la Terre. C’est ce qu’ont entrepris deux architectes (Alexandra arènes et Axelle Grégoire) et une historienne des sciences (Frédérique Aït-Touati) : explorer une terre qui nous demeure encore largement inconnue. L’explorer dans une forme d’urgence, avant qu’elle ne se dérobe sous nos pieds. C’est une expérience similaire qu’a mené Maylis de Kerangal en Laponie, à Kiruna, en allant visiter le sous-sol, celui de la plus grande mine de fer au monde.

Pour retrouver l’émission sur le site de France Culture, c’est ici

AOC : Critique par Jean-Michel Frodon

AOC : Critique par Jean-Michel Frodon

L’écriture à l’aventure dans une zone critique – à propos de Kiruna de Maylis de Kerangal

Par Jean-Michel Frodon

En avion, en voiture, à pied. Ce serait une idée, un peu abstraite, mais qui deviendrait le plus concret des voyages. Une expédition, des rencontres, une enquête – comme les ethnologues, les journalistes ou les détectives, mais avec un outil très particulier : la littérature. L’écriture pas seulement comme moyen, mais comme ressource.

« J’ai cherché une mine où aller. Une mine active, bruyante et peuplée – et non un bassin industriel désactivé, recyclé en patrimoine muséal… » Un jour, Maylis de Kerangal a conçu le projet de visiter la plus grande mine de fer du monde. Elle s’appelle Kiruna, comme la ville près de laquelle elle se situe, et qu’elle fait vivre, tout au Nord de la Suède. Avec un ou deux contacts en poche, l’écrivaine est partie. Ensuite…

Ensuite beaucoup de choses, qui aboutissent à ce petit livre à la couverture blanche semée de signes bleus, comme des cristaux de glace. Car la visite de Kiruna est une aventure. Pourtant il ne se produira rien de particulièrement spectaculaire, de particulièrement « romanesque ». Invitée dans le cadre d’une résidence d’artistes initiée par la Communauté d’agglomération de Béthune-Bruay, et intitulée « Mineurs d’un autre monde », l’écrivaine a préparé son voyage, plutôt comme une ethnographe, elle a regardé les cartes, exploré les photos aériennes disponibles sur Internet, lus les documents, pris rendez-vous avec un responsable. Mais, parce qu’elle est écrivaine, elle prête aussi attention à la beauté des formes, à l’esthétique des modèles numérisés, à des impressions subjectives.

Par exemple, à son arrivée en Laponie suédoise, elle rencontre Lars, le responsable de la communication de LKAB, la société qui exploite la mine. Lars est un contact, une source. Et c’est, aussi, un personnage. On ne dit pas que les chercheurs, géographes ou anthropologues, ne sont pas sensibles à la beauté des cartes ou à la qualité humaine de la rencontre avec un interlocuteur, mais d’ordinaire ils n’en font pas état dans leurs comptes-rendus d’enquête. Maylis de Kerangal, si. Car Kiruna, son livre, est très exactement ceci : un compte-rendu. Mais un compte-rendu de véritable écrivain, qui dit « je », et prend en charge aussi ce qui l’émeut, ce qui la trouble, ce qui la fait imaginer. Ses propres souvenirs ont droit d’existence tout autant que ceux des personnes qu’elle rencontre, ou ce que racontent les archives, les bâtiments, les lieux.

Il faut ici l’association des moyens de l’enquête et de l’écriture littéraire pour rendre compte de Kiruna, au moins l’approcher.

Ainsi conçu, le récit se trouve en parfaite connivence avec ce que raconte – il s’agit bien d’une narration – Kiruna. De ce mot lui-même, Kiruna, Maylis de Kerangal écrit : « ce n’est pas une ville mais un territoire ». « Territoire » est ici moins une définition qu’une formule (un peu magique, et poétique autant que scientifique) pour ouvrir aux multiples réseaux de relations qui peuvent se tisser à partir de cet endroit. Kiruna, c’est ça : un certain tissage de relations géologiques, économiques, historiques, émotionnelles, urbanistiques, mémorielles, sociales, imaginaires, technologiques. Il faut ici l’association des moyens de l’enquête et de l’écriture littéraire pour en rendre compte, au moins l’approcher. Il est clair que cela pourrait valoir pour un très grand nombre d’autres « territoires », chaque fois sans sa singularité.

Il existe un autre terme pour désigner ce que le livre met en évidence, un terme plus précis que « territoire » même s’il est chargé de sous-entendus qui peuvent le rendre délicat à employer. Ce terme est : zone critique. Mais zone critique au sens bien précis que lui donne les géographes et les sciences de la terre : cette fine pellicule où se concentre la vie terrestre, comprenant le sol et la basse atmosphère.

Ou, plus précisément, à la suite des scientifiques mais de manière plus circonscrite, le sens que donne à cette expression Bruno Latour notamment dans son livre Où atterrir ? et dans la conférence performée Inside. Soit la possibilité de prendre en compte, de prendre en considération dirait Marielle Macé, les « attachements » de natures très variées qui construisent, et reconstruisent sans cesse, un espace qui est toujours minéral, végétal, animal, humain, politique, érotique, co-défini par la météo, les intérêts économiques, la nature des roches, les souvenirs des habitants… mais toujours de manière particulière.

La « zone critique » désigne la mince couche autour de la planète, quelques centaines de mètres au-dessus et quelques centaines de mètres en dessous, c’est ici surtout en-dessous que Maylis de Kerangal veut aller voir, « Sous la peau de la terre », comme elle intitule un de ses chapitres. Mais elle se retrouve dans plein d’autres endroits, dans la montagne, dans la mémoire, dans des projets d’architecture contemporaine, dans un gourbis puant de la fin du 19 siècle, dans le cortège des funérailles d’une cantinière au tempérament de feu qui s’appelait Anna Rebecka Hofstadt, dite « l’ourse noire », et dont l’Histoire, comme on dit, n’a pas retenu le nom. Elle a bien tort.

Il faut toute la patience modeste d’un chercheur de terrain et toute l’ambition assumée d’un artiste pour réagencer, phrase à phrase, cet écheveau vivant et extraordinairement multiple qui se peut nommer Kiruna.

Entrer, tous sens en éveil, dans cette zone critique, c’est bien autre chose que d’accumuler des notes, des images, des anecdotes, des informations. C’est se rendre sensible à des formes de circulation, où cette « surface » sous laquelle la voyageuse a voulu accéder grâce à un puits de mine en activité se révèle mener dans un très grand nombre de directions. On croise en chemin des projets industriels et un hôtel de luxe, une dame sami qui vend des bagues en os de renne et un chauffeur de taxi en colère, des rails dans la neige et des migrants venus d’Erythrée, deux supermarchés que sépare l’inégalité des conditions sociales. On écoute des histoires de géologie, d’urbanisme, de flèche déviée par la masse métallique à fleur de terre. On rencontre une église, une perdrix blanche et une foreuse de mine – c’est une femme, pas une machine, mais des machines, il y en a aussi, et de très impressionnantes. Il faut toute la patience modeste d’un chercheur de terrain et toute l’ambition assumée d’un artiste pour réagencer, phrase à phrase et court chapitre par court chapitre, cet écheveau vivant et extraordinairement multiple qui se peut nommer Kiruna.

« Vivant » n’est pas ici une figure de style, la mine bouge, elle mange l’espace, elle avance sous la ville qu’elle fait vivre. Dans un avenir proche, elle provoquera un efondrement massif, dont les premiers effets sont apparus. Il s’agit donc de déplacer la ville Kiruna, elle aussi va bouger — forme de vie urbaine singulière. La déplacer (en conservant de nombreux éléments) tout en la réinventant, à l’améliorant, mais qui décide ? Les dirigeants de l’entreprise ? Les élus locaux ? Les responsables politiques suédois ? Les habitants ? Qu’est qu’on garde, qu’est-ce qu’on ajoute ? Qu’est-ce qu’on abandonne au passé, et pourquoi ? La rentabilité économique, l’attachement sentimental, les symboliques diverses ont, dans cet endroit où il fait nuit six mois par an, le bon goût de beaucoup négocier, et ainsi de produire un tableau complexe et mouvant de ce qui fait un monde. Rien d’idyllique dans cette afaire, qui n’est pas du tout une utopie. Rien d’assigné à la catastrophe non plus : pas de tragédie ni de destin fatal, mais des mouvements divers, qui se recombinent, pas toujours pour le mieux, loin s’en faut, pas toujours pour le pire non plus. La vie, quoi.

Ce monde, on a compris qu’il n’est pas, loin s’en faut, peuplé que d’humains – mais des humains, il y en a aussi, et de fort divers. Certains sont nés là, d’autres y sont venus, parfois de loin (de France), parfois de très loin (du Congo). Un mot apparaît au fil des pages, à mesure que face à la surprise de l’enquêtrice – « vraiment, vous aimez vivre ici ? avec ce froid ? » – se déploient des réponses elles aussi singulières. Ce mot a aujourd’hui mauvaise réputation, et non sans raison : s’adapter. Mais il y a là des gens qui ne trouvent pas malheureux de s’être adaptés – au climat, à la langue, à un mode de vie très éloigné de celui avec lequel ils ou elles ont grandi. Ce que raconte à sa manière Kiruna tout en restant directement rattaché au lieu et à ce et ceux qui s’y trouvent, est bien en efet les possibilité d’une dynamique, ou de multiples dynamiques en partie contradictoire, mais trouvant comment s’associer et se combiner d’innombrables manières. Kiruna est le récit d’un biotope.

On peut dès lors s’étonner qu’un livre aussi inventif, qui plus est signé d’une auteure connue, ait si peu attiré l’attention depuis sa sortie au début de cette année. L’explication tient sans doute en partie à ce qu’il paraît chez une petite maison d’édition du Nord de la France, La Contre-allée, éditeur dépourvu de puissance de feu médiatique – mais pas de qualités pour ce qui est de fabriquer des livres, comme en atteste la qualité de l’objet. Cette regrettable discrétion doit probablement un peu aussi à l’accueil tiède du précédent livre de l’auteure, livre pourtant admirable d’ambition, de finesse et de précision, de cette écrivaine, Un monde à portée de main. Mais l’injuste manque de considération envers l’ouvrage s’explique aussi de ce que, contrairement aux œuvres les plus célébrées de Maylis de Kerangal (Corniche Kennedy, Construire un pont, Réparer les vivants), Kiruna n’associe pas à la description de situations réelles, richement nourries d’éléments factuels, voire techniques, des ressorts fictionnels sentimentaux, histoires d’amour et conflits entre des personnages inventés, ingrédients supposés indispensables au romanesque.

Or c’est exactement le contraire que prouve ici cette écriture habitée. Kiruna, endroit étonnant, n’est pas un décor – à la différence de la manière dont la cité lapone a été utilisée par d’autres romans (Horreur boréale et Tant que dure ta colère d’Åsa Larsson), par le film Rendez-vous à Kiruna d’Anna Novion avec Jean-Pierre Daroussin ou par la série franco-suédoise Jours polaires avec Leila Bekhti et Peter Stormare). Kiruna est même bien d’avantage qu’un personnage, un complexe vivant où trouve à se déployer la puissance d’association libre par le lecteur, à partir d’éléments réels et présentés comme tels, mais dans la richesse ouverte, mouvante, de leur mise en mots. Avec ce livre, Maylis de Kerangal n’a peut-être jamais autant été écrivaine.

 

Maylis de Kerangal, Kiruna, La Contre Allée, 160 pages.

Lien de la critique ici.

Des Livres Rances

Chronique publiées par Warren Bismuth, le 28 avril 2019.

Un site minier de premier ordre au cœur de ce récit : celui de la société suédoise LKAB implanté à Kiruna (ville sortie du sol pour la mine), un site de tous les records : plus grande mine de fer au monde, ville la plus septentrionale de Suède, elle en est aussi la plus grande Commune en surface, minerai le plus pur du monde, plus grand réseau routier souterrain au monde (400 kilomètres de galeries).

Le tableau est gigantesque : 1700 employés dans des mines creusées jusqu’à 1365 mètres sous terre, ce qui a fragilisé le sol dont des parties menacent de s’effondrer. Aussi il a été décidé de construire une nouvelle ville à quelques kilomètres, plus sécurisée, un Kiruna II, afin que les salariés de cet énorme site restent sur place, leur exode serait catastrophique pour l’économie locale et nationale. Alors il va se constituer un chantier dans le chantier, un projet démesuré au sein d’un site démesuré dans une région où l’imaginaire collectif voit plutôt un ciel calme et sans aspérités : la Laponie.

Oui, tous les chiffres donnent le vertige en ce lieu : « LKAB. Soit 1,1 milliard de tonnes de minerai extraites en 115 ans, la mine ayant été ouverte en 1899. Ou encore 25,5 millions de tonnes de minerai extraites en 2013 – l’équivalent d’une tour Eiffel par jour aime-t-on dire ici ».

Maylis de KERANGAL s’est rendue en Suède (pour la première fois de sa vie), à Kiruna. Elle est guidée par Lars, employé de la LKAB au département de la communauté de la mine. Il va lui expliquer en détails l’histoire de cette mine, souterraine depuis 1965, mais construite dès la toute fin du XIXe siècle, engendrant violence, alcool, mal-être dans la ville et sur site, un site qui bien sûr a attiré les voyous, pour des trafics en tout genre. L’histoire de Kiruna n’est pas de tout repos. Maylis de KERANGAL la compare au Klondike, cette région immortalisée par jack LONDON où des néophytes se découvrant une âme de chercheurs d’or partaient faire fortune avec deux trois outils inadaptés, pour nourrir les familles. La mine de Kiruna s’est installée au moment même où le Klondike déclinait, même s’il n’y a aucun rapport.

L’auteure note les témoignages de divers employés de la mine, de femmes surtout, qui ont dû jouer des coudes pour faire leur place dans un métier d’hommes, violent et sans pitié. Portrait d’Alice, cadre française, qui a tenté sa chance, a rencontré un homme, ça l’aide à tenir. « De fait, à Kiruna comme ailleurs, la relation des femmes à la mine peut se lire comme une longue descente, comme l’histoire de la conquête lente, progressive d’un espace interdit. L’accès au monde souterrain leur fut longtemps défendu, les employer « au fond » étant tout simplement illégal ».

Voilà, il va falloir déplacer la ville, 20000 habitants à reloger, chantier monstrueux en cours. Entre fascination et épouvante pour une société humaine sans limites. Récemment, des migrants érythréens ont débarqué à Kiruna, dans le froid piquant dont a par ailleurs souffert l’auteure, ils seront peut-être fort utiles à la reconstruction dans ce monde où les jours puis les nuits n’en finissent pas.

Un récit court, dense et charpenté, dans lequel fleurissent force détails historiques ou techniques. Maylis de KERANGAL réussit parfaitement son coup : intéresser le lectorat sur un site méconnu en Hexagone, mais aussi défi littéraire car ce texte est tout simplement beau et fort bien écrit, il se lit comme on boit du petit lait, d’un trait. C’est à la fois crémeux et digeste, paru tout récemment (début 2019) aux toujours inspirées éditions de La Contre Allée.

Retrouvez la chronique ici.

Babelio : critique

Critique de Nastie92 sur Babelio, à propos de Kiruna de Maylis de Kerangal, publiée le 19 février 2019.

Lors de la dernière opération Masse critique, j’ai vu le dernier livre de Maylis de Kerangal : Kiruna. 

Kiruna ? Connais pas !

L’auteur étant parmi mes valeurs sûres, je coche ce nom mystérieux sans chercher à savoir quoi que ce soit. 

Et j’ai bien fait !

Maylis de Kerangal m’a emmenée en promenade à Kiruna et ce fut un grand plaisir de la suivre. 

Kiruna, c’est une ville. Kiruna, c’est une mine. 

C’est une ville bâtie sur une mine.

Kiruna est à dix-sept heures de train de Stockholm, dans le grand nord de la Suède, en Laponie suédoise. 

C’est le bout du monde. C’est un autre monde. 

Située dans une zone géographique aux conditions climatiques terribles, Kiruna n’aurait jamais dû voir le jour. D’ailleurs, jusqu’à la fin du dix-neuvième siècle, la ville n’existait pas. Kiruna ne doit son existence qu’à son sous-sol qui contient un gisement de fer d’une quantité et d’une qualité exceptionnelles. 

Kiruna est une ville à part, une curiosité. 

Maylis de Kerangal est allée à Kiruna et en a rapporté une sorte de carnet de voyage. 

Elle raconte ce qu’elle a vu, mais pas seulement, car son texte se déguste par les cinq sens : à travers ce qu’on lit, on voit la ville, mais on l’entend, on la sent, on la touche et on la goûte aussi. C’est un festival de sensations. 

Par petites touches, Maylis de Kerangal nous fait comprendre Kiruna, nous fait ressentir cette ville unique. Cette ville et ses habitants.

Pour écrire, elle utilise un langage précis, millimétré. Une très belle langue, généreuse et poétique. 

Cette écriture que j’aime dans ses romans convient parfaitement au reportage dont il est ici question. 

Jugez vous-mêmes : « J’ai voulu descendre dans la mine, passer la tête sous la peau de la planète comme on passe la tête sous la surface de la mer afin d’entrer dans une autre réalité aussi déterminante et invisible que l’est l’intérieur d’un corps humain. J’ai voulu vivre cette expérience, j’ai voulu l’écrire. Je suis partie à Kiruna. »

Maylis de Kerangal réussirait à mettre de la poésie dans une notice de montage d’un meuble Ikea !

Je n’ai qu’un seul regret, la brièveté du texte. Cent quarante-six petites pages, et au revoir Kiruna. Mais ces pages sont intenses, et Kiruna vaut largement le déplacement. 

Un grand merci à Babelio pour son opération Masse critique, ainsi qu’aux éditions La Contre Allée pour ce livre. Si le contenu m’a enchantée, le contenant n’est pas en reste : un très bel objet dans un tout petit format parfaitement adapté, comme un petit carnet.

Retrouvez la critique ici.

Babelio : critique

Critique de Claire45 sur Babelio, à propos de Kiruna de Maylis de Kerangal, publiée le 23 février 2019.

Dans une très belle édition Maylis de Kérangal rend compte d’une résidence effectuée à Kiruna, en Laponie suédoise. le sujet : une exploitation de minerai de fer d’abord à ciel ouvert puis, après 1965, sous terre. Sur les lieux, elle ne peut descendre à la mine mais elle s’imprègne de son histoire et rencontre ses habitants. Elle partage leur inquiétude pour l’avenir. En effet l’exploitation souterraine a miné le terrain et la ville a dû déménager au détriment des lois naturelles de la région.

Beau petit livre qui rend hommage aux mineurs et aux femmes qui les ont accompagnés dans la langue toujours aussi précise et ciselée de Maylis de Kerangal.

Je remercie vivement babelio de m’avoir fait découvrir cette maison d’édition, La Contre Allée que je ne connaissais pas.

Retrouvez la critique ici.

Babelio : critique

Critique de Nathanbabelio sur Babelio, à propos de Kiruna de Maylis de Kerangal, parue le 24 avril 2019.

Kiruna m’a hypnotisé au même titre que la mine à happé Maylis de Kerangal dans ses entrailles. Séduit par sa couverture sobre, froide et élégante mais surtout appelé par ce nom dont les reliefs suédois me rappellent des voyages tant aimés et les récits d’une amie qui a vécu quelques années dans ce pays du nord, j’ai accepté de plonger dans cette Suède de papier. Tout à la fois carnet de voyage et étude socio-historique de ce lieu au même titre que la ville et la mine sont deux mêmes facettes de Kiruna, ce court récit finement écrit est un bijou de littérature, brut et intrigant.

Maylis de Kerangal, partie là-bas pour interroger la mine, sa ville, ses habitants et son influence sur le paysage et le pays, raconte son voyage et ses réflexions. Elle déroule le portrait d’une mine monstrueuse et fascinante en même temps, qui a eu, et a encore sur le pays et plusieurs poignées de vies un pouvoir étonnant. Elle nourrit et attire, elle blesse, tue et sauve, elle donne et prend.

On y découvre la mine comme un paysage, décrit avec une précision où se mêlent questions et fascination. Elle la déroule comme un lieu de vie et donc un terrain de sociologie, où des hommes et des sociétés se sont croisées et heurtées. La mine prend aussi la forme d’une puissance qui agit véritablement sur les autres paysages et sociétés qui l’entourent. La mine, enfin, est une communauté. Des vies qui se sont construites par et sur elle et qui la chérissent tout en en dépendant profondément.

La forme assez froide de ce récit, qui use beaucoup de descriptions pour s’ancrer dans le réel, m’a légèrement laissé de marbre. Ce n’est en même temps pas un texte qui appelle à l’émotion, mais plutôt à la réflexion et à la contemplation. Pourtant, je l’ai lu assez rapidement, encouragé que j’étais par sa forme ramassée et ciselée, et également fasciné par ce portrait d’une Suède industrielle et inconnue.

Voilà pourquoi j’ose en introduction parler d’un bijou, car c’est effectivement un texte qu’on dirait taillé dans un matériau brut et vivant. Une fois qu’on s’est laissé happé par ses lignes, la fascination l’emporte sur les apparences froides des découpes, l’émotion de tout un peuple- les habitants d’une ville – l’emporte sur la sociologie, le voyage l’emporte sur les mots.

Retrouvez la critique ici.

Libération

Libération

Critique parue dans Libération le 22 mars 2019 par Claire Devarrieux

Où on retrouve le goût de l’auteure de Naissance d’un pont pour les aventures collectives, la lutte entre l’homme et la matière, la maîtrise des outils. Elle se rend ici au pays des Samis, à l’extrême nord de la Suède. Elle cherchait une mine en activité. «J’ai choisi Kiruna parmi toutes les mines parce qu’elle est la plus grande mine de fer du monde et d’emblée, j’ai frémi devant ce que cette pole position augurait de colossal, de sonore, de démesuré.» Il n’est pas question d’entrer dans les entrailles du territoire (1 365 m de profondeur), car c’est interdit, mais rencontrer ceux et celles qui travaillent là permet de se faire à la fois une idée et un cinéma, qui serait un western. Cl.D.

Nonfiction.fr

Chronique publiée sur le site nonfiction.fr le 20 février 2019, par Fanny Verrax

Voyage au centre de la Terre avec Maylis de Kerangal

Au Nord de la Suède, la plus grande mine de fer au monde interroge les limites de la modernité.

On connaît Maylis de Kerangal pour ses descriptions ciselées d’univers inattendus – le monde de la transplantation cardiaque dans Réparer les vivants ou du génie civil dans Naissance d’un pont. Plus récemment, elle avait entrepris la tâche difficile d’écrire le drame de Lampedusa dans A ce stade de la nuit.

Ce nouvel opus, publié dans le cadre de la résidence artistique « Mineurs d’un autre monde », à l’initiative des agglomérations de Béthune et de Bruay-en-Artois et de la collection Les Périphéries des éditions de La Contre-Allée, s’intéresse à un autre univers : le monde de la mine, à partir d’une exploration de la mine de Kiruna, plus grande et plus septentrionale mine de fer au monde. Dans ce petit livre (moins de 150 pages), Maylis de Kerangal relève un défi de taille : mettre des mots sur l’ineffable de la mine. Car au-delà des informations factuelles, techniques ou historiques, c’est à un véritable jaillissement métaphorique que nous convie Maylis de Kerangal : le centre des open pits est comparé au « coeur d’une cible », comme s’il avait été foré par « une perceuse géante », ou « comme si l’on avait jeté un caillou dans une terre liquide ». Plus loin, la mine qui ne s’arrête jamais est assimilée à un « corps vivant » ou encore un « lieu total » :

« Un endroit dont la singularité tient, entre autres, aux différentes temporalités qui s’y entrechoquent, interfèrent, se réactivent, formant ce circuit troublant où l’on se déplace par un jeu de glissement continuel. Ou comment l’existence d’une mine en un lieu donné a provoqué une accélération de l’histoire. Suscité des migrations et sédimenté une culture, stimulé les sciences et la technique, aménagé un territoire, mobilisé le droit, l’économie, l’urbanisme, créé une sociabilité, engendré un langage. Dès lors, la mine s’érige en lieu politique. »

Quelques portraits parsèment le récit, mais le personnage principal reste Kiruna, la mine et la ville qui s’est développée juste à côté. Les kilomètres de galeries souterraines ont tellement fragilisé le terrain que cette ville de 18 000 habitants va d’ailleurs être déplacée : un Kiruna 2 est en cours de construction pour remplacer le Kiruna 1, pour un coût total estimé à 35 milliards de couronnes suédoises (soit 3,3 milliards d’euros) : « La ville s’effondre : elle est peu à peu engloutie par la mine ». Maylis de Kerangal réussit le pari de décrire les enjeux de ce grand déménagement en évitant l’écueil de la contestation passéiste à tout-va et celui de l’enthousiasme naïf, en se contentant de poindre les contradictions inhérentes à ce projet qui se veut celui de la « transformation urbaine la plus démocratique du monde ».

La formule finale laisse cependant peu de doutes sur les intentions de l’auteure, qui fait de ce déménagement « la preuve topographique que l’on est ici dans l’une des ruines du capitalisme. » A l’heure où la Norvège vient d’autoriser un projet de mine de cuivre en Arctique, et où les changements climatiques ouvrent de gigantesques terrains de jeux dans le Grand Nord aux compagnies minières et d’hydrocarbures, il est essentiel de lire ce récit fin et toujours juste d’une mine emblématique, aux confins de notre modernité.

Le chronique est disponible sur le site original ici!

La Vie

La Vie

Chronique publiée le 13 février 2019 dans le média La Vie, par Marie Chaudey

La Vie aime : passionnément

Aimantée par les aventures techniques et industrielles qui façonnent les paysages et l’histoire des hommes, l’écrivaine nous entraîne cette fois dans le grand Nord, en Laponie suédoise. Vers la plus grande mine de fer du monde : Kiruna. Une épopée aux multiples facettes, que la romancière métamorphosée en grand reporter, le nez au vent (glacial), sait rendre prodigieusement attachante. Elle nous la raconte non seulement façon Western – la ruée des baroudeurs et des migrants à la fin du XIXe siècle, les baraquements de bois, les rues boueuses, l’alcool et les cantinières, mais aussi façon saga technologique contemporaine – après la mine à ciel ouvert, l’exploitation de plus en plus profonde de la grande veine sous terre rend la geste ouvrière complice de la marche du progrès. Et pourtant, les terrains ont commencé à s’effondrer alentour, des quartiers ont déjà été abandonnés et la ville entière de Kiruna (18 000 habitants) doit déménager, d’ici peu, quelques kilomètres plus loin… Reculer, pour mieux disparaître un jour, le filon n’étant pas inépuisable. Pour l’heure, le territoire est encore celui du dernier peuple nomade autochtone, les Samis, qui voient d’un oeil terrifié l’équilibre écologique de la Laponie menacé, les zones de transhumance des rennes en péril. Tandis que les touristes insouciants viennent jouir des dernières sensations fortes des grands espaces. Le pur condensé d’un ultra-libéralisme aveugle et ruineux… La Contre Allée, 12 EUR.

L’article est également disponible ici

La Presse.ca

La Presse.ca

Article de presse d’un média canadien à propos de la rentrée littéraire d’hiver 2019 en France, par

Rentrée littéraire: coup d’oeil sur l’édition française

Outre le dernier roman de Houellebecq dont tout le monde parle, il y a d’autres titres fort attendus en France. En voici une dizaine.

La guerre des pauvres d’Éric Vuillard, Actes Sud, janvier

Le terrible destin du théologien Thomas Müntzer, après le soulèvement des pauvres dans le sud de l’Allemagne, en 1524.

Félix et la source invisible d’Éric-Emmanuel Schmitt, Albin Michel, janvier

Un enfant de 12 ans fera tout pour retrouver l’âme joyeuse de sa mère, tombée dans une grave dépression.

Comme il pleut sur la ville de Karl Ove Knausgaard, Denoël, janvier

Le cinquième tome du cycle autobiographique de l’auteur raconte sa jeunesse à Bergen et ses ambitions littéraires, qu’il mettra de côté.

Personne n’a peur des gens qui sourient de Véronique Ovaldé, Flammarion, février

Une femme fuit avec ses deux enfants pour aller se cacher dans la maison alsacienne de son enfance. Nous apprendrons, par des retours dans le passé, de quoi elle veut se protéger.

Un étrange pays de Muriel Barbery, Gallimard, janvier

La guerre fait rage dans notre monde et dans le monde légendaire de Petrus que découvriront de jeunes officiers espagnols, dans ce roman qui flirte avec le conte.

Frantumaglia: l’écriture et ma vie d’Elena Ferrante, Gallimard, janvier

Un essai personnel de la célèbre et mystérieuse auteure de L’amie prodigieuse, qui explique sa démarche créatrice.

Olga de Bernhard Schlink, Gallimard, janvier

Une femme d’origine modeste raconte son histoire d’amour avec le fils d’un riche industriel à la fin du XIXe siècle, en Allemagne, et la façon dont elle a traversé deux guerres mondiales.

Occident de Simon Liberati, Grasset, janvier

Au coeur de ce roman, une célébration de l’art et de l’amour selon un peintre qui vivra des relations intenses avec ses muses.

Le diable emporte le fils rebelle de Gilles Leroy, Mercure de France, janvier

Une femme du Wisconsin, mère de quatre fils, a des difficultés avec son fils aîné, qui vient de sortir de détention, et veut protéger le reste de sa famille.

Kiruna de Maylis de Kerangal, La Contre Allée, janvier

La brillante romancière propose ici un reportage littéraire sur l’une des plus grandes exploitations minières du monde, en Laponie suédoise.

L’article est également disponible ici!

Blog Vendanges littéraires

Blog Vendanges littéraires

Chronique publiée sur le blog Vendanges littéraires le 7 février 2019

La mine qui dévore la ville et ses habitants

De tous temps, il y eut des écrivains pour lesquels le voyage était source d’inspiration et menait à l’écriture d’un livre. Ce qui change désormais, c’est qu’il leur est offert – du moins à ceux qui bénéficient d’une notoriété – de partir loin, gratis et confort assuré grâce à toutes sortes de nouveaux mécénats, tout autant publics que privés. Carte blanche leur est alors donnée pour produire un texte, un ouvrage…

C’est ainsi que tout dernièrement, Sylvain Tesson – honoré du grade d’Officier de Réserve – a embarqué sur un bâtiment de ravitaillement de la Marine pour faire le tour des Îles Eparses. Une croisière littéraire qui lui a inspiré quelques écrits, dont il fit profiter l’équipage.

Pour Maylis de Kerangal, c’est dans le cadre d’un programme de résidences intitulé « Mineurs d’un autre monde » qu’elle prend un vol à destination de Kiruna, en Laponie suédoise. Elle dit avoir toujours été attirée par les profondeurs des mines. Et puis les contrées froides semblent avoir sa préférence !

Déjà dans « Tangente vers l’Est », elle nous a raconté sa traversée de la Russie à bord du Transsibérien. Ce fut à l’occasion d’un programme culturel qu’elle entreprit ce long périple, en compagnie d’une vingtaine de ses pairs.

Que cherchent-t-ils donc à nous dire, ces écrivains voyageurs, maintenant que les distances se sont rétrécies et que les espaces sont saturés d’activité humaine? Notre planète semble s’être rapetissée et n’avoir plus aucun mystère.

Comme beaucoup, c’est loin des chemins battus qu’elle a transporté ses carnets. Là où se situe la plus grande mine de fer du monde. « J’ai voulu descendre dans la mine, passer la tête sous la surface de la mer afin d’entrer dans une autre réalité aussi déterminante et invisible que l’est l’intérieur du corps humain. J’ai voulu vivre cette expérience. J’ai voulu l’écrire : je suis partie à Kiruna. »

800 000 tonnes de minerai extrait et transformé par jour. 1 700 personnes y travaillant jour et nuit, 24h/24 et 365 jours/365, dont la moitié descendent à 1 365 mètres de profondeur. Au début, ce sont beaucoup de chiffres et de dates. L’Histoire et les histoires se mêlent dans un récit original… Dans la périphérie des écrits habituels.

« Périphéries », c’est d’ailleurs le nom de la collection de cette maison d’éditions, prénommée elle aussi tout aussi judicieusement « La Contre Allée ». Les chemins de traverse ont de beaux jours devant eux dans la création littéraire tant les écrivains cherchent à renouveler les genres.

En fait, c’est là une sorte de reportage littéraire. Non pas à l’image du « Quai de Ouistreham » de Florence Aubenas, même si c’est de la même veine autobiographique. L’écrivain-journaliste s’était donné un but bien précis avec une forte implication personnelle : observer de l’intérieur pour dénoncer. 

Pour Maylis de Kerangal, il s’agit plutôt de nous rendre compte de ses sensations, de ses rencontres, de sa compréhension de la ville. Une ville-territoire si étrange. Tout au plus s’attachera-t-elle de préférence au sort des femmes plutôt qu’à celui des hommes. Mais n’est-ce pas aussi parce qu’elle eut l’interdiction formelle de descendre sous terre ! Une ville-territoire parce que ville et mine sont sœurs siamoises, selon ses mots. Depuis 100 ans, plus d’un milliard de tonnes de minerai ont été aspirées de terre et le sous-sol s’est transformé en gruyère. C’est un réseau routier sous-terrain de 400 kilomètres qui s’est peu à peu construit… Mais voilà que la ville s’effondre peu à peu, engloutie par la mine. Les extractions se poursuivent. C’est en poids l’équivalent d’une Tour Eiffel qui arrive à l’air libre tous les jours… et il en y a encore pour pas moins d’une dizaine d’années à ce rythme. Alors architectes, urbanistes et anthropologues sont appelés à la rescousse pour déplacer habitations et monuments, pour créer un autre lieu de vie un peu plus loin.

Tout un pan du livre nous parle de cela : « Espaces, empreintes, indices, voix, remémoration : ce jour-là, j’accède à la mine comme on accède à un lieu total, livré grandeur nature, un endroit dont la singularité tient, entre autres, aux différentes temporalités qui s’y entrechoquent, interfèrent, se réactivent, formant ce circuit troublant où l’on se déplace par un jeu de glissement continuel. Ou comment l’existence d’une mine en un lieu donné a provoqué une accélération de l’histoire. Suscité des migrations et sédimenté une culture, stimulé les sciences et la technique, aménagé un territoire, mobilisé le droit, l’économie, l’urbanisme, créé une sociabilité, engendré un langage. Dès lors, la mine s’érige en lieu politique. »

Puis vient l’histoire des hommes. Après l’analyse du lieu, la description des paysages : ceux qui les animent. Beaucoup de prénoms de femmes : Alice la géologue, Ing-Marie la foreuse de mine, l’Ourse noire, il y a longtemps… Où l’on découvre la sensibilité au monde féminin de la voyageuse et son vif intérêt à notifier ce qui a changé depuis plus d’une centaine d’années (ces cantinières de la fin du 19ème siècle, qu’il leur en fallait du courage pour affronter la violence de la communauté des terrassiers, des mineurs… « il ne fallait pas avoir froid aux yeux ! »).

Dans ce petit ouvrage, petit format, tout petit format mais vaste d’un monde inconnu et si lointain, si froid et si peu lumineux, il y a surtout l’écriture de Maylis de Kerangal. Celle qui fréquente aisément le monde des sciences et des techniques sait aussi y mêler ce qui est de l’ordre du sensible, de l’humain, de la poésie. Son magnifique « Réparer les vivants », dans un contexte difficile lui aussi, nous l’a déjà démontré.

Elle sait capter l’air du temps, les couleurs, les odeurs, les bruits de la ville… et là, à Kiruna, elle cherchera toujours à retrouver la trace de ce renard blanc entr’aperçu en arrivant ! Comme si la nature ne peut tout à fait capituler face à la violence des humains.

Ça commence dans l’obscurité de la nuit. « Halos, rayons, a-plats sombres… clarté fluorescente de la neige dans la nuit. » Et constamment, durant ces si courtes journées, cette impression de vide, de zone désertée. Cela se termine fin novembre, toujours à Kiruna, où « la rue est feutrée, le vent siffle et le bruit de mes pas s’étouffe dans la neige. Le froid qui aiguise la ville est le portant sonore de tout ce qui va, de tout ce qui marche, roule, glisse, crisse, de tout ce qui craque, et réverbère le moindre souffle comme un micro géant. Je perçois parfois la vibration de la mine, sourde, qui semble s’intensifier la nuit quand la ville dort, ou bien ce grondement sec quand on dynamite la roche à plus d’un kilomètre dans le fond de la terre. J’écoute. »

Dans les explorations de ces zones rudes et perdues à la pointe du Grand Nord, elle ne cesse de chercher du vivant, du vrai, de l’humain ! Sans jamais appuyer.

On se laisse conduire par ses phrases et on imagine… C’est une préparation au voyage bien plus précieuse qu’un documentaire télévisé, là où tout est figé, choisi, défini. C’est sa vision à elle, son angle de vue, sa perception de l’endroit rendue avec des mots qui traduisent sa sensibilité. Elle nous guide. A nous de fabriquer les images. Ses chapitres sont de petites îles disparates, telles les Iles Eparses explorées par le bourlingueur Tesson. Ils peuvent tout autant vous parler de voitures, de migrants que de tourisme vert (qu’à bon escient elle oppose aux dégâts écologiques que représentent ces forages frénétiques… clin d’oeil qui dit fort bien dans quel monde paradoxal nous vivons !).

Peut-être est-ce ce que cherchent à nous dire ces écrivains voyageurs contemporains… En tous cas, c’est un point qui les rassemble. Dire la beauté du monde, celle de l’animal, du végétal, du minéral… et des cultures ancestrales qui disparaissent, avec une sorte de nostalgie préventive, comme pour conjurer le sort. Le sort que nous, humains, lui réservons. Inéluctablement. Ils sont les subtils et discrets passeurs d’une réalité qui quelquefois nous échappe. Ou tout au moins à laquelle nous ne voulons pas tout à fait croire.

A Kiruna, en compagnie de Maylis de Kerangal, nous ne sommes donc pas au pays du Père Noël, Elle n’ira pas non plus jusqu’à la lisière du mystique, telle Céline Minard dans « Le Grand Jeu ». Tout juste aura-t-elle témoigné d’un monde qui ne diffère pas tant du nôtre, si ce n’est par les températures et la variété des hommes qui y vivent. C’est parce qu’ « on n’en revient pas », parfois, d’avoir accompli un voyage qu’il nous faut l’écrire, en tirer un livre, un film… Pour en revenir, justement, ne pas être défait par lui, « en avoir le cœur net »,écrit Michel Le Bris dans « La beauté du monde ». Le cœur net, le lecteur aussi en bénéficiera, sur la capacité des hommes à s’adapter, à s’arranger avec le passé, ou à oublier comment c’était avant. Pour le meilleur ou pour le pire !

La chronique est également disponible ici!

Blog Polarmaniaque

Chronique publiée sur le blog Polarmaniaque en 2019

Ce n’est pas un polar (quoique…), ce n’est pas un thriller ( quoiqu’on n’y frissonne sérieux), ce n’est pas un roman noir (quoique la couleur dominante…). C’est un court opus de 146 pages, un récit de découverte et de tentative d’apprivoisement d’une terre rude, aride, dure aux hommes mais… riche, très riche d’un minerai très convoité, le fer, et de la ville, Kiruna, qui s’est constituée autour ! C’est un voyage extrême vers cette plus grande mine au monde et de ces hommes qui l’exploitent, la travaillent, en vivent et en dépendent excluvivement ! C’est de la sociologie brute, de l’ethnologie nature. Extrait: « Ou comment l’existence d’une mine a suscité des migrations et sédimenté une culture, stimulé les sciences et la technique, aménagé un territoire, mobilisé le droit, l’économie, l’urbanisme, créé une sociabilité, engendré un langage. Dès lors, la mine s’érige en lieu politique. ». Kiruna, c’est un pélerinage vers les confins, géographiques, de vous-mêmes, migratoires, anti-écologiques (les bâtiments de la ville se fissurent, on déménage les populations jusqu’à la prochaine échéance mais la voracité de l’Homme est ainsi faite qu’elle est inextinguible!). Un sacré « petit » ouvrage nous emmenant vers un lieu difficilement accessible mais pourtant emblématique quelque part d’un capitalisme dévoreur de ressources et d’espaces! Un grand merci à l’auteur que j’aprrécie particulièrement et d’avoir osé ce voyage!

La chronique est également accessible ici!

Blog À l’horizon des mots

Article sur le blog À l’horizon des mots, publiée le 19 février 2019

Bouquin #186 : Kiruna, de Maylis de Kerangal

Il y a une sorte d’endroit merveilleux où je peux passer des heures : Google earth. De préférence aux exils Nord et Sud, dans ces coins isolés à peine documentés par des connectés de passage, où l’on trouve parfois de surprenants villages bâtis à la va-vite, en préfabriqués austères, avec en leur centre une église aux dorures immaculées, presque indécentes. Les routes sont droites et larges, les silhouettes emmitouflées brillent de fluo, beaucoup d’hommes, du béton, des grues, des casques de chantier. Ce qui me fait rêver devant un écran, ce que j’associe gentiment avec l’idée de retraite et de solitude se découvre sous un jour grisâtre, utilitaire, pas même glacé.

Que l’on s’établisse sur ces terres aux contours sinistres me chatouille le cœur tandis que ma chaudière ronronne doucement d’un gaz tiré sous je ne sais quel soleil boréal, par l’ingénierie d’une humanité dont l’acharnement et la fierté me laissent pantoise et payent pour mon confort. Il y en a donc qui partent pour ces contrées plates et nues et qui y trouvent pitance. Cela n’a rien d’un exil poétique. C’est une vie de chien dans des conditions extrêmes. Je regarde les images, ces baraquements, ces pipelines, ces groupes électrogènes, du jaune orange rouge et bleu sur un sol bouillasse, du russe et de l’anglais, des grosses bagnoles, des cheminées victorieuses : c’est d’une violence et d’une simplicité qui me dépassent.

J’ai voulu comprendre, je suis partie à Kiruna. A l’ouest de mes pérégrinations régulières, au pied d’une mine cette fois-ci : Kiruna, bout du bout de la Suède, ville-mamelle née d’un sol de fer à la fin du dix-neuvième siècle ; un nom doux, presque exotique, Kiruna.

La sidération du grand Nord et celle, tout aussi puissante, encore plus magnétique puisque invisible, des grands fonds de la terre : Kiruna fusionne les fascinations.

Nous y voilà donc, curiosité en bagage, sous la plume évidemment magnifique et évidemment juste de Maylis de Kerangal, au seuil d’une grotte à l’industrialisation stupéfiante pour laquelle sont nées une ville, des familles, une unité. C’est ce que l’homme a toujours su faire, au fond – par instinct de survie, s’installer en lieu fertile – mais en ce point hostile et oublié du grand Nord, cette obstination revêt une ampleur incroyable.

Et puis il y a les chiffres, choisis et égrenés faute de pouvoir se rendre sous terre : quatre-cents kilomètres de voies carrossables souterraines, quatre-vingt-mille tonnes de minerai extraites chaque jour du ventre brûlant de la Kiirunavaara. Un corps vivant au pouls constant et frénétique, accouchement permanent.

A trop creuser cependant, au gré des veines prodigieuses qui lézardent le sous-sol, voilà que la terre menace de s’effondrer, et la mine d’engloutir la cité de ses travailleurs. Il faut déplacer les quartiers, en reconstruire les bâtiments iconiques, tracer de nouvelles routes, de nouveaux écarts. La mine et sa ville dépendent l’une de l’autre : un rendement préservé nécessite une sécurité en surface. Et lorsque s’y mêlent l’affect de tout un peuple dévoué à sa terre miraculeuse, le tableau s’avère plus complexe qu’on ne le croit.

Précise, au contact, Maylis de Kerangal rend compte de ce lien ventral entre la mine et ses mille mains – un monde à part, pourrait-on dire, une entité microcosmique au développement et à l’organisation stupéfiants. Je me suis trouvée très émue à la lecture des belles pages offertes aux femmes, tenancières du lien d’abord – comme en tout lieu où l’homme a voulu établir son pouvoir – puis véritable force de travail et de production. J’ai d’ailleurs sans doute lu Kiruna sous un angle très maternel, à la lumière de cette sororité minérale qui m’obsède et dont je perçois des volutes un peu partout – mais diantre, comment ne pas lier cette bouche de terre à quelque ogresse nourricière, comment ne pas trembler face aux pentes rigoureuses de la Kiirunavaara ?

Bref, le voyage fut passionnant, et youpilavrille, je m’emballe.

L’article est consultable sur le blog en question ici !

La voix du Nord

La voix du Nord

Événement et chronique publiés dans un article de La Voix du Nord le 7 février 2019

Rencontre Maylis de Kerangal présente son nouveau roman à Arras

L’auteur de Réparer les vivants et Naissance d’un pont présente ses deux derniers ouvrages, dont Un monde à portée de main  : une plongée dans le monde des Beaux-Arts et la technique du trompe-l’œil, des couleurs et des matières.

Kiruna est un reportage littéraire sur cette ville de Laponie suédoise construite autour d’un gigantesque gisement de fer.

La romancière a été couronnée de plusieurs de prix littéraires, dont le prix Médicis pour Naissance d’un pont. Pour Réparer les vivants, grand succès de 2014, les lecteurs avaient suivi le cœur du jeune Simon, victime d’un accident, jusqu’à la transplantation de l’organe. Le roman avait également reçu plusieurs prix et a été adapté au cinéma.

Vendredi à 19 h, la Grand Librairie, 21 rue Gambetta, Arras. Tél. : 03 21 23 87 20.

 

Notre chronique de «Kiruna»

Maylis de Kerangal aime colleter sa plume précise aux sujets arides (souvenons-nous de Naissance d’un pont). Ici, dans le cadre du programme de résidences « Mineurs d’un autre monde », elle a pris la direction du grand Nord : Kiruna, Laponie suédoise, 18 000 habitants à l’ombre d’une montagne de fer. D’abord à ciel ouvert, la mine est aujourd’hui souterraine. L’écrivaine l’arpente en surface et en profondeur, racontant ses habitants, l’entreprise LKAB, les galeries qui menacent d’engloutir la ville, le temps des pionniers… On a même la surprise d’un court chapitre consacré à Lewarde. On ne s’ennuie pas une minute dans cette exploration présentée comme un reportage littéraire et publiée par une maison d’édition lilloise. C. P.

Pour consulter l’article sur le site de La Voix du Nord, c’est ici !

L’Humanité

L’Humanité

Chronique d’Alain Nicolas publiée le 4 avril 2019 sur l’Humanité

Récit « Sous la peau de la Terre »

Une « petite ville européenne industrialisée », aux « abords ordinaires » : ainsi se présente Kiruna au voyageur. Pourtant cette neutralité, cette banalité s’effacent quand on s’approche de la mine. C’est pour elle que Maylis de Kerangal a pris l’avion, puis l’autocar. Pour cette emprise gigantesque sur le paysage. « Kiruna n’est pas une ville, mais un territoire. » La voyageuse cherchait une mine, peut-être en souvenir d’un homme aimé, aussi pour vivre l’expérience d’un espace inconnu, du sous-sol, « de ce qu’il recèle de trésors et de ténèbres ». Kiruna n’est pas seulement la ville la plus au nord de la Suède, où court la veine de fer la plus longue, du minerai le plus pur. C’est aussi le siège du parlement des Samis (appelés à tort Lapons). L’autrice nous fait ressentir, avec l’art consommé dont elle fait montre dans Un monde à portée de main, ce monde au-dessus de quoi nous vivons, et que menace l’effondrement. En témoignent les relations qu’elle tisse avec d’autres mines plus proches, comme Lewarde dans le nord. Avec elle nous pouvons « passer la tête sous la peau de la terre ».

Pour accéder à la chronique sur le site de l’Humanité, c’est ici !

Let’s Motiv Magazine

Let’s Motiv Magazine

Avis de Madeleine Bourgois à propos de Kiruna de Maylis de Kerangal, publié le 5 janvier 2019

Maylis de Kerangal a arpenté la mine. Pas celle du Nord façon Germinal, mais plutôt du Grand Nord, à Kiruna. Ce territoire suédois est situé dans le cercle polaire. On y extrait depuis la fin du XIXe siècle du minerai de haute qualité : « 25,5 millions de tonnes en 2013 – l’équivalent d’une tour Eiffel par jour aime-t-on dire ici ». Dans la forme, ce texte est à l’opposé de l’œuvre fleuve de Zola. La romancière, ici reporter en région glaciale, a opté pour un récit bref. Elle révèle le pouvoir immense de la mine sur les esprits, l’économie, la ville, dont les fondations s’écroulent et qu’il faut donc reconstruire plus loin. Fascinée, elle n’en reste pas moins précise, même lorsqu’il s’agit de plonger dans le passé, les profondeurs de la terre.

Pour lire cet article sur le site de Let’s Motiv Magazine, c’est ici !

Livres Hebdo

Livres Hebdo

Sélection de livres de la FNAC dans laquelle figure Kiruna de Maylis de Kerangal, article de Vincy Thomas publié le 12 décembre 2018.

La Fnac dévoile ses 20 livres de l’hiver

Pour la rentrée d’hiver 2019, la Fnac a sélectionné 20 titres qui seront mis en avant dans ses magasins et sur son site web.

La Fnac vient de communiquer sa sélection prescriptrice des 20 livres de la rentrée d’hiver 2019. Cette sélection sera mise en avant en magasin et sur le site marchand du groupe « pour aiguiller les lecteurs dans toutes les parutions de la deuxième rentrée littéraire du début d’année » indique le communiqué.

Si on note l’absence de certains éditeurs, Gallimard, Flammarion et Actes sud placent chacune deux titres dans cette liste où les écrivaines sont majoritaires.

La sélection:

Hélène Frappat, Le dernier fleuve (Actes Sud)

Eric Vuillard, La guerre des pauvres (Actes Sud)

Rosella Postorino, La goûteuse d’Hitler (Albin Michel)

Xavier Lapeyroux, De l’autre côté du lac (Anne Carrière)

Christine Desrousseaux, En attendant la neige (Calmann-Lévy)

Joseph Ponthus, A la ligne (La Table Ronde)

John Jay Osborn, Un mariage sur écoute (L’Olivier)

Carys Davies, West (Seuil)

George Saunders, Lincoln au Bardo (Fayard)

Ma Jian, China Dream (Flammarion)

Constance Joly, Le matin est un tigre (Flammarion) – premier roman

Muriel Barbery, Un étrange pays (Gallimard)

Bernhard Schlink, Olga (Gallimard)

Maylis de Kerangal, Kiruna (La Contre Allée)

Vanessa Bamberger, Alto Braco (Liana Levi)

Tatiana Vialle, Belle-fille (NiL) – premier roman

Atiq Rahimi, Les porteurs d’eau (P.O.L)

Joyce Maynard, De si bons amis (Philippe Rey)

Léonor de Recondo, Manifesto (Sabine Wespieser)

Jeroen Olyslaegers, Trouble (Stock)

Pour retrouver l’article sur le site de Livres Hebdo, c’est ici.