Le Matricule des Anges

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Une interview de Jacques Josse par Thierry Guichard dans le n°95 (juillet-août 2008) du Matricule des Anges :

 

Ecrivain d’une mémoire fragmentée, Jacques Josse n’a de cesse de faire revivre les âmes d’un pays perdu, dans une
Bretagne où chaque bistrot est un port d’attache. Mêlant les écrivains, les artistes et les anonymes, ses chroniques dressent d’éphémères humanités.

Une interview de Jacques Josse par Thierry Guichard dans le n°95 (juillet-août 2008) du Matricule des Anges :

 

Ecrivain d’une mémoire fragmentée, Jacques Josse n’a de cesse de faire revivre les âmes d’un pays perdu, dans une
Bretagne où chaque bistrot est un port d’attache. Mêlant les écrivains, les artistes et les anonymes, ses chroniques dressent d’éphémères humanités.

Il n’a pas été utile de défricher la forêt amazonienne pour fabriquer les trois livres de Jacques Josse parus ces dernières semaines. Guère épais, ces trois opus témoignent d’une modestie qui frise l’effacement. L’écrivain breton illustre une nouvelle fois son amour pour la plaquette, héritage poétique et réceptacle adapté à une parole posée au plus juste. L’homme d’ailleurs cultive ce goût de la brièveté jusqu’en son jardin intime : fondateur de la maison d’édition Wigwam*, il y publie sous couverture rouge et sans agrafe des textes célibataires offerts par les écrivains qu’il sollicite. Le catalogue égrène des noms qui dessinent une famille d’adoption : de Mathieu Messagier à Antoine Emaz, en passant par Michel Dugué, Jacques Morin ou Valérie Rouzeau. Tirés à deux cents exemplaires et vendus essentiellement par abonnement, la petite centaine de titres publiés depuis 1991 trouvent ses lecteurs, d’où bon nombre d’épuisés.


L’écrivain reste fidèle à ce mode éditorial, souvent confidentiel, toujours soigné : ses livres paraissent dans des maisons comme La Digitale qui ont fait un travail remarquable sur Les Buveurs de bière, Apogée où Josse codirige avec François Rannou la collection  » piqué d’étoiles  » ou Cadex à laquelle il a confié sa trilogie sur le hameau natal.
Les cafés de Rennes, où il vit depuis 28 ans, ont sorti les couleurs nationales et les écrans larges : l’Euro 2008 a programmé ce jour-là un match qui ne restera pas dans les annales de l’Hexagone. Les cartons publicitaires glissent des tables, on annonce une animation avec filles sexy, on nous sert des bières plates. On est loin, ici, des  » étroites arrière-boutiques « , de la  » pénombre piquetée d’éclats des bouis-bouis, havres, tavernes, rades, pubs, cantines, estaminets et coupe-gorge  » où nous conduisent Les Buveurs de bière et bon nombre de textes de notre hôte. La clientèle n’a pas 30 ans, porte des baskets fluos et tente de ressembler aux personnages des publicités télévisées. On est loin de  » ces types mal arrimés aux planches  » que l’écrivain a pris l’habitude de ressusciter, à la manière d’un Bohumil Hrabal  » l’élégant palabreur des brasseries tchèques « . Josse écrit sur des anonymes, des écrivains avec lesquels on l’imagine trinquer, de solitude à solitude. Il écrit d’une campagne bretonne accrochée à sa mémoire, dont il s’est fait le chroniqueur sans gloire.
Ce coin de terre n’est jamais nommé dans ses livres. Il a un nom pourtant : Liscorno, petit hameau de la commune de Lannebert. C’est le village familial. Né en 1953, Jacques Josse est l’aîné de six enfants. Son grand-père paternel a couvert les mers du monde comme marin avant de prendre ses fonctions de pilote du port de Brest. Né en 1874, l’aïeul pouvait encore témoigner des obsèques nationales de Victor Hugo. L’autre grand-père était tenancier de bistrot dans ce pays entre Paimpol et Saint-Brieuc à une encablure de la mer. La mort y est très tôt présente : à chaque décès dans le village, sa mère est sollicitée pour faire la toilette du défunt :  » ça nous perturbait un peu, quand la nuit on entendait frapper à la porte, on entendait des pleurs, des hurlements « … La mémoire, le bistrot, la mer, la mort : l’écrivain est l’héritier d’une terre.
Devenu postier, l’homme s’installe à Rennes en 1980 et fonde l’année suivante la revue Foldaan, d’un mot inventé. Chaque numéro annuel accueille des écrivains (Pascal Commère, MarilyneDesbiolles, Frédéric-Yves Jeannet…), propose des entretiens, s’ouvre aux arts plastiques. On notera que Foldaan est imprimée par un jeune typographe, Yves Prié, qui fonde les éditions Folle Avoine la même année. Après huit numéros (soit près d’un millier de pages), Josse met un terme à l’aventure. D’abord parce ce qu’il se lasse vite des choses qui fonctionnent. Cette instabilité, avoue-t-il, est un trait de son caractère. On lui doit probablement la brièveté de ses textes. Ensuite, parce qu’il souhaite se consacrer un peu plus à sa propre écriture. Sa poésie est publiée, souvent en plaquettes, depuis 1979, mais  » jusqu’en 1989, l’écriture n’était qu’un accompagnement. J’ai eu envie d’aller plus loin. La poésie me paraissait trop restrictive. J’avais envie de libérer plein de choses par la prose, par la narration, les portraits, les dialogues.  » Ça ne l’empêche pas de fonder Wigwam en 1991, histoire de se faire, tranquillement,  » une anthologie personnelle au long cours ». Dispersée en de multiples plaquettes (il faudrait ajouter aux éditeurs déjà mentionnés, les Jacques Brémond, Dé bleu, Castor Astral, Traumfabrik, Dana…), son oeuvre en prose ressemble à l’ébauche d’un recensement. Celui des morts, des vivants et des  » buveurs d’écume « .


À quoi doit-on attribuer le côté fragmentaire de votre oeuvre ?
Le fragment vient d’une façon de vivre, c’est vrai. J’écris toujours dans un temps volé, un peu le matin ou le soir, parfois la nuit. Le fragment vient aussi du fait que la mémoire est désordonnée, elle ne se donne pas d’une façon linéaire. Or, moi je travaille beaucoup sur la mémoire, c’est ma matière première. Elle vient par éclats. Tous ces morceaux-là sont les pièces d’un puzzle en cours.
Mais, je veux aller au bout. J’ai envie de fouiller, de racler toute l’écriture. Il va me falloir énormément de temps. Je vais y aller bribe par bribe sur plusieurs dizaines d’années.

 

Vos livres offrent aussi une sorte d’hétérogénéité dont Les Buveurs de bière serait le contre-exemple. On trouve ainsi dans Les Lisières des textes de taille et d’atmosphère très différentes. Vous rejetez l’unité ?
Ce qui est prévisible ne m’attire pas. Un roman construit où je sens qu’il y a un plan, ça ne m’intéresse pas du tout. Ce qui m’intéresse, c’est l’écriture, la langue et essayer de donner du sens à tout ça. Le sens, je vais le chercher dans les petits morceaux.
Les personnages qui apparaissent dans la trilogie publiée chez Cadex sont tous des gens du hameau où j’ai grandi. Tous ou presque sont au cimetière et je les fais revivre, je les remets de ce côté-ci. Je les accompagne sur une petite étape de leur parcours sur terre ; ça peut être dans un champ au travail, dans un bar, sur la mer, à l’occasion d’une engueulade, dans un moment de folie pour certains. Mon projet était de redonner vie à tous ceux qui sont morts. D’où une série de portraits, de situations particulières. Dans Bavard au cheval mort, il y a un enterrement ; on voit le cortège qui se dirige vers le cimetière et de temps en temps, il y a des portraits de ceux qui sont dans le cortège ou déjà dans le cimetière. C’est cette mémoire collective que j’interroge et qui me permet, de façon désordonnée, de prendre le pouls de ce hameau d’aujourd’hui et d’avant.

 

Les gens du hameau savent-ils que vous écrivez sur eux ?
Non.

 

Mais il n’est jamais dit, dans votre trilogie, que les personnages ont existé…
Non, je ne le dis pas. J’ai une image qui me revient souvent : dans ma famille, on a une grande boîte, couleur sang de boeuf, on l’ouvre et là, on voit les photos. Chaque photo montre des personnages qui peuvent se mettre à vivre. Mes textes sont comme ça. Il n’y a pas d’histoires, mais des vies en morceaux. Évidemment, je ne pense pas au lecteur. Je pense à me retrouver et savoir qui je suis, d’où je viens, comment j’en suis là par rapport à cet endroit où je suis né et à tous ces gens que j’ai vus et qui d’une façon ou d’une autre m’ont nourri, m’ont formé…

 

Vos livres sont plutôt des recueils de textes épars ?
C’est vrai que certains n’aiment pas le mot  » recueil  » et lui préfèrent le mot  » livre « . Moi je préfère le recueil ou même le mot  » plaquette « . Mes livres sont faits pour accueillir : beaucoup de choses du passé expliquent notre présent.

 

Un passé proche, intime, et pourtant vous n’apparaissez pas dans vos livres…
Non, je ne fais pas une autobiographie. Ou, si c’en est une, ce serait en étant traversé par les autres de façon à ne pratiquement pas exister. Le  » je  » n’apparaît pas, c’est plus souvent  » il  » ou  » on « . Je me mets vraiment en retrait.

 

On a l’impression que vos livres tracent deux arbres généalogiques. Celui des anonymes que vous avez croisés et celui des écrivains que vous avez lus…
Oui, c’est un peu une même famille de chair et d’encre. Tout cela est mêlé chez moi. Je me sens aussi proche d’une personne avec laquelle je vais aller boire un coup, que d’un écrivain que je lis régulièrement. L’un comme l’autre m’aide à vivre.

 

Près du pilier use d’un dispositif narratif dans lequel c’est votre interlocuteur qui raconte une histoire du hameau. Est-ce une manière de dire que nous sommes dans le réel pur ?
Non, ce n’est pas du réel pur. Le personnage existe, je l’ai un peu travaillé. Comme il prenait beaucoup de place par son corps imposant et par la parole, car c’est un véritable moulin, je n’ai eu qu’à me mettre à côté de lui et à l’écouter. J’ai voulu donner un côté théâtral au livre. D’où le prologue où je situe le bistrot, le décris, place l’action. Je déploie ensuite le monologue du
personnage. À la fin de son discours, je sors du bistrot avec lui et voilà, c’est tout. J’ai mis ça en place pour parler à nouveau du hameau.
Il y a le hameau mort et puis il y a la ville où se situe le bistrot, une ville pleine de désirs, pleine de vie. Il me semble avoir un peu bougé dans ce livre pour faire ce que je souhaite.
Mais je ne prévois rien à l’avance. D’un texte à l’autre je fais des sauts de puce pour essayer de me trouver, de mieux me connaître et d’avancer toujours un peu plus loin dans l’écriture. Ce qui m’intéresse en fait c’est plus d’être sur le chemin de l’écriture que d’arriver à un but. Le but, je m’en fous.

 

Mais pourquoi n’attaquez vous pas l’histoire de votre hameau frontalement ? Pourquoi ne pas démarrer comme Céline, par exemple :  » Ça a débuté comme ça  » et dévider ensuite le fil de
l’histoire ?

C’est toujours d’une mise en scène dont j’ai besoin, je ne sais pas pourquoi. Je ne réussis pas à m’expliquer pourquoi je passe plus de temps à essayer d’arriver au texte qu’à être vraiment dedans. Il y a toujours des préliminaires…

 

C’est par pudeur, parce que le sujet est intime ?
Non, l’intime est évacué de mes textes, il est très rare. Ce qui m’interroge plus, c’est la façon d’être des gens. Leur façon de réagir, d’être imprévisibles. C’est se colleter la vie au quotidien.
Je passe toujours par des personnages parce que je ne veux pas me mettre en avant. Ce qui compte, ce sont eux.

 

Ça rejoint quelque chose que vous dites dans De passage à Brest où évoquant la ville vous décidez de :  » ne jamais employer à son propos de jolies phrases « . N’est-ce pas là une règle esthétique ou éthique permanente chez vous ? On sent que vous retenez un peu les chevaux du lyrisme, que vous aplatissez parfois la phrase, non ?
Je n’ai vraiment pas envie et je n’aime pas qu’on enjolive. C’est comme dans les discours, en politique ou en littérature. Je n’aime pas les discours trop brillants. Je m’en méfie. Il y a une sorte de pellicule qui est mise sur la vérité qui fait que la rugosité de la vie ne se voit presque plus. Quelqu’un qui a du caractère, qui est rude, qui humainement n’est pas forcément bon, il va être laqué par l’écriture et le style. Je n’ai pas envie de faire ça. Je me retiens souvent pour ne pas aller dans un lyrisme trop sauvage, trop pur. C’est facile à faire. Quand on écrit, on part parfois dans des élans ; mais il faut retenir les chevaux parce qu’on s’éloigne de la vérité.

 

Les bars qui peuplent vos livres sont pourtant des endroits propices à ces envolées lyriques, non ?
Oui, mais c’est bien aussi de voir qu’un bar n’est pas seulement un endroit où l’on vit agréablement : il y a des heurts, des verres qu’on casse, c’est toute la comédie de la vie qu’on y trouve. Je montre des ivrognes et une réalité qui n’est pas très belle. Comme, par exemple, l’histoire de Tony qui s’est écroulé au pied du zinc et demande qu’on s’occupe de sa mobylette et qu’on lui fasse les poches pour payer ce qu’il a bu (in Un habitué des courants d’air). Il y a là quand même une forme de dignité dans une réalité brutale, pas très belle. C’est ce que j’ai envie de faire : montrer, pas démontrer.
Ce que j’écris doit être proche de la réalité. Je pars toujours d’une situation palpable avec des personnages qui ont des difficultés à se mouvoir dans ce monde. Il y a une certaine nudité. Mes personnages ne se protègent pas.
J’ai du mal à employer le mot de  » personnages « , ce sont des gens ordinaires que je montre, sans être voyeur pour autant. Ce sont des portraits ou de courtes scènes cinématographiques où je les fais bouger cinq minutes, c’est tout. Je ne peux pas suivre un personnage de sa naissance à sa mort, j’en suis incapable et ça ne m’intéresse pas. Mais suivre un être humain pendant une journée, oui. Sans rien dire de ce qu’il a vécu ou vivra. On peut, dans un laps de temps très court, faire comprendre qui il est.

 

Quelle fonction donnez-vous à l’écriture dans ce rapport aux disparus ?
C’est une façon de continuer à faire vivre ceux qui ne sont plus là. Tant qu’il y aura quelqu’un pour porter la mémoire de celui qui a disparu, il continuera à vivre. Je passe le témoin, sachant que ce dont je parle va un jour disparaître totalement puisqu’il n’y aura plus personne pour en témoigner. Je ne les cite pas, mais tous ont un visage dans ma tête. Tous sont présents pour moi. Qu’ils soient morts ou vivants ; ce n’est pas très important dans l’écriture.

 

Puisque vos textes sont souvent très brefs et qu’ils évoquent des gens disparus, ne pourrait-on pas dire qu’ils jouent le rôle de stèles ?
Oui, j’écris des sortes de petits tombeaux.

 

Ce rapport à la mort est-il lié au territoire géographique sur lequel vous écrivez, avec ses calvaires ?
Je le pense, oui. Il y a cette Légende de la mort qu’on retrouve chez Anatole Le Braz où les morts ne sont jamais tout à fait morts, mais seulement passés de l’autre côté d’où ils peuvent revenir la nuit pour interpeller les vivants.
Il y a ce territoire de Bretagne bercé par ces légendes ; je ne veux pas redynamiser ces légendes, mais c’est vrai qu’on vient de là. Quand je vois que dans certains pays d’Europe centrale, on peut aller manger sur les tombes et qu’on y verse à boire pour les morts, je me dis qu’on est semblable à eux. Ce n’est pas en tout cas un rapport macabre qu’on entretient avec les morts, c’est une célébration, c’est donner de la vie.

 

Beaucoup de ceux que vous vous attachez à décrire se sont suicidés. Vous vous sentez proche de ces accidentés de la vie ?
Je me sens proche en tout cas de ceux qui éprouvent de la difficulté à vivre. Maintenant, je ne choisirai pas, j’espère, leur solution pour en sortir. Le suicide malheureusement m’a accompagné depuis ma jeunesse, que ce soit avec la disparition de proches ou celle de gens du village. À un moment, le hameau a même connu une épidémie de suicides. C’était étonnant. Ça m’a toujours fait peur ce genre de choses.
Je me sens proche de ces gens qui mettent la barre pas bien haut mais qui n’y arrivent pas. Trop d’obstacles, trop de malheur.

 

Vos phrases peuvent tendre vers une grande brièveté ou, comme dans Les Buveurs de bière, se faire musicales. Comment les travaillez-vous ?
Ça dépend de la manière avec laquelle le texte prend forme, mais c’est toujours un besoin de respiration. C’est l’essentiel. Ça peut être un souffle très court comme dans Sur les quais qui regroupe une trentaine de vignettes, de courts tableaux à propos d’une fête. Les textes sont saisis sur le vif. Dans Les Buveurs de bière, au contraire, il y a un cheminement, une flânerie à la rencontre des buveurs ici et là. Le souffle se pose, le texte est plus lent.
Je ne sais pas, quand je commence à écrire, comment va devenir la phrase.
Pour Café Rousseau, par exemple, j’avais juste cette image d’un bar fermé la nuit avec la lumière de l’enseigne qui clignotait. Si on s’approchait du carreau, on voyait le zinc et les chaises sur les tables. Cette scène, cette nature morte, je l’avais écrite en dix lignes qui sont restées ainsi pendant trois ans. Puis un jour, j’ai écrit une onzième ligne et ça a donné quatre-vingt-dix pages.


Comment est né
La Mort de Gregory Corso ?
Corso est un poète que j’apprécie beaucoup. J’avais lu un entrefilet dans un journal sur sa mort. Il m’a semblé qu’il fallait écrire quelque chose de plus consistant sur la mort de ce poète. C’est venu comme ça. Je ne voulais quand même pas faire juste une notice nécrologique. J’ai voulu imaginer ou rêver Corso vivant ses derniers instants à l’hôpital. Je me suis documenté via internet et je me suis imprégné de la mort, du Mississippi, etc.
Je voulais rendre hommage à Corso et j’ai écrit ces neuf pages.

 

C’est mince quand même pour un hommage…
Je ne peux pas faire plus. Je pourrais continuer à travailler sur Corso, sur sa vie, son oeuvre, ses relations avec les autres membres de la Beat Generation, mais sur sa mort, je ne peux pas faire plus. J’avais juste envie de capter le moment de sa mort, uniquement ça.

 

C’est votre façon d’avouer une dette vis-à-vis de Corso ?
Oui. Avec Corso ou avec d’autres écrivains, écrire sur eux, c’est inviter, convoquer ces auteurs qui m’ont aidé à déverrouiller ma vie, qui ont ouvert des fenêtres. J’aime le parcours de ce poète qui lui-même a dû être surpris d’écrire. C’était un petit voyou, un dur à cuire qui s’est mis à écrire après avoir beaucoup lu quand il était en prison. Et puis il a rencontré les autres membres de la Beat Generation, Kerouac, Ginsberg, Burroughs. C’est le moins connu des quatre piliers de la Beat ; on a tendance à un peu l’oublier. Pourtant, quelle belle écriture il avait dans sa façon de ne pas prendre de gants pour écrire. Il écrit comme un taureau, un rentre-dedans. Il ne cherche pas à faire bien, il cherche à écrire vrai. C’est ça qui me plaît chez lui.

 

Les Lisières accueille des textes très hétérogènes. D’abord de courtes fictions, puis trois hommages et enfin de très courts textes. Comment s’est constitué ce livre ?
Je voulais faire un livre avec tout ce qui était en lisière de ce qui me fait écrire. C’est un livre qui est plutôt du côté de la ville. On ne retrouve pas beaucoup le hameau. Je voulais partir en lisières. Je voulais que les textes apparaissent dans cet ordre : d’abord les brèves de Bruges, puis ce sont deux petits textes sur le hameau avec l’histoire de ce fils qui était de mon âge et l’histoire des deux fils qui jettent leur père dans la rivière et puis, ensuite, je reviens vers la ville avant de partir sur les autres solitudes. Ce sont à chaque fois des solitudes.
Je suis toujours dans le morcelé, le désordre. En ce moment, j’essaie d’écrire un texte sur le hameau avec plus de fluidité, mais je ne sais pas où j’irai. J’écris aussi des textes sans points, sans que ce soit du formalisme. Je ne sais pas non plus ce que ça va donner. Mais je pense que tous ces petits riens forment un tout. Mais il manque tellement de pièces, j’aimerais écrire tellement de choses encore.
En même temps, j’aime mettre du désordre dans mes livres. Le désordre permet de faire se rencontrer des choses qui, dans l’ordre, ne se joindraient jamais.

 

En parlant des autres, écrivains aimés ou voisins du hameau, ne finissez-vous pas par parler de vous comme dans une autobiographie par la bande ?
Oui. Je fais un autoportrait d’où je suis absent. Je suis dessous. Ce que j’écris est ma feuille de marbre.

* http://www.wigwametcompagnie.net

 

Thierry Guichard