Collectif – 2014
itinéraire
Salah Al Hamdani
Poète de la résistance
IRAK
« Le poète ne doit pas être derrière la fenêtre pour regarder les événements, mais être dans l’orage, recevoir des coups. »
Si sa famille compte des poètes depuis le XIVe siècle, si son ancêtre a été chanté par Oum Kalsoum et honoré par les lettrés, Salah Al Hamdani ne découvre la poésie qu’à l’âge de vingt ans, dans les prisons de Saddam Hussein. Menacé par le régime contre lequel il s’élève, « l’amoureux de Camus » fuit Bagdad, s’installe en France, entre au département théâtre de la Faculté de Vincennes, devient comédien, acteur, metteur en scène. Poète, il clame, réclame et déclame sans relâche la liberté, la justice, l’égalité et trace la voie d’une humanité : celle de l’enfance et de ses souvenirs qu’il met en partage ; celle de l’exil, de ses émotions et de ses blessures ; celle de l’immigré qui cherche le numéro de sa rue ; celle du retour au pays, toujours en guerre ; celle d’un poète de l’errance, qui écrit mon Irak comme on dirait mon amour.
Bibliographie : Adieu mon tortionnaire (Le Temps des Cerises, 2014) ; Rebâtir les jours (Bruno Doucey, 2013) ; Bagdad-Jérusalem, à la lisière de l’incendie (avec Ronny Someck, Bruno Doucey, 2012) ; Le Balayeur du désert (Bruno Doucey, 2010) ; Bagdad mon amour (Écrits des Forges/L’idée bleue, 2008) ; Le retour à Bagdad (Les points sur les i, 2006) ; Bagdad à ciel ouvert (Écrits des Forges/L’idée bleue, 2006) ; Le cimetière des oiseaux (l’aube, 2003).
Bessora
Histoires d’en rire
BELGIQUE
« Un écrivain, c’est quelqu’un qui ramasse les cailloux qu’on lui jette. »
Cruels comme la vie, drôles, inattendus, les mots de Bessora, s’ils ne guérissent pas les maux de notre monde, ont un effet salvateur : ils dérident. Fabuliste du quotidien, l’auteur donne à lire les satires mordantes d’une société déboussolée et nous entraîne avec ironie dans l’univers impitoyable du système : immigration, exclusion, lutte des classes, inégalité des sexes…
Dans son dernier roman, c’est à la question des relations humaines à l’heure des réseaux sociaux qu’elle s’attaque, réinterprétant dans un style truculent, acerbe et zélé, un Cyrano de Bergerac ancré dans le XXIe siècle. Farouchement attachée à ses identités, Bessora (littéralement celle qui partage) donne aussi l’impression de se raconter, évoquant fréquemment ses multiples origines : le Gabon de son père, la Suisse, la Belgique où elle est née, l’Europe, l’Afrique…
Bibliographie : Alpha-Abidjan-Gare du Nord (illustrations de Barroux, Gallimard 2014) ; Cyr@no (Belfond, 2011) ; Et si Dieu me demande, dites-Lui que je dors (Gallimard, 2008) ; Cueillez-moi jolis Messieurs (Gallimard, 2007) ; Les Compagnies Low-Cost dans Nouvelles Mythologies (Seuil, 2007) ; Petroleum (Denoël, 2004). Au Serpent à Plumes : Deux bébés et l’addition (2002) ; Les Taches d’encre (2000) ; 53 cm (1999).
Ian Monk
L’agitateur des contraintes
ANGLETERRE
« Je m’entraîne à l’écriture justement mais justement pour sortir de cette idée de pourriture de ma vie. »
Écrivain et traducteur anglais, ce poète oulipien se plie avec une jubilation évidente aux lois de la contrainte d’écriture. Mais ses suites poétiques rigoureusement organisées (x parties composées chacune de x poèmes, de x vers, de x mots) révèlent une véritable liberté, une énergie verbale dominée par une oralité souvent crue, une envie parfois de crier, d’envoyer son coup de gueule à la face du monde comme dans son célèbre Plouk Town, qui dresse avec un humanisme lucide le portrait de nos villes suintant la violence et le dégoût. Avec son ironie mordante et son humour grinçant, il signe La Jeunesse de Mek-Ouyes, récit rocambolesque et farfelu qui prolonge le roman-feuilleton de Jacques Jouet. Avec 14×14, il multiplie les contraintes… et marque avec Là, un nouvel épisode du quotidien sordide et abrutissant des banlieues populaires.
Bibliographie : Là (Cambourakis, 2014) ; 14×14 (L’Âne qui butine, 2013) ; La Jeunesse de Mek-Ouyes (Cambourakis, 2011) ; À chacun sa place (La Contre Allée, 2008) ; Plouk Town (Cambourakis, 2007) ; Stoned at Bourges (les mille univers, 2006) ; Writings for the Oulipo (Make Now Press, 2005) ; N/S (L’Attente, 2004) ; L’Inconnu du Sambre express (TEC-CRIAC, 2004) ; Le Voyage d’Ovide (Le Verger, 2002) ; Le Désesperanto (Plurielle, 2001).
Ali Bécheur
Les rues de la mémoire
TUNISIE
« Je suis revenu dans ma ville dont j’avais gardé intacte l’image de ma nostalgie. Nous ne nous sommes pas reconnus, elle avait changé, moi aussi. »
Ali Bécheur arpente les méandres de la mémoire, réveille les souvenirs enfouis, les joies simples et douces de l’enfance, donne rendez-vous aux instants manqués de sa vie, parle de ceux qui arrivent, de ceux qui partent, de ceux qui attendent ou de ceux que l’on croise, pour une saison ou pour toujours. Il explore également les mystères de l’individu, questionne l’exil, l’identité, s’indigne face au spectacle d’un monde qui change, regrette parfois, aime surtout… la Femme, les femmes, celles du feu et de la ville, celles que l’on désire, celle qui vous met au monde et celle qui vous révèle… Lire ses romans c’est errer, dans les rues de Tunis, ses quartiers, sa chaleur, sa poussière ; c’est se promener aussi dans un monde sensoriel, sensuel, où les gourmandises se croquent, où les contes se disent… mais où quelque chose a disparu.
Bibliographie : Chems Palace (elyzad, 2014) ; Amours Errantes (Déméter, 2009) ; L’Attente (Cérès, 2007) ; Le Paradis des Femmes (elyzad, 2006) ; Dernières nouvelles de l’été (elyzad, 2005) ; Tunis Blues (Clairefontaine, 2002) ; La porte ouverte (La Nef, 2000) ; Jours d’Adieu (Cérès/Joelle Losfeld, 1996) ; Les rendez-vous manqués (Cérès, 1994) ; Les saisons de l’exil (Cérès, 1991) ; De miel et d’aloès (Cérès, 1989).
Sophie G. Lucas
Être à la fois poète et témoin
FRANCE
« Vouloir écrire c’était trahir d’une certaine manière. Et j’ai trahi. »
La prose minimaliste de Sophie G. Lucas c’est le monde tel qu’elle l’entend, le voit, le lit… Partant de faits de société, l’écrivain observe, fouille, pénètre les événements pour mieux s’en détacher et écrire les gens, de l’intérieur. Sa poésie épurée est souvent confrontée à la réalité la plus crue : des fragments pour suffoquer les pensées qui surviennent au chevet de la mort (Nègre blanche), du silence pour étouffer l’angoisse d’une vie résignée à la routine (Panik), des esquisses pour renommer les délaissés de notre société (Moujik moujik), des extraits médiatiques pour dire Détroit, ville abandonnée, morte, fantomatique, rayée de la carte des États-Unis (Notown)… Un souffle court, comme des parenthèses qui s’ouvrent et se referment sur des visages, des lieux, des objets, des dialogues, sur tous ces petits riens de notre vie.
Bibliographie : Carnet d’au bord (Potentille, 2013) ; Notown (Les états civils, 2013) ; Se recoudre à la terre (avec neige) (Contre-allées, 2011) ; Moujik moujik (Les états civils, 2010) ; Prendre les oiseaux par les cornes (Le Chat qui tousse, 2010) ; Panik (Le Chat qui tousse, 2008) ; Sous le ciel de nous (Contre-allées, 2007) ; Nègre blanche (L’Idée Bleue, 2007) ; Ouh la Géorgie (Gros Textes/ Décharge, 2005).
Simonetta Greggio
La douceur des maux
ITALIE
« À force de lire, j’ai attrapé les mots et la musique du français, qui est pour moi la langue de la liberté. »
Les livres de Simonetta Greggio ont un parfum d’Italie… une senteur d’été, d’enfance et de délicieuse mélancolie, suspendue comme un refrain oublié sur la vie de ses personnages. Nina a cette odeur. Adrien s’en souvient… Dans ce magnifique roman, où l’amour côtoie la mort, l’Italienne sème, délicatement, les souvenirs, les sensations, les chansons et les prières de sa terre natale. Son pays, la romancière l’analyse aussi et témoigne de son Histoire dans son célèbre Dolce Vita 1959-1979, immersion saisissante dans les années noires, où crimes, scandales, complots et attentats défilent, chapitre après chapitre. Avec L’homme qui aimait ma femme, partition sentimentale à plusieurs voix orchestrée sur la base d’un triangle amoureux, l’auteur revisite en une vibrante symphonie des émotions le légendaire et tragique destin de Jules et Jim.
Bibliographie : Nina (Stock, 2013) ; L’homme qui aimait ma femme (Stock, 2012) ; L’odeur du figuier (Flammarion 2011, Prix Messardière) ; Dolce Vita 1959-1979 (Stock 2010, Prix Littéraire Européen Madeleine Zepter) ; Les mains nues (Stock 2008, Livre de poche 2010) ; Col de l’Ange (Stock 2007, Livre de poche 2009) ; Étoiles (Flammarion 2006, Livre de poche 2008) ; La douceur des hommes (Stock 2005, Livre de poche 2007).
Nathacha Appanah
Écrire l’envers du décor
ILE MAURICE
« Je suis une romancière, mon but n’est pas de dire une vérité implacable mais d’être au plus juste des choses et dans la plus grande sincérité qui soit. »
Amères comme les désillusions, tragiques comme des amours déçues ou fragiles comme les souvenirs, les histoires de Nathacha Appanah nous entraînent dans les tréfonds de l’Île Maurice et nous en révèlent l’envers et les ratures. Avec justesse et sobriété l’auteur témoigne de la douloureuse immigration de ses ancêtres indiens débarqués dans les plantations de cannes à sucre, dénonce les hiérarchies sociales et économiques qui régissent le pays, dévoile les coulisses des établissements touristiques de luxe… À l’heure des confidences, la romancière exhume aussi de la terre mauricienne un épisode méconnu de l’Histoire des Juifs, nouant avec tendresse et fatalité les destins de deux enfants du malheur, accolés l’un à l’autre par miracle, par accident, l’un dévasté par la disparition de ses frères et l’autre arraché à son pays d’origine.
Bibliographie : Le dernier frère (L’Olivier 2007 ; Prix Culture et Bibliothèques Pour Tous 2008, Prix des lecteurs de L’Express 2008, Prix des librairies du Québec 2008, Prix du roman Fnac 2007) ; La noce d’Anna (Gallimard, 2005) ; Blue Bay Palace (Gallimard 2004 ; Grand Prix littéraire de l’Océan Indien et du Pacifique 2004) ; Les rochers de Poudre d’Or (Gallimard 2003 ; Prix Rosine Perrier 2004, Prix du livre RFO 2003).
Eduardo Berti
L’étrange des esquisses
ARGENTINE
« Tout participe d’un même esprit, d’une roue qui a comme centre ma passion pour les livres et les histoires. »
Parmi les écrivains argentins, Eduardo Berti est sans doute l’héritier le plus fidèle de la tradition du fantastique et du texte bref issue des Borges, Bioy Casares et Cortázar. Érudit, malicieux, il joue d’ailleurs avec ces références prestigieuses et la mythologie qu’elles charrient, comme dans son roman Tous les Funes. De même, La Vie impossible, suite de miniatures ciselées dans le réalisme, la fantasmagorie et l’absurde, n’est pas sans rappeler les « anecdotes » qu’adorait Borges. Rien d’étonnant donc s’il poursuit dans cette veine avec L’Inoubliable, recueil de nouvelles où éclatent à nouveau son imagination labyrinthique et son talent de conteur. En 2013, il signe Le Pays imaginé, voyage envoûtant dans les superstitions et les rites ancestraux de la Chine des années 1930, célébrant avec une douce sérénité la beauté des sentiments.
Bibliographie : Le pays imaginé (Actes Sud, 2013) ; L’Inoubliable (Actes Sud, 2011) ; L’Ombre du boxeur (Actes Sud, 2009) ; Les petits miroirs (MEET, 2007) ; Rétrospective de Bernabé Lofeudo (Actes Sud, 2006) ; Tous les Funes (Actes Sud, 2004) ; La Vie impossible (Actes Sud, 2002 ; Prix Fernando Aguirre/Libralire) ; Madame Wakefield (Grasset 2000, Babel 2007) ; Le désordre électrique (Grasset, 1998).
Wilfried N’Sondé
L’écrivain sans racines
CONGO
« Ce sont les cultures qui font la langue, et non l’inverse. »
Né au Congo, Wilfried N’Sondé arrive en France à l’âge de quatre ans. Comme tant d’autres immigrés, c’est « La banlieue » qui l’a vu grandir : des cités où sont parquées les populations les plus pauvres, où l’enfance a laissé place à la brutalité du monde, où le renoncement a gangrené la foi, où la peur a remplacé le désir. Dans ces quartiers, aujourd’hui devenus le théâtre de ses romans, l’auteur trace le portrait d’une génération paumée, sans racines ni repères, se glissant dans les profondeurs de ces âmes perdues pour nous en restituer toute leur ampleur, leur beauté, leur complexité, leur rage et leur passion. Comme un cri d’une force imparable, sa langue est rythmée, guidée par une poésie ensorcelante, celle d’un chant intérieur où la voix des anciens résonne, invoquant les valeurs du partage, de l’honneur, de l’héritage et de l’espoir.
Bibliographie : Fleur de béton (Actes Sud, 2012) ; Ballon de poussière dans Enfants de la balle (Lattès, 2011) ; Septembre d’or (Klett, 2011) ; Les hauteurs de Tanganyka (Médecins Sans Frontières, 2011) ; Le Silence des esprits (Actes Sud, 2010) ; Ethnidentité dans Je est un autre (Gallimard, 2010) ; Le Coeur des enfants léopards (Actes Sud 2007 ; Prix des Cinq Continents de la Francophonie, Prix Senghor de la création littéraire 2007).