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Guillaume Richez, Chronique des Imposteurs

Contre-mesures [#7]

Publié le par Guillaume Richez

Édito poétique. Entre octobre 2022 et février 2023 quatre livres de Perrine Le Querrec ont paru : Warglyphes (éditions Bruno Doucey, 2023), Le Prénom a été modifié (La Contre allée, 2022), Les Mains d’Hannah (Tinbad, 2023) et La Fille du chien (éditions des Lisières, 2023). La lecture de ces ouvrages confirme la grande cohérence d’une œuvre unique empiriquement empathique.

Que l’écriture de Perrine Le Querrec plonge ses racines dans l’enfance, prenant la parole pour l’infans, c’est-à-dire proprement celle ou celui « qui ne parle pas », ou qu’elle puise dans le matériau de l’archive, la poétesse inverse toujours l’énoncé rimbaldien : dans ses livres c’est l’autre qui est un « je ». À tel point d’ailleurs que ses livres, elle les voudrait à peine siens tant ils s’écrivent dans la dépossession de soi, sur négatif, à même l’archive de la parole tue.

Dans un entretien qu’elle m’avait accordé en 2020 [1], l’autrice répondait à la question de savoir de quelle bouche elle écrivait en ces termes : « Je n’ai pas résolu cette question. La démesure de cette question. J’écris — je. J’écris — elle et il. J’écris — nous. Je suis écrite – eux. »

« Nombreuse dans l’œuvre immense », dirons-nous en reprenant les mots de la poétesse Denise Desautels [2] pour les appliquer à Perrine Le Querrec dont la voix plurielle est l’une des plus fortes du champ poétique actuel.

Des extraits de Warglyphes avaient été publiés sous le titre De la guerre en 2013 aux éditions Derrière la salle de bains. Dix ans plus tard, l’écriture de ce livre de guerre ne s’est nullement émoussée. Son verbe s’y montre toujours aussi tranchant.

Chacun des livres de Perrine Le Querrec me paraît commencer par la question liminaire « comment l’écrire ? ». Loin de dissimuler cette interrogation l’autrice en fait même ici son incipit : « Cette guerre comment l’écrire ? » (p. 7). Cette interrogation est d’ordre éthique en ce qu’elle porte sur son positionnement d’autrice : « Où sera ma voix ? » et « je vais parler pour qui ? » (Id.).

Les livres de Perrine Le Querrec s’écrivent dans un processus en tension entre l’acte d’énonciation (« je prends la parole ») et le positionnement de l’énonciatrice (« c’est moi qui parle »). Car l’objet des livres de Perrine Le Querrec n’est jamais objectivé, il est toujours un double sujet sans cesse questionné : qui parle ? Qui parle de qui ?

Dans Warglyphes c’est la guerre qui parle, qui parle « la langue des tranchées la langue des planques la langue de la résistance la langue de la collaboration la langue du crime la langue des morts la langue des tortures la langue inconnue… » (p. 17).

« C12H9AsClN

Gaz inodore

                       du noir tableau

cristaux aériens

              aux vertes plaines

blanc foncé

             par les déserts

vapeur

                       sur la ville

jaune canari » (p. 39)

Reprenant le célèbre vers de Gertrude Stein (« Rose is a Rose is a Rose is a Rose is a Rose »), l’autrice écrit : « Une femme est un homme est un enfant est un animal est un guerrier est un soldat est une proie est un meurtrier est un mort est une victime est un enfant est une femme » (p. 77).

Dans ce livre fort où les phrases lentes donnent plus à voir qu’à lire le langage, l’écriture trace un énoncé circulaire : ici le monde est rond comme les cercles de l’Enfer. « Chaque mot me rapproche de la mort », écrit la poétesse (p. 26).

Écrit durant les procès désignés par les médias comme ceux « des tournantes de Fontenay », Le Prénom a été modifié a d’abord paru en 2014 aux éditions les doigts dans la prose. Cependant l’autrice a ressenti la nécessité de faire entendre à nouveau ce texte fort et bouleversant en pensant à Shaïna, « l’affaire Shaïna », comme l’ont écrit les médias, — un procès pour viol en réunion sur l’adolescente de treize ans, brûlée vive deux ans plus tard.

« Je suis toujours en guerre contre les silences meurtriers. Je cherche toujours le langage qui dira ces silences », écrit Perrine Le Querrec dans son « avant-propos » (non paginé). Plus encore que la recherche d’un « langage qui dira ces silences [meurtriers] », la démarche de la poétesse se recentre sur la place du sujet de l’énonciation dans le processus de prise de parole de celle qui est « présumée moi » (32 [3]). Le titre du livre en est un indice évident.

« Même dans l’appartement avancer c’est loin. La chambre c’est loin. Après, tout est devenu loin, j’arrivais plus à rien atteindre il me fallait des kilomètres et des heures.

70 kilos en plus c’est lourd c’est le poids d’un homme. J’ai toujours un homme sur moi en plus de moi depuis 15 ans. » (2)

Et plus loin :

« J’ai 15-31 ans et 70 kilos à leur laisser.

Je vais me contenter d’être et c’est déjà beaucoup. » (65)

Texte choc d’une puissance rare, — à l’égal de Rouge pute paru également aux éditions La Contre allée —, Le Prénom a été modifié s’impose comme l’un des livres les plus sidérants de la poétesse.

Hannah Höch figurait parmi les vingt-cinq portraits, — ou bustes —, composés par Liliane Giraudon dans Les Pénétrables (P.O.L, 2012) [4]. S’étonnera-t-on que Perrine Le Querrec lui consacre quant à elle rien moins que l’entièreté d’un ouvrage ? Il n’en fallait pas moins pour invoquer la figure de cette artiste allemande née en 1889 à Gotha et morte le 31 mai 1978 à Berlin.

Œuvre polymorphe et formellement ambitieuse, Les Mains d’Hannah nous replonge dans les obsessions esthétiques de Perrine Le Querrec : « Pour t’écrire / créer un langage dans la langue / une image dans l’image » (p. 7), ou encore « la vie immobile de la géométrie — son absence au langage » (Id.). Et plus loin cette fulgurance : « il n’y a pas de déchirure il n’y a que du langage » (p. 19).

Le texte révèle plusieurs leitmotive dont la réitération produit un effet obsessionnel, notamment le motif plus ou moins conscient du miroir, — le portrait d’Hannah Höch étant également un autoportrait de la poétesse. Ainsi l’autrice souligne-t-elle que le prénom Hanna se lit dans les deux sens, tel un palindrome (p. 22), c’est-à-dire dans un rapport spéculaire d’inversion. Et de se lire elle-même « entre les H » dans le prénom de l’autre, — l’autre étant ici un je, ainsi que nous le disions plus haut.

L’effet spéculaire de dédoublement se retrouve également dans la figure du chiasme lorsque Perrine Le Querrec écrit : « Tu construis en déconstruisant et moi je tente de construire en t’écrivant. » (p. 45)

Les Mains d’Hannah est écrit dans son acte de fabrication même. Les procédés s’énoncent et deviennent le récit d’eux-mêmes :

« Les nuits blanches de la ponctuation

Remplace tous les . par des — , qu’ils soient sutures comme elle façonne, interrompt les figures et montre les raccords. Écrire en phrases très courtes montées les unes aux autres. Construire le tableau général du récit. En cut-up non pas aléatoire mais organisé. » (p. 15)

L’écriture à l’œuvre dans ce livre est débordement. Quoi d’étonnant puisque l’autrice écrit : « QUE MON DÉSIR SOIT LANGAGE » (p. 20).

Texte apaisé, La Fille du chien est la partition d’un dialogue muet entre Perrine Le Querrec et son chien dont les mots, isolés, sont retranscrits en italiques sur la page suivante, dans sa langue, selon l’expression de la poétesse.

Ici la démarche poétique de Perrine Le Querrec se poursuit. Il s’agit une fois encore de donner langue à celui qui ne parle pas. Et ce qui pourrait n’être qu’un simple dispositif textuel de plus, un peu naïf, se révèle dès le premier poème proprement saisissant.

Ce livre n’est en rien anecdotique dans la riche bibliographie de l’autrice de Rouge pute et de La Patagonie. Il offre, de la part de celle qui vit pleinement le langage, une nouvelle pièce maîtresse à sa poétique de questionnement de la langue à travers le prisme de l’aphasie.

« au retour sur leurs épaules

la pluie pèse des kilos

la forêt plie ses genoux

de son bâton

elle zèbre zébrure l’ordre du monde

la parole arrive     jamais ne parlera

elle — bâton  zèbre zébrure » (p. 40)

L’écriture flirte avec l’illisible (« la nouvelle écriture / illisible » p. 14). Se devine ici et là la tentation de la lallation (« elle     ell     ll     l » p. 51), d’un retour à l’arrière-mot (« les lettres tombent / l / suffit » p. 44), dans un infra-langage. De faire du son seul un signe (« sons assis sons debout » p. 66).

« elle qui parlait souvent

avec de vastes gestes

d’air de lumière de chair

rétrécit le mot

jusqu’à la trace

seul os

maigre

du dialogue » (p. 46)

Avec La Fille du chien Perrine Le Querrec nous offre un livre qui fait place non au silence mais à la respiration, à la pulsation d’un cœur qui bat dans le mot, à la pensée d’écriture d’avant le mot.

« la pensée c’est le bras

c’est la main qui avance

la jambe qui plie

la pensée c’est le chien

le poumon qui se gonfle

l’aorte qui bat » (p. 8)


Warglyphes, éditions Bruno Doucey, janvier 2023

Le Prénom a été modifié, éditions La Contre allée, octobre 2022

Les Mains d’Hannah, éditions Tinbad, février 2023

La Fille du chien, éditions des Lisières, janvier 2023

[1] https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/2020/04/20/entretien-avec-perrine-le-querrec-deuxieme-partie/

[2] Denise Desautels, L’Angle noir de la joie suivi de D’où surgit parfois un bras d’horizon, collection « Poésie/Gallimard », Gallimard, mars 2022, p. 145

[3] L’ouvrage n’étant pas paginé, j’indique le numéro de chapitre.

[4] http://www.lilianegiraudon.com/hannah-hoch

Librairie Atoutlivre (Paris 12ème)

Après le très poignant Rouge Pute, Perrine Le Querrec nous offre un nouveau recueil dans lequel la poésie tremble des violences faites aux femmes. POIGNANT ! et douloureux.

La grande librairie

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Rouge pute, de Perrine Le Querrec, a été choisi par Camille Colas, de la Librairie du Channel à Calais dans Le Choix des libraires pour La Grande librairie. Découvrez son « Cri de rage » à partir de 1 min 28.

Librairie Des livres et nous (Périgueux)

En résidence, Perrine Le Querrec rencontre des femmes victimes de violences conjugales, et recueille leur parole. Leurs traumas, leur souffrance, mais aussi leur résilience et leur combat sont l’ossature de ce recueil choc. Rouge Pute n’est pas une poésie qui caresse et adoucit. Ce sont des mots durs, des mots violents, des mots qui cognent comme les mots et les coups subits. Des mots qui cherchent, aussi, la résilience, à travers l’écoute, la sororité et le combat. C’est une déchirure ; mais également un pansement, un appel à l’action, un cri. A lire d’urgence.