Les libraires en parlent

← Au nord tes parents

Théodore, Librairie Le comptoir des mots (Paris)

Ce livre est un concentré de poésie.

Comme les alcools forts que l’on consomme en shots, on peut le déguster lentement, ligne après ligne, en disséquant toute la saveur ou le descendre cul sec au risque de se brûler la gorge (et le cœur).

Librairie Esperluette

«c’était ça la légende de la banquette arrière

c’était que tout mouvement se perdait dans

l’espace c’était qu’un jour tout finissait»

On retrouve Antoine Mouton avec un immense plaisir, après avoir littéralement adoré HKZ, le livre du revenir (paru aux éditions Ypsilon), découvert et emballé plus tard par Les chevals morts publié par les éditions de La Contre Allée. « Au nord tes parents » avait fait à l’origine l’objet d’une publication en grand format aux éditions La Dragonne en 2004, et c’est assez formidable qu’une seconde vie lui soit donnée 20 ans plus tard, au sein de la collection La Sente chez La Contre Allée.

On retrouve aussi cette forme singulière, dissidente des formes narratives usuelles, et qui porte à merveille l’histoire, un road-trip à l’accent particulier. On suit un enfant à bord d’un véhicule qui file à vive allure vers le nord. « Nulle part je n’étais chez moi sauf dans cette voiture derrière papa derrière maman ». Son territoire la banquette arrière, le monde autour de lui reste flou « j’étais à l’arrière de la voiture et le ciel courait derrière moi le temps avec la route le jour la nuit les arbres », d’autant que son père refuse qu’il voit un ophtalmo. Un habitacle familial clos sur lui même et l’enfant seul, très seul, l’imagination dans les astres (« on épingle les planètes dans nos têtes, tout un système solaire pour les jours de solitude). Le père, « un bonhomme sinistre » usine quelques pièces de forge, la mère prédit l’avenir aux gens.

Sauf que les deux points fixes qui sont ceux de l’enfant dans la voiture ne sont pas immuables, on comprend que la mère meurt d’un cancer. Et le père est pris d’une grande tristesse, au point de ne plus se donner «la peine de paraître vivant». Aussi, le «mouvement perpétuel» vers le nord, cette grande course de fond ne peut perdurer. La destination se fait alors plus incertaine d’autant que l’enfant est confié à un internat, à la recherche d’un autre bout du monde. Le monologue de l’enfant s’intensifie «ô maman maman pourquoi tu ne m’as pas dit que le nord c’était comme le reste c’était juste une destination juste un point sur terre qui tournerait toujours ?». Heureusement qu’il s’y connait en géographie des homophonies (messe, l’île, hellsinkiss, hamsterdamne) : «j’ai choisi l’île parce que l’île ça sonnait comme exil». Un chemin d’exil pour retrouver, orphelin, un peu de clarté. Une langue sans majuscule ni ponctuation, apnéique, qui accompagne magnifiquement ce trajet d’apprentissage.

«souvent on passe sa vie à ça

recoller les morceaux des amours qu’on n’a plus»