Revue de presse

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Let’s Motiv

Let’s Motiv

Une chronique de François Annycke dans le numéro de novembre de Let’s Motiv magazine :

L’histoire se déroule dans une banlieue sordide de Madrid. D’emblée, on sait que l’on se trouve dans une de ces zones urbaines délaissées. On y croise quelques adultes, des ombres plus que des humains, et surtout des adolescents qui tentent de survivre. Tom, 12 ans, le narrateur, raconte dans une langue très inventive et cinématographique le quotidien de ce petit monde lorsqu’un mort vient en bousculer l’ordre… Très vite on accuse le caïd Le Zurdo du meurtre de Lucas. Mais Tom et son ami Martin doutent de la culpabilité de leur modèle et mènent leur propre enquête, qu’on suit au milieu de violences indicibles et de sauvages cruautés… Un livre court dont on ressort groggy et marqué pour longtemps.

Chaise longue et bouquins

Chaise longue et bouquins

Un billet dans le blog Chaise longue et bouquins, daté du 31 octobre :

Un roman à bout de souffle pour deux raisons: peu de ponctuations et une histoire intense et dure, que le jeune Tomàs confie au lecteur.

Dans cette cité ouvrière Madrilène, Tomàs se retrouve témoin de la violence et sa perversité, amenant le suicide d’une jeune garçon.

C’est tout cela que nous raconte, comme un coup de poing, Tomàs, cette violence quotidienne, la peur, la honte, la misère financière et sociale, qui empêche de s’en sortir et qui enferme les gens.

C’est intéressant mais triste à la fois et on a envie d’aider Tomâs et cette cité à sortir de cet engrenage.

A lire sur le blog ici
Bookalicious

Bookalicious

Un chronique avec une interview d’Isabel Alba sur Bookalicious :

Voilà un drôle de livre. Entre polar minimaliste, récit d’apprentissage sur fond de traumatisme enfantin, ce court roman à l’écriture cinématographique a le mérite de ne pas laisser son lecteur indemne (ni trop respirer pendant la lecture, en fait). Si la violence est au coeur de plusieurs livres de notre sélection de la Rentrée Littéraire 2016, la façon dont elle est traitée ici laisse une sensation bien froide le long de la colonne vertébrale, en particulier au moment du dénouement de l’histoire. Promis, on ne spoile pas, ça serait dommage de vous priver d’un tel uppercut.

Un jeune garçon est retrouvé mort, pendu dans un chantier où une petite bande de gamins a l’habitude de venir jouer. Qui l’a tué et pourquoi ? Le suspect semble tout désigné, dans cette cité où règnent les truands, les bastons, les affrontements entre gangs et les raclées familiales. C’est un garçon de 12 ans qui raconte ce traumatisme, comment il a été prévenu de la découverte du corps et s’est précipité sur les lieux avec les gens du quartier. Il parle avec la syntaxe et la logique d’un enfant de 12 ans. On sourit, attendri par les observations et la pensée de ce Petit Nicolas moderne, sauf qu’on arrête vite de s’attendrir quand on comprend dans quel univers évolue ce gamin, quelle est sa réalité et comment la violence l’a déjà formaté, modelé, constitué. Le fossé entre la forme et le fond sert prodigieusement le contenu, comme si la brutalité se décuplait à travers les yeux de ce gosse et nous parvenait plus compacte encore. Un gros coup de coeur ! Baby Spot – Isabel Alba. Tradition de Michelle Ortuno. Editions La Contre-Allée

L’INTERVIEW

Il se passe vraiment des choses comme ça à Donostia ?

Le roman ne se déroule pas à Donostia, qui est une petite ville du Pays Basque d’un certain niveau social, mais dans un quartier de la périphérie de Madrid, la ville où je suis née et où j’ai vécu jusqu’à l’âge de trente-cinq ans. Mais il pourrait s’agir d’un quartier de la périphérie de n’importe quelle grande ville européenne. Il existe de plus en plus de quartiers de ce type-là sur notre continent : des endroits où les gens vivent dans la promiscuité, sans espoir, sans aucune possibilité d’améliorer leurs conditions de vie et où la violence devient une réalité quotidienne, et donc normalisée.

Quelles sont vos sources d’inspiration en général ?

Les personnes m’intéressent. Je suis empathique, observatrice et très curieuse. Je crois que ce sont des caractéristiques indispensables à n’importe quelle écrivain. C’est en quelque sorte un sixième sens qui permet de collecter des histoires dans notre entourage, ou bien parce qu’on nous les raconte, ou bien parce qu’on arrive à les capter, d’un seul regard, dans les regards des autres. Pour écrire je dois rester ouverte à ce qui m’entoure. Et cet état d’ouverture laisse le champ libre aux histoires pour qu’elles arrivent jusqu’à moi.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce thriller adolescent ?

Le point de départ est une histoire vraie. Curieusement, je l’avais oubliée lorsque j’ai écrit ce roman. Je ne m’en suis souvenu que  très longtemps après avoir terminé son écriture. La phrase de Brecht qui est en exergue donne peut-être à comprendre les raisons pour lesquelles je l’ai écrit. Je voulais rendre visible une réalité qui, comme beaucoup d’autres, reste cachée, loin de la vue de la plupart des gens. Sa forme, un thriller articulé comme un puzzle, fragmentaire, et raconté à la première personne, a mis longtemps à s’imposer à moi. Ce n’est qu’au bout d’un processus long et difficile – qui m’a obligée à jeter de nombreuses pages- que j’ai réussi à la trouver.

Merci à Michelle Ortuno pour sa traduction des questions et réponses à Isabel Alba !

Lire la chronique sur le site de bookalicious ici

La cause littéraire

La cause littéraire

Un article de Marc Ossorguine sur le site La Cause Littéraire, daté du 17.10.16 :

Si vous avez aimé… Vous aimerez… On pourrait être tenté de présenter le premier roman d’Isabel Alba de cette façon. Un roman qui précède de huit années La véritable histoire de Matias Bran, que La Contre Allée nous a fait découvrir en 2014. Si ce Baby Spot montre déjà le talent de son auteur, le projet n’en est par contre pas le même. Ici la force du récit tient à sa brièveté autant qu’à son style, travaillé dans une certaine « maladresse », qui s’impose et que l’auteur maîtrise.

Tomás. 12 ans. Tomás vit dans un monde dont l’ordinaire est le chômage, la violence, le machisme basique et « naturel ». Un père inconnu… Mais bon, il s’en fait une raison !

Je m’appelle Tomás, j’ai douze ans et je ne sais pas qui est mon père. Mais après tout, c’est banal dans la vie d’un gamin, et d’ailleurs je crois que ça n’intéresse personne, même pas moi, et puis j’en ai vraiment marre de toujours entendre la même histoire.

C’est vrai que dans l’univers où vit Tomás, cette histoire-là est d’une banalité redoutable. Père absent, mère dépassée, beau-père ou copain de la mère pas franchement idéal non plus… Chômage, mal-logement, petits trafics en tout genre… Rien que du désespérément banal. Tout juste bon à alimenter les faits divers dans une feuille de choux dont on oublie la une aussi vite qu’on la lit.

Un monde dont on ne sort pas si facilement. Un monde gris déprime où s’impose bien vite à chacun le sentiment d’être condamné à la débrouille, tant bien que mal, à ne pouvoir que renoncer aux espoirs d’ailleurs. Il faut bien y vivre et y survivre, puisqu’on y est. Pour de bon. Pour longtemps, voire pour toujours. Le rêve de Tomás se limite à ressembler au Zurdo, un vrai courageux, un vrai dur. Pili, la mère, aimerait bien que son fils zone moins autour du chantier avec les copains, ne serait-ce que pour ne pas finir comme tous les autres. Qu’il s’applique un peu plus avec l’école… Tomás, lui, est surtout attentif à sa petite sœur, Diana, comme la princesse du tunnel et de la voiture de grand luxe qui tue. Il la protège comme il peut de ce monde indifférent ou d’une inévitable catastrophe qui pourrait la guetter, comme programmée à l’avance. Il la trimballe partout sa petite Diana, même si parfois ça lui pèse un peu et qu’il sait bien que ça peut attirer les moqueries des copains, cette petite sœur, mais il s’en fiche parce qu’il l’aime bien, en fait. Et même tout court il l’aime, sa frangine si petite. Pour le reste, il y a l’exemple du Zurdo, qui sait que les hommes, ça ne pleure pas. Ça serre les poings et ça fait face. Jusqu’au jour où…

Jusqu’au jour où les choses basculent : c’est le Lucas que l’on retrouve pendu sur le chantier. Lucas, le copain de Tomás. Le chantier où ils jouent leur rêves d’aventures et d’ailleurs. Tout son monde, déjà bien bancal, s’effondre. Tout se brouille dans sa tête, avec l’image obsédante des baskets du pendu qui semblent le regarder. Le fixer sans le lâcher.

Pour mettre de l’ordre dans sa tête, pour que sa vie trouve ou retrouve un semblant de cohérence, comme dans un film, Tomás se met alors à écrire. Ecrire pour comprendre ce qui lui arrive. Ce qui est arrivé à Lucas. Au Zurdo, à German, à Antonio… Ecrire pour tenter de mettre un peu d’ordre.

(…) ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c’est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais de ma tête. C’est pour ça que je veux écrire, pour voir si j’arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier.

La voix de Tomás nous raconte alors cette histoire. Histoire banale, ordinaire. Histoire absurde comme le réel. Histoire noire. Ou plutôt grise. Grise comme une journée pluvieuse, avec un ciel bas et lourd qui pèse sur tous les rêves d’avenir.

Au delà de la chute de ce cauchemar ordinaire, désespérément ordinaire, de sa cruauté et de son ultime et fondamentale absurdité, il y a cette affirmation réitérée que la vie, c’est pas du cinéma. Pas de la littérature non plus. L’un et l’autre essayent d’y mettre de l’ordre et, ce faisant, la falsifient, nous en donnent une version illusoire qui n’est pas le réel. Qui n’est pas la vérité. Qui n’est qu’un mensonge qui cherche à comprendre l’incompréhensible, à rendre sensé l’insensé. Et Isabel Alba sait de quoi elle parle, ayant étudié de près l’art du cinéma, enseignant notamment l’art du scénario (1).

Nous ne sommes donc pas au cinéma. La nature de l’écriture et du style font que l’on n’est pas sûr non plus d’être dans un imaginaire littéraire, mais plutôt du côté de ce qu’en cinéma on nomme parfois docu-fiction. Plus documentaire que fiction. Une écriture cinéma qui désamorce l’écriture cinéma, comme les premiers films de Ken Loach, comme du Cassavetes ou du Godard des débuts… Mais il est vrai qu’il est des mensonges qui disent la vérité, rien que la vérité. Aussi bête et absurde, incompréhensible et insensée qu’elle puisse être. Qui de Tomás ou de l’auteur Isabel Alba nous parle dans ces pages ? On peut douter. On peut se laisser aller à croire au récit directement écrit par Tomás. Naïveté ? Soumission volontaire aux artifices de la littérature ? Peu importe, nous franchissons les frontières de la fiction littéraire et nous tenons aux côtés de Tomás, Diana accrochée à lui, entre jeu et sommeil, fascinés et terrifiés par les baskets de Lucas qui nous regardent avec insistance tout en balançant sous une poutrelle, quelque part dans une ville, sur un chantier à l’abandon.

Lire l’article sur le site de la Cause Littéraire ici
Encres vagabondes

Encres vagabondes

Un article de Dominique Baillon-Lalande daté du 17/10 :

Tomás, un garçon d’une douzaine d’années, vit avec une mère accablée par la vie et dépressive, caissière au débit de tabac,  un beau père violent et une petite sœur peu éveillée du nom de Diana, « comme la princesse », qu’il a prise sous son aile. Ils habitent en banlieue, en bordure de ce périphérique de Madrid qui fait frontière entre le monde de ceux qui réussissent et celui des pauvres. Suite à la construction d’immeubles aux appartements vendus mais à la construction laissée en plan suite à une arnaque immobilière semblable à tant d’autres, le quartier populaire ressemble à un vaste chantier abandonné.

Pendant les vacances, la jeunesse désœuvrée traîne. Quand ils ne squattent pas la cabane qu’ils se sont aménagée en hauteur sur le chantier, qu’ils ne s’incrustent pas dans le seul bar du quartier tenu par un ex-taulard à regarder un film, un match ou faire un flipper, ils jettent des pierres sur les voitures du pont de l’autoroute sans penser à mal, pour tuer le temps et se distraire. Aux côtés de Tomás, on trouve toujours son meilleur ami, Martin, jeune frère du caïd local Zurdo expert en violence et trafics en tous genres qu’ils admirent tous sans modération. Et puis il y a Lucas, un camarade élevé avec attention et amour par sa mère, femme de service à l’hôpital, un garçon timide et peu enclin à la bagarre, bouc émissaire désigné de sa classe, qui les suit toujours à quelques pas.  Chez Zurco et Martin, la mère se tue à faire des ménages et le père au chômage s’abîme dans l’alcool, absent même quand il est là. Un quotidien triste ou violent qui rapproche les deux amis. Dans le décor, il y aussi le flic local qui semble plus enclin aux magouilles diverses et au sexe qu’à la rigueur que demande sa fonction et le tenancier du bar, seul espace public intergénérationnel et partagé qui fait office de cinéma permanent.

Tomás aime le cinéma. Il y fait sans cesse référence et joue à imaginer sa vie comme un film, avec une succession de scènes dont il est le héros.

L’été passe ainsi, lentement, en toute liberté entre rêve, aventure, challenges et bêtises.

Mais un samedi du mois d’août, Lucas est retrouvé pendu sur un chantier. La mort d’un gamin à peine sorti de l’enfance, la douleur de sa mère dont le monde s’effondre brutalement, est un spectacle qui marque les esprits. Surtout quand cette mort s’avère n’être qu’une erreur et un malentendu. Et si Zurdo, coupable désigné d’office par le flic véreux, est aussitôt embarqué et tabassé, l’attroupement présent reste troublé par les pleurs du caïd qui ne doivent rien aux coups et ses protestations répétées d’innocence dans le meurtre sans mobile du gamin.

À partir de ce jour, tout se brouille dans la tête de Tomás, avec l’image obsédante « des baskets du pendu qui semblent le fixer sans le lâcher ». La vie, ce n’est pas du cinéma et rien ne sera jamais plus comme avant. D’ailleurs, Martin et lui c’est maintenant de l’histoire ancienne.

Sans trop savoir pourquoi, le gamin qui a pourtant du mal avec les mots, pour essayer de démêler ce qui relève de son imagination et de la réalité, par besoin de rapporter les faits, se les remémorer, les comprendre, s’en décharger, se met à écrire.

C’est par son cahier que le lecteur découvrira cette histoire.

Écrit à la première personne, le récit suit donc la prise de conscience du narrateur avec ses digressions, ses détours, ses redites et ses obsessions, dans une logorrhée très oralisée, heurtée, sans points ni virgules, semblable à l’expulsion de ce qui l’oppresse et l’empêche de respirer. Un flot brut et sans jugement puisque Tomás n’a pas l’âge de juger, juste de percevoir. Des bribes, des détails, des fulgurances qui finiront par déchirer le voile qui masquait cette affaire aussi pitoyable que terrible.

Il en résulte un texte bref, tout en tension, dont il faudra attendre les toutes dernières pages pour que le puzzle prenne sens.

On est face ici à la vie du quartier au jour le jour avec les pères sans emploi, les femmes larguées quand elles tombent enceintes, les violences des hommes entre eux ou contre les femmes, le porno à la télé ou en vidéo, les petits caïds qui jouent le tout pour le tout et se retrouvent en prison, l’innocence bafouée des plus jeunes qui singent leurs aînés pour se sentir à leur hauteur et rivalisent de cruauté en toute inconscience. Face à l’adversité et au vide il faut bien survivre, s’intégrer puisqu’on est là et que c’est pour longtemps voire pour toujours.

Ce premier roman empreint de colère et de désespoir s’apparente en toute liberté autant à la chronique sociale ou au récit d’initiation qu’au roman noir. Au départ du roman, le personnage central et narrateur, entre innocence, naïveté et cruauté, est tel un funambule, tremblant sur le fil, capable de basculer du côté des voyous comme de s’en démarquer. C’est le drame qui fera basculer ses certitudes et motivera ses choix. Sans complaisance, la critique sociale s’affirme tandis que l’auteur nous mène jusqu’au dénouement avec une brutalité certaine, pour confronter son lecteur à cette misère des périphéries que l’on tait ou cache, pour créer chez lui un  choc semblable à celui qui a fait basculer la vie du petit Tomás. Et tout cela mis en images avec talent par l’auteur qui maintient le suspense quant à la réalité du meurtre et du/des coupables jusqu’aux dernières pages.

Un roman qui par son sujet, par l’âge et le regard de son personnage, par la maîtrise du suspense qui le sous-tend et la réflexion qu’il suscite en creux, pourrait aussi être proposé en lecture aux ados de plus de 15 ans et nourrir d’intéressants débats avec eux.

Une histoire banale, terrible et absurde, intense et d’une violence contenue mais toujours présente qui captive, émeut et inquiète de bout en bout.

Un premier roman convaincant et une très belle découverte.

Lire l’article sur le blog Encres vagabondes ici

remue.net

remue.net

Un billet de Jacques Josse sur la revue en ligne Remue.net, daté du 28 septmbre :

Il s’appelle Tomás. Il a douze ans. N’a pas de père mais un beau-père plus ou moins violent, une mère qu’il trouve trop pleurnicharde et une petite sœur, Diana, (prénommée ainsi en hommage à la princesse morte) qu’il adore plus que tout. Il habite à Madrid, de l’autre – du mauvais – côté du périphérique, avec ceux qui, faute de mieux, glandent, galèrent, boivent, chapardent, cognent, traficotent. C’est dans cet espace de non-droit, situé au cœur d’un chantier abandonné suite à des malversations immobilières, que l’on a retrouvé, pendu à un échafaudage, le corps de Lucas, le gamin le plus calme, le plus réservé et le plus solitaire de cette bande d’enfants esseulés dont il était peu à peu devenu le souffre-douleur et à laquelle appartenait aussi Tomás. Celui-ci en a gros sur la conscience. Il lui faut dérouler le fil des événements qui ont eu lieu ce jour-là.

C’était au mois d’août, dans une chaleur torride. Il était aux premières loges. A tout vu. Pourrait le dire de vive voix mais préfère, pour ne rien oublier, poser les faits tels qu’ils se sont déroulés en s’en remettant à l’écriture.

« Moi, je pense que sur le papier, si j’arrive à tout écrire sur des lignes bien droites, une chose après l’autre et sans faire de ratures, j’y verrais plus clair. Parce que quand j’essaie de me souvenir, ça me fait comme avec les images de certains films, pas moyen de les revoir dans sa tête comme on voudrait, mais elles reviennent sans arrêt quand on s’y attend le moins. »

Ce qu’il a à dire n’est pas simple. Il lui faut convoquer tous les protagonistes de l’histoire. En commençant par le Zurdo, le caïd, le héros du coin, grand frère de son pote Martín. C’est à ce type qui a déjà tâté de la prison, et qui roule des mécaniques dans le quartier, que tous les gamins de la zone aimeraient ressembler.

« En fait, le zurdo nous défendait toujours : un jour il a même tuer à coups de pierres un chien qui avait mordu Martín à l’épaule. »

Mais le zurdo, après la découverte du corps de Lucas, est appréhendé dans un bar, amené sur les lieux du drame et embarqué, menottes aux poignets. Antonio, le flic véreux qui sévit dans les parages, le soupçonne de meurtre.

« C’était plus le même, le Zurdo, il était mort de trouille, lui qui était un vrai courageux, lui qui n’avait même pas bronché quand il s’était fait faire son tatouage sur la joue gauche. Mais cette nuit-là, quand on l’a amené, il gémissait à chaque gifle que lui donnait Antonio, le policier, le mari de Rosa, la boulangère. »

On apprendra, à la fin de la confession de Tomás, les circonstances exactes de la mort de Lucas. Des aveux terribles et glaçants qui n’interviendront qu’aux dernières pages de ce roman mené de main de maître par Isabel Alba. Son écriture est dense et lumineuse. La façon avec laquelle elle parvient à rendre évidents les mots, le vocabulaire et la voix déjà rude d’un gamin qui a grandi trop vite est d’une implacable précision. Il en va de même pour les portraits croisés et les personnalités tranchées de tous ceux qui sont au centre de cette histoire. Baby spot est un roman grave et incisif. Il est traversé par un réalisme finement ciselé. C’est, de plus, un monologue incandescent. Qui parle vrai et juste.

Lire l’article de Jacques Josse, sur le site de la revue ici

Moka – Au milieu des livres

Moka – Au milieu des livres

Un article dans le blog Moka – Au milieu des livres, daté du 11 septembre :

C’est l’été, et à l’heure où tout le monde fuit pour se gorger encore de soleil, où tout le monde s’échappe, au-delà des frontières quotidiennes, d’autres restent, faute de mieux. Ils sont une bande de copains et s’accommodent d’un rien pour oublier qu’ils vivotent dans ce quartier qui leur a fermé depuis longtemps beaucoup de portes. L’autoroute n’est pas loin, la ville non plus. Mais c’est peut-être déjà trop pour ces familles de la « vie périphérique ». Petits méfaits, petites alliances, la vie là-bas n’est que débrouille et magouilles. La petite délinquance ordinaire: de celle qu’on ne relève plus.

Je m’appelle Tomas, j’ai douze ans et je ne sais pas qui est mon père. Mais après tout, c’est banal dans la vie d’un gamin, et d’ailleurs je crois que ça n’intéresse personne, même pas moi, et puis j’en ai vraiment marre de toujours entendre la même histoire.

Un jour, un drame vient bousculer leur petit monde. Au milieu du chantier voisin, le léger va-et-vient d’un corps sans vie rappelle – comme le balancier d’une vieille horloge – que le temps ici passe trop lentement. Lucas, leur camarade est retrouvé pendu.  Si les gens du quartier se sont endurcis dans leur routine sans espoir, cet événement sordide échauffe les esprits et tout le monde peine à comprendre ce qui pousse un enfant à commettre l’irréparable.

Pour raconter le pire, la narration se fait dans la bouche de Tomas, ami du petit Lucas. Questionnements, incompréhension, effervescence et tristesse trouvent un écho dans sa bouche. Il relate, volubile, tantôt stoïque tantôt en proie à l’angoisse, ces gens qui s’agitent face au drame, avec pour seule obsession une somme de pourquoi. Parce que ce jour-là, il a tout vu. Parce qu’il faut qu’il parle, lui qui sait, qui a compris. Il faut qu’il raconte ce drame dont il a été témoin et qui l’a hélas fait grandir trop vite.

Il m’a dit qu’il me voulait muet, comme une tombe, et moi, comme dans les films, j’ai soutenu son regard et j’ai juré, sur mes morts, que je préférais mourir plutôt que le trahir.

Isabel Alba livre ici un roman qui se lit d’un souffle, entraînant son lecteur dans une spirale infernale de violence qui rythme la vie de cette cité madrilène. Nous voilà témoins d’un récit cru, sans concession à la rapidité presque oppressante qui dérange et qui glace d’effroi. L’auteur maîtrise l’art de la concision et nous met face à ce que le jeune narrateur a à nous dire. Nous l’écoutons malgré tout, pour l’alléger de ce choc qu’il n’aurait jamais voulu subir. Au-delà du drame, c’est aussi le portrait d’une société en perdition que l’on dépeint pour forcer à voir ce que chaque jour on cache.

Nous voilà les éponges d’un récit dans lequel la langue et l’écriture sont un peu le miroir de la rue: torturées, abîmées, malmenées par cette pauvreté propre à ces endroits qu’on a isolés pour mieux les abandonner. Les mots griffent, accrochent, écorchent et vous conduisent vers les dernières pages qui nous sonnent, comme les victimes d’un uppercut.

Un titre percutant qui se fait pour l’instant discret dans la rentrée littéraire et que je voulais partager avec vous afin de le mettre un peu en lumière pour Les Matchs de la Rentrée Littéraire. Une publication des Éditions de La Contre Allée, maison découverte avec le merveilleux Pas dans le cul aujourd’hui de Jana Cerna.

N’oubliez pas que vous avez encore jusque demain, 12 septembre pour faire votre choix avant le tirage au sort! Une belle occasion pour le découvrir n’est-ce pas ?

Lire l’article sur le blog, ici

Domi C Lire

Domi C Lire

Un article dans le blog Domi C LIre, daté du 8 septembre :

Baby Spot, d’Isabel Alba, traduit par Michelle Ortuno, un livre très court mais percutant qui bouscule nos certitudes.

Un article dans le blog Domi C LIre, daté du 8 septembre :

Baby Spot, d’Isabel Alba, traduit par Michelle Ortuno, un livre très court mais percutant qui bouscule nos certitudes.

Dans une banlieue tout à fait sordide de Madrid, en bordure d’un périphérique, frontière entre deux mondes, il y a ceux qui réussissent et les autres. Les jeunes trainent leurs guêtres dans les ruines d’un quartier jamais terminé par l’entreprise de construction, quand les appartements eux ont été vendus depuis longtemps. Témoins de la vie sordide des petits voyous et des trafics en tout genre, des violences sur les femmes, elles qui disent toujours non et se débattent même quand elles sont d’accord comme chacun le sait bien, des coups portés à la mère quand elle veut s’exprimer, du père qui traine au café, ivre, du matin au soir car il est au chômage. Les enfants trainent, et Lucas est un peu leur souffre-douleur, il les accompagne partout, mais il est bien plus sage, car lui, c’est sur, sa mère l’aime vraiment et s’en occupe comme elle peut.

Et Tom raconte, raconte dans une logorrhée sans fin, sans trop de points ni de virgules tant le récit presse et veut sortir, ce qu’il a vu ce jour d’août, le jour où Lucas est mort dans le chantier, le jour où le flic pourri a arrêté le caïd du quartier, Le Zurdo, le frère de Martin, celui que jusqu’alors Tom admirait tant. Le jour où tout a basculé, comme ça, pour rien, comme dans un film, parce qu’on ne sait pas « pourquoi » finalement tout bascule.

Et les mots sortent, en langage parlé, qui disent la vie au jour le jour, les pères sans emploi, les femmes abandonnées quand elles tombent enceintes, les violences faites aux femmes et le porno à la télé ou dans la chambre des parents à la cloison si fine qu’on entend tout. Qui disent aussi la tyrannie entre gamins, les petits caïds en prison, et l’innocence d’un gamin de 12 ans qui aime tant sa petit sœur Diana et sombre en même temps dans une cruauté et une violence indicibles. Quel roman étonnant, bouleversant, cru parfois, mêlant cruauté et enfance, de cette enfance qui sur le fil du rasoir ne sait pas encore de quel côté elle va tomber, le bon ou le mauvais ? Voilà un livre d’à peine 90 pages qui se lit d’une traite et qui vous laisse un peu pantois, sonné.

Article à lire sur le blog ici