Les libraires en parlent

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Pryscilla, Librairie de Fil en Page (Château-Arnoux-Saint-Auban)

Embarquer pour l’île de Clipperton en 2022 sous le crayon gris d’Irma Pelatan était une expérience inoubliable et j’avoue humblement avoir raté celle de « L’Odeur du chlore » en 2019. Je m’en ronge les doigts à la lecture de ce troisième « livre d’eau » de l’autrice, « Basculement-mère », le rattrapage est prévu.

Je suis jouet de houle, me offendendo. « 

Le processus d’émergence de « Basculement-mère » se définit dans le contact avec l’eau à la fois support et contexte d’écriture. 

Munie d’un carnet waterproof, dont les contraintes d’utilisation diffèrent au gré des mouvements de l’eau sans jamais être fluides ni légères comme le projetait l’autrice avant de les expérimenter, Irma Pelatan écrit de piscine, en mer et lagon, de Port-Camargue à la Polynésie. Les conceptions marquisiennes s’invitent en point de départ et lignes d’arrivée de la réinvention qui s’opère.

En marquisien, il y a deux possessifs : , celui des choses qui passent, ma richesse qui fuit comme eau entre les doigts et puis il ya , la possession qui ne s’aliène pas, cette mienne main qui vous écrit, soeurs.

En marquisien, l’enfant dit tô Kui, ma maman pour toujours ; la mère, elle dit tâ tama, mon enfant qui devient. »

« Femme à la mer ! » est un signal d’alarme bien connu, aucun récit ne raconte celle qui n’a pas coulé et est parvenue à transformer son expérience du naufrage et de la noyade en épopée. Signal transmis et intégré, il faut se mouiller pour affirmer que les femmes peuvent ne pas être soit paumées dans un labyrinthe soit submergées.

To do, to act, to perform.

Voilà tout mon art ménager. »

En troquant la robe d’Ophélie qui se gonfle d’eau et scelle son devenir macabre contre une combinaison étanche de survie, Irma Pelatan raconte un autre destin des femmes. L’élément qui engloutit devient porteur d’un récit émancipé de l’histoire héritée de la maternité, de corps en corps, de mère(s) en fille(s), en imaginant un autre possible.

Le « e » qui n’est pas à la mer, dans la langue et l’histoire de la littérature, Irma Pelatan le donne à la « maternéité » et c’est un corps féminin apaisé et libéré par la rupture avec une ancienne transmission, en joie de sa flottaison permise et de son affirmation décomplexée qui peut s’écrire.

« Être fille est force, petite, et le risque s’apprend. »

Charlotte, Librairie La Vie devant soi (Nantes)

Épatante Irma Pelatan.

Margot, Librairie Passage (Lyon)

Lu hier matin, et emportée par cette justesse aquatique et cette création d’une langue qui, oui, nous submerge, (sub-mère-je) et nous rend au réel plus vivants, oui, en flottaison salvatrice et collective !

Sarah, Librairie Adrienne (Lyon)

Le 5 mars cette lecture réjouissante pointe son nez, un univers de songe et de fantaisie pour dire l’acceptation de soi façonné par Irma Pelatan.

Revendiquant une littérature dite de nage 🐠🐙🦈 🪸 🤿, le corps immergé, s’adonnant à la flottaison en piscine, en pleine mer ou en lagon, Irma Pelatan compose un texte fulgurant autour de la « soudaine chimère de la maternité ». Au gré des courants, des milieux et des rencontres avec une matière composite vivante et variée – faune et flore colorées et étrangères, dans l’ombre des squales, ou crawleurs dans les lignes de nage -, c’est toute une matière narrative qui émerge, une remémoration comme par accident : l’histoire d’une famille réinventée où le féminin est la clef de voûte.

À travers cette constellation féminine, Irma Pelatan crée un nouveau récit de la maternité à travers cette expérience du basculement-mère et explore les liens complexes qui unissent les femmes à leurs corps. Le fait de mettre au monde un enfant se réduit-t-il exclusivement au fait de l’avoir porté en son sein ? Qu’est-ce qu’être mère ? Qu’est-ce qu’avoir un corps à soi ? Comment se le réapproprier et en faire un outil d’émancipation ? Comment vivre nos corps tels qu’ils sont ? Comment transmettre le risque d’être fille ?

Dans ce texte hybride entre carnet de bord poétique, lettre à l’enfant, adresse sororale et cartographie des corps, l’autrice interroge la maternité, la féminité et plus largement la filiation et la transmission. Ce qui fait que l’on est une femme à la vie pleine même s’il n’y a pas eu le supposé ou prétendu plein de la maternité.

Comme une ritournelle, son écriture, à la fois douce et brutale, mêlant organique et cérébral, jouant avec le thème de la corporalité, s’attaque à l’objectivation du corps féminin et au discours dominant sur la condition féminine. L’autrice oppose à une généalogie de la violence faite aux femmes une mythologie de guerrières reprenant possession de leurs corps.