Eric Darsan
Un article daté du 17 août, sur le blog d’Eric Darsan :
Un article daté du 17 août, sur le blog d’Eric Darsan :
Un billet de Marie-Josee Desvignes daté du 27/11/14 :
La collection La Sentinelle des Editions La Contre-allée abrite des textes où la mémoire collective croise la mémoire familiale.
Ces vies-là d’Alfons Cervera, traduit de l’espagnol par Georges Tyras qui lui est fidèle depuis ses premiers livres à La Fosse aux ours, retrace la relation de l’auteur à sa mère, dans ses derniers jours.
Texte sensible qui s’ouvre sur ces mots : « Cela fait deux dimanches que ma mère est morte ».
Dans une langue puissante, faite de répétitions volontaires comme autant d’aller-retour dans la mémoire, débarrassée de fioritures, le narrateur remonte le fil de leur vie, refait l’histoire de sa mère, la sienne, celle de ses origines.
Se croisent allègrement comme toujours chez Cervera les références littéraires qui l’ont construit, son rapport à l’écriture et aux livres.
Il est frappant, à ce propos, de noter le nombre important de citations sur la première page et tout au long du texte, comme autant d’occurrences renvoyant à l’admiration qu’il porte à chacun de ces prestigieux auteurs.
Même s’il en convient dans une vie, lorsque le mal se fait tenace, il oblige aux silences, et il cite Francesco Ayala qui dit « que la biographie d’un écrivain, ce sont ses écrits. Mieux encore : ses silences ».
Ecrire le silence donc… C’est ce que nous retiendrons après notre lecture de ce magnifique texte.
Tombée dans l’escalier un an auparavant, elle n’en finissait pas de mourir… mais « elle était en train de mourir, de peur. Juste de peur »… De cette peur panique de mourir. Sa mère, repliée sur elle-même, demandant à la mort de venir, lui fait penser à ces vers d’Anna Akhmatova : « Si tu dois venir, pourquoi pas maintenant » . Anna Akhmatova, rajoute-t-il un peu plus bas, qui a écrit un livre qui s’intitule Requiem… « Si je te dis que la poésie, presque toute la poésie, parle de la mort, tu diras que je suis fou ».
Cette mère qui ne sait pas mourir, qui continue à s’accrocher à sa peur pour retarder le moment, il ne sait pas vraiment pourquoi il la hait, si ce n’est à cause de son défaut de tendresse, mais surtout de son obstination à rester silencieuse.
« Il n’existait plus qu’elle et sa douleur. Je le lui ai dit un soir : Tu n’as jamais eu un mot de tendresse pour qui que ce soit. » Et là au seuil de la mort, elle continue dans cet égoïsme. Il la supplie pour son frère et lui, d’avoir un geste tendre.
« Je lui criais ma haine à laquelle me poussait cette vocation obscène, concrète ou non, je l’ignorais, mais oui sans doute, à faire du mal aux personnes de son entourage. Parfois elle demandait pardon. »
La peur, le silence et la haine, trois abstractions qui ont envahi la mère toute sa vie durant et pas seulement les derniers jours.
« La haine peut être la métaphore de la mort. Mais ce n’est pas la mort. Toi tu étais là. C’est ce que je rappellerais à ma mère si elle vivait encore – incarnation d’un orgueil despotique aux yeux rivés sur le sol. »
Une forme de survie. Etre déjà morte parmi les vivants,
« Il n’est pas de langage sans métaphore, la mort est la métaphore du néant » écrit Manuel Vasquez Montalban. »
Sa mère prend son temps pour mourir et lui, il refait le chemin, se souvient de l’enfance avec son frère, de sa mère leur confectionnant ces gâteaux « le brazo di gitano » qu’elle ne goûtait jamais. C’était juste pour eux…
L’agonie lente de cette mère aux prises avec sa peur, et son désir de mourir (même chose) est obsédante, lancinante. Son frère qu’il essaie de protéger contre la peur de sa mère a peur lui aussi, mais cette peur l’aide à chasser l’idée de la mort. « C’était lui qui allait mourir et il ne voulait pas mourir. » Un frère sourd, enfermé dans ses rêve et ses dessins, fuyant lui aussi le monde.
« Elle faisait du mal et elle n’ignorait pas que le mal s’installait à demeure dans l’air de plus en plus raréfié de la maison. Nous mourrons tous. Voilà. »
La surdité, c’est une marque de famille, et toujours avec ce procédé répétitif reviennent les mêmes obsédantes questions dont une traverse le livre, directement liée à l’Histoire de l’Espagne et à celle de son père : « pourquoi personne ne m’avait raconté ce qui s’était passé pour que mon père soit douze ans durant sous le coup d’une condamnation prononcée par un tribunal militaire en mille neuf cent quarante ? Je savais juste que mon père avait été caporal pendant la guerre… Mais on ne condamne personne à douze ans de prison pour avoir été caporal pendant la guerre ».
Invariablement sa mère s’entêtera à répondre qu’il n’y a rien à en dire puisqu’il n’a pas été en prison.
Il n’y a rien. Rien à en dire, rien à en entendre.
« La mort occulte les chemins de la mémoire. La mort donne un sens à la vie », écrivait Alejandra Pizarnick. Ta mort et ta vie à toi ne donnent de sens à rien du tout. Tu as décidé de devenir un végétal emmitouflé dans une liseuse de laine et de silence. « Cette liseuse bleue est un autre motif récurrent qui traverse le livre de manière obsédante. Elle finit par la définir, elle n’est plus qu’ « un végétal emmitouflé dans une liseuse de laine et de silence ». Et si le silence avait une couleur, ce serait le bleu, le bleu de cette liseuse.
Convoquant tour à tour, Walter Benjamin, Stendhal, Bernhard, les poèmes de Georg Trakl, les silences de Celan, les aphorismes de Cioran, Cortazar, Borges ou Kafka, Holderlin, Maïakovski, Saramago ou Faulkner, Pavese, Anna Akhmatova, etc… se dessinent les contours d’une alliance avec la parole contre le silence.
« La mémoire est faite de souvenirs et d’oubli et tu as choisi l’oubli ».
Un chapitre entier dans un seul souffle (le dernier?) sans ponctuation va rendre perceptible et de manière onirique, dans une extrême poésie, pêle-mêle, les souvenirs d’une enfance fantôme enfouie, ceux d’une « guerre quelle guerre puisque l’enfance nous l’apprîmes plus tard ignorait tout des guerres et des paix elle ne savait que se perdre… « .
Un chapitre comme un long poème qui s’ouvre sur ces mots :
« Noirs nuages sur les arbousiers sauvages la pierre des glissades un caroubier qui pour moi était à jamais l’arbre du pendu vestige androgyne de calme et de violence ambigu… »
En toute fin de ce livre consacré aux derniers mois de sa mère et à sa peur de mourir, le lecteur comprendra que tout ce silence si long, toute cette agonie n’est que le reflet d’une question à jamais recouvrée, fondée elle-même sur la peur, cette peur qui avait figé les cloisons de cette famille, une peur née avec la Révolution en marche, basée sur des silences, ceux d’une guerre dont on les avait tenus éloignés : « j’étais terrifié par les manteaux et les chapeaux des hommes. Je n’ai jamais parlé à mon père de cette nuit-là ».
De ce constat, l’auteur s’appuie alors encore sur les mots des autres, en l’occurrence ici ceux de Stendhal : « Je ne puis pas donner la réalité des faits, je n’en puis présenter que l’ombre, écrit Stendhal ».
Esas Vidas a été retenu en sélection finale du Premio de Narrativa española en 2010 et a reçu le Premio Náufrago en 2011.
Ces vies-là : le secret d’une mère, la douleur d’un fils
Un article du 14 octobre, extrait :
» Dans les rues de Grenoble inondées de brouillard, l’auteur traîne un poids au fond de son âme.
Alors qu’il y est invité pour participer à un colloque organisé à l’Université Stendhal sur le thème Témoins et Témoignages, mémoire collective et individuelle, toutes ses pensées sont accaparées par le décès de sa mère à peine deux semaines plus tôt.
Celle-ci s’est lentement laissé mourir pendant près de dix huit mois après une chute dans les escaliers de sa maison. Une chute bien moins grave qu’il n’y pourrait paraître mais qui a cassé quelque chose en elle. La peur s’est introduite dans sa vie et ne l’a plus quittée alors que l’envie de mourir s’installait… »
Lire la suite de l’article sur le site d’ActuaLitté ici
Magazine d’information externe de l’universite Stendhal-Grenoble 3, Alphabets a été lancé en 2005.
Le numéro 8 du magazine consacre un dossier à Alfons Cervera intitulé Roman, mémoire et résistance, réalisé par Georges Tyras et Juan Vila. Retrouvez le ici.
Participant ainsi à l’inauguration de la revue « d’art et d’esthétique » Tête-à-Tête, Alfons Cervera offre lors du premier numéro de printemps 2011 un entretien de grande qualité, sur le thème « Résister ».
« Écrire est déjà en soi un acte de résistance, toute la question étant de savoir où et comment on se positionne pour écrire. »
Anne-Laure Bonvalot, doctorante en littérature espagnole, l’invite à revenir sur sa conception de la résistance, de la « résistance éditoriale » à la « dissidence » comprise comme « écriture du dissensus » en opposition à l’« écriture du consensus », qu’il juge insatisfaisante, limitée et unilatérale. Alfons Cervera y défend ainsi une écriture collective, multipliant les points de vues, une écriture du jaillissement, bouleversant les consciences, une écriture qui, en somme, dérange, parce qu’elle cherche à rencontrer et à comprendre.
« Pour ma part, je ne cherche pas la vérité, je cherche à savoir et à comprendre ce qu’a été toute cette période historique. […] Pour moi, la mémoire est fondamentalement connaissance, et le fait de revendiquer la connaissance par la mémoire à un moment où la pensée semble si molle, si superficielle, si légère, pourrait constituer une forme de résistance. »
Dès l’éditorial de la revue, Anna Guilló, directrice de la rédaction, nous souligne cette conception radicalement dynamique d’une résistance qui emprunte les contre-allées : « Il y a dans le fait de résister une forme d’immobilité impliquant la force décuplée de quelque chose qui ne cède pas. Si l’écrivain valencien Alfons Cervera s’oppose à cette conception passive de la résistance, il n’en dénonce pas moins radicalement l’écriture consensuelle issue de la Transition espagnole et que seuls quelques rares auteurs dissidents semblent vouloir éviter à tout prix. »
Un entretien rare et vivifiant de cet auteur encore méconnu en France, et dont l’écriture est pourtant « considérée comme l’une des plus riches et inventives de l’Espagne d’aujourd’hui » (Préface de Maquis).
L’entretien a été publié dans le premier numéro de Tête-à-Tête, dont le thème est « Résister ».
Plus d’informations en cliquant ici.