Revue de presse

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Phoenix

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Le Point

Les sources d’un géographe. Géographe à l’œuvre monumentale, mais aussi anarchiste, végétarien et naturiste, l’inclassable Élisée Reclus (1830-1905) méritait bien qu’on lui rende un hommage à la hauteur de sa personnalité hors normes. Thomas Giraud a choisi de lui consacrer un premier roman sensible, habité et captivant. Il s’attache à sonder ses premières années, celles où tout se joue ou s’esquisse, cherchant le fantôme de l’homme à venir dans le petit garçon rêveur. Une enfance à l’ombre d’un père pasteur, à l’autorité étouffante (Élisée le décevra en ne suivant pas la même carrière que lui), mais enchantée par une curiosité vagabonde pour la nature et la sensualité infinie du réel.

Thomas Giraud réinvente poétiquement les méandres de cet adepte de l’esprit de traverse et des pensées rebelles. « Il est géographe d’une manière peu orthodoxe, aimant les ruisseaux et les montagnes, les détails dans leur étendue. Il écrit en voulant faire vibrer la terre et ne peut toujours cantonner son lyrisme qui déborde. Selon les points de vue, on dit que c’est un grand savant, un humaniste à la Diderot, touche-à-tout curieux ou bien on le décrit comme un original, confus et dilettante, toujours impécunieux. » Un lumineux dialogue.

Sophie Pujas pour Le Point

Pour lire l’article sur la page web du Point, c’est ici !

Cahier Critique de Poésie

PAR TRISTAN HORDÉ

En même temps qu’une biographie romancée de l’enfance d’Élisée Reclus, le livre de Thomas Giraud est un récit d’initiation. La documentation, solide, a été adaptée pour suivre le parcours de l’enfant qui, comme son aîné Élie, est destiné à prendre le relais de leur père, Jacques, pasteur calviniste. Des faits vérifiables ne manquent pas : Élisée part, à 12 ans, rejoindre son frère pour des études de théologie à Neuwied, en Allemagne ; sa mère Zéline était institutrice et il y était très attaché ; son père faisait son possible pour maintenir dans des pratiques rigoureuses la communauté protestante. À partir de là, Thomas Giraud, toujours avec vraisemblance, construit ses personnages. On lit les sermons exaltés du père, qui souffre des pieds  mais court la campagne pour prêcher ; on s’attache à la mère, adepte de Fourier qui, dans son métier, se demandait si elle devait « instruire, éduquer, élever ou laisser pousser ». Quant à Élisée, il aime les ruisseaux et les pierres dès l’enfance, rêve de raconter l’histoire d’une goutte d’eau de la source à la mer. Arrivé à Neuwied, « il sut dès les premiers jours qu’il ne serait pas pasteur » et il le signifie à son père à son retour. Ce qu’il devient ensuite, un géographe hors des institutions – mais reconnu aujourd’hui comme un précurseur – qui voulait que le savoir soit accessible à tous, un grand voyageur, un militant anarchiste qui connaît l’exil et la prison, Thomas Giraud ne s’y attarde pas, son propos était d’abord d’écrire un récit de formation, vivant, varié, et c’est une réussite.

Atelier du passage

Sur le blog Atelier du passage, un billet de Frédérique Germanaud, daté du 17 janvier :

« On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs ».

Thomas Giraud a choisi, dans ce premier livre, de se pencher sur le géographe Elisée Reclus, et plus particulièrement sur ses années de jeunesse. De la personne d’Elisée Reclus, il retiendra : qu’il dû s’arracher à l’emprise de son père qui avait décidé pour lui d’un destin de pasteur, qu’il portait un grand amour à sa mère, la douce Zeline, institutrice, qu’il eut de nombreux frères et sœurs. Son frère aîné, Elie, fut une figure tutélaire qui lui ouvrit la voie vers la libération. Elisée aimait marcher et refusait de manger de la viande. Il eut ce grand projet, qui demeura inachevé, de faire une représentation du monde à une échelle qui soit presque celle de la réalité. Ce qui montre qu’il est impossible de coller de trop près à la vérité, ou plutôt que la vérité ne se trouve pas dans un décalque du monde, sans part de création, ou d’imagination.

Suivant ce que son personnage lui enseigne, Thomas Giraud n’a pas fait œuvre biographique. Seules quelques indications de temps et de lieu sont données au lecteur, l’écrivain préférant opter pour un point de vue intimiste, une tentative de cerner le personnage par quelques détails signifiants et une compréhension « de l’intérieur ». Il adopte ainsi la démarche de l’apprenti géographe : une prédilection pour le détail, une absence de hiérarchie, une pensée ouverte. De petits faits font l’homme plus que la grande histoire, de petites pensées également, que Thomas Giraud nous fait partager sous l’appellation de « bout de pensée » qui ponctuent le récit.  Elisée Reclus fut un être libre, un être d’étonnement. On le suit dans son long voyage à pied, de Sainte Foy à Neuwied, en Allemagne, dans ses années d’apprentissage, puis dans ses pérégrinations à sa sortie de l’école, alors qu’il a définitivement rejeté la profession de pasteur et qu’il quitte le collège avec pour tout bagage des carottes, des oignons et des pommes de terre. Marcher, écrire, on le pressent à la lecture du livre, seront les deux occupations essentielles de sa vie.

« Bout de pensée : demain je pars. Respirer, respirer, respirer, enfin »

Thomas Giraud scrute son personnage par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, avec un instinct sûr, pour le faire exister par l’écriture. Il a su dégager ce qui fondait la conscience et la liberté de l’homme en devenir, le sens d’une vie. Premier livre d’une grande maturité, porté par une langue dense et parfois proche de la prose poétique.

Le lecteur pourra prendre connaissance, avec intérêt et plaisir, de quelques traces du travail de Thomas Giraud sur le site Remue.net qui a accueilli des pages du journal d’écriture d’Elisée.

Lire l’article sur le blog Atelier du passage ici

L’Humanité

L’Humanité

Un article d’Alain Nicolas, daté du 29 décembre :

Récit. Comment on devient Élisée Reclus

Fils de pasteur et promis à la carrière de son père, il devint géographe, militant anarchiste et communard. Thomas Giraud trace le parcours sensible de ses années de formation.

Parti pour être pasteur, il revient géographe. Élisée (1830-1905)n’aura pas le destin que rêvait pour son fils Jacques Reclus, l’intransigeant pasteur calviniste de Sainte-Foy-la-Grande. Des quatorze enfants de Jacques et Zéline, plusieurs seront savants, marins, médecins, mais Élisée est le seul dont le nom ait quelque écho de nos jours. De notre mémoire reviennent quelques images fugaces, une tête barbue et chevelue d’un autre siècle, qui pourrait bien appartenir à la troupe des savants farfelus qui jouent les seconds rôles dans Tintin. On pense aussi géographie, anarchie, commune, prison. C’est peu.

Doux et inflexible

L’entreprise de Thomas Giraud est donc bienvenue, qui nous donne pour compagnon, le temps d’une lecture, cet homme qu’on imagine doux et inflexible. Confiance en l’avenir au plus noir de la défaite, refus du compromis, souci d’accorder au plus juste vie personnelle et histoire, Élisée Reclus semble répondre à un appel de notre présent. Élisée n’est pourtant pas une biographie au sens classique du terme. Les informations sur un personnage historique tel que Reclus ne sont pas difficiles à réunir avec les moyens contemporains. Un essai sur l’anarchisme aujourd’hui serait certainement utile. Moins attendue, plus profonde, est l’évocation sensible que nous propose Thomas Giraud.

Il y a un malentendu sur Élisée Reclus : « Selon les points de vue, on dira que c’est un grand savant, un humaniste à la Diderot, touche-à-tout curieux, ou bien on le décrit comme un original, confus et dilettante, dispersé, toujours impécunieux. » L’ampleur même, la variété des domaines auxquels il s’attache, le dessert. Thomas Giraud ne vise pas à le réhabiliter – il n’en a nul besoin –, mais à saisir à leur source sa curiosité et ses enthousiasmes.

émergence d’une conscience

Il le montre ainsi parcourant, très jeune, la France à pied, ralliant Nieuwied, en Allemagne, puis Orthez, attentif aux pierres, aux montagnes, aux ruisseaux. Et aux hommes, à leurs travaux et à leurs conditions de vie. Il l’imagine, enfant, ramassant des cailloux, en emplissant ses poches, jouant avec l’encre en rêvant de ses futures cartes. Ou peut-être de son projet de globe terrestre de 127 mètres de diamètre, posé sur la colline de Chaillot pour l’instruction des masses. Élisée écoute les sermons de son père, inquiétant ses ouailles, tentant de secouer leur résignation, leur passivité, de les éclairer d’une pensée sinueuse, tortueuse jusqu’à la contradiction.

Élisée et son frère Élie, s’ennuyant au séminaire de Nieuwied, finissant par le quitter, parcourant les campagnes, travaillant dans les fermes. Telles sont les images que fait naître Thomas Giraud, images de formation avant les grands accomplissements d’Élisée. La géographie n’est pas encore là, ni l’anarchie, mais ce qui va leur donner naissance s’élabore dans l’incorporation des paysages, la rencontre de grévistes, la résistance au destin voulu par le père.

Pas de biographie détaillée donc, pas même « les enfances d’Élisée Reclus », mais une tentative d’habiter poétiquement une conscience en train de s’accoucher elle-même, tel est le projet d’Élisée. Chaque fleuve franchi, chaque montagne gravie, chaque sillon retourné, chaque ouvrier croisé rapproche l’enfant du savant et du révolutionnaire qu’il deviendra. Thomas Giraud nous donne la certitude que le rendez-vous ne sera pas manqué.

Lire l’article sur le site L’Humanité.fr ici

Addict Culture

Une interview de Thomas Giraud par Julia Montauk pour le site Addict culture, daté du 5 décembre :

Il y a quelques semaines, paraissait le magnifique premier roman de Thomas Giraud :  Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes, aux éditions La Contre-Allée.

Ce récit brosse un portrait sensible du jeune Elisée Reclus, qui deviendra un géographe de renommée internationale, mais aussi un poète, anarchiste, précurseur de l’écologie. Une très belle évocation de l’enfance, du cheminement intérieur jusqu’à l’âge adulte, de la nature comme repère absolu.

A l’heure où ce roman, fort de son succès, fait l’objet d’une réimpression, Addict-Culture est allé à la rencontre de Thomas Giraud, jeune auteur nantais très prometteur. Où il est question d’évidence, de fragilité, d’espièglerie, de curiosité et de voix intérieure.

Julia Montauk : J’ai pu lire une première explication de genèse, qui se résumerait, selon vos mots, à « une accumulation de hasards et de désordres ».
Vous évoquez notamment la découverte de textes d’Elisée Reclus via la maison d’édition Héros-limite et l’euphorie dans laquelle vous plonge ce personnage dont vous avez la certitude « irrationnelle » qu’il sera le sujet de votre roman. Pourriez-vous nous expliquer ce sentiment d’irrationalité et l’assurance d’avoir enfin trouvé ce sur quoi vous aviez envie d’écrire ?

Thomas Giraud : Il sera difficile d’expliquer vraiment ce sentiment tant il est porteur d’irrationnel et s’est, lui-même, manifesté  irrationnellement. En effet, il n’y a rien de plus irrationnel que d’avoir des certitudes, notamment sur quelque chose d’aussi fragile que le sujet d’un texte. C’est en creux, finalement, que c’est le plus simple d’en parler : toutes les réflexions que j’ai eues avant, sur des textes que je n’ai  pas écrit. En effet, ces textes après quelques heures fuyaient, me perdaient ou, je les perdais. Quelque chose s’imposait, je n’allais pas écrire là-dessus. L’évidence s’imposait. Parfois en quelques minutes, au pire en quelques heures. Et, pour Elisée Reclus, la lecture de ces textes a produit l’inverse : une excitation qui ne s’arrêtait pas. Lire d’autres textes d’Elisée Reclus pour me faire une idée plus nette de ce qu’il était me grisait de plus en plus. Les phrases sont venues assez simplement ensuite.
Après, je n’avais pas de certitude sur la forme du texte, ni exactement sur ce que je voulais raconter. Je savais seulement la manière et le sujet.

J.M. : Aucune certitude donc sur la forme et le contenu précis mais sur la manière d’appréhender le sujet. Qu’entendez-vous par là ? La lecture d’ouvrages d’Elisée Reclus et son mode de pensée ont-ils influé sur votre écriture ?

T.G. : C’est-à dire qu’au moment où j’ai commencé à écrire ce livre, je ne savais pas où j’irai, quelle serait la fin, ni même quel serait le chemin pour y parvenir. Je voulais écrire, écrire d’une certaine manière mais sans certitude sur ce que je voulais raconter. Il m’a même semblé, pendant que j’écrivais que ce qui comptait avant tout, c’était la manière de dire les choses, peu importe ce que je disais vraiment. C’est un peu caricatural présenté de manière aussi binaire, mais il y avait un peu de ça. Les tournures et le rythme, et moins ce que je disais vraiment. Mais finalement, je me suis laissé prendre par Elisée Reclus lui-même, il a un peu comme infusé en moi et je ne pouvais pas lui faire faire n’importe quoi, ni dire n’importe quoi. Sans décider où j’allais, la personnalité que j’avais construite imposait des directions, une manière de dire les choses, de grandir, de voyager, de regarder, d’essayer de comprendre. Car c’est bien ça avec le Elisée que j’ai construit, il ne comprend pas forcément mais il essaie de comprendre, se met à hauteur des choses, des paysages, des gens, pour tenter de comprendre.
La lecture de ses textes et de sa pensée a eu une grande influence sur l’idée que je me suis faite de lui. C’est en lisant des textes très différents, scientifiques, politiques, des lettres, que je le suis peu à peu construit une idée précise de qui était, peut-être pas Elisée Reclus, mais au moins Elisée, cet Elisée-là. il y avait dans ses mots quelque chose qui le mettait du côté de Giono, de Rousseau. Ce rapport émotif à la nature, cette envie de comprendre les éléments, savoir comment l’eau d’une rivière coule. Avec, en plus, une forme d’espièglerie, une malice, que l’on devine dans ses yeux, lorsque l’on observe attentivement les photographies que l’on peut trouver de lui et qui ont été prises par Nadar. Peut-être aussi, dans ses textes, quelque chose d’un peu farfelu, d’un peu singulier.
Ce qu’il est devenu a eu une influence sur le texte car, en me plaçant volontairement avant qu’il ne devienne l’Elisée Reclus que l’on connait, je voulais pourvoir glisser des indices de ce qu’il est devenu. L’idée était qu’il fallait que ce soit très léger, discret mais que le connaisseur d’Elisée Reclus puisse y voir une cohérence, une explication possible de ce qui allait advenir.

J.M. : Pourriez-vous brosser pour nous un portrait d’Elisée Reclus en quelques phrases ?

T.G. : En quelques phrases, je dirai qu’Elisée Reclus, celui que je me suis construis après mes lectures et mes recherches (et donc aussi une grande subjectivité) est un homme qui a eu des vies multiples. Pas au sens où il se serait dispersé sans jamais rien achever mais plutôt parce que c’était un grand curieux du monde et qu’il ne devait pas concevoir l’idée d’une « spécialisation ». Tout était susceptible de l’intéresser. En ce sens, il a ce côté « curieux de tout » des rédacteurs d’encyclopédies du XVIIIème siècle. C’est d’ailleurs pour cette raison que je voulais qu’Elisée enfant ait cette volonté de tout voir sans jamais hiérarchiser. Après, il a tout de même fait des choix puisqu’il n’a pas écrit sur tout. Mais qu’on lise ses écrits géographiques ou politiques, l’on sent ce même intérêt pour le monde. Une pensée en mouvement mais qui ne ressasse pas des choses déjà dites, des théories remâchées.

J.M. : Comment vous est venue l’idée, géniale selon moi en ce qu’elle permet de créer une douce proximité avec le lecteur, de ces « bouts de pensée », qui parsèment le récit et qui, de fait, permettent d’entrer dans l’intimité de la construction de la pensée du jeune Elisée ?

T.G. : L’idée des bouts de pensée n’est pas venue dès le départ dans la rédaction du texte. J’ai senti que j’avais besoin de faire respecter mon récit dont j’avais l’impression qu’il était parfois trop dense, trop serré. Les bouts de pensées m’ont permis de faire apparaître une voie intérieure d’Elisée, une voix que l’on sent progresser au fur et à mesure du récit, pendant qu’il grandit. De manière générale j’aime beaucoup les pensées en fragments. A la fois pour leur force poétique, pour l’ambiguïté  de celles-ci : courtes dont on ne sait jamais si elles sont l’aboutissement de raisonnements ayant conduit à une réduction au minimum, à l’essentiel, ou à l’inverse si elles ne sont que des intuitions à peine élaborées, comme des notes prises à la va-vite.

J.M. : Derrière l’apparente simplicité de la langue, on sent la richesse des influences, et pas seulement littéraires, sur votre écriture. Quels sont auteurs qui ont marqué votre vie de lecteur ? Comment est né en vous le désir d’écrire ?

T.G. : Les auteurs qui ont marqué ma vie de lecteur sont assez nombreux car je lis beaucoup, et je multiplie ainsi les occasions d’être frappé par une écriture. Pour faire un choix, chez les auteurs de romans  francophones c’est Giono, Ramuz, Michon, Bergounioux, Gracq, Desbiolles, Senges et Beckett et pour les auteurs étrangers Lobo Antunes, Pessoa et Faulkner. Je lis également beaucoup de poésies et de ces ouvrages qu’on va trouver classer en sciences sociales dans les librairies (sociologie, anthropologie, histoire, sciences politiques et philosophie politique).
Ecrire s’impose. J’ai toujours écrit. J’ai toujours pris des notes sur ce que je voyais, comprenais, ne comprenais pas, ce que je lisais. Je n’avais, avant Elisée, jamais écrit quoi que ce soit qui dépasse ces fragments, ces notes prises sur des carnets. Je n’osais pas me lancer, ne voyant pas par quel bout prendre les choses pour écrire un récit. Il n’y avait pas de projet particulier avec ces notes autre qu’essayer de retranscrire, de m’approprier en écrivant quelque chose : un sentiment, une émotion une idée, un raisonnement.

Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de Thomas Giraud, est publié aux très belles éditions de la Contre-Allée.

Lire l’interview sur le site Addict culture ici

France Culture

France Culture

Le Temps des libraires, avec Charlotte Desmousseaux de la libraire La vie devant soi à Nantes, c’est à la 54’18 » :

Bigre

Un article de Charlotte Desmousseaux dans le numéro 12 de Bigre, magazine féminin mixte des parents modernes :

Dans son premier roman, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Thomas Giraud, jeune auteur nantais, imagine ce qu’ont pu être certains épisodes de la vie d’Elisée Reclus. Celui-ci fut un géographe, végétarien, anarchiste, écologiste, naturiste né en 1830, qui a connu l’exil et la prison pour son engagement politique et qui est considéré aujourd’hui par la plupart des géographes comme le père de la géographie sociale. Dans ce court récit des ruisseaux et des montagnes, l’auteur s’attache plus particulièrement à évoquer l’enfance d’Élisée. L’écriture de Thomas Giraud est un paysage ombragé où l’on trouve abri et douceur sous un soleil ardent. Une grande plénitude se diffuse tout au long de ce récit où l’enfance d’Élisée semble être un prétexte à l’interrogation d’une jeunesse universelle, un miroir, une exploration littéraire de ce moment où l’enfant possède ce don intrinsèque de connexion à la nature, au vivant mais également celui des âmes fortes, des prises de décisions, des capacités aux choix. Les mots sont serrés, retenus, et le rythme de la phrase celui d’un cours d’eau calme et apaisant, celui de la nature que l’on regarde, à l’aube, naître puis s’épanouir. Il y a quelque chose d’universel et de pur dans ce livre, une belle force poétique toute en simplicité, comme un bijou délicat dont l’on souhaiterait orner de belles mains amies. Un Giono, veillant sur ce texte, semble posé sur notre épaule lors de ces quelques heures de lecture retirées au tumulte du monde…

Ouest France

Ouest France

Une interview de Thomas Giraud publiée par Daniel Morvan le 18 novembre :

Nantes. L’histoire du garçon qui traversa la France à 11 ans

Juge à Nantes, Thomas Giraud raconte la vie d’Élisée Reclus (1830-1905). La vie, non : l’enfance poétique d’un géographe fou de nature. Un bouquin génial et passionnant, l’une des révélations de la rentrée.
Thomas Giraud, magistrat à la cour administrative d’appel, écrivain, 39 ans.
Quelle drôle d’idée, d’écrire un livre sur la vie d’Élisée Reclus. Élisée qui ?
Vous avez raison, nombre de personnes et même de libraires ignoraient qui il était. Des lecteurs ont cru qu’il était une fille : Élisée. Ce qui a déclenché l’envie d’écrire, c’est la découverte d’un recueil de ses lettres à son frère Élie et à sa mère, Zéline. Son écriture et ses sujets me parlent beaucoup : on voit se dessiner ce qu’il sera, un géographe émotif, un auteur proche de la nature, comme Giono et Ramuz. Ce n’est donc pas la vie d’Élisée, mais son enfance passionnée par « les sinuosités et les remous » des ruisseaux…
Communard, anarchiste, libertaire, Reclus a même connu Bakounine. Votre livre n’est pas un manifeste politique. Vous avez préféré rêver votre personnage ?
Élisée Reclus est connu pour ses positions anarchistes, et son slogan : L’utopie, c’est la seule réalité. C’est un homme qui a vécu selon ses principes, avec une rigueur morale qui par exemple, semblerait faire défaut à Jean-Jacques Rousseau, qu’il admirait. C’est une figure de l’engagement, à la Diderot, mais je me suis concentré sur son éveil à la nature, avant qu’il ne devienne l’auteur d’Histoire d’un ruisseau et d’Histoire d’une montagne, et rédacteur de l’ancêtre du Guide Bleu.
Votre livre touche à l’extraordinaire, avec une traversée de la France accomplie par Élisée à l’âge de onze ans !
À l’époque on était adulte plus tôt. Il s’agit d’une expédition folle depuis sa ville de Sainte-Foy (Périgord) pour rejoindre un collège allemand, sur les bords du Rhin, selon le vœu paternel. Ce long chemin (en diligence et à pied) suit une diagonale que les géographes appelleront « la diagonale du vide ». Et là, Élisée vit une expérience intime qui annonce ce qu’il sera plus tard, il reçoit le monde sans hiérarchiser les choses, ce qui ne peut que nous étonner, nous qui voulons toujours tout ranger selon un ordre : Un arbre au bord du chemin l’émeut autant que les grandes villes.
Dans ce livre, vous mélangez fiction et biographie. On se dit en vous lisant que vous réinventez une certaine idée du bonheur à travers Élisée…
Il est né dans une famille de 12 ou 13 enfants, sa mère aimait beaucoup l’utopiste Charles Fourier, elle a inventé l’école maternelle : on a donné à ces enfants le goût des choses peu ordinaires. Cet Élisée, je le voulais intelligent et enfantin, un peu comme sur la photo de Nadar, qui capte son œil malicieux. C’est un peu Arthur Rimbaud aussi, ce garçon aux semelles de vent.

annavalenn mOOd

Un billet de blog annavalenn mOOd, daté du mois d’octobre :

Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes

Bout de pensée : Je sens l’universel et laisse le général aux autres.

Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes 

Comme une injonction biblique (après Abraham, Jacques Reclus) dont il n’est pas sûr de connaître le destinataire, « les deux premiers fils seront pasteurs » dit (pense) Jacques, le père. Zéline savait depuis le début mais regrettait qu’Élisée ne puisse être instituteur, pour être près d’elle. Il avait de la patience et il aurait dit, avec des mots simples, les choses savantes aux enfants. Mais Jacques avait parlé. Les deux premiers fils, Élie et Élisée avaient accepté ou plutôt savaient qu’ils seraient pasteurs parce qui’l n’y avait pas d’accord à donner, de conditions à accepter. C’était pour eux un attribut non modifiable de leur existence, comme d’avoir les cheveux bruns, les yeux clairs et de s’appeler Reclus.

Premier roman de Thomas Giraud publié aux éditions de La Contre Allée, dans la collection La Sentinelle – Fiction biographique. Thomas Giraud imagine et raconte comment Jacques Élisée Reclus (1830-1905), père pasteur mère institutrice famille bien nombreuse, devient Élisée Reclus, le géographe auteur de Histoire d’un ruisseau et Histoire d’une montagne. Un brin désuet, et très délicat. De l’humour, tout en retenue.

Il sut dès les premiers jours du collège qu’il ne serait pas pasteur. Il sut qu’il ne poursuivrait pas ces études, dès sa treizième année. A quatorze ou quinze ans, il quitte le collège, sans savoir encore ce qu’il fera. Ils veulent Élie et lui, se rapprocher du grand but : être des hommes. Élisée ne veut plus de cette vie triste, comme un vieil homme derrière sa fenêtre, immobile à contempler le temps qui fuit. Il ne veut pas entendre ses propres doigts tapoter la vitre de la fenêtre pour compter les minutes même si être un homme demeure un projet relativement abstrait.

Lire l’article sur le blog ici

Blog de Fabien Ribery

Un billet sur le blog de Fabien Ribery, daté du 31 octobre, au sujet de L’ultime parade de Bohumil Hrabal et Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes :

Le détail délicat de la miette près du verre de vin – quand Bohumil Hrabal rencontre Elisée Reclus

Si l’on décernait des prix Nobel de littérature à titre posthume, nul doute que, parmi la cohorte des oubliés de génie, le poète palestinien Mahmoud Darwich (1942-2008), l’ironiste métaphysique Witold Gombrowicz (1904-1969), ou, dans un tout autre registre, Bohumil Hrabal (1914-1997), écrivain tchèque, bon buveur, esprit carnavalesque, seraient les premiers désignés.

Un beau petit livre du poète et romancier Jacques Josse, L’ultime parade de Bohumil Hrabal, notule de haute saveur, nous permet de redécouvrir l’auteur d’Une trop bruyante solitude (Robert Laffont, 1983) par la grâce de quelques instantanés biographiques, relevant à la fois du document et du fantasme fraternel.

Trop lucide quant au totalitarisme ambiant, Hrabal, ami du dissident Vaclav Havel, fut constamment inquiété, surveillé, espionné, traversant l’ère du soupçon par ses dons d’observation (spectacle de la comédie humaine) et d’écriture, ne pouvant éditer ses livres qu’en samizdat, c’est-à-dire de façon clandestine.

Le style, pornographe et grotesque, voilà l’ennemi, pour qui ne peut supporter la liberté d’un corps pleinement vivant.

Une trop bruyante solitude ? « Ce livre – qui retrace l’arrivée au cimetière des mots d’un lent cortège d’ouvrages à l’agonie, de collections en lambeaux, de bibliothèques entières lancées à la fourche dans la gueule mécanique d’une presse chargée de broyer des tonnes de papier – est un monologue sorti du fond des caves. »

Construire une bibliothèque quand le désert croît est une question de survie.

En 1995, Gilles Deleuze sautait de sa fenêtre pour enfin respirer mieux une dernière fois.

En 1997, au cinquième étage de l’hôpital de Bulovka (Prague), un autre insoumis prenait la poudre d’escampette en défiant l’apesanteur. La légende belle et douloureuse pouvait commençait. Le Breton Jacques Josse en fera trois livres, dont Lettre à Hrabal (Jacques Brémond, 2002) et La dernière pirouette de Bohumil Hrabal (éditions Approches, 2013).

Et puisqu’est enfin venu le temps de la Résurrection – du côté des éditions lilloises La Contre Allée – prolongeons notre voyage au pays des morts bien vivants avec Thomas Giraud, docteur en droit public, et auteur d’un superbe portrait du géographe anarchiste, communard, végétarien, naturiste et promoteur de l’amour libre Elisée Reclus (1830-1905), intitulé sobrement, dans une allusion à deux de ses œuvres majeures, Elisée, Avant les ruisseaux et les montagnes.

Second fils d’une famille de quatorze garçons, ce grand marcheur né en Gironde à Sainte-Foy-la-Grande, connut l’exil et la prison pour ses engagements politiques, et n’enseigna jamais que dans des universités populaires, l’académie l’ayant banni du feutre de ses cercles.

Promis par un père autoritaire et neurasthénique à prolonger naturellement la fonction pastorale qu’il occupait, Elisée Reclus, dont la mère était une institutrice atypique, trouva dans les chemins de l’émancipation son véritable destin.

En douze chapitres construits comme des coupes biographiques permettant d’entrevoir l’énigme de la construction d’une personnalité, Thomas Giraud réinvente, à la façon des Vies de Pierre Michon, c’est-à-dire dans une prose précautionneuse, nourrie de conscience poétique (les quelques vers de James Sacré cités en exergue sont une indication), le sujet Elisée Reclus en accordant la plus grande attention à ces points de singularité et d’irréductibilité à partir desquels se forge un être d’exception.

Elisée marche, traverse des paysages, réfléchit, note, rousseauise. Il est en Dordogne ou en Allemagne (de douze à quinze ans). Des paroles se lèvent, issues de ses ouvrages (« toutes les guerres dans lesquelles les vies des nations se trouvent engagées se sont déroulées dans les plaines », « établir la proportion moyenne de la fonte et de l’évaporation pour les masses de neige qui tombent dans les montagnes ») et ses « bouts de pensée », ou fragments de monologues intérieurs.

« Est-ce que je n’ai pas le droit de rester assis à regarder les feuilles des arbres ? »

« Ces pierres ne sont pas du vent, elles sont de la terre que l’on transporte et un peu de l’espace en poussière. »

Il arrive, et l’on dirait Courbet nous saluant sur un sentier, tel qu’on le voit aujourd’hui encore au musée Fabre de Montpellier : « Au final, il a davantage l’air d’un peintre voyageur que d’un éminent professeur de géographie allant dire sa leçon introductive à l’académie (…) On aurait envie qu’il ait un chapeau de paille. Il l’a sûrement et l’a ôté pour les photographies de Nadar. »

Certaines scènes font penser à du Sacha Guitry, et l’on se met à sourire : « C’était une famille de tousseurs. Le père, Jacques, toussait et tous les enfants, avec des intensités variables toussaient. Ils toussaient tous au moindre rhume, au moindre coup de froid. Au mieux de leur forme, ils toussaient aussi : avant le café, après une promenade, devant une salade de carottes. »

Elisée s’indiscipline, s’affranchit de son père, devient autonome, et c’est merveilleux : « Est-ce que la goutte d’eau que je caresse à un endroit du ruisseau aura la mémoire de ma caresse, plus loin, au moment de se jeter dans un fleuve ? Et cette mémoire, l’eau l’aura-t-elle encore au moment de se jeter dans la mer ? Et si ce sont des mots, resteront-ils prisonniers dans les gouttes jusqu’à la mer ? Est-ce que je peux marquer la nature, sculpter cet espace ? Est-ce que je peux raconter la nature en prenant des parties se fondant dans un tout ? »

L’ordre du monde tient dans une goutte d’eau, ou une phrase, fragile et éternelle. Au géographe d’en témoigner, seul s’il le faut.

A lire sur le blog de Fabien Ribery ici

L’un dans l’autre

Un billet d ‘Isabelle Bonat-Luciani sur son blog L’un dans l’autre :

Cher toi, j’ai lu Thomas Giraud « Elisée avant les ruisseaux et les montagnes »

Cher toi,

Il y a eu ce type un jour avec sa caméra du réel

Il filmait comme si le réel était sous nos yeux.

J’aimais bien cette affaire de rendre possible les images sans grandes trahisons.

Je pensais aux films super 8 de la famille

Qu’on regardait parfois

Des images muettes, maladroites et bancales.

Les couleurs étaient encore plus en couleur

Les visages étaient encore plus nos visages

Autant que nos silences étaient toujours plus en silence.

Il y a eu ce type un jour

Avec ces histoires de prêches et de traditions d’un autre monde

Qui ne se parlaient qu’à eux-mêmes

Avec des mots sans respiration.

Des règles précises pour chaque geste

Des carcans pour chaque élan

Des mots qu’on mange, des mots longtemps

A enfermer tout ce qui pourrait faire vie.

Par delà, comme s’il était impossible de vivre autrement sans tomber dans la démence.

Je lis Elisée et je me dis qu’on ne tombe que si l’on marche.

Qui est le plus fou des deux ?

Puis il y avait cette fille qui venait à l’église comme si c’était sa propre maison

Il y avait cette fille qui parlait à dieu mais qui savait écouter le vent

chercher à attraper la lumière et transformer les papillons et les ruisseaux

Comme Elisée.

Je l’ai retrouvée hier soir en prenant le sentier qu’à bien voulu offrir Thomas Giraud dans son Elisée avant les ruisseaux et les montagnes.

J’ai mis du temps pour l’ouvrir.

Je l’avais là, avec moi mais je suis venue à lui sans précipitation

Comme quand il arrive qu’on rencontre l’autre et que l’autre nous fait nous rencontrer aussi.

Dans ce temps là, j’ai marché, un présent en moi.

Comme Elisée pouvait marcher

Avec des bouts de pensées qui me conduisaient plus loin encore

Quittant les peurs des plis silencieux sur les visages

Et les commentaires aveuglés des pères.

J’ai ri tu sais de ce mot « aveuglé » pour celui qui prêche.

Comment être au monde si on ne l’habite ni ne l’éprouve sous les pieds, sous la peau, le vent au visage et la respiration fatiguée se superposant à la lenteur de celle d’un ruisseau.

J’ai lu Elisée hier soir autant que ce qu’il a bien voulu lire en moi.

Lumineux et vivant.

Elisée s’est glissé dans des interstices à redonner du souffle pour marcher plus loin encore.

J’ai pensé à toi.

Forcément.

Comme si tu étais l’un des chemins possibles lorsqu’au bord de la rivière

Je t’ai ramassé dans un caillou dessiné par l’eau

Des traits circulaires

Des traits sans fin.

Un Elisée définitivement vivant.

J’ai cru qu’Elisée était un prénom féminin.

Quand on s’est quittés dans la nuit, j’ai compris qu’il était universel

en fraternité.

Ma famille s’est agrandie.

A lire sur le blog d’Isabelle Bonat-Luciani ici

Presse Océan

Presse Océan

Un interview de Thomas Giraud par stéphane Pajot dans le journal Presse Océan, daté du 6 novembre :

Docteur en droit public à Nantes, Thomas Giraud publie Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes. Entretien.  

Presse Océan : pouvez-vous nous résumer l’histoire de ce livre ? 

Thomas Giraud :  « C’est celle de ce qu’aurait pu être l’enfance d’Elisée Reclus vers l’âge de 10 ans. Je suppose que beaucoup des chemins qu’il va suivre plus tard dans sa vie trouvent leurs origines dans cette enfance. Le livre n’est pas une tentative d’écrire une histoire « vraie ».

Qu’est-ce qui vous a incité à écrire sur cette vie ? 

« La complexité du personnage m’a attiré avec ses vies multiples : géographe, théoricien de l’anarchisme, du végétarisme, grand marcheur, voyageur, écologiste avant l’heure. J’ai aimé sa droiture morale, son brin d’originalité, un peu farfelu, qui me l’a rendu très sympathique. »

Comment qualifieriez-vous ce personnage ?  

« Ce fut un très grand curieux, un homme en quête de compréhension de ce qui se déroulait autour de lui, dans la nature, un très grand et beau regardeur. »

Comment vous êtes-vous lancé dans l’aventure d’un roman ? 

« J’ai toujours écrit. Avant ce roman, c’était par fragments Des fragments poétiques, des réflexions sur les choses que je compilais dans des carnets. Je ne me sentais pas capable de me lancer dans une fiction, d’aller au terme d’un récit. Mais quand j’ai décidé d’écrire Elisée, en juin 2015, ce fut une évidence. J’ai écrit tous les jours sans forcément savoir où j’allais. Cela s’est fait très vite et dans le plaisir. Ce sont les encouragements qui m’ont conduit à envoyer le manuscrit à quelques maisons d’édition. »

Quels sont vos projets d’écriture ? 

« Continuer à faire des chroniques littéraires pour les sites Addict culture et Remue. net. Ensuite, je viens de terminer un deuxième texte sur l’histoire d’un musicien folk américain des années 60 qui a eu une existence faite de miracles et de déconvenues. Le manuscrit a été envoyé cette semaine. »

recueilli par stéphane Pajot

Lou et les feuilles volantes

Un article sur le blog Lou et les feuilles volantes, daté du 26 octobre :

« Il lui manque de la lenteur du temps perdu, de l’espace entre les mots. Il commence avec les qualités de la jeunesse, il veut écrire tout le temps, et il veut dire beaucoup, ne rien laisser en chemin, ne rien oublier. Cependant, il lui manque les limites que l’on a comprises en vieillissant, celles qui vous obligent à approfondir ce que l’on sait faire, à contourner les failles personnelles avec des mots légers, à franchir les obstacles en dissimulant la douleur, à mettre parfois du silence pour ne rien dire. Il met des adverbes partout, barbouille d’adjectifs, il est plein d’allégresse et d’envie et il n’a jamais écrit aussi mal. Il écrit, il écrit, il écrit. »

J’ai lu Élisée avant les ruisseaux et les montagnes près d’une fenêtre. Souvent, entre les phrases, j’ai regardé le ciel et, au loin, la campagne. Une heure ou deux, au rythme patient du marcheur ou du lecteur attentif. Sur ce chemin, je me suis attardée pour observer l’arbre, ramasser la pierre, écouter l’eau, humer l’air. J’ai pris le temps de lire Élisée avant les ruisseaux et les montagnes, de le lire doucement, de laisser s’installer ses phrases, sa voix, sa pensée, de m’imprégner de la quiétude et de la sérénité insufflées par ce livre beau et paisible. Il y a de ces écritures qui en une phrase vous saisissent, et d’autres qu’il faut laisser se déployer, qu’il faut peut-être écouter plus que certaines, des écritures qui respirent calmement. Celle de Thomas Giraud s’installe avec retenue, mot après mot, pas après pas. Dans ceux d’Élisée, on progresse doucement. Il faut écouter, prêter attention aux détails, aux motifs, aux répétitions, à leurs variations. — Sur la couverture, des fragments de chemins, le clapot de ruisseaux, des éclis de montagne, les courbes de lignes de dénivelés, traits dispersés d’un vert bleuté. Il y a ces « bouts de pensées » qui rythment le livre, ces pensées à peine formulées, des ébauches qu’Élisée roule sous la langue, tourne dans sa tête, et qui s’allongent, s’élaborent. Ces pensées d’avant l’écriture, qui peuvent accompagner une journée, des prémices, à peine. Des blancs ici les encadrent, et nos yeux s’y reposent, l’on s’y attarde, s’en imprègne, cela touche l’intime et l’on y retrouve forcément aussi un peu de soi.

« Ses pauses lui permettent de s’approprier une multitude d’endroits, quelques minutes, de l’explorer avant de s’allonger pour dormir un peu. On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs. Il prend de plus en plus de temps. Il en profite pour prendre des notes. »

— « J’aime ces écritures qui avancent, musardent, où tout n’est pas donné, où il faut suivre un chemin en lacet, retrouver la même sensation dite plusieurs fois, mais avec de légères nuances. » Thomas Giraud imagine. Il construit de la fiction dans les blancs, dans les silences que pourtant il ménage. Se permet, parfois, de douter, de supposer. Et pourtant, il affirme, crée des personnages. Il n’agit pas en biographe, mais en écrivain. Élisée avant les ruisseaux et les montagnes, Élisée avant qu’il ne devienne le géographe, anarchiste, végétarien, naturiste que l’on connaît, est la découverte d’un regard et d’une sensibilité qui s’exercent et se posent sur un chemin de retour. Retour double, celui de l’homme mûr qui revient vers les lieux familiaux, et celui de l’adolescent qui emprunte de longs détours pour retourner chez lui annoncer sa résolution de ne pas devenir pasteur. Deux retours, déterminés par un premier aller, une longue diagonale de la Dordogne aux rives du Rhin, un trajet vers la silhouette floue d’Élie, le grand frère, et le collège piétiste de Neuwied. Le livre fait de cette traversée accomplie seul, à douze ans, à pied et en malle-poste, par Élisée, l’instant où « les coutures s’ouvrent » pour l’enfant qui découvre les horizons, les routes, les ciels, les rivières et s’éloigne de son père.

Car il lui faut, pour basculer vers qui il s’apprête à devenir, mettre de la distance entre lui et « Jacques, le père », l’omniprésent, le pasteur « impécunieux », qui dans le roman est l’original, le fou, l’évangéliste qui sermonne, sermonne, à table, au temple, dans la rue, dans la campagne qu’il bat, assomme par un final « vous pourrez beaucoup prier ». « Jacques, le père », un leitmotiv, comme si le géniteur ne pouvait être nommé sans sa fonction. Un père qui s’use les pieds sur les chemins, mais ne s’arrête jamais pour contempler, pour qui le futur des fils aînés est route déjà tracée, vocation, « évidence ». Et puis, il y a Zéline, institutrice privée, et beaucoup de finesse dans ce portrait de mère, que l’on devine intelligente et qui transmet à Élisée « du goût pour l’inconnu qu’on apprivoise en apprenant, pour ce temps intérieur qui fait venir à soi la réflexion ». Zéline, une mère qui, à ce fils qui collectionne des bouts de pensée et de petites pierres, ramassées dans les champs, glissées dans les poches, laissées sur les tables, chuchote. Plus tard, ils s’écriront.

« Les envies de décrire les choses naissent comme elles viennent, aléatoires et imprévisibles, et, par paresse peut-être, mais aussi par respect pour ce qu’elles sont, il lui semble qu’elles peuvent toutes être traitées avec la même énergie et que la connaissance de ces choses-ci et la connaissance née de celles-ci sont tout à fait nécessaires. Et puis, il ne sait pas faire autrement.

Bout de pensée : Je sens l’universel et laisse le général aux autres.

Rien sur le général. On sait, en revanche, que pour lui, l’universel c’est la multitude des détails. »

Thomas Giraud retrouve chez Élisée Reclus quelque chose de Giono, une capacité à « parler de la montagne en utilisant le vocabulaire de la mer » et de Rousseau, « celui des Rêveries, le promeneur ». L’on ressent chez lui une certaine fascination pour « le goût d’Élisée pour la multitude et l’éparpillement », pour cette absence de méthode, de hiérarchie, cette façon particulière de saisir dans les paysages autant l’ensemble que les détails, de la pierre aux montagnes, qui fera d’Élisée un homme, un géographe hors du commun. — « Lui ce qu’il aime c’est la nature telle qu’elle se présente et telle qu’elle se modifie, elle-même. La nature comme un œuvre d’art. L’érosion par le vent, par les pluies. Une haie modifiée par la chute d’un arbre. Des racines soulevant la terre. » Au centre, le regard « attentif et direct » d’Élisée, un regard qui « veut embrasser tout, sans réduction », « sans hiérarchie présupposée », un regard qui englobe sans chercher à nommer, celui d’un homme qui respecte la nature et les choses pour ce qu’elles sont, infimes ou immenses. Un regard, et la subtile transcription de ce regard — Élisée avant les ruisseaux et les montagnes, décidément, est un beau livre.

« Pendant les quelques jours du voyage en diligence, il ne pense ni à Jacques, le père, ni à Zéline, ni aux autres frères et sœurs. Mais ce n’est pas de l’ingratitude. Il mange à peine, il découvre et ne peut faire autre chose. Les coutures s’ouvrent, il prend, est avalé en retour dans ce qu’il voit. Même dormir lui est difficile. Il se laisse absorber totalement, prenant les paysages, les rives de la Gironde, celles de la Seine, les contreforts du Bassin parisien, la Champagne pouilleuse, les forêts de l’Argonne, les plaines de l’Est, les boucles de la Meuse, comme une globalité. Il ne hiérarchise pas. Un arbre qu’il ne connaît pas au bord d’un chemin l’émeut autant que les grandes villes. Les pierres, partout, le troublent : les blanches, les ocres, les jaunes, des marbrées, du granit. 

Bout de pensée : Tout, tout et donc rien à dire tellement ce tout est immense. 

Bout de pensée : Je ne pense plus à mon père. »

Lire l’article sur le blog ici

France Culture

France Culture

Thomas Giraud était l’invité de Manou Farine dans son émission « Poésie et ainsi de suite », le 21 octobre :

 

 

Thomas Giraud était l’invité de Manou Farine dans son émission « Poésie et ainsi de suite », le 21 octobre :

 

 

L’inventoire

Elisée comme recommandations de lecture pour la rentrée 2016 de Ghislaine Burban-Giraud sur le site de la revue littéraire L’Inventoire, fabrique littéraire, réflexive et collaborative, née à la fois des bouleversements engendrés par l’émergence des blogs littéraires et de la reconnaissance dont bénéficient de la part des institutio

Elisée comme recommandations de lecture pour la rentrée 2016 de Ghislaine Burban-Giraud sur le site de la revue littéraire L’Inventoire, fabrique littéraire, réflexive et collaborative, née à la fois des bouleversements engendrés par l’émergence des blogs littéraires et de la reconnaissance dont bénéficient de la part des institutions, aujourd’hui, l’écriture créative et l’activité professionnelle des auteurs :

Un assemblage d’empêchements, de contraintes qui contrastent avec la fluidité du récit plein de poésie. Nous nous délectons tout autant de l’exploration du rapport à la langue que du rapport à l’espace. La matérialité du texte prend sa source dans les hypothèses formulées par l’auteur à partir d’un travail de documentation. Mais le récit repose sur l’imagination. L’écriture du rapport à la nature est ce qui m’a le plus marquée et séduite. Une observation minutieuse : des cailloux ramassés sur le tracé d’un chemin et c’est ainsi qu’Élisée, écrit par Thomas Giraud, nous fait remonter avant les ruisseaux et les montagnes.

Ghislaine Burban-Giraud conduit pour Aleph-Écriture des formations pour améliorer son orthographe et sa syntaxe et un stage de Techniques rédactionnelles en inter et intra : Cnil, Musée du Louvre, Enadep (École de Droit et de Procédure), Bailleurs sociaux…

Lire l’article sur le site de l’Inventoire ici

Le Monde des Livres

Le Monde des Livres

Un article d’Amaury da Cunha dans le Monde des Livres du 21 octobre 2016 :

Thomas GIraud imagine les années de formation d’Élisée Reclus, géographe et anarchiste du XIXe siècle. Un premier roman captivant

Portrait de l’utopiste en jeune homme

Un article d’Amaury da Cunha dans le Monde des Livres du 21 octobre 2016 :

Thomas GIraud imagine les années de formation d’Élisée Reclus, géographe et anarchiste du XIXe siècle. Un premier roman captivant

Portrait de l’utopiste en jeune homme

Il y a des livres qui n’ont en apparence rien de spectaculaire – ils ne cherchent ni à révolutionner un genre, ni à tordre le langage – et pourtant, pour des raisons complexes, ils sortent du lot et tiennent de l’évidence : ils conservent d’un bout à l’autre de la lecture ce charme singulier découvert dès les premières pages.

Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes, premier texte publié de Thomas Giraud, né en 1976, docteur en droit public, fait partie de ces livres précieux. Roman ? Prose poétique ? Un peu de tout cela, en fait. L’auteur a choisi d’écrire sur la vie d’Elisée Reclus (1830-1905), écrivain et géographe resté dans l’histoire pour ses positionnements politiques. Communard, anarchiste, libertaire, Elisée Reclus a été membre de la Première Internationale, il a fréquenté Mikhail Bakounine et enseigné notamment dans des universités populaires en Belgique. On peut encore trouver parfois, taguée sur les murs, l’une de ses formules les plus connues : « L’utopie, c’est la seule réalité. »

Mais ce n’est pas sur cette dimension politique de la vie d’Elisée que Thomas Giraud a décidé d’écrire. Il a préféré s’intéresser à ce qu’il ne connaissait pas : l’enfance du géographe. Les premiers mouvements du corps et de l’esprit de ce grand voyageur, avant qu’il ne devienne l’auteur d’Histoire d’une montagne et Histoire d’un ruisseau (Hetzel, 1880 et 1869), le rédacteur de nombreux guides touristiques ou encore cet homme qui projeta de construire un globe terrestre géant pour l’Exposition universelle de 1900.

Traverser la France à 11 ans
On s’en doute, peu de documents subsistent de ces années de formation. L’écrivain a dû inventer, rêver et penser la vie primitive de son personnage pour faire vivre un texte qui oscille entre le vrai et le possible, l’histoire et la fiction.
Ce genre de littérature n’est pas nouveau. Cette varaition autour d’un thème biographique, on la retrouve par exemple dans les Vies minuscules, de Piere Michon (Gallimard, 1984), ou encore dans certains écrits de Jean Echenoz qui éclairent seulement une partie de la vie de leurs personnages. En termes un peu savants, on appelle ce genre l' »exofiction », ou l’art de brouiller les frontières entre la fiction et la biographie.

« Je ne voulais pas me sentir enfermé dans une histoire que je connaîtrais trop bien, dont il serait difficile de quitter les riavges, explique Thomas Giraud au Monde des Livres. Je voulais me faire mon idée d’Elisée Reclus, transformer ce personnage réel en un personnage de fiction, mais avec l’envire que cela soit cohérent avec ce qu’il est devenu. J’ai retenu des éléments historiquement vrais, comme cette longue diagonale qu’il fait à pied pour traverser la France, seul, à 11 ans, et, entre ceux-ci, j’ai reconstruit en imaginant. »

Avec ce récit, il ne faut pas s’attendre à vivre une expérience épique. Car il ne se passe pas grand-chose. C’est l’histoire d’un enfant qui décide de prendre son destin à contre-courant, en désobéissant à son père, refusant de devenir pasteur, comme lui. Alors il marche. Traverse la France, s’imprègne du paysage, ramasse des cailloux, scrute le mouvement des fleuvres. Médite à demi-mot.
Les phrases de Giraud, très visuelles, ont quelque chose de l’esquisse, elles sont accompagnées de « bouts de pensées » de son personnage, comme des instantannés photographiques. L’écrivain montre comment la conscience de soi doit d’abord, peut-être, passer par une imprégnation physique dans le monde. C’est l’éveil d’un regard et d’un esprit, sans cesse stimulés par une attention extraordinaire à la géographie. Car Elisée semble toujours désireux de voir surgir l’inattendu dans le monde ordinaire. « Il s’enfuit ruminer ses frustrations et tiraillements, déplacer des pierres. Pas déplacer des montagnes, juste ramasser des pierres et les faire voyager. De petits actes mesurables. » Récit poétique qui n’affirme rien, n’entend rien démontrer, ce livre laisse cependant, dans la mémoire, des traces infiimes de sensations physiques, qui donnent subitement envie d’aller marcher dehors.

 

 

Atelier du passage

Un billet de Frédérique Germanaud sur le blog littéraire Atelier du passage, daté du 17 octobre :

« On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs ».

Un billet de Frédérique Germanaud sur le blog littéraire Atelier du passage, daté du 17 octobre :

« On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs ».

Thomas Giraud a choisi, dans ce premier livre, de se pencher sur le géographe Elisée Reclus, et plus particulièrement sur ses années de jeunesse. De la personne d’Elisée Reclus, il retiendra : qu’il dû s’arracher à l’emprise de son père qui avait décidé pour lui d’un destin de pasteur, qu’il portait un grand amour à sa mère, la douce Zeline, institutrice, qu’il eut de nombreux frères et sœurs. Son frère aîné, Elie, fut une figure tutélaire qui lui ouvrit la voie vers la libération. Elisée aimait marcher et refusait de manger de la viande. Il eut ce grand projet, qui demeura inachevé, de faire une représentation du monde à une échelle qui soit presque celle de la réalité. Ce qui montre qu’il est impossible de coller de trop près à la vérité, ou plutôt que la vérité ne se trouve pas dans un décalque du monde, sans part de création, ou d’imagination.

Suivant ce que son personnage lui enseigne, Thomas Giraud n’a pas fait œuvre biographique. Seules quelques indications de temps et de lieu sont données au lecteur, l’écrivain préférant opter pour un point de vue intimiste, une tentative de cerner le personnage par quelques détails signifiants et une compréhension « de l’intérieur ». Il adopte ainsi la démarche de l’apprenti géographe : une prédilection pour le détail, une absence de hiérarchie, une pensée ouverte. De petits faits font l’homme plus que la grande histoire, de petites pensées également, que Thomas Giraud nous fait partager sous l’appellation de « bout de pensée » qui ponctuent le récit.  Elisée Reclus fut un être libre, un être d’étonnement. On le suit dans son long voyage à pied, de Sainte Foy à Neuwied, en Allemagne, dans ses années d’apprentissage, puis dans ses pérégrinations à sa sortie de l’école, alors qu’il a définitivement rejeté la profession de pasteur et qu’il quitte le collège avec pour tout bagage des carottes, des oignons et des pommes de terre. Marcher, écrire, on le pressent à la lecture du livre, seront les deux occupations essentielles de sa vie.

« Bout de pensée : demain je pars. Respirer, respirer, respirer, enfin »

Thomas Giraud scrute son personnage par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, avec un instinct sûr, pour le faire exister par l’écriture. Il a su dégager ce qui fondait la conscience et la liberté de l’homme en devenir, le sens d’une vie. Premier livre d’une grande maturité, porté par une langue dense et parfois proche de la prose poétique.

Le lecteur pourra prendre connaissance, avec intérêt et plaisir, de quelques traces du travail de Thomas Giraud sur le site Remue.net qui a accueilli des pages du journal d’écriture d’Elisée.

Lire l’article sur le blog Atelier du passage ici

Le petit carré jaune

Un billet posté par Sabeli le 15 octobre 2016 :

J’ai longtemps cru qu’Elisée ne pouvait être qu’un prénom féminin, que celle qui le portait, ressemblait comme deux gouttes d’eau à ce prénom second que je porte. Elisée comme Elise, sœurs de mots, de marches, de cailloux amassés et gardés soigneusement dans mes poches. Elisée, comme une source d’eau douce, un filet qui coule de la montagne vers la mer, de l’amont vers l’aval, un torrent à la fois impétueux, fort, doux, naissant. 

Un billet posté par Sabeli le 15 octobre 2016 :

J’ai longtemps cru qu’Elisée ne pouvait être qu’un prénom féminin, que celle qui le portait, ressemblait comme deux gouttes d’eau à ce prénom second que je porte. Elisée comme Elise, sœurs de mots, de marches, de cailloux amassés et gardés soigneusement dans mes poches. Elisée, comme une source d’eau douce, un filet qui coule de la montagne vers la mer, de l’amont vers l’aval, un torrent à la fois impétueux, fort, doux, naissant. 

Dans  « Elisée avant les ruisseaux et les montagnes » de Thomas Giraud, Elisée est un homme et finalement c’est cela qui en fait sa vérité, la carte géographique de sa quête, sa masculinité, son véritable être, sa minéralité.

Elisée comme Elisée Reclus, ce géographe racontant les ruisseaux et les montagnes, l’eau et les cailloux. Elisée qui traversa la France, alla à la rencontre de ses reliefs, de ses chemins, de cette poussière collant les chaussures rapiécées.

Elisée, ce jeune homme, cet adolescent encore.

Elisée avant les ruisseaux et les montagnes, avant les thèses et les chaires, avant les écrits.

Elisée et l’universalité, le regard sur ce qu’il porte, voit, observe.

Elisée et sa sensibilité à l’état brut, sa fragilité à voir un monde tel qu’il est.

Elisée et son sens instinctif de s’aventurer sur les chemins comme seul oxygène et paradis possible, seul quête à son sens naturel, seul vérité possible aux mots usés, rabâchés, reclus, à une pensée édictée.

Elisée comme la liberté.

Elisée à vouloir représenter un monde autre que celui dessiner, moralisé par les préceptes, les courants.

Elisée ou le vent, la force qu’il faut pour soulever les cailloux, les montagnes, traverser les rivières, porter son regard sur ce qui est juste devant soi en gardant son innocence intact, sa liberté absolu, son sens inné de la joie, de la vie, ses bouts de pensée.

Elisée juste avant les ruisseaux et les montagnes. Juste avant qu’il ne devienne Elisée Reclus. Ce jeune homme qui va chercher dans les chemins parcourus le sens de ce qu’il voit, entreprend, entend, observe. Elisée ou la vraie vie.

Tout commence sur les chemins de Ste Foy la Grande, aux abords de la Dordogne, là où les plaines se disputent aux collines et roches. Là où une mère enseigne encore dans ce que l’on nomme l’école communale, ou du moins un enseignement pratiqué sans regard imposé, sans décret ou plan d’état mis en exergue, et un père, pasteur aux méthodes brutes, sans fioriture mêlant la rigueur aux grandes idées. La désobéissance laïque et des croyances. Elisée, un enfant parmi une multitude de frères et sœurs, entre une mère aimante, confidente, douce et un père ne sachant s’y prendre, confondant famille avec chaire et n’ayant qu’un seul et unique vœu, faire d’Elisée son héritier de confession.

Le récit-roman de Thomas Giraud pourrait se dérouler comme la chronologie de la vie d’Elisée, devenir biographie de ce célèbre géographe. Mais toute sa force, sa beauté et sa délicatesse vient de l’écriture et de ce texte lui-même.

Thomas Giraud nous amène à comprendre la fragilité et l’émotion de ce personnage, son humanité et sa vérité, cette marche qu’il entreprend comme on entreprend de marcher pour grandir, comprendre, regarder, voir par tous les sens qui nous composent.

Elisée devient beau, d’une force incroyable alors qu’il va traverser les chemins, les ruisseaux entreprendre ce grand voyage qui le mènera de la Dordogne aux abords du Rhin, de Ste Foy la Grande à Coblence, vice et versa.

De par ces pas qu’il pose sur les chemins poussiéreux, des frontières tracées, des monts et ruisseaux traversés, Elisée fait sa ligne, entreprend ses propres sentiers, trace ses droites et courbes, dessine sa géographie. Il va à la source même de la nature, emportant dans ses poches des cailloux comme des talismans à ce qu’il est, des morceaux de vie à quoi se raccrocher, à devenir celui qu’il sera. Il va de points en points, de villes en villes, rencontre des regards, des temps, des saisons, des hommes, des femmes qu’il apprend à comprendre, regarder. Il désobéit à la vie, à ses préceptes, ne rêvant que de liberté, de vents qui soufflent, de ruisseaux qui coulent, de cette vie qui s’abreuve, se dessine autour de lui. Elisée apprend à devenir lui.

La force de ce roman (puisque roman il est) est la beauté de l’écriture de Thomas Giraud. Pour une première œuvre (et j’ose dire que oui « Elisée avant les ruisseaux et les montagnes » est une œuvre), Thomas Giraud a su faire preuve d’une maturité et maitrise de ce que doit être une vraie écriture.

Il y a la poésie, celle du voyage, celle qui nous fait toucher du doigt le vent, ressentir la poussière, escalader les collines et sentir la craie dans les classes de l’enfance. Il y a le regard qu’il porte sur Elisée, ce regard sensible et d’une douceur tendresse absolue pour ce personnage. On apprend à aimer ce géographe par la délicatesse de ce qu’on lit, sa force aussi.

Et puis il y a l’érudition. Et là je vous vois me dire pompeusement, ce mot … trop intellectuel, trop ampoulé. Loin de là. Chez Thomas Giraud, le mot érudition devient beau, magnifique, doux, dense,  sincère. On lit ce roman comme on découvre la beauté de la langue, la poésie, la fragilité du mot et la grande maitrise de l’écriture. Et c’est peut-être cela qui fait d’ « Elisée avant les ruisseaux et les montagnes », un ouvrage, une œuvre : l’écriture.

C’est grâce oui à cette écriture tout en douceur, en poésie, en fragilité et en force que l’on voyage auprès d’Elisée. C’est grâce à cela que Thomas Giraud fait d’un premier roman, un vrai bonheur à lire, un courant de ce quelque chose qui fait du bien, un bien fou, une envie d’amasser les cailloux dans ses poches et de traverser les ruisseaux, les torrents encore naissants, de remonter vers l’amont pour ensuite marcher vers l’aval, dans les contre-allées, de faire preuve de désobéissance, d’embrasser avec une tendresse et une fougue infinie tous ces petits riens qui nous nourrissent.

Je ne sais si j’arriverai un jour à vous dire, la force, la fragilité, l’émotion qu’il m’a procurée, ce quelque chose de merveilleux que j’ai éprouvé à lire Elisée. Mais il est dit, « Elisée avant les ruisseaux et les montagnes » de Thomas Giraud m’a séduite. Elisée ou l’envie de relier tous ces point, d’en tracer les mots, d’apprendre à les faire voyager et décrire « des actes mesurables ».

Lire le billet de blog ici

Mobilis

Mobilis

Un article publié dans le magazine Mobilis par Frédérique Germanaud le 17/10/2016 :

Dans son premier livre, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Thomas Giraud scrute le personnage de Élisée Reclus par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, en dégageant ce qui fonde la conscience et la liberté d’un homme en devenir

Un article publié dans le magazine Mobilis par Frédérique Germanaud le 17/10/2016 :

Dans son premier livre, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, Thomas Giraud scrute le personnage de Élisée Reclus par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, en dégageant ce qui fonde la conscience et la liberté d’un homme en devenir

“On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de sieste lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs.”

Thomas Giraud a choisi, dans son premier livre, Élisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de se pencher sur le géographe Elisée Reclus (1830-1905), et plus particulièrement sur ses années de jeunesse. De la personne d’Élisée Reclus, il retiendra : qu’il dû s’arracher à l’emprise de son père qui avait décidé pour lui d’un destin de pasteur, qu’il portait un grand amour à sa mère, la douce Zeline, institutrice, qu’il eut de nombreux frères et sœurs. Son frère aîné, Élie, fut une figure tutélaire qui lui ouvrit la voie vers la libération. Élisée aimait marcher et refusait de manger de la viande. Il eut ce grand projet, qui demeura inachevé, de faire une représentation du monde à une échelle qui soit presque celle de la réalité. Ce qui montre qu’il est impossible de coller de trop près à la vérité, ou plutôt que la vérité ne se trouve pas dans un décalque du monde, sans part de création, ou d’imagination.

Suivant ce que son personnage lui enseigne, Thomas Giraud n’a pas fait œuvre biographique. Seules quelques indications de temps et de lieu sont données au lecteur, l’écrivain préférant opter pour un point de vue intimiste, une tentative de cerner le personnage par quelques détails signifiants et une compréhension “de l’intérieur”. Il adopte ainsi la démarche de l’apprenti géographe : une prédilection pour le détail, une absence de hiérarchie, une pensée ouverte. De petits faits font l’homme plus que la grande histoire, de petites pensées également, que Thomas Giraud nous fait partager sous l’appellation de “bout de pensée” qui ponctuent le récit. Élisée Reclus fut un être libre, un être d’étonnement. On le suit dans son long voyage à pied, de Sainte Foy à Neuwied, en Allemagne, dans ses années d’apprentissage, puis dans ses pérégrinations à sa sortie de l’école, alors qu’il a définitivement rejeté la profession de pasteur et qu’il quitte le collège avec pour tout bagage des carottes, des oignons et des pommes de terre. Marcher, écrire, on le pressent à la lecture du livre, seront les deux occupations essentielles de sa vie.

“Bout de pensée  : demain je pars. Respirer, respirer, respirer, enfin.”

Thomas Giraud scrute son personnage par le prisme de l’imaginaire et de la sensibilité, avec un instinct sûr, pour le faire exister par l’écriture. Il a su dégager ce qui fondait la conscience et la liberté de l’homme en devenir, le sens d’une vie. Premier livre d’une grande maturité, porté par une langue dense et parfois proche de la prose poétique.

Le lecteur pourra prendre connaissance, avec intérêt et plaisir, de quelques traces du travail de Thomas Giraud sur le site Remue.net qui a accueilli des pages du journal d’écriture d’Élisée.

Lire l’article sur le site de Mobilis ici

Charybde 27

Une note de lecture du libraire Hugues Robert sur le blog de la librairie Charybde, datée du 28 septembre :

L’enfance imaginée d’un géographe libertaire hors du commun.

Une note de lecture du libraire Hugues Robert sur le blog de la librairie Charybde, datée du 28 septembre :

L’enfance imaginée d’un géographe libertaire hors du commun.

Il y en avait beaucoup d’autres ; douze, en plus d’Élie et de celui qui n’a pas vécu, c’est beaucoup d’enfants. Peut-être furent-ils quinze. La maison familiale de Sainte-Foy-la-Grande était trop petite pour tous ces enfants. C’est autour, dans les limites de la Rance, du Vinairols et de la Dordogne, dans les paysages de ce début de Périgord qu’Élisée s’est indiscipliné, en marchant, en courant et regardant plus que les promeneurs, en ramassant beaucoup de pierres.

Avec ce premier roman publié en octobre 2016 à la Contre Allée, Thomas Giraud s’attaque avec brio non pas à l’enfance d’un chef, mais à celle d’un personnage hors du commun, le grand géographe libertaire Élisée Reclus, celui-là même qui se rendra plus tard célèbre par ses ouvrages scientifiques monumentaux, ses vulgarisations audacieuses, « Histoire d’un ruisseau » (1869) ou « Histoire d’une montagne » (1875), et sa participation aux luttes sociales de l’anarchisme de son époque, et tout particulièrement à la Commune de Paris en 1871.

Thomas Giraud ne s’intéresse pas ici à l’homme (ou alors, en filigrane potentiellement trompeur), mais à l’enfant et à l’adolescent, tels que les archives disponibles permettent d’abord de les reconstituer, puis, quittant le terrain de l’histoire et de la biographie pour celui de la spéculation littéraire et philosophique, de les imaginer.

Né à Sainte-Foy-la-Grande, à la frontière de l’Aquitaine et du Périgord, membre d’une très nombreuse fratrie, issue de l’union d’un très austère pasteur protestant obsessionnel et compulsif (Sainte-Foy est depuis le XVIe siècle un bastion de la religion réformée) et d’une institutrice progressiste, le jeune Élisée aurait dû normalement marcher dans les traces de son grand frère Élie, qu’il rejoint bien jeune dans son internat allemand pour, déjà, y apprendre à devenir pasteur également, selon le vœu de leur père.

Les vraies disputes avec son père, Jacques, ne sont pas tout à fait prêtes. Il faut attendre qu’elles se préparent, on ne se dispute vraiment que lorsque l’on est capable de prendre prétexte de l’accessoire, du détail, pour remettre en cause tout un système de pensée, toute une manière de vivre. Il n’en est pas du tout là. À l’âge où il est encore cet enfant, où sa peau est claire des voyages qu’il n’a pas faits, où ses bras qui seront toujours relativement chétifs l’étaient déjà, avec sa petite taille et sa chevelure soyeuse, il s’enfuit ruminer ses frustrations et tiraillements, déplacer des pierres. Pas déplacer des montagnes, juste ramasser des pierres et les faire voyager. De petits actes mesurables.

Thomas Giraud surprendra sans doute la lectrice ou le lecteur, car il pratique l’archéologie biographique imaginaire avec un subtil art du contrepied. Les indices disséminés, les fragments connus, ceux que l’historien peut le plus souvent interpréter à loisir et à charge, fort de sa connaissance du futur de l’homme étudié, sont ici régulièrement trompeurs, désarçonnant le père ou la mère – et même parfois le grand frère complice, pourtant le plus lucide de tout ce paysage humain, traçant un chemin plein d’illusions et de faux-semblants, et paraissant s’amuser précisément à contester tout pesant déterminisme, même lorsque les apparences sont contre.

Elle fait de la passion d’Élisée pour les pierres un indice de son déracinement à venir : ces petites pierres qu’il ramasse et cache un peu partout après les avoir fait voyager, parfois d’une poche à l’autre, parfois d’un champ à son matelas, parfois d’une vigne à une autre. Mais elle a le sentiment que ses mélancolies à lui seront, comme les siennes, faites pour s’installer durablement dans un lieu, sans bouger, ou sans bouger trop loin, et que ses mélancolies porteront sur l’imagination. Ses mélancolies resteront des mélancolies, des regrets, des projets rangés. Il ne partira pas. Il pourrait être comme elle, instituteur privé. Élisée a quelque chose d’un brin besogneux, peut-être de fragile, lié à sa petite taille, et elle ne pense pas qu’Élisée, contrairement à Élie, sera enclin à abandonner la terre et les gens avec lesquels il vit. Il n’a pas l’espièglerie et l’audace d’Élie. Et il paraît si prudent, son Élisée, il a besoin, pense-t-elle, d’être rassuré. Elle aussi, de savoir que ce petit-là, un de ses petits, restera près d’elle, ou au moins pas trop loin. Elle voudrait pouvoir continuer à chuchoter avec lui.

L’auteur traque avec une grande subtilité et une discrète élégance la tension qui relie, énorme différence de potentiel, un certain ronronnement familial déterministe (qui a pourtant aussi ses échappées belles) et un bouillonnement socio-politique environnant qui ne demande qu’à prendre de l’ampleur, mais aussi la complicité authentique qu’entretiennent les deux frères qui resteront, au sein d’une famille qui produira aussi, simultanément, un autre géographe, un officier de marine et explorateur, et un chirurgien, les plus proches qui soient, compagnons de luttes politiques et de discussions savantes entre le géographe de l’humain et du social et l’ethnographe féru de géologie. L’écriture de Thomas Giraud se révèle ainsi particulièrement propice, mine de rien et tout en douceur, pour offrir à ce singulier libertaire en gestation, à ce touche-à-tout syncrétique qui ne se résoudra jamais à accepter ni l’académisme ni l’injustice, une formidable ode à la liberté de ne pas faire ce qui est écrit, prévu, choisi par d’autres – et de laisser, face à la raison seule, une part réelle à l’imagination, pour offrir au monde ces « Paysages politiques » (Yves Lacoste, 1990) dont il sera l’un des grands précurseurs.

L’observation d’une grève, l’amitié qu’il imagine entre les ouvriers, l’unité indéfectible qu’il suppose vont contribuer à rééquilibrer un peu ses centres d’intérêts. Jusque-là, la nature était omniprésente et la part qu’il faisait à la politique ou à la philosophie politique était réduite aux ouvrages. Il ne notait rien sur les hommes. À partir de cet épisode, il fait entrer l’intervention humaine. C’est l’occasion d’adopter une nouvelle méthode : il note ce qu’il voit sur les hommes et ce que cela lui inspire. Mais ce sont les hommes, le groupe, qui l’intéressent, pas les individus, en tout cas pas pour ses notes.

Lire la note de lecture sur le blog de la librairie Charybde ici

Sitaudis

Une critique d’Elisée par François Huglo, sur le site de poésie contemporaine Sitaudis, daté du 5 octobre :

Une critique d’Elisée par François Huglo, sur le site de poésie contemporaine Sitaudis, daté du 5 octobre :

Savoir que ce livre est un premier roman importe moins que la réhabilitation, qu’il opère allègrement, de la biographie romancée, genre qu’il allège et réduit à la reconstitution de la genèse d’une pensée par confrontations ou comparaisons successives. L’aventure dont il est le récit est celle de la formation simultanée d’un homme et d’un style. « Nous sommes les hommes de notre laborieuse enfance. Nous sommes les hommes de notre laborieuse adolescence », écrivait Péguy. On ne peut dissocier, chez Élisée Reclus, le géographe de l’anarchiste. Tous deux prennent leur source chez Rousseau, bien avant de l’avoir lu. Intimement, d’expérience. Tous deux préfigurent —poétiquement— l’écologie politique.

Le portrait imaginaire, mais solidement documenté, d’Élisée Reclus enfant dans son jus familial, à Sainte-Foy-la-Grande, tient de la dissertation et de la comédie. La thèse serait le père pasteur, l’antithèse le fils, la synthèse peut-être la mère institutrice. Dissertation comique. L’obsession du péché, de la souffrance, du labeur, du remplissage (accumulation ?), de la reproduction et de la répétition plus que de l’évolution, prend la forme d’un discours qui parfois peut rappeler celui du commandant Van der Weyden dans le P’tit Quinquin de Bruno Dumont : « Et puis ce vent que tu transportes avec toutes ces pierres. Oui, ce vent, il est fatigant, on sent ce vent qui sort de toi quand tu vides tes poches. Il n’est pas net, ce vent, Élisée. Ce vent, il nous abrutit tous. D’où vas-tu le chercher ? Ce sont des courants d’air et des maladies que tu nous apportes. Ce sont des mauvaises idées que tu ramènes avec tes pierres. Et où vas-tu prendre toutes ces pierres ? Les pierres sont pour bâtir, elles ne sont pas pour les fainéantises ». Par crainte de s’interrompre, le sermon paternel tourne à l’écholalie, au marabout-bout de ficelle : « Aimer / mes enfants / entendez-vous / vous qui souffrez / fréquemment, il vous arrive de pleurer / régulièrement vous sombrez ». Marcher, dans le langage et sur terre, est une souffrance. « Il avait mal à tous ses pieds, tellement mal, qu’il avait parfois l’impression d’avoir bien plus que deux pieds (et ne savait pas trop s’il fallait remercier Dieu pour cet excès de prodigalité ». Et pourtant il marche, il parle, sans interruption. « Hypnotisé par sa propre logorrhée », il se soucie « comme d’une guigne qu’on le suive ou pas ». C’est évident puisqu’il le dit, ses deux premiers fils seront pasteurs. Or, aucun ne le sera.

Aux phrases paternelles, qui se voudraient poutres et solives mais qu’emporte un torrent de paroles où il « sermonne en apnée », s’opposent les « bouts de pensée » du fils, « regardeur passionné » par « les sinuosités et les remous » des ruisseaux. « Bouts de pensée » critique, opposant au travail productif et à sa rentabilité la connaissance et l’accueil sensoriel : « Que sait-il de la fraîcheur de l’eau ? Que sait-il de l’odeur des raisins mûrs dans les vignes ? Il ne fait que marcher, traverser sans s’arrêter. Il ne sait ni sur nous ni sur les choses ». Ou : « Il ne connaît rien au vide, à l’intérêt du vide. Il ne pense qu’à remplir ». La mère, elle, écoute. Institutrice privée d’une « école qu’elle a inventée », elle improvise son programme au fil de la vie quotidienne, et croise à sa manière « la papillonade fouriériste » avec « le système jésuite d’éducation rationalisé par Claudio Acquaviva » (sans en souffler mot au pasteur !). Elle veut dire « avec des mots simples, les choses savantes aux enfants », et leur donne « du goût pour l’inconnu qu’on apprivoise en apprenant ». Pour Élisée, « cette école a la forme rassurante de sa mère ». Elle chuchote et, en son absence, chez ses grands parents où, entre deux et huit ans, il vit au bord de la Dronne, la rivière chuchote pour elle.

Le chuchotement sera relayé par l’encre des lettres que la mère échangera avec ses deux fils quand ils partiront étudier (et s’ennuyer) en Allemagne, deux ans chez les piétistes moraves. Élisée « ne veut partager l’intime qu’avec sa mère ». Plus tard, de ses vingt ans à sa mort, il « aura sa correspondance particulière avec elle : précise et sensible, entretenue ».

Les détours du retour d’Allemagne ouvrent des chapitres qui pourraient avoir pour titre « Sur la route », ou plutôt « Par des chemins » car Élisée devient chemineau. Rencontrant et observant un groupe de grévistes, il comprend que l’organisation sociale n’est pas naturelle. « Bout de pensée : la nature est une et les hommes sont multiples. Ils peuvent être agencés de manière infinie alors que la nature ne peut qu’être acceptée ». Les notes s’accumulent. Son frère Élie est son premier critique : « C’est indigeste, c’est serré. On dirait que tu es à la recherche de la belle phrase pour la belle phrase et que tu oublies ce que tu voulais dire ». Sur les chemins, le cueilleur végétarien Élisée rencontre Sasso, qui est aussi un peu pêcheur, un peu chasseur. Il apparaît, venu de nulle part, et disparaît après dix jours de marche et d’enseignement. En passant du frère à l’ami, ce frère autre, frère en humanité sans les « postures de rivalité », Élisée passe de l’enfance à l’adolescence. Sasso lui apprend à nommer ce qu’il décrit, l’initie aux nuances à travers la catégorisation. Loin de contrarier son goût pour la multitude et pour l’éparpillement, son refus de hiérarchiser les détails minutieusement observés d’une nature considérée telle quelle, Sasso « autonomise Élisée ».

Pour la première fois, le père insultera son fils, ses « grands airs d’observateur crétin des collines et des pierres », sa « curiosité d’explorateur de pacotille », et le fils se raidira, comme vêtu « pour un défilé militaire, manquant de légèreté avec le ridicule et la force en bandoulière », ne voyant « rien, surtout pas la quantité d’amour caché ».

Autre moment-charnière, autre étape dans la formation, l’écriture de guides substituera à la « compilation iconoclaste » l’écriture « pour être lu », plus technique et précise, obligeant surtout Élisée à « fermer, au moins temporairement, ce qui constitue son monde, son mode de pensée, pour s’ouvrir à celui des autres », et à adopter « un style plus neutre, en essayant de mettre de côté ce lyrisme qui lui chatouille les entrailles ». À travers ces travaux alimentaires, Élisée trouve son écriture : avec « l’agilité d’un conteur », il « raconte la terre et son histoire, pas ses mythes ». Il travaille d’arrache-pied, la « rigueur calviniste » a de beaux restes. Mais contrairement à son père qui marchait pour abolir la distance qu’il franchissait, il s’est fait une « spécialité » de la marche. Il a marché pour écrire des guides de tourisme et des livres de géographie, « pour aller voir des hommes et des femmes ». Il a « marché pour marcher (pour l’hypnose de la marche) ». Le promeneur (pas toujours) solitaire a rêvé de « montrer en taille réelle (ou presque) la géographie du monde », de « montrer ce qui ne l’était pas, les petites choses, le minoritaire, les oubliés des cartes et de l’histoire », pour que la « géographie soit historique », pour que place soit enfin faite « à l’universalité plus qu’à la généralisation, à l’indiscipline, bien plus qu’à l’organisation généralisée d’un savoir ».

Lire l’article sur le site de Sitaudis ici

Le carnet Moleskine

Un article dans le blog de Julien Delorme, Le Carnet Moleskine, daté du 18 septembre :

Elisée en ville / Elisée en campagne

Un article dans le blog de Julien Delorme, Le Carnet Moleskine, daté du 18 septembre :

Elisée en ville / Elisée en campagne

Avec ses rudiments de débrouilles alimentaires, ses propres interdits, sa timidité, il n’a encore que quatorze ou quinze ans quand il se déplace vers la Belgique, les instants de faiblesse sont un peu plus nombreux pendant ce trajet qu’à d’autres moments de sa vie. Il doit penser à tout, composer avec lui-même et tout ce qui n’est pas lui-même, le non-lui-même, c’est-à-dire tout le reste. C’est un apprentissage démesuré qui prend de l’énergie. La durée des trajets est un peu plus longue que pour d’autres, il marche en prenant son temps. Il lui faut faire quelques siestes supplémentaires. Cette fatigue plus pressante, ces siestes plus nombreuses donnent un rythme différent à sa promenade du retour. Ses pauses lui permettent de s’approprier une multitude d’endroits, quelques minutes, de l’explorer avant de s’allonger pour dormir un peu. On connaît plus précisément la terre sur laquelle on a dormi, ses odeurs, son grain. Ces endroits de siestes lui donnent une connaissance détaillée, en fin de compte, de milliers de lieux-dits, d’arbres égarés, de rus entre deux champs. Il prend de plus en plus de temps. Il en profite pour prendre de plus en plus de notes. »

*

« Il ressent aussi cette étrange atmosphère, comme celle des villes sous les volcans. Dans l’air on sent que tout peut arriver, pas dans un jour, dans un mois, mais dans la seconde suivante. Il y a de la fragilité dans l’agitation. Il y a du fatalisme et de la tension, une énergie particulière chez les gens qui vivent dans ces endroits, comme si chaque seconde pouvait être la dernière avant d’être surpris par la grande détonation du volcan et son lot de pierres projetées, de lave dégoulinante et de cendres. Ou alors ces villes où la terre tremble. Là c’est dans le sol, dans chaque pied que l’on pose qu’on trouve ce déséquilibre éprouvant. Il trouve la scène suspendue, comme si quelque chose devait arriver pour qu’il y ait une explication, une signification : répression, police, matraques, coups, cris ou bien poings levés, chansons, victoire, accolades, augmentation de salaire. Élisée attend, peut-être par curiosité malsaine, pour voir et savoir en tout cas l’aboutissement, la finalité qu’il estime nécessaire de cette scène. Il n’y aura rien, rien d’autre que ce tableau esthétique bien qu’inachevé, ce jeu de rôle bon enfant qui lui donne des envies de peintre social.

Probablement, il n’oubliera pas cette première expérience de résistance morale qu’il est allé chercher, qu’il a pas mal inventée aussi. Sans doute, les années participeront à une reconstruction romancée de ce souvenir (c’est l’influence du romantisme révolutionnaire des lectures qu’il fait). Il est lucide et prendra garde de ne pas faire part de la beauté du moment dans ses écrits publiés. Il ne retiendra, ne prendra des notes que sur l’unité des hommes et femmes. Unité comme moyen de parvenir au changement. Et s’il voit peu de raison de modifier la nature, car elle est naturelle et doit le rester, en revanche, l’organisation de la société lui semble tout, sauf naturelle. C’est bien la raison qui justifie l’implication de tous pour en modifier le fonctionnement. »

Poursuite de l’exploration de la rentrée littéraire avec un programme un peu atypique: beaucoup d’éditeurs alternatifs, des autrices et des premiers romans. Et sous cette magnifique couverture des éditions de la Contre-Allée, un premier roman consacré à la figure du géographe anarchiste Elisée Reclus. Thomas Giraud s’attache à y retracer ses années de formation, avant que Reclus ne s’illustre par ses écrits géographiques et ses prises de position. Le lecteur découvrira comment un tout jeune homme s’émancipe de la tutelle et des aspirations de son père, figure angoissée et imposante. On est ici dans le roman d’apprentissage, mais un roman sans quête, où le héros prendrait plus de plaisir à baguenauder qu’à atteindre un hypothétique objectif, à collecter les pierres et les impressions, et à essayer de développer ces « bouts de pensées » qui parfois s’imposent à lui. C’est un roman lent, lancinant, contemplatif, qui calque son pas sur celui de son héros. L’écriture y est simple et précise, usant de répétitions comme autant d’effets de rythme, et elle accompagne la formation intellectuelle du héros, se faisant plus lyrique à mesure que l’on avance. On notera la figure de Jacques Reclus, le père, pasteur calviniste médiocre mais investi, qui se perd dans ses sermons à force de vouloir trop bien faire, dont le portrait est particulièrement fascinant.

Lire l’article de Julien Delorme sur son site Le Carnet Moleskine, ici

Le Monde des Livres

Le Monde des Livres

Elisée cité dans un article consacré à la rentrée littéraire du Monde des Livres (18/08/2016) d’Eric Loret.

Une saison littéraire prometteuse

C’est une rentrée sans fanfare. Sans fanfaronnade. Pour la ­première fois depuis longtemps, aucun scandale en vue, aucun livre claironné dès juin comme l’« incontournable » ou le « maudit » de l’automne. Un peu comme si la situation internationale, les attentats, le changement de paradigme politique qui semble s’opérer dans les démocraties occidentales, avaient placé le barnum littéraire annuel sotto voce.

La plupart des éditeurs, de fait, ont resserré leurs paris : moins de titres, qu’on se promet de mieux mettre en valeur. Ainsi des Editions de Minuit, qui ne publient que Laurent Mauvignier (Continuer), ou Zulma un unique ­Marcus Malte : Le Garçon. Selon Livres Hebdo, on compte 363 fictions françaises contre 393 l’an dernier, soit une baisse de 7,6 %, baisse moindre cependant pour les premiers romans, puisqu’il y en a 66 (au lieu de 68 en 2015). Le primo-romancier français est bien traité, même si son tirage moyen décroît ­depuis plusieurs ­années. Du côté étranger, c’est la stabilité, avec 196 livres dont trois poids lourds : Amos Oz (Judas, Gallimard), Salman Rushdie (Deux ans, huit mois et vingt-huit nuits, Actes Sud), et un Jim Harrison posthume (Le Vieux Saltimbanque, Flammarion).

Ceci dans un contexte de « retour à la santé » économique d’un marché du livre qui a ­repris une légère croissance en 2015, soutenue par la littérature, croissance maintenue sur les premiers mois de 2016.

Mercato parfois déboussolant

Des lecteurs avides de romans donc, et une offre plus sélective : le retour aux affaires s’annonce sain. Mais que mesure une rentrée littéraire ? Avant tout, la capacité stratégique des éditeurs à « placer » leurs auteurs dans la course aux différents prix, dans un jeu de billard à trois bandes entre jurés et maisons qui échappe au commun des mortels. Et qui, bien entendu, n’a rien d’infaillible : reste, heureusement, le frisson du jeu. Outre les piliers annuels tels Amélie Nothomb (sa vingt-troisième rentrée littéraire) chez Albin Michel, Eric-Emmanuel Schmitt chez le même éditeur ou encore Yasmina Khadra chez Julliard, les têtes d’affiche tournent cette année au gré d’un mercato déboussolant : le Seuil, par exemple, accueille Stéphane Audeguy ou Patrick Chamoiseau tandis que Karine Tuil passe de Grasset chez Gallimard, Bernard Chambaz, ­de Flammarion chez Stock, ou Nina Bouraoui de Flammarion chez JC Lattès.

A la lecture, l’ensemble des textes de ce cru paraît de qualité (nul roman dont on se demande, comme d’autres années, pourquoi et comment il a été publié) sans qu’aucun, pourtant, ne se mette en péril : la rentrée est esthétiquement et économiquement prudente. Ce qui veut dire aussi qu’on y ­retrouve avec plaisir des maîtres en narration, tels Nathacha Appanah (Tropique de la violence, Gallimard), Régis Jauffret (Cannibales, Seuil), Luc Lang (Au commencement du septième jour, Stock), Yasmina Reza (Babylone, ­Flammarion) ou Philippe Vasset (La ­Légende, Fayard).

Concernant les thématiques de saison, on est tout de même étonné que, face à l’actualité menaçante et la difficulté croissante de comprendre le ­délitement de ce qui a pu constituer ­naguère notre monde, un certain roman français persiste à tourner en rond, à narrer l’épopée de la généalogie et du patrimoine (une grosse douzaine de romans), ainsi que les amours de la jeunesse bien née ou les affres du couple bourgeois (une ­petite vingtaine).

Ce schéma peut évidemment aussi se renouveler et s’enrichir, par un appel à l’histoire littéraire, une réflexion sur l’époque ou l’Histoire : ainsi dans L’Absente (Julliard), Lionel Duroy déballe la bibliothèque d’un homme dont la mère a perdu sa demeure, tandis que Yannick Grannec, avec Le Bal mécanique (Anne Carrière), donne la synthèse du roman d’héritier millésime 2016 : « Un siècle, une ­famille, l’Art et le temps. » Parmi les premiers romans amoureux, Mathieu Bermann fragmente son discours amoureux version « backroom » avec Amours sur mesure (POL) et la ­génération Z narre ses abdications et déceptions dans Lithium, d’Aurélien Gougaud (Albin Michel).

Une vague de « fictions biographiques »


Ce qui ne change pas non plus, c’est la vague d’exofictions ou « fictions biographiques », comme ont proposé de les nommer le chercheur Alexandre Gefen et Dominique Viart, professeur de littérature française contemporaine à l’université Paris-X. Une vingtaine de livres s’amusent à mettre en scène des personnages aussi divers que Van Gogh, dans La Valse des arbres et du ciel, de Jean-Michel Guenassia (Albin Michel), ou le poète Mandelstam dans Les Derniers Jours de Mandelstam, de Vénus Khoury-Ghata (Mercure de France), en passant par Ayrton Senna dans A tombeau ouvert, de Bernard Chambaz (Stock). Qu’en déduire ? Rien, sinon que la plupart meurent en romantiques et que deux d’entre eux font (un peu) la révolution : Elisée Reclus (Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes, de Thomas Giraud, La Contre Allée) et ­Godard dans Sauve qui peut (la révolution), de Thierry Froger (Actes Sud).

Dominique Viart note cependant « une variation amusante » sur la fiction biographique avec Histoire du lion Personne, de Stéphane Audeguy (Seuil), « qui substitue un animal au personnage que cette forme littéraire restitue habituellement ». Cela s’inscrit, explique l’universitaire, « dans les problématiques encore récentes qui interrogent le rapport de l’homme au monde et aux autres règnes (voir aussi Le Grand Jeu, de Céline Minard, chez Rivages, ou ­Règne animal, de Jean-Baptiste Del Amo, chez Gallimard), que favorise l’inquiétude sur le devenir de la planète ».