Entre les rives
Diane Meur
CE QU’EN DIT L’AUTRICE
En matière de traduction, on peut légitimement s’inquiéter de ce que deviendraient les cultures humaines et la pensée humaine, le jour où tout échange inter-linguistique serait confié à une intelligence artificielle. Il s’ensuivrait un cloisonnement et un repli sans précédent dans l’histoire, une histoire qui, aussi loin que remonte la mémoire écrite, est faite de migrations d’idées, d’usages et d’hommes, de fécondation du même par l’autre, de transferts, de réinterprétations et de réappropriations.
[…] La traduction n’est pas seulement mon travail alimentaire. C’est mon métier, et je suis attachée à ce mot avec tout ce qu’il connote de soin, de savoir-faire, de travail minutieux sur la trame de l’écrit. La traduction est mon métier, elle a forgé ma personnalité, y compris en tant qu’autrice : j’écrirais sans doute autre chose, et autrement, si je ne passais pas une partie de mon temps à traduire depuis deux langues étrangères, si j’étais ancrée dans une seule langue, une seule culture, un seul territoire. Cesser de traduire, ce serait renoncer à ce qui m’a faite telle que je suis.
Voilà pourquoi je n’ai pas hésité à accepter la proposition de mes collègues. Dans ce volume qu’on m’offrait de rédiger, je matérialiserais mon bilan, j’explorerais les liens entre la traduction qui (je le maintiens) est une écriture, et l’écriture qui, à mes yeux, est un peu une traduction. J’y évoquerais mon sentiment d’être toujours « entre les rives » – je pense moins ici à l’image désormais classique du traducteur comme passeur, qu’au voyageur qui a quitté les eaux territoriales de son continent d’origine, n’est pas encore entré dans celles du continent d’en face et n’a peut-être même pas l’intention d’y pénétrer un jour. Préférant la pleine mer, là où les eaux appartiennent à tous et n’appartiennent à personne.