Revue de presse
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Lire peu ou Proust
Un article publié le 29/07/2022 à retrouver sur : https://lirepeuouproust.wordpress.com/2022/07/29/freshkills-et-loutremonde/?fbclid=IwAR35OasxiDBVz5eNz_vZ5O8hNtRcqBtZMdaxeCSoGsqyzp67M7VJdDuPBGg
Freshkills et L’Outremonde
Freshkills, c’est l’histoire d’une décharge à New-York, sur Staten Island.
C’est une question de lieux et de vieux. Un enfoui qu’on aimerait enfui. Mais il est là, à ciel ouvert, avec sa mémoire plastique.
C’est l’histoire d’un projet lancé en 1948. Un quartier, un village devenus décharge. Streets devenues strates de déchets. L’abimé tombé dans l’abîme.
Un projet qui devait durer quelques années et qui a perduré jusqu’en 2001.
2001, année de décombres à N-Y s’il en est. Alors que la décharge était fermée, elle fut réouverte. World Trash Center.
C’est un livre sur lequel je suis tombé par hasard, dans une contre-allée (c’est le nom de l’éditeur), et qui se trouve recouper un de mes projets de lecture en cours (lire Don DeLillo). En effet, l’autrice a fait la découverte de ce flot de déchets (19 tonnes par jour) dans le roman fleuve de DeLillo, L’Outremonde.
C’est un essai et le récit d’un projet déconcertant qui vise désormais à transformer cette décharge en un parc, à ciel ouvert aussi, à l’horizon 2036. Un rebut qu’on reboote. Le jardin du Mal devenant jardin du Bien.
Servi par une prose rudérale qui poétise, voilà un essai qui questionne les mots (kills, c’est du neerlandais ; monde/immonde…) et notre rapport aux déchets.
Cette lecture et ce problème de l’enfouissement de déchets ont ravivé chez moi le souvenir d’un autre livre : Yucca Mountain, https://lirepeuouproust.wordpress.com/2019/03/27/28-mars-yucca-et-three-miles-island/
Top Nature Bio
C’était une énorme décharge, des montagnes d’ordures. C’est un parc d’attractions sur des collines verdoyantes. Lorsqu’elle arrive sur place, à Staten Island, à New York, Lucie Taïeb n’en croit pas ses yeux: loin de sa projection née d’un roman de l’écrivain américain Don Delillo, la décharge de FreshKills était devenue Freshkills, paradoxalement sans espace. Tas d’ordures recouverts, les déchets n’en sont-ils pas moins des déchets, leur site celui d’une déchéance? Fermer les yeux ne rend-il pas aveugle? L’enclave mentale que nous construisons à coups d’illusions ne produit-elle pas ses propres déchets psychiques? Une atrophie de l’imaginaire, du symbolique, et de la réalité? L’articulation dynamique de ces champs réduite à un enfouissement n’augure rien de fertile dans notre société, et l’auteure invite, par son propre cheminement littéraire, à lever le voile sur ce qui s’apparente à un déni collectif. Œuvre d’écriture poétique et visionnaire, récit sensoriel inattendu tout autant qu’analyse sociologique, le Freshkills de Lucie Taïeb se propose de reconsidérer la perte, d’assumer le risque de la disparition afin de recycler la terre. Le risque est bien là, entre les pages, comme un signe de vie qui n’occulterait pas la mort, entre rêve et cauchemar, passé, présent, et devenir de l’humanité.
Lucie Taieb, la face cachée de Staten Island
par Didier Arnaud
Ecrivaine et chercheuse en littérature, Lucie Taieb a entrepris un travail sur la transformation de la décharge de FreshKills, à New York.
C’est en lisant un livre du romancier américain Don DeLillo, titré Outremonde (Actes Sud), où il est question de la décharge de Freshkills, que Lucie Taieb a eu l’idée de travailler sur les déchets en littérature (1). Freshkills est en effet la plus grande décharge à ciel ouvert du monde, en cours de réhabilitation. Au début, elle accueillait vraiment tout, y compris des déchets industriels, puis à la fin, uniquement des déchets ménagers… Elle a été fermée en 2001, rouverte brièvement pour accueillir les débris du World Trade Center. Elle va devenir un immense parc à ciel ouvert.
Lucie Taïeb s’est penchée sur les récits autour de cette décharge et sa «transformation miraculeuse». Car on peut métamorphoser une décharge en parc et retrouver quelque chose de la nature d’origine, autour d’un écosystème fragile qui a été complètement détruit. «A son pic de production, on comptabilisait 29 000 tonnes de déchets par jour, sur un terrain de 890 hectares. Les déchets restent, c’est au-dessus de cette quasi-montagne que va être bâti le parc. Le site a connu une certaine toxicité, il y a eu des procès autour de cette question. Dans l’ingénierie mise en place, il va y avoir un système de recueil du méthane pour chauffer les foyers alentour», explique Lucie Taïeb.
Zone sacrifiée
L’autrice dit «essayer de comprendre comment se construit ce récit de transformation, de quelle façon prendre au sérieux l’histoire de cette réparation, pourquoi elle s’inscrit dans cette thématique en vogue de réparer la terre et le monde». Et de préciser son propos : «Il y a eu des décennies de nuisances, et ces déchets produits à New York ne disparaissent pas pour autant, ils vont aller en Caroline du Sud.» Transparente, elle explique aussi «qu’il y a des associations environnementales qui essaient de faire reconnaître que le lieu est toxique, et trouvent en face d’elles la direction du parc qui plaide le contraire».
Elle s’est rendue sur place, a visité les lieux, essayé de décortiquer la communication qui était faite autour de la décharge. «La nature est là, poursuit-elle. Les oiseaux sont revenus, il y a une forme de retour assez troublant à l’espace naturel.» Et au-delà de ce constat, cette question essentielle : «Qu’est-ce que c’est que la nature ?»
Elle dit ne pas regarder «seulement la réhabilitation de cette décharge mais aussi les usages des citoyens», celle d’une «ville propre occidentale», «la manière dont on peut se débarrasser de nos déchets sans se soucier de l’endroit où ils vont atterrir, même s’il y a un discours qui porte sur le recyclage, qui est une industrie. J’essaie d’interroger cela. Ce que cela coûte à d’autres, l’envers de la société de consommation, la destruction des environnements et le rôle de la justice environnementale a N.Y.». Staten Island fait en effet partie de ces zones sacrifiées, les plus toxiques et polluées, où les gens vivent dans la misère et le chômage, et où l’on compte un pourcentage important d’immigrés, face à l’opulent Manhattan…
«Que peut faire la littérature face à la destruction ?»
Parallèlement, se pose la question de savoir quel rôle donner au consommateur. «Il y a une forme de responsabilisation et de culpabilisation, souligne l’écrivaine. Car ce qui réglerait le problème, serait un changement des modes de production et de consommation, au sein duquel la décroissance ne serait qu’une étape.»
Lucie Taïeb insiste. Elle n’est pas sociologue, a juste rencontré la personne qui faisait cette visite, elle-même fille d’un éboueur qui avait une vision optimiste. Des entretiens ont été réalisés par des anthropologues avec des personnes en lien avec cette histoire. On y croise notamment cette femme, qui a connu les lieux avant que ce ne soit une décharge. «Pour elle, et quoiqu’on fasse, ce sera toujours la décharge.» L’écrivaine a tenté de construire un récit, nourri de recherches, «qui essaie de comprendre nos rapports aux déchets, qui traduise ce rapport complexe à leur transformation». Au final, il s’agit de répondre à cette question : «Que peut faire la littérature face à la destruction en cours, accompagnée d’un mépris des humains, et particulièrement des catégories sociales les plus défavorisées ? Ce sont des champs qu’on peut tout à fait explorer pour donner une vision, penser avec le sensible et l’imaginaire.»
Lire au lit
C’est en lisant « Outremonde» de Don DeLillo que Lucie Taïeb, maître de conférences en études germaniques à Rennes, découvre Fresh Kills et s’intéresse à la représentation et la place des déchets dans nos sociétés contemporaines.
Fresh Kills, sur l’île de Staten Island à New York, a hébergé la plus grande décharge à ciel ouvert du monde de 1948 à 2001, visible depuis l’espace comme la muraille de Chine : 29 000 tonnes de déchets par jour pendant 50 ans. Une réouverture au moment des attentats du World Trade Center : où mettre les tonnes de gravats et de poussière «auxquelles se mêlent les restes des victimes» sinon, là-bas ?
Sur place, l’odeur est insupportable : entre le supermarché et la voiture, les gens courent un mouchoir sur le nez. Le taux d’hydrogène sulfuré dans l’air (vous savez, l’odeur d’oeuf pourri) est tel qu’il pourrait entraîner des maladies ou la mort. Bref, la situation est cauchemardesque et le site ferme donc. Quid des déchets ? Ils déménagent, en Caroline du Sud.
Les anciennes déchetteries transformées en parcs sont nombreuses : Central Park, les Buttes-Chaumont et le Parc Montsouris pour Paris, la Colline aux oiseaux pour la ville de Caen et tant d’autres…
Autant de cadavres dans le placard…
Et pourtant comme l’écrit DeLillo : «Rien n’est plus invisible que ce qui s’offre au regard de tous.» Parce que, oui, bien sûr, ces amoncellements d’ordures ont été joliment recouverts et transformés en parcs où tout est très bien pensé, bien réinvesti, un modèle en matière écologique…
À défaut d’aller voir ce qu’ils ont fait de Fresh Kills (devenu Freshkills Park -ah, le rôle essentiel de la com’ !), je suis allée arpenter la Colline aux oiseaux près de chez moi (ce charmant nom très poétique vient du fait que les ordures attiraient les mouettes très voraces…) Au printemps, c’est joli, très fleuri, les gens se promènent, pique-niquent, les enfants jouent. On entend des rires. Tout est propre, bien aménagé… On sent la volonté de se rattraper d’une certaine façon : partout des poubelles à tri, des panneaux qui montrent ce qu’était ce lieu avant, une coupe de terrain où l’on voit ce qui se cache sous les plates-bandes fleuries, une « maison positive » qui est un lieu d’accueil pédagogique. J’ai senti une certaine honnêteté dans tout ça, ici les choses sont dites. Mais comment va-t-on transformer Fresh Kills, à quoi va ressembler le plus grand parc new-yorkais à son ouverture en 2036 ? Oublie-t-on le passé ? Comment vit-on en sachant ce qu’il y a eu avant, ce qu’il y a au-dessous, caché, soustrait à la vue, invibilisé ? Est-il possible de faire comme si on ne savait pas ? Présence en profondeur, absence en surface. Ne vit-on qu’en surface ? Comment ça se passe dans nos têtes quand on fait en sorte de ne vivre qu’en surface ?
Quand je pose la question à mes enfants qui ne connaissent Caen que depuis qu’ils sont étudiants, ils ne voient pas le problème. Ils aiment aller marcher, se promener, courir sur la Colline aux oiseaux. Ils disent que je cherche la petite bête, que c’est une belle réhabilitation et que c’est bien là l’essentiel, non ? J’aimerais avoir leur légèreté, leur insouciance, cette capacité qu’ils ont à ne rien voir et qui frôle parfois l’inconscience. Je les fais suer quand je leur exprime mon inquiétude, quand je leur dis que je n’ai pas pu aimer La Colline aux oiseaux, que, malgré les belles plantations et l’abondance de la végétation, je n’y ai vu qu’artifice et camouflage, leurre et illusion. Non, je n’ai pas pu aimer La Colline aux oiseaux et le pire dans tout ça, c’est que cette impression, ce malaise qui s’est emparé de moi tandis que j’arpentais ce parc, eh bien, tout cela s’est comme déversé sur la ville tout entière où je suis allée faire quelques courses ensuite. Pourtant j’aime Caen, mais ce jour-là, je n’ai eu qu’une hâte : repartir dans ma campagne, pour qu’elle me console du faux, de l’illusion, du mensonge. J’avais l’impression, comme le dit l’autrice, de vivre « dans un semblant de monde, dans des villes souillées de sang, de cendres, des villes qui puent la mort sous leurs pelouses artificielles, leurs espaces végétalisés, qui puent la destruction et la souffrance, le double langage et l’aveuglement.»
Je ne vous cache pas que ce livre m’a beaucoup touchée et qu’il n’a fait que renforcer l’impression que j’ai que l’on va dans le mur : tout le monde veut profiter (et quand le déconfinement va avoir lieu, je crains le déchaînement des passions qui va forcément se traduire par une consommation excessive.) Les gens vont vouloir oublier et je les comprends. Or, notre planète ne peut plus, au moment même où chacun veut consommer plus de viande, acheter plus de vêtements, voir plus de pays. Il faut être sage pour résister à tout cela. Et nous ne le sommes pas (et peut-être même le sommes-nous de moins en moins…) Et puis, notre économie va avoir besoin d’un vrai coup de fouet, il faut que l’indice de confiance reparte à la hausse, que les gens travaillent et donc que l’on consomme. Cercle infernal. Comment en sortir ? Est-ce possible sans revoir en profondeur nos modes de vie ? Qui est prêt à le faire ?
Bon, mes inquiétudes et mes interrogations m’ont un peu éloignée de ce retour de lecture, mais pas tant que ça finalement. Il faut lire ce texte de Lucie Taïeb parce qu’il est porteur d’un message essentiel mais aussi parce qu’il est littérairement beau, puissant, envoûtant. On vit avec, on le porte en soi et pour longtemps, je pense…
Je n’aime pas dire « incontournable » mais là je le dis quand même.
France Culture
Croissance verte, un dangereux oxymore
Au prétexte de combattre le réchauffement climatique, le capitalisme financier n’a de cesse de se réinventer en exploitant de manière toujours plus sophistiquée ce qu’il s’obstine à penser comme extérieur à l’espèce humaine : la nature, avec l’économiste Hélène Tordjman et l’écrivaine Lucie Taïeb.
Désormais passée dans le langage courant, l’expression « green washing » a attiré notre attention sur ces stratégies de communication de plus en plus nombreuses utilisées par les marques pour apparaître plus vertes que vertes. Elle pourrait toutefois nous faire passer à côté de l’essentiel car ce à quoi nous assistons dans l’économie mondiale depuis une trentaine d’année ne relève en rien d’un simple ripolinage marketing mais d’une transformation profonde, d’une extension infinie du domaine du capitalisme. C’est désormais au nom de la nature, et pour la préserver, et donc la sauver que ce système économique mutant s’en empare pour créer des marchandises fictives et l’exploiter sans doute plus cyniquement que jamais dans l’histoire de l’humanité. C’est ce qu’établit l’économiste Hélène Tordjman avec « La Croissance verte contre la nature » (La Découverte), une impressionnante enquête au sein d’univers scientifico-technocratico-financiers particulièrement opaques et soustraits au débat démocratique. Elle est rejointe en seconde partie par l’écrivaine Lucie Taiëb, qui vient de faire paraître « Freshkills » (La Contre-Allée)
Article source et podcast ici
Analyse Opinion Critique
Que faire de nos tas d’ordures ? Les déchets et leur recyclage sont prompts à emporter nos imaginaires dans les tréfonds de l’immondice : la puissance évocatrice de le boue transformée en or, le pur et l’impur, le propre et le sale. Une façon pour Lucie Taïeb de continuer d’interroger dans Freshkills. Recycler la terre le rejet (des hommes comme des choses) et les manières dont les sociétés se débarrassent de ceux ou de ce qu’elles ne veulent plus voir.
Les éditions La Contre Allée rééditent un court livre de Lucie Taïeb d’abord paru en 2019 au Québec, au titre énigmatique : Freshkills. Recycler la terre. La couverture ne dit pas s’il s’agit d’un roman, d’un récit ou d’un essai, mais pour indiquer ce dont il s’agit, les premiers mots du livre situent le début de « cette histoire » à Berlin, où la narratrice travaille au sein d’une commission qui recherche, dans les archives, les dossiers de demande d’indemnisation de descendants de victimes juives de spoliation pendant la deuxième guerre mondiale.
On comprend vite que l’étudiante attelée à cette tâche est Lucie Taïeb elle-même et que « cette histoire » commence comme un fragment autobiographique. Pourtant, les pages qui suivent obliquent d’une curieuse manière : l’autobiographie se poursuit, mais sous couvert d’enquête, reportage ou, selon l’expression qui s’impose aujourd’hui, littérature de terrain. Berlin s’efface, la jeune femme part à New York.
Elle va voir le lieu le moins visité, le moins touristique de la ville, et d’ailleurs, quand elle arrive, il est fermé au public. C’est la décharge de Fresh Kills, sur Staten Island, qui a été la plus grande décharge du monde. Elle en a découvert l’existence dans un roman et depuis, dit-elle, la décharge l’obsède. Elle doit la voir, elle doit écrire dessus. Le livre raconte cette enquête et, en filigrane, ce qui la rattache à l’épisode berlinois initial. En reliant les deux, il raconte aussi comment l’étudiante est devenue écrivain.
C’est dans un roman qu’elle a découvert Fresh Kills : dans Outremonde, Don DeLillo la décrit comme une décharge « impressionnante et démoralisante » qui empuantit l’air à « des kilomètres à la ronde ». Or ce qui lui apparaît à cette lecture, comme une épiphanie, c’est « un continent immense, tentaculaire et jusque-là invisible ». Les déchets ne la lâchent plus, elle dévore les livres qui en traitent et n’a plus qu’un désir : voir Fresh Kills de ses propres yeux.
Mais il est trop tard : la décharge a été fermée en 2001. Ouverte depuis 1948, malgré l’opposition des riverains à qui on avait promis que c’était pour trois ans seulement, elle recevait à la fin 29 000 tonnes d’ordures par jour et s’étendait sur près de 900 hectares. Les tas d’immondices dépassaient la hauteur de la statue de la Liberté et la légende affirmait qu’elle était visible depuis l’espace. Nuisance majeure, elle devient un problème politique de premier plan à la fin des années 1980, quand les autres décharges de New York ferment et qu’elle reste seule à recevoir les ordures de la ville. Les habitants de Staten Island, qui en souffrent, et les promoteurs immobiliers, qui voient le mètre carré se déprécier, s’allient. En 1996, la ville promet la fermeture, qui est réalisée cinq ans plus tard.
Nom euphémisé, paysage réhabilité : il n’y a plus rien à voir.
Or, que faire des tas d’ordures ? La ville promet un parc. Des pelouses, des arbres, des cours d’eau : ce sera le Central Park du XXIe siècle, trois fois plus grand que l’original. On pourra y emmener les enfants, déjeuner sur l’herbe, faire des balades en canoé. Quand Lucie Taïeb se rend enfin à New York, les travaux ont commencé : une partie de la décharge est déjà transformée. L’ouverture au public n’est pas encore pour demain, mais on ne sent plus rien, il y a déjà des pelouses, des arbres. Des oiseaux se sont installés.
Elle visite un lieu normalisé, propre, contrôlé. Le nom même a été changé : ce n’est plus Fresh Kills (en deux mots, du vieil hollandais kill : source), mais Freshkills (en un mot, ce qui déplace l’accent tonique sur la première syllabe et oblitère la connotation de massacre qu’un anglophone y entend nécessairement). Nom euphémisé, paysage réhabilité : il n’y a plus rien à voir.
À la fin de sa visite, la jeune Française est déçue. Qu’a-t-elle ressenti ? Rien. Le seul mot qui lui vienne à l’esprit est « anesthésie ». Elle n’a rien à dire, rien à écrire. Tout a été camouflé. Les ordures sont recouvertes de revêtements isolants et de plusieurs mètres de terre. Les gaz de fermentation sont captés et revendus. Le silence n’est rompu que par les chants des oiseaux et les questions des enfants qui viennent avec leur maîtresse apprendre les vertus du compostage. L’envers de la ville que décrivait DeLillo a disparu. À la place, il y a un projet de « réhabilitation » qui s’est donné un slogan : Recycle the land. Mais, se demande-t-elle, si on peut recycler des canettes de bière, que devient la terre quand on la recycle ? Elle-même ?
La visiteuse quitte Staten Island sans réponse, laissée sans voix, sans imagination, par la prouesse technologique des entrepreneurs et par l’efficacité de leur communication : Freshkills Park est une « chance », il est « porteur d’espoir et de beauté », la ville en tirera du bon et « ce qui s’accomplit ici pourra servir d’exemple ». Il lui faudra des années, écrit-elle, pour sortir de cette apathie et comprendre ce qu’elle avait vu. DeLillo, la décharge sous les yeux, en faisait une métaphore. Elle avait eu un mensonge sous les pieds et devait le démasquer. « Freshkills n’est pas une métaphore. C’est un épicentre. La grande négativité, le grand vide qui nous submerge, la vacuité, la vanité sans fin de nos existences protégées viennent de Freshkills et se propagent, comme une onde invisible, à l’infini, sur le territoire lisse et policé de la ville normalisée. »
L’épreuve du coronavirus peut-elle changer durablement notre sentiment du pur et de l’impur ?
Le temps de comprendre, c’est le temps de devenir écrivain. Celui de pouvoir écrire sa fascination pour les déchets. Parce que les déchets nous révèlent à nous-mêmes. On en produit toujours et on les repousse toujours plus loin : ceux de New York, depuis 2001, partent en Caroline du Sud. On ne veut pas les voir parce qu’ils portent en eux le savoir que rien ne dure. Ils contreviennent au monde, dont ils menacent l’ordre, les partages, la normalité. Et plus encore, ils ont la séduction des fantômes. Les ordures sont les spectres des marchandises. « Lorsque la marchandise a cessé d’être marchandise, lorsqu’elle a perdu toute valeur, que reste-t-il d’elle ? […] Son éclat, sa nouveauté et le désir qu’elle a su faire naître en nous abîmés subsistent […]. Là où tout s’achève rôdent encore les fantômes de la convoitise et de la jouissance, ceux d’une consommation insouciante et effrénée, et s’exhibe la vanité de ce qui eut de la valeur et s’en trouve désormais dépourvu ». Regarder le monde, écrire sa vérité, ce n’est pas recycler la terre, c’est faire les poubelles.
Des premières recherches de Lucie Taïeb, il reste la volonté d’interroger le rejet (des hommes comme des choses) : comment font les sociétés pour se débarrasser de ceux ou de ce qu’elles ne veulent plus voir ? Quelles pratiques garantissent l’ignorance de ce que deviennent les exclus et les rebuts ? Quels mots permettent de les oublier ? Comment échapper à la langue qui étaie cet ordre et rend les consciences tranquilles ?
Depuis la parution du livre au Québec, quelque chose a changé. Dans une postface écrite pour l’édition française pendant le confinement de mars-avril 2020, Lucie Taïeb remarque que les Parisiens « déposent, sur leurs bacs à poubelles, des petits mots de remerciements » pour les éboueurs. L’épreuve du coronavirus peut-elle changer durablement notre sentiment du pur et de l’impur ? Dans Où suis-je ?, écrit aussi en 2020, Bruno Latour revisite La Métamorphose et compare les humains confinés à Grégor Samsa quand celui-ci, transformé en insecte géant, enfermé dans sa chambre, exclu de la société des humains, se complaît à se rouler dans les immondices et à manger des fruits pourris. Pour Latour, la nouvelle de Kafka évoque le « devenir termite » des Terriens qui, grâce au confinement, se découvrent Terrestres, jamais séparés du monde, jamais à l’abri, mais vivant toujours au milieu de leurs déchets – et de toutes les puissances d’agir qui les peuplent.
Le coronavirus peut nous aider à apprendre que, contrairement à ce que prétendent le marketing et la technologie, on ne recycle pas la terre. Il nous reste à nous métamorphoser comme Grégor, à traquer les décharges comme Lucie Taïeb ou peut-être à poser le livre fini sur une poubelle pour qu’un autre glaneur vienne y fourrer son nez.
Lucie Taïeb, Freshkills. Recycler la terre, éditions de la Contre-Allée, octobre 2020, 160 p.
Jean-Paul Engélibert
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La Voix du Nord
« Dans quel monde vivons-nous, lorsque les déchets sont absents de notre champ de vision, et pourtant omniprésents ? » Lucie Taïeb, écrivaine, traductrice, maîtresse de conférences en études germaniques, l’avouait récemment lors de l’émission La Grande Librairie : elle pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponses dans ce livre publié en France (il l’a d’abord été au Canada) par la maison d’édition lilloise La Contre Allée.
Sa quête s’ouvre à Berlin dans un questionnement sur le mémorial de la Shoah, la conduit à New York, en passant par le roman Outremonde de Don DeLillo. À Staten Island, Lucie Taïeb évoque un lieu bucolique devenu une décharge (Fresh Kills, c’est 29 000 tonnes de déchets par jour pendant 50 ans, les débris du World Trate Center en 2001, dont des restes humains), enfin un parc en devenir, rebaptisé Freshkills (sans espace).
Avec la rigueur de la chercheuse et la licence de la poète, Lucie Taïeb s’interroge sur la présence, l’absence, ce que cachent nos villes trop propres. Les ordures ne disparaissent jamais vraiment, ni la mémoire des lieux et des vies.
Lettres québécoises
Poétique du dépotoir
Freshkills est une reflexion fascinante sur le rapport qu’entretiennent les sociétés modernes aux déchets Ce petit livre qui a jusqu’à maintenant reçu tres peu d’attention médiatique, mériterait beaucoup plus de considération.
D’abord ouvert de manière temporaire en 1947 pour pallier le surplus d’ordures de la ville de New York, le depotoit de Fresh Klls, situé sur Staten Island, est rapidement devenu le plus grand site d’enfouissement du monde, De voila qu’aprés des décennies empilage des rejets de la civilisation, Tancien terrain maudit se prête à une experience de revalonsation hors du commun
Lucie Taleb, dans son court essai paru aux édition Varia au printemps 2019, revient sur les enjeux symboliques entourant ce projet. Il faut dire que la tâche est titanesque. Comment tendre à la nature un endroit tout seul naturel ?
Le paradis perdu
Le nom à la consonance funeste de Fresh Kills nous vient du moyen néerlandais, explique Taleb. Rien à voir pourtant avec le meurtre Reliquat d’une époque o la région de New York etait sous la tutelle des Provinces Unies dans ce qui était alors la Nouvelle Hollande, le nom « Kilis » désignait une source d’eau ou un canal. Près de Fresh Kills, la source tranche, nous rappelle Taleb, se trouve daiteurs aussi Arthur Kills, la source d’Arthur.
Rien pourtant ne laissait présager le devenit ténébreux de la décharge. Hesh Gilles et un leu sauvage, un milieu humide ou s’entrecrolsalent marnis salarts et marais d’eau douce en muurait permis de croie, a repoque, que ce refuge faunique infeste de moustiques ou résidaient reptiles, mammifères, Insectes, poissons et ciseaux se transformerait en un Mordor d’immondices oû régnaient rats et goélands.
C’est pourtant ce qui est arrive et, après cinquante ans d’empilage, la dernière décharge de New York lermerait enfin nes porten Pour un courte durée En effet, les adieux du printemps 2001 furent brefs. Quelques mois plus tard, les autorites ouniralent a nouveau le site pour y deposer les ruines du World Trade Center et trier patiemment, morceau par morceau dans cet amont de gravats, ce qui tenait du déchet et des restes humains.
Refresh Kills
Aprés ce bref passage a histoire, la revitalisation du ste allai prendre forme. Il fallalt d’abord enfout les montagnes de déchets sous une couche de sol, puis de gravier, y poser une bache geotextile pour eviter la percolation du livat (nom terrible de ce qu’on appete communément le jus de poubelle ). puis ajouter encore de la terre pour planter de la vegetation, ramener des especes indigenes pour endiguer la croissance des phragmites autres plantes envahissantes. et méthane qui sera récupére pour alimenter – 0 joie – les loyers de Staten Island Taleb nous accompagne, grâce à une visite guidée, a travers ces formidables travaux qui devraient se terminer au cours des années 2030.
Les publicitaires tenteront tunt bien que mal de faire avaler aux résidents de Staten Island – en y ajoutant le préfixe Re-, Refresh Kills, pour rafraichir, puis en collant les mals Fresh et Cils pour faire moins meurtrier et en y adjoignant le signifiant parc pour la sonorité, Freshkills park – ce nouveau havre de paix pour les badauds et les promeneurs du dimanche. Il faut dire que le lieu a été pour les résidents une malediction, source d’odeurs nauséabondes et de mépris. Comment leur faire digérer lidte de pique-niquer un jour sur ce qu’ils savent être, d’expérience intime, une montagne de pourriture ?
Un grand livre
Il serait facile ici de tomber dans la lecture emerveillée du passage de la décadence au renouveau, mais la force de lucie Taleb est Gêtre une observatrice à la fois brillante et sceptique, qui ne se laisse pas facilement avoir par les stratégies de communication. Ontique à la fois de la consommation effrenée, de notre rapport tordu aux déchets et de la catastrophe écologique qu’est la Civilisation, Freshtis est un essai habile, intelligent et d’une force assez rare, qui s’inscrit dans la lignée des chefs-d’Auve de la nouvelle histoire culturelle des lieux desaltectés.
Qui s’agisse du Tchernobyl de la Prix Nobel Svetlana Aleksievitch au du Berlin-Est de Nicolas Offenstadt, la plume de tulet, une porte dont le travail est trop peu connu de ce cote de l’Atlantique, a nen a envier aux tenors de la nouvelle histoire de terrain Les dindons qui remettent habituellement les prix n’y veront hen evidemment, mais quiconque s’interesse a l’histoire du contemporain et a la poétique des lieu devrait jeter un coup wil du coté de Thieb Ce petit essai aura peut etre eu un accueil timide, mais metais mieux Reste a esperer qu’il saura trouver ses lecteurs.
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Et Tuttiquanti
La Grande Librairie
L’intervention de Lucie Taïeb est à revoir en ligne
Un énorme merci à l’équipe de La Grande Librairie, aux invités, et à toutes celles et ceux qui nous accordent leur confiance.
Blog L’Espadon
L’invisible, l’autre nom des déchets, des déclassés. Ou plutôt l’autre nom de ce(ux) que l’on refuse de voir et la reconversion des paysages comme métaphores de lendemains qui chantent (ou pas). Les discours technocrates qui aveuglent et font oublier, qui neutralisent le changement dans un langage cosmétique et propret, « la parole neutre et désincarnée de la bureaucratie urbaine (qui) renomme et classifie, efface l’aura trouble et l’image négative de la décharge en un geste langagier qui signe la disparition de ce tas immense, monstrueux, où pullulent les organismes vivants de toutes sortes et tous types ». Nous serions déjà morts écrit Lucie Taïeb, privés « de toute énergie vitale », à l’image de cette langue professionnelle de la résignation et de l’aveuglement qui trouve dans les injonctions culpabilisantes le moteur de son discours sous-tendu par la logique de rentabilité. Car recycler doit profiter à tous, d’une manière ou d’une autre. Au cadre de vie et au porte-monnaie. Freshkills, une farce ou une chance ?
Comment recycler la Terre, se débarrasser des déchets ? Par la reconversion d’une immense décharge à ciel ouvert située à Staten Island, Freshkills, l’une des plus grandes au monde pendant la seconde moitié du 20e siècle. C’est le lieu où furent stockés les débris du 11 septembre, une montagne de résidus transformée en parc verdoyant, vanté auprès des usagers par des images de synthèse et des sourires hollywoodiens qui ne trompent pas l’autrice. Au fond les déchets nous parlent de la mort, de ce qui se transforme et meurt, de la pollution incertaine et invisible elle aussi, des individus rejetés aux marges de la ville. Cet essai éco-poétique d’un grand intérêt trace la frontière entre l’offre cosmétique de nos vies paysagères plus vraies que nature et les modalités du rejet et de l’exclusion, autant physiques que symboliques. Pour le dire autrement, on a tous été marqués par ces clochards en train de fouiller dans les poubelles ou trimballant des sacs noirs bourrés d’objets en tous genres. Image choquante et donc symboliquement parfaite pour dire la schizophrénie de nos vies perdues quelque part entre le centre aseptisé et la périphérie dévastée.
Cette colère, pourtant, n’est pas seulement épidermique. Elle naît d’une conviction : c’est parce que nous sommes inoffensifs que nous sommes dangereux.
Lucie Taïeb tente de dessiner une conscience de la perte pour imaginer un autre rapport au monde, par le langage, des intermèdes poétiques et des réflexions toujours fines, jamais dans le jugement ou l’opinion partisane. Raisons pour lesquelles je lis peu ces essais ou récit-docu sur l’écologie. Ils me déçoivent très souvent. Avec Lucie Taïeb, on en est loin car l’écrivaine a un autre combat, celui des mots et de leur capacité à saisir tous les possibles en train de se jouer ou à venir. Le langage lui-même doit lui se (?)/ être recyclé pour avoir quelque chose à dire de neuf. Car écrire c’est bien sûr réfléchir, faire miroiter le réel et nos spéculations quitte à nous planter. Evoquer la question des déchets, c’est s’interroger sur nos modes de consommation, proposer une autre façon de voir mais laquelle ? D’une façon ou d’une autre, traiter de l’écologie c’est l’affronter sur le mode de l’impasse, « assumer la disparition » mais ensuite ? Le langage crée des séparations, dessine des frontières et conditionne nos manières de voir le monde. Identifier et nommer les marges, les réceptacles de vitalité, c’est pour Lucie Taïeb, me semble-t-il, le moyen d’une façon ou d’une autre de dégager des marges de manoeuvre pour la pensée, une autre pensée pas dupe de ses contradictions, impensés et limites (et si l’optimisme béat américain devait triompher de notre pessimisme idéaliste occidental ?). L’écologie est une question d’économie, de justice socio-spatiale et philosophique en parlant de notre rapport à la disparition et à la mort, aux ressorts de l’invisibilisation des paysages et des individus. Les politiques urbaines du renouveau sont peut-être avant tout des opérations d’effacement des lieux et de la mémoire.
Il y aurait les centres-villes, propres, rutilants même. Et il y aurait, aux marges, les décharges. Hétérotopies, à l’instar du cimetière, lieux d’une vacance, destinés à rien sinon à la relégation de ce qu’on ne veut pas voir ni prendre en considération.
Un essai sur les traces et notre « proximité au rebut », modelées par des formes d’ignorance et d’aveuglement. Quelle présence matérielle et mémorielle allons-nous léguer quand on décide de créer un parc à promeneurs sur une ancienne décharge ? D’une certaine façon, il faudrait se réapproprier le vide, la sueur et la saleté dans nos villes propres et lisses, qu’elles nous rappellent leurs odeurs pour nous ramener à la vie. Un moyen de nous la rappeler, ce serait la littérature et les voix qu’elle insinue dans nos esprits, le seul espace où il est peut-être encore possible de réinventer et fantasmer quelque chose avec du relief, loin des discours pragmatiques et technicistes qui prônent l’efficacité, la sécurité et le risque zéro.
Avec ce livre extrêmement intéressant qui croise les approches, Lucie Taïeb parvient à nous réconcilier avec l’écologie par la littérature et les mots en faisant entendre sa voix d’autrice attentive au changement, nous tendant le miroir de l’obsolescence pour voir la réalité de nos vies : « rien ne dure ». Mais nous sommes encore vivants… Alors visitons les marges et les zones troubles et prétendons à la vérité.
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Blog Un dernier livre avant la fin du monde
Au XVII ème siècle les colons débarquent en Amérique et avec eux commence le massacre des autochtones. Le territoire des indiens Lenapes est subitement accaparé par les hollandais, et une partie de son estuaire est renommée Freshkills par leurs soins. Si en néerlandais, « kills » signifie « courts d’eau », en anglais il prend le sens de « tuerie ». C’est également ici que va se construire New York.
Pendant quelques siècles, les nouveaux habitants du quartier de Staten Island vivent dans d’humbles cabanes au milieu des courts d’eau et des marais. La faune et la flore y sont luxuriantes et la vie y suit tranquillement son court, alors que la métropole avoisinante devient de plus en plus gigantesque et étendue.
Puis arrivent les ordures : en 1948 ce bout de terre devient alors la décharge de la Grosse Pomme et va accueillir 29 000 tonnes de déchets quotidiens pendant 53 ans.
De véritables montagnes prennent formes, les divers animaux et plantes laissent place aux mouettes gueulardes et aux mauvaises herbes tenaces. Quant aux quartiers résidentiels situés aux abords du site, ils sont continuellement balayés par les relents et la puanteur. En 2001, les débris des Twins Towers mêlés à ceux des victimes viennent ajouter une nouvelle montagne à ce paysage de rebuts. Encore et encore, on retrouve la triste ironie de son nom de baptême néerlandais : les tueries s’enchaînent mais ne se ressemblent pas.
C’est à travers le roman Outremonde de Don DeLillo, que Lucie Taïeb prend connaissance d’une décharge à ciel ouvert, grande de 890 hectares et visible, d’après ce qu’on dit, depuis la lune. Mégastructure des moins glorieuse créée par l’Homme, elle réveille en l’autrice de nouvelles interrogations autour de ces ordures mal-aimées.
Elle se rend sur le site, découvre qu’en lieu et place de tas d’immondices il y a maintenant des petits ruisseaux et de jolis valons. Car un gigantesque travail de réhabilitation a été mené là-bas depuis sa fermeture, dans le but de redonner à ce lieu dévasté et pollué des allures de parc naturel. Ici, on est parvenu à « recycler la terre », et ce non-sens devient une accroche marketing qui tentent d’effacer un passé puant et pollué.
Les ordures sont recouvertes, bâchées et de l’herbe tendre est plantée dessus. Bientôt, des oiseaux reviennent y nidifier.
Les habitants de Staten Island, ceux qui ont été pendant des années contraints à vivre au milieu d’effluves pestilentielles, vont bientôt avec l’honneur de pouvoir gambader et pique-niquer dans un coin de nature. Le déni accordé aussi bien aux rebuts humains comme matériel se matérialise en un enfouissement total.
“Comment ignorer qu’à force de ne pas voir, littéralement, que nous avons fait et faisons allégeance à l’ordre qui nous alimente et nous donne une place, nous oublions le prix à payer lorsque l’on vit la conscience divisée ? Il y a l’île, de l’autre côté, la zone sacrifiée, celle qui accueille, celle qui traite, celle qui crève sous les émissions toxiques, celle où le cancer s’attrape comme une grippe. Et ici il y a nous, nos gestes qui sauvent, notre amabilité, nos loisirs intelligents et, bien souvent, notre inquiétude. Il y a nous, et c’est nous qui sommes séparés. Il y a nous, et nous vivons, nous aussi, dans une enclave : dans un semblant de monde, dans des villes souillé de sang, de cendres, des villes qui puent la mort sous leurs pelouses artificielles, leurs espaces végétalisés, qui puent la destruction et le silence, le double langage et l’aveuglement.”
Dans Freshkills Lucie Taïeb interroge sur la place des ordures, celles que l’on jette tous les jours et qui disparaissent de nos vies comme par magie. Ces objets accumulés, achetés avec frénésie pour au final être balancés et échouer dans des endroits sombres, dont on ne veut rien savoir. On trie pour se soulager la conscience, car on sait bien que la pollution ronge et gangrène la planète et que les décharges débordent. En mettant en lumière le fait que toutes les grandes villes sont bâties sur des immondices, en évoquant l’apparition de nouveaux continents de plastique, elle rappelle que les déchets ne disparaissent pas, ils sont juste déplacés. Exemples plutôt évocateurs : après la fermeture de Freshkills, les poubelles de New York sont compactées et envoyées en Caroline du Sud. Nos déchets européens se retrouvent en Asie, où des pays entiers deviennent nos dépotoirs.
Ancré dans notre actualité, Freshkills est récit-documentaire évoque également comment nous rendons subitement compte de l’importance (et de l’existence) des éboueurs lors des grèves ou encore du premier confinement de 2020.
Avec l’histoire de la décharge new yorkaise, l’autrice retrace avec une certaine poésie notre relation avec nos déchets et les aberrations qui en découlent. Ces rebus honteux dont on ne sait que faire mais dont on ne parvient pas à stopper la prolifération
“Quelques-uns, qui ne respectent rien, quelques-uns, des malpropre, viennent à la nuit tombée (ils vont se faire chopper), franchissent les clôtures, disparaissent dans les herbes folles, et peu à peu – c’est une lutte occulte – inversent la tendance, affaiblissent l’onde négative, s’arrachent à l’apathie, sauvent le lieu de son enfer aseptisé. Ils se souviennent. Quelques-uns, à la nuit venue, quelques cris et quelques joie violentes ou calme : s’allonger sur cette terre sans un bruit. S’allonger avec lenteur et rester là, le ciel étoilé au-dessus, un infini d’ordures en dessous. Comme encore elles bruissent et grouillent, comme encore le sol imperceptiblement remue, comme encore cela vit, dans la montagne monstrueuse.”
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Le Temps
De 1948 à 2001, l’île de Staten Island à New York a hébergé Freshkills, une gigantesque décharge à ciel ouvert qui empoisonnait la vie des habitants. Le site est en cours de réhabilitation pour être transformé en parc. Que reste-t-il des ordures sous les vertes pelouses, se demande Lucie Taïeb. Son récit sert de cadre à une réflexion sur notre rapport aux déchets, absents mais omniprésents. Un travail passionnant et très actuel, nourri par l’histoire, la géographie, l’anthropologie et l’urbanisme. (I. R.)
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Charybde 27
De Berlin à Staten Island, une traque poétique et politique des modalités de l’enfouissement physique et mémoriel de nos horreurs et de nos déchets.
C’est à Berlin que cette histoire commence, comme peut-être commencent désormais à Berlin toutes les histoires de ruine, de hantise et d’oubli. Nous sommes au tout début du XXIe siècle et je travaille, presque par hasard, au sein d’une commission qui recherche, dans les archives berlinoises, les dossiers de demandes d’indemnisation des descendants ou des proches parents de victimes juives de spoliation durant la Seconde Guerre mondiale. Je lis les dossiers et les descriptions des objets perdus : les souvenirs d’appartements et de commerces, les machines à coudre, l’horloge, le manteau, le nom de mon père, celui de ma grand-mère, ma tante et je l’aimais, il ne me reste plus rien d’eux. Je lis les calculs établis par l’administration allemande, les réponses ; le langage des uns n’est pas celui des autres, la réponse ne répond jamais à la demande, et dans cet écart grandit mon malaise, celui de nous tous qui travaillons ici, équipe d’étudiants franco-allemands réunis par une jeune sociologue aux vues éclairées. Lorsque je ne suis pas au « bureau », j’erre beaucoup dans cette grande ville qui s’y prête terriblement.
Aux abords de la Postdamer Platz, je vois pour la première fois, sans savoir de quoi il s’agit, ce chantier qui m’intrigue, de la terre et des stèles ; il ne s’agit pas d’un cimetière, mais ce sont bien des stèles, sur un périmètre assez vaste, encore interdit au public. Quelle impression étrange que ce cimetière sans morts, ces plaques sans noms, ce neuf, à partir de quoi ? J’apprends incidemment qu’un mémorial se prépare. Et l’idée me semble plus incongrue encore, à deux pas de cette place en chantier elle aussi, et qui ressemble, pour ce que j’en vois d’achevé, à une maquette grandeur nature, à une incarnation neutre du toc, où résonne, dans toutes ses nuances, l’adjectif « construit ».
Confrontée, jour après jour, au plus concret de la disparition, celle des corps et des objets (un forfait de quelques centaines de Deutsche Marks s’ajoute systématiquement à l’indemnisation, quand celle-ci a lieu ; c’est le montant moyen des « dernières possessions », ce que contenait la valise, ce que portaient les personnes sur elles avant d’être tuées), je doute qu’un mémorial, circonscrit dans un espace aussi passant, aussi peu propice au recueillement, puisse avoir l’effet escompté. Et quel effet, d’ailleurs ?
Lorsque je retourne à Berlin, quelques années plus tard, le mémorial est achevé, et mon scepticisme s’adoucit un peu, pour deux raisons : j’ai vu, sur les stèles, des petits cailloux. C’est le geste que l’on fait dans les cimetières juifs : on pose une petite pierre sur la tombe. Des gens sont venus et ils ont eu ce geste pour ces stèles qui, par là même, parce que reconnues comme telles, perdent leur artificialité, deviennent espace de recueillement.
L’autre raison, c’est que le monument n’a pas de limite fixe. Il se compose de rangées de stèles de hauteur variable ; au fur et à mesure que l’on s’approche du bord, les stèles sont de plus en plus basses, jusqu’à ce qu’elles ne soient plus que rectangles visibles sur le sol, rectangles qui se retrouvent encore, dispersés, aux abords du mémorial. Il n’y a ni entrée ni sortie, et ces marques au sol, qui dépassent des limites qu’on voudrait assigner au lieu, font signe vers l’extérieur, comme si, véritablement, la ville entière (le pays, le continent) portait, invisibles, ces tombes vides. Je pense au mémorial comme à un épicentre, à un espace dynamique où se matérialise un tremblement, une inquiétude de mémoire qui, lorsque l’on s’en éloigne, nous accompagnerait, nous ferait voir, dans toute la ville (le pays, le continent), ces tombes absentes, ce cimetière fantôme. Je finis par me consacrer à cette question qui me travaille. Une thèse, cinq ans.
Au lendemain de la soutenance, je tourne une page. Alors que tout tendait à ce que je me « spécialise », je prolonge, plus ou moins à contre-cœur, cette recherche par des articles connexes, puis plus rien.
Quelques années passent et une nouvelle question prend forme, qui me fascine. Je me retrouve, en apparence, complètement ailleurs. En apparence seulement, car c’est de nouveau un lieu que je veux explorer, c’est de nouveau une présence invisible qui me préoccupe, m’inquiète, me hante. Seulement, ce lieu, c’est une décharge, celle de Fresh Kills, telle qu’elle apparaît terrifiante et majestueuse, dans Outremonde, de Don DeLillo.
La décharge publique, lieu secret pour vilains messieurs par excellence, a pu devenir peu à peu un motif emblématique d’une apocalypse plus ou moins feutrée mais en tout cas résolument en cours. Absolument centrale dans le vertigineux « Outremonde » (1997) de Don DeLillo, qui sert de deuxième déclencheur à ce « Freshkills », décoration de rigueur dans la série des « Mad Max », ou plus subtile, malgré les apparences, dans la mise en scène des « Scavengers » de la série dessinée et télévisée « The Walking Dead », condensée dans l’odeur de trichloréthylène de la casse automobile du « La rouille » (2018) d’Éric Richer, ce n’est pourtant pas elle qui constitue le véritable pivot de ce nouveau travail de Lucie Taïeb, publié aux éditions La Contre-Allée en octobre 2020.
Si je lève les yeux du roman de Don DeLillo, c’est pour les plonger dans d’autres livres, mais aussi pour regarder vers New York, Staten Island. L’immense décharge de Fresh Kills fermée depuis 2001 est en cours de réhabilitation. Elle deviendra, une fois achevé ce chantier de transformation immense, un parc récréatif naturel ouvert aux habitants de Staten Island et à tous les New-Yorkais, le Central Park du XXIe siècle. Sur le site de l’Alliance, association chargée de la promotion du futur parc, on peut déjà voir les images de ce que deviendra le projet une fois achevé : une pure nature, des prairies qu’un vent léger fait ondoyer, des images de synthèse aux bleus et aux verts saturés, sur lesquelles on n’a pas oublié les petites silhouettes en habits légers, joggeurs en plein effort, promeneurs aux sourires éclatants, chiens et enfants. Le slogan de l’Alliance annonce la « bonne nouvelle » : Recycle the Land, Reveal the Future. On savait que grâce au recyclage, une canette de bière peut se transformer en vélo, mais que devient la terre lorsqu’elle est recyclée ? Elle redevient elle-même ? Dans un reportage consacré à la transformation miraculeuse, l’anthropologue chargée de superviser la réhabilitation explique que New York a été bâtie, comme toutes les grandes villes, sur des déchets, qu’il suffit de creuser un peu pour trouver ces reliques, qu’il en va de même pour Central Park. Simplement, aujourd’hui, on considère qu’il s’agit d’archéologie urbaine, rien de plus.
J’apprends aussi qu’à Paris, tout parc présentant quelque relief a été, même brièvement, une décharge : les carrières des Buttes-Chaumont, le parc Montsouris, et même, oh ! même le petit labyrinthe du Jardin des Plantes. La pratique est ancienne, même si elle a de quoi surprendre, et pourtant, je ne puis m’empêcher de considérer le futur parc de Staten Island comme une incarnation du simulacre, le lieu artificiel par excellence, non seulement parce qu’il est constitué des restes de plus de soixante ans de consommation effrénée, mais surtout parce qu’il veut se faire passer pour ce qu’il n’est pas : un parc naturel, comme si la bonne volonté, associée à l’intelligence des ingénieurs et des concepteurs, pouvait effacer des décennies de mépris. Mépris de ce territoire naturel, marche saline, marais impropre à tout usage commercial, mais abritant une faune et une flore variées ; mépris pour les habitants de Staten Island, ceux de l’île, les bouseux, à qui on relègue la décharge, la puanteur, tout ce dont on ne veut pas.
Davantage encore que du côté du profit capitaliste odorant et de la propension mafieuse qui entourent la décharge publique, manifestée par exemple chez le Roberto Saviano de « Gomorra » (2006) ou l’Elisabetta Bucciarelli de « Corps à l’écart » (2011), ou du paradoxal spectaculaire marchand qui éclate à la surface ghanéenne du « Permanent Error » (2011) de Pieter Hugo, c’est bien du côté des modalités de l’enfouissement mémoriel et des subtiles hypocrisies de la réhabilitation que « Freshkills », traque poétique et presque psychogéographique de la transformation à long terme d’une décharge monumentale en parc public new-yorkais, affirme sa spécificité, pour s’offrir en miroir intense du « Yucca Mountain » (2010) de John d’Agata et de sa profonde déchetterie nucléaire à proximité de Las Vegas, et en cousin rusé du « Paris est un leurre » (2012) de Xavier Boissel et de ses traces périphériques guerrières en Île-de-France. Cherchant avec patience et inspiration à mettre le doigt sur ce qui heurte et qui coince derrière les plaquettes polychromes et les étincelles néo-immobilières, Lucie Taïeb mobilise très discrètement et très judicieusement, au fil de ses pérégrinations new-yorkaises, inscrites dans les intervalles d’un récit officiel ou venant s’y frotter, de profondes interrogations disposées précisément en résonance avec ses fictions poétiques de « Safe » et des « Échappées ».
J’ai tenté de saisir, depuis, s’il n’y avait pas un lien entre mes deux recherches, une sorte de fil souterrain qui relierait Berlin à Staten Island. La seule constante réelle, celle qui pour moi importe, c’est la surdité et l’aveuglement volontaires dont nous savons faire preuve collectivement. Pour dire nettement les choses, alors qu’on s’interroge aujourd’hui encore à propos de l’héritage d’ « Auschwitz », de la marque laissée par l’extermination sur notre culture, il m’apparaît que c’est aussi d’Oswiecim, petite ville polonaise, ou de Mauthausen, ville d’Autriche (pour reprendre le titre de l’étude de Gordon J. Horwitz, historien qui retrace la vie des habitants de Mauthausen, dans le voisinage du camp), que nous sommes héritiers : ces bourgades calmes et industrieuses, imperturbables, au bord de l’horreur. Et il y a un vertige à considérer ces villes où une vie normale suivait son cours.
Ces temps sont révolus, n’est-ce pas ?
Pour parvenir à « fonctionner » dans notre monde, il reste pourtant nécessaire de fermer les yeux, d’alléger notre conscience, de l’ancrer dans un présent inoffensif et lisse.
La question du devenir de nos ordures ménagères est légère, dans le sens où aucune vie n’est en jeu, aucune mort, mais elle est symptomatique de l’aveuglement volontaire dans lequel nous vivons. Si le désastre écologique associé à notre consommation effrénée est préoccupant, s’il semble désormais évident qu’aucun geste de « sauvera » la planète, sinon un geste révolutionnaire et un changement radical de nos modes de production, ce qui me frappe surtout, c’est l’enclave mentale que nous nous construisons, l’illusion d’une ville propre, d’où disparaissent comme par magie tous les déchets, toutes les salissures.
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Addict Culture
D’abord paru au Québec, ce nouveau livre de Lucie Taïeb est désormais inscrit dans le beau catalogue des éditions La contre allée. Il est d’une importance salvatrice tant son sujet est peu évoqué en littérature. L’écrivaine est fascinée par un lieu qui était la plus grande décharge de New York et qui va devenir son plus grand parc. Il se nommera Freshkills qui est aussi le titre de ce livre, sous-titré « recycler la terre ».
« Oui un cauchemar : ces flots de déchets, menaçant de nous submerger, monstre de film d’horreur, variation inédite sur le thème des zombies. Il suffit pourtant, afin d’éviter de céder à l’emprise du cauchemar, de changer de monde. Non pas de changer le monde – le temps n’est plus au rêve -, mais bien de monde, c’est-à-dire de langage. »
Lucie Taïeb
Lucie Taïeb enclenche une réflexion autour du déchet et ce qu’il représente dans notre société consumériste. Sur le site de Freshkills se trouvait une décharge ayant connu toutes les évolutions du XXe siècle : de l’industrialisation aux attentats du 11 septembre. Lucie Taïeb raconte son pèlerinage sur ce site et dans la ville de New York.
Elle s’interroge sur cette place du déchet dans nos sociétés. On souhaite le cacher alors que sa production est devenue infinie. Mais cette évolution hygiéniste cache simplement un élan destructeur. Le capitalisme se remplit de cette contradiction. Lucie Taïeb appelle à changer de langue pour mieux accepter nos rebuts.
Elle en appelle donc au pouvoir de l’écriture. Cette incitation se fait dans un texte d’une grande lucidité. Ce n’est pas un espoir utopique mais une vraie prise de position. Elle incite à changer de monde. Freshkills est un texte qui raconte notre mémoire biaisée et hypocrite. Nous ne voulons pas nous souvenir d’où viennent nos déchets. Pourtant l’origine de ce problème sanitaire vient de notre capacité à éluder la source de ces déchets.
C’est un ouvrage indispensable et il vient s’inscrire dans une littérature qui réfléchit notre époque. Avec cette nouvelle parution, il débarque aussi dans un contexte où le sanitaire est au cœur de nos préoccupations. Durant le premier confinement, nous avions remercié entre autres les éboueurs. Qu’en est-il aujourd’hui ? Sommes-nous toujours capables de comprendre le rôle du déchet dans nos vies ?
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Diacritik
Lucie Taïeb : « Freshkills n’est pas une métaphore. C’est un épicentre »
« C’est à Berlin que cette histoire commence, comme peut-être commencent désormais à Berlin toutes les histoires de ruine, de hantise et d’oubli ». C’est dire que Freshkills sera un livre sur les lieux, et ce que les lieux disent de l’Histoire, mais aussi sur le paradoxe qu’ils révèlent puisque le mémorial berlinois évoqué est « un cimetière sans morts », un espace construit et sans passé ; et que Freshkills, qui donne son nom au livre, répond à la même décision de changer notre rapport au lieu : la décharge à ciel ouvert à Staten Island, « Mondor urbain » doit devenir un immense parc, recouvrant les déchets enfouis.
Fresh Kills, pensé comme une décharge provisoire, a de fait recueilli les déchets de New York, entre 1948 et 2001, 29 000 tonnes déversées chaque jour sur les 4 collines d’ordures. Enfin fermé, le lieu a dû rouvrir en urgence en mars 2001 pour traiter les gravats du World Trade Center devenu « Ground Zero », après les attentats du 11 septembre : sur la colline Ouest sont déversés béton, structures en acier, verre, produits toxiques et des restes humains… Que faire du lieu, chargé d’histoire ? Il est désormais l’objet d’une réhabilitation massive : de zone sinistrée et rebut, la décharge est destinée à devenir le plus grand parc de New York, un poumon vert de 890 hectares (achèvement prévu en 2036). Le projet pharaonique est confié à James Corner, déjà architecte de la High Line. « La décharge n’est plus, vive le parc.
Pour marquer ce passage, on rebaptise le lieu. Fresh Kills devient Freshkills. L’orthographe du site a été légèrement modifiée, Kills directement accolé à Fresh. On ôte une espace, on imagine un nouveau départ. (…) Ce choix a minima — on ôte l’espace pour former un seul mot — s’inscrit bien dans la logique de continuité et de rupture qui anime l’entreprise de réhabilitation ».
De Fresh Kills, nom de la décharge, à Freshkills, nom du parc, un simple déplacement d’espace, comme le symbole onomastique et géographique plus large de nos rapports à la Terre : nous ordonnons, décidons d’un usage, recyclons. Nous décidons de ce qui est, et où ce sera, attribuons des représentations et des fonctions aux lieux, les mutations à imposer à nos imaginaires ou nos mémoires.
L’entreprise est parfois étonnante, Lucie Taïeb le constatait déjà à Berlin. Dans ce que l’on pourrait d’abord penser être un mémorial trop neuf et comme hors-sol, « une incarnation neutre du toc », on voit désormais de petits cailloux sur les stèles, geste cultuel d’hommage qui rappelle les cimetières juifs et le monument semble se fondre dans la ville, ne pas avoir de limite et faire de Berlin, dans son ensemble, une ville de mémoire. Là, adverbe de temps comme de lieu, naît la nécessité, pour l’auteure, d’écrire sur les présences invisibles de nos géographies contemporaines, ce qui les hante et les (dé)construit. Ainsi est-il possible de « changer de monde », non pas « changer le monde — le temps n’est plus au rêve —, mais bien de monde, c’est-à-dire de langage ». Pour cela, il faudra se déplacer (de Berlin à New York, d’un parc ancienne décharge à la High Line, d’un mémorial au musée Les Cloîtres), « entrer dans le réel » comme on change de langue et de lieu, comme on dérange ses certitudes, comme on questionne, un parc, une décharge, un mémorial ou une Licorne en captivité.
« Dans les rêves les pensées se ressassent et se reformulent, avec des déplacements infimes, sans jamais dire exactement l’identique », écrivait Lucie Taïeb dans Safe (2016) et cette formule vaut aussi quand il s’agit de saisir le réel, dans Freshkills. La digression n’est pas recyclage mais bien avancée de la pensée, de Berlin à New York : le voyage vaut déplacement des imaginaires. La butée sur un lieu qui résiste et demeure énigme est à la fois retour, ressassement et saisie nouvelle. C’est d’ailleurs à la fois dans le lieu réel (Berlin) et dans un lieu littéraire que naît le livre de Lucie Taïeb, au cœur de la Babel d’ordures que décrit DeLillo dans Outremonde, un monde souterrain (Underworld) paradoxalement à ciel ouvert quand il s’agit de la décharge de Staten Island. À l’écart, sur un autre bout de terre, face à la ville-vitrine, l’immonde produit par Manhattan. «Rien n’est plus invisible que ce qui s’étend au regard de tous».
Brian Glassic, le personnage de DeLillo est fasciné par la décharge qui « lui montrait de plein fouet comment s’achève le flux des déchets, où venaient échouer tous les appétits et toutes les envies, les doutes pâteux, les choses qu’on voulait ardemment puis qu’on ne voulait plus. Il avait vu des centaines de décharges, mais aucune de cette ampleur ». Fresh Kills est un monstre, dans la valeur d’excès comme de monstration du terme, et c’est ce paradoxe qu’explore DeLillo, cet (in)visible terrain même de la littérature, espace d’une fiction aux accents d’arpentage et cartographie d’un lieu et d’une époque puisque l’écrivain offre à ses lecteurs la fresque d’un demi-siècle d’histoire américaine. Roman-monde, Underworld est aussi roman de l’immonde, du rebut comme matière du récit, de nos dénis de réalité. Il faut « comprendre tout ça. Pénétrer ce secret », ou, tâche que se fixe Lucie Taïeb cette fois, comprendre en quoi « les déchets sont l’envers de l’histoire, les cadavres dans le placard d’une société lisse, prospère, que tien ne peut venir corrompre, que rien n’atteint, où tout est toujours neuf, chaque jour un jour nouveau, ne portant ni trace ni stigmate de ce qui peut avoir eu lieu la veille ». Ainsi Fresh Kills (décharge) devenant Freshkills, « parc récréatif naturel ouvert aux habitants de Staten Island et à tous les New-yorkais, le Central Park du XXIe siècle » : la boue devient or, la manne financière et immobilière pour Staten Island ne fait aucun doute.
La politique n’est pas nouvelle, des villes et leurs parcs sont construits sur des reliques, à New York comme à Paris — les Buttes-Chaumont, le parc Montsouris et « même le petit labyrinthe du Jardin des Plantes » ont été des décharges. On peut vivre tranquillement à Oswiecim à côté d’Auschwitz ou non loin de Mauthausen comme l’a montré Gordon J. Horwitz, dans « ces bourgades calmes et industrieuses, imperturbables, au bord de l’horreur ». Mais « il y a un vertige », et de la part de ceux qui vivent là, de nous tous, la nécessité de « fermer les yeux, d’alléger notre conscience, de l’ancrer dans un présent inoffensif et lisse ». On le voit la question au centre de Freshkills déborde largement l’écologie, ou en fait le fer de lance d’une réflexion bien plus large sur nos présents oublieux, nos yeux volontairement clos, détournés. Par ailleurs, pour en rester à la réhabilitation des décharges, l’échelle est nouvelle, comme la langue pour dire le procédé : Lucie Taïeb ne peut donc s’empêcher « de considérer le futur parc de Staten Island comme une incarnation du simulacre, le lieu artificiel par excellence ».
Écrire sera retrouver les strates derrière l’idéologie du recyclage, la politique du renouveau et du réhabilité, du toujours plus neuf, plus propre qui « implique, dans son économie intime, la destruction ». Effacées les odeurs de la décharge, les montagnes de rebus, jusque dans le langage managérial. Écrire sera opposer la complexité de la langue littéraire à celle des mots qui lavent, recyclent et produisent les simulacres de nos présents trop propres. Il faut dire « la surdité et l’aveuglement volontaire dont nous avons fait preuve collectivement ». Dire que les ruines aimantent les ruines.
La décharge devait être fermée, elle a été remise en activité pour accueillir les restes des tours jumelles, les ruines d’un monde et d’un siècle. Pourtant l’on pourra tranquillement se promener ou pique-niquer en famille sur les gravats enfouis d’un attentat qui a ouvert le XXIe siècle. Seule compte la surface bien verte. « Tout se rachète. Tout se rédime. Une terre dévastée redevient nature sous l’effet conjugué de la technologie et du marketing ». Lucie Taïeb, dans ce livre-palimpseste, creuse les strates d’histoires, une présence/absence, l’Histoire sous les lieux. Quelque chose hante ces sites, qu’il lui faut impérativement découvrir, dans tous les sens du terme, et c’est à cette découverte qu’elle nous invite dans un texte qui refuse nos oublis programmés et mémoires recyclées, alors que dans ce « monde, le nôtre », « tout ce qui manifeste le moindre défaut, la première marque d’obsolescence, est aussitôt soustrait à notre vue, remplacé par du neuf ». Pourtant — et dans ce « pourtant » est l’opération même de la littérature face au réel comme face à ses artifices — « les êtres humains peuvent prétendre à la vérité », titre d’un essai d’Ingeboch Bachmann cité par Lucie Taïeb pour refuser cette économie de l’effacement, cette politique du recyclage et lui opposer un « faire face au réel », se souvenir et regarder sans ciller ou détourner le regard.
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Le matricule des anges
L’homme jetable
Que disent de nous tous ces déchets produits, effacés, recyclés ? Quelle est cette chose profonde que nous ne saurions voir ? Lucie Taïeb affronte cet impensé.
Freshkills est une dérive solitaire au coeur de nos vies post-modernes. Notre humaine condition qui, par défaut de mémoire ou par ignorance, continue de guetter l’horizon lumineux alors qu’à ses yeux se dérobe l’immense décharge sur laquelle elle est construite. Une humaine condition elle-même faite à l’étoffe nauséabonde du rebut ? C’est avec les ongles que Lucie Taïeb gratte le goudron noir d’asphalte de notre déni.
Dans Yucca Mountain (Zone sensibles, 2012), John D’Agata traitait du projet d’enfouissement des déchets nucléaires américains dans le Nevada, à 140km de Las Vegas. Si l’administration Obama avait finalement abandonné le projet, les déchets subsistent et la question de leur stockage plane, depuis lors, sur chaque gouvernement comme une ombre.
Autre ombre : le projet Freshkills. Faire de la plus grande décharge du monde, située sur Staten Island, au sud du très chic Manhattan, un parc naturel. Lieu miraculeux d’une résilience écologique ! Lucie Taïeb s’y rend en 2015, arpente le parc, la ville, recueille des témoiganges, compulse des livres sur le thème du déchet, se remémore ses recherches universitaires (Territoires de mémoire : L’écriture poétique à l’épreuve de la violence historique). Elle se laisse traverser par le lieu. Sauf qu’il s’agit moins ici d’errer dans les sentes bucoliques d’un paysage naguère dévasté que de faire face à l’entreprise systématique « d’invisibilisation des déchets » et d’effacement des traces. Si le Freshkills du XXIe siècle est certes l’image d’une rédemption, il est surtout l’expression vive d’une violence qui face à l’impensé fait le choix de réduire le réel à un simulacre livré aux verturs réparatrices du storytelling. Et cela est proprement insupportable. Pas seulement parce qu’il est un récit en toc mais parce qu’il s’ajoute à tous les autres récits de « surdité et d’aveuglement volontaires dont nous savons faire preuve collectivement ».
Et que disent au promeneur les strates enfouies de ce lieu sinon la gestion rationnelle de l’espace urbain ? 1947 : ouverture de la décharge dans le plus grand mépris des habitants de l’île et parce que le déchet est une source de profit. 1993 : le maire Giuliani s’engage à fermer « The Dump ». Promesse tenue à des fins électoralistes. Mars 2001: réouverture provisoire de Freshkills pour accueillir les tonnes de gravats géérés par l’effondrement des Twins Towers et, personne ne l’ignore, les restes de corps humains non identificables. Pour autant, il y a ce magnétisme qu’exercent ces lieux de relégation, « là où tout s’achève rôdent encore les fantômes de la convoitise et de la jouissance (…) et s’exhibe la vanité de ce qui eut de la valeur et s’en trouve désormais dépourvu ». Le devenir-rebut… auquel l’auteur nous confronte alors même que Freshkills apparaît dans toute la beauté de « son aura de négativité ».
Recycler la terre, réparer, renommer… Une économie circulaire bien peu vertueuse mais dont « la littérature lève, parfois, le voile » poru peur qu’on déniche dans la langue la vacuité des paroles, des images. Toutes ces mystifications langagières, ces figures d’oission qui, plutôt que d’étreindre la complexité u monde, le vide de sa substance. La littérature est un rempart à la langue technocratique opérant son travail de sape. Victor Klmperer l’analyse magnifiquement dans LTI, la langue du IIIe Reich et on se dit que si Taïeb n’en parle pas, c’est que chaque page de sa narrative non-fiction en est pétrie.
La littérature au ras de l’expérience sensible, au plus près de la peua qui frémit, du corps anesthésié par l’épreuve du réel, corps haluciné, emporté par ses propres monstres car insi que l’écrit Ingeborg Bachmann, citée par Lucie Taïeb, « les êtres humains peuvent prétendre à la vérité ».
Christine Plantec
Le blog de Gwenaëlle Abolivier
A quelques heures de savoir qui de D.Trump ou de J.Biden sera élu à la présidence des Etats-Unis, il y a l’histoire d’une île qui se situe à New York, en face de Manhattan : l’île de Staten Island. Elle a hébergé de 1948 à 2001 l’une des plus grandes décharges au monde à ciel ouvert ( y accueillant les gravats du World Trade Center ).
Freshkills, recycler la Terre est un essai sur nos ordures, inspiré par le roman fleuve de Don DeLillo Outremonde. L’auteure, Lucie Taïeb, raconte cette énorme décharge aux portes de NYC qui vit une mutation puisque elle est en train de devenir un grand parc verdoyant où l’on pourra bientôt, entre deux confinements, faire son golf ou son jogging.
Ce livre est passionnant car extrêmement bien documenté, écrit par une femme traductrice, maîtresse de conférence en études germaniques à l’université de Bretagne Occidentale. Lucie Taïeb a traversé l’océan pour savoir ce que l’on ressent quand on a, sous les pieds, plusieurs décennies de déchets … Le sujet n’est pas des plus glamours, mais est très éclairant sur la période de bascule que nous vivons. Sa question principale étant : « Dans quel monde vivons-nous lorsque les déchets sont absents de notre champ de vision, et pourtant … omniprésents ? »
L’auteure a enquêté sur place et a forgé sa réflexion en se documentant à travers des travaux d’anthropologues, d’urbanistes, de géographes pour nous livrer ce carnet de voyage très personnel, édité aux ( éditions ) de la Contre Allée d’après A.Bashung et J. Fauque… « Délaissant les grands axes, j’ai pris la contre-allée… »
La recherche de Lucie Taïeb porte encore ici sur la mémoire et la réalité : elle a auparavant travaillé aux archives berlinoises et les demandes d’indemnisation des descendants et proches des juifs victimes de spoliation durant la seconde guerre mondiale. On pense aux stèles du mémorial de la Shoah bâti sur la Postdamer Platz.
Quand il est plus facile de cacher tout ce qu’on ne veut pas voir, altérant ainsi notre perception du monde, Lucie Taïeb réussit -grâce à une écriture acérée- à rendre visible une réalité qui ne l’est plus.
A lire et à réfléchir en ces temps troublés où les masques jetables pullulent sur les trottoirs et où les éboueurs sont considérés comme essentiels aux côtés du personnel soignant, des enseignants, des caissiers …
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La viduité
Hantise de l’invisible, du déchet, de son recyclage dans la langue et de tout ce que cet impropre apprend de nos sociétés aveugles. Admirable essai où l’intime devient un souci politique, une exigence poétique pour mieux inventer, dans la conscience de la perte, une autre façon d’être au monde. À nouveau, Lucie Taïeb signe ici un livre indispensable.
Sans excessive flatterie, je pense que Les échappées de Lucie Taïeb est un roman décisif au sens où s’y joue – entre le deuil, la reconstruction fantasmatique et les soumissions à une destructrice perfection salariale – la possibilité de faire vibrer un autre réel. C’est avec un immense plaisir que j’ai retrouvé toutes ses hantises dans cet essai qui est infiniment plus qu’un texte de plus sur le souci écologique. Lucie Taïeb contribue très joliment (une puissante poésie sature chacune de ses spéculations) à l’invention d’une éco-poétique. Bien sûr, comme nous le disions à propos du Grand vertige de Pierre Ducrozet, une éco-poétique demeure une déclaration de principe Disons une projection dans l’avenir qui assume ses imperfections. Le langage est-il autre chose qu’un déchet si difficile à recycler, « une décharge désincarnée, une décharge de mots et d’idées » ? Et pourtant, il paraît salvateur de continuer à « dévoiler la vanité de la parole creuse » qui permettrait « de faire l’expérience d’une autre manière de parler, c’est-à-dire d’une autre façon de penser. » Reste à savoir, je crois, qu’est-ce à dire, comment laisser parler cette langue autre, différente, impropre, saturée de « ce tremblement imperceptible du réel » pour mieux dévoiler les apories de notre vie (une surconsommation mortifère dont on ne saurait voir l’impossible recyclage) ? Alors, comme d’ailleurs dans Les échappées, le plus réussi de ce livre est ce qu’il se retient de dire, cette part de l’intime maintenue dans l’ombre. La dernière phrase de cet essai si stimulant le dit admirablement : « l’un des enjeux serait ici de parvenir à accepter la perte, à assumer la disparition, et, sur un mode mélancolique et sans recherche de salut, de faire face au monde, avec ce risque dans la poche. »
Lucie Taïeb n’a pas besoin de le préciser : l’impensé qui ressurgit dans le « traitement » des déchets est celui de la mort. Nos sociétés ne sauraient plus la voir, n’auraient plus de rituels pour intégrer à nos vies cette trace de l’absence, du devenir, qui nous définit. Freshkills nous décrit alors un voyage dans les « hétérotopies, à l’instar du cimetière, destinés à rien sinon à la relégation de ce qu’on ne veut pas voir ni prendre en considération. » Un des immenses charmes de cet essai (souvent bien plus simple que ne le laisse entendre mon pesant commentaire) est d’en faire une errance littéraire. Voyage dans les ombres du roman. Tout commence à la lecture d’Outremonde de Don de Lilo où il décrit Freshkills, l’une des plus grandes décharge à ciel ouvert, dans Staten Island, au large de New-York. Après sa thèse, dans un refus de se spécialiser, l’autrice décide de s’y rendre, comme pour voir ce qu’il en reste. Indéniablement conforme à son propre imaginaire, il en reste surtout des voix. Allez écouter ici cette histoire orale dont s’empare Lucie Taïeb. Que reste-t-il dans la mémoire d’un lieu que personne ne voulait voir et que l’on va recycler en vision horrible du loisir, des promenades en famille ? Sans doute, comme les plus belles pages des Échappées d’idylliques souvenirs d’enfance. Des trouées sans doute de l’histoire la plus violente. Lucie Taïeb raconte comment le recyclage de la décharge a été interrompu après le 11 septembre. Elle en extrait une saisissante image qui me semble écho à son univers poétique : dans cette décharge se sont entassés les véhicules que personne n’est venu réclamer après l’effondrement des Twin towers. 400 radios allumées sans auditeur.
Depuis longtemps cependant nous taraude le doute de notre propre existence.
Une réflexion sur l’écologie devient, à mon sens passionnante, quand elle se transforme en spéculation sur notre propre nature. On sait que notre capitalisme destructeur fonctionne sur l’illusion de la sécurité, de la performance : tout y est beau et rangé. Il est bon de rappeler l’envers si visible de ce monde. Notre consommation fétichiste repose de fait sur l’obsolescence, elle invente un langage qui serait apte à planquer tous les déchets qu’elle produit. On fait des décharges des parcs, on veut de la performance même dans le recyclage. Freshkills appelle à la « fin du règne insupportable de cette propreté prétendument vertueuse où l’on étouffe. » Lucie Taïeb l’affirme avec une force qui fait du bien en ces moments confinés où l’hygiénisme plus que jamais s’impose : « c’est parce que nous sommes inoffensifs que nous sommes dangereux. » Le rebut, ce qui est tombé, osons dire la littérature, reste ce qui permettrait de proposer une préservation en hantise, une conscience accrue des reliques qui nous constituent.
Un immense merci à La contre Allée pour l’envoi de cet indispensable essai.
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