L’Inactuel
Un article sur Frictions daté du 27 octobre, sur le site l’Inactuel, journal numérique aux multiples visages, un espace ouvert de liberté et de créativité, quelque part entre le journalisme et l’art :
Depuis qu’au cours de l’été 2016, dans les colonnes d’un journal de droite, un certain professeur de droit révéla au grand jour mon secret, je peux désormais sortir du placard littéraire dans lequel je me suis tenu enfermé depuis des années et dont seuls quelques intimes possédaient jusqu’à présent la clef (nommément : Nelly, Serge, et Samuel ; ce dernier étant lui-même à titre personnel de la coterie à laquelle j’aspire) pour le déclarer publiquement : J’aurais voulu être un écrivain argentin.
Oh, pas comme César Aira, non, il est trop prolifique, ni comme Eduardo Berti, il est trop français, pas comme Jorge Luis Borges non plus, non, il est trop mort, mais comme Pablo Martín Sánchez, ah ça, oui.
Membre de l’Oulipo, comme son compatriote Berti, Sánchez est l’auteur d’un roman (L’anarchiste qui portait mon nom) et d’un recueil de nouvelles, sa première œuvre traduite en français, recueil intitulé Frictions. Ou, pour les hispanohablantes : Fricciones, soit des Ficciones auxquelles on aurait (r)ajouté un r, lettre qui, en négatif peut-être d’une opération de disparition perecquienne, devrait faire entendre sa différance comme un supplément dans l’univers borgésien.
De Borges, de Perec, il en est en effet question dans ces Frictions. De La bibliothèque de Babel, qu’un lecteur souligne entièrement avant d’effacer consciencieusement tous les traits sous les phrases qu’il a soulignées pour ne conserver que le trait sous la première d’entre elles : « Il suffit qu’un livre soit concevable pour qu’il existe ». Des Revenents, dont un professeur de littérature rêve une phrase qu’il n’a jamais lue cependant qu’une jeune fille qui ne le connaît pas rêve qu’un homme rêve cette phrase qu’il n’a jamais lue : « Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère ».
Il est encore question de la mort, du suicide, du dentiste et du diable, des spirales qui deviennent des points d’interrogation, de nouvelles érotiques que l’auteur ne parvient pas à écrire à cause de son obsession grammaticale, de l’etc., etc., et caetera.
Mais le clou du spectacle, si j’ose m’exprimer ainsi, se trouve sans aucun doute dans la mondaine nouvelle, « Un métier dangereux », laquelle met en scène les célèbres écrivains Roberto Bolaño et Rodrigo Fresán, et apporte enfin une réponse (définitive) au problème fondamental des rapports entre la vie et la littérature sur les murs des toilettes du bar où se déroule l’action.
Car s’il est beaucoup question de littérature dans les pages qui composent ces Frictions (comment pourrait-il en être autrement sous la plume d’un Oulipien ?), la vie elle-même n’est jamais bien loin. Certainement parce qu’entre la vie et la littérature, il n’y a pas tant de différences que cela : la vie n’est jamais que la succession des fictions que nous imaginons pour la vivre jusqu’au bout. C’est quand nous sommes à cours d’imagination qu’elle commence de nous paraître invivable, et ce n’est pas la moindre des qualités de la (bonne) littérature que de nous fournir alors quelques munitions de plus pour tenir encore un peu.
— C’est formidable tout cela, Jérôme, mais tu sais…
— Quoi ?
— Eh bien, comment te dire ?
— Vas-y, accouche.
— Sánchez…
— Oui ?
— Il n’est pas argentin.
— Ah bon ?
— Non.
— Ah… mais il est quoi alors ?
— Espagnol.
— Merde.
— Eh oui.
— Je n’y comprends plus rien.
— Je sais, je sais. Moi non plus.
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