Les libraires en parlent
← La Femme à la valise
Librairie Myriagone (Angers)
Après le remarquable « Tea Rooms » écrit en 1934 mais traduit en français en 2021, les éditions @la_contre_allee poursuivent leur mise en lumière de l’œuvre de Luisa CARNÉS [1905-1964] avec la publication de ce superbe recueil de nouvelles écrites entre 1945 et 1963 et compilées sous le titre « La femme à la valise ».
L’autrice, journaliste et militante politique communiste antifranquiste a écrit depuis son exile mexicain une série de textes qui disent l’enfer et l’horreur de la dictature espagnole.
Comme des manières de prolonger l’opposition depuis l’autre côté de l’Atlantique et d’expurger dans le même temps la mort que draine le régime franquiste, Luisa CARNÉS met en scène de sa plume sèche et humble des vies terrassées par le totalitarisme. Des existences en lutte ou en fuite, maquisardes ou emprisonnées, unies par une souffrance indicible mais aussi par le sentiment inexpugnable que les braises de la liberté, de l’amour et de l’entraide couvent toujours. Et que le feu de la vie, à force d’acharnement et de résistance, vaincra.
Chez Luisa CARNÉS, toutes et tous se débattent face à l’horreur, mais toutes et tous conservent leur dignité. Face au règne du mensonge et de la violence, des hommes et des femmes engagent tout leur être, portant sur leur épaules leurs morts et leurs souvenirs, non pour contrer la tragédie car celle-ci est déjà là, mais pour faire advenir un autre présent. L’espoir, comme une mince chandelle, reste chevillé aux corps.
Un livre à lire, pour faire acte de mémoire, mais qui peut aussi servir de miroir à nos temps présents, tout du moins à ce qu’ils couvent et à la nécessité de tenir tête.
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Traduction de Michelle Ortuno
Céline, Librairie Les Yeux qui Pétillent (Valenciennes)
Pour visionner la vidéo : https://www.instagram.com/reel/C01aLv6CncO/?utm_source=ig_web_copy_link&igshid=MzRlODBiNWFlZA==
❤️ Coup de coeur ❤️
Je suis toujours admirative de ces auteur.es. qui arrivent à nous décrire l’indicible avec tant d’émotions. À travers ses onze nouvelles, Luisa Carnés nous parle de celles et ceux qui ont vécu sous le régime de Franco. On y découvre des portraits touchants d’exilé.e.s, de combattant.e.s, de femmes et d’hommes en lutte pour regagner leur liberté….
Une lecture forte qui résonne en vous longtemps après avoir refermé le livre.
Extrait :
« Ils n’avaient pas eu connaissance de l’endroit où on les amenait, au bout d’un chemin scabreux. Ils avaient eu l’impression de grimper sans fin une montagne, d’où l’on ne pourrait plus percevoir la terre calcinée d’Espagne. Mais au cours du voyage, les bruits secs des coups de feu isolés leur rappelaient qu’ils avaient beau grimper, que leur camion avait beau faire des tours et des tours sur la route en lacets, ils ne pourraient pas échapper au vertige du brasier qui consumait l’Espagne ».
Belle lecture !
Traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno
Librairie Esperluette (Lyon)
« Elle n’avait pas quitté ses habits de deuil et jurait qu’elle continuerait à les porter, car elle considérait que c’était un uniforme rebelle et de protestation permanente face à sa douleur et au veuvage qu’on lui avait imposé. »
11 nouvelles pour rendre visibles les invisibles durant les années noires du franquisme. Ces femmes, épouses, mères, ces enfants, orphelins, frères, sœurs, ces hommes, combattants, résistants, marins, clandestins. Luisa Carnés, exilée au Mexique (et décédée en 1964), ne les oublie pas. Son acte de résistance sera d’écrire leurs vies, ou plutôt leur survie, quoi qu’il arrive.
En France, nous ne la connaissons que depuis peu, grâce à La Contre Allée qui a publié Tea Rooms (2021). Elle entre parfaitement dans la collection Sentinelle qui porte « une attention particulière aux histoires et parcours singuliers de gens, lieux, mouvements sociaux et culturels ».
Il y a cette mère prisonnière qui entend son enfant pleurer malgré les murs qui la séparent de lui. Cette autre femme, sur un bateau en exil vers la France, qui va recueillir cet enfant qui n’est pas le sien pour qu’il ne meurt pas seul, car « mourir seul, c’est mourir deux fois ». Ou encore ces hommes qui recueillent ce petit bout d’homme qui, à 12 ans, a décidé de rejoindre le maquis. Malgré la dureté des situations vécues dans ces récits, l’autrice ne verse jamais dans le pathos.
Il y est question de cette humanité qui souvent ne tient qu’à un fil, qu’à cet instinct de survie, entre colère et espoir. Il s’agit pour chacun de trouver comment tenter de rester soi, garder ses convictions. Alors parfois la solidarité laisse place à la méfiance et la cruauté (ainsi ce groupe de prisonnières repérant « une balance » qui, tout en chantant des comptines, la rouent de coup). Luisa Carnés veille à ce qu’on n’oublie pas le passé, qu’on ne oublie pas ces enfants, hommes et femmes.
Un recueil tout aussi percutant que nécessaire pour se rappeler.
« Elle allait faire comme Manolo. Elle allait vivre debout jusqu’à la fin. La matraque de la prison pour mères n’allait pas la faire plier. Elle allait remplir son devoir en tant qu’Espagnole et en tant qu’épouse d’un patriote fusillé par le fascisme. »