Revue de presse

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Émission Cultur’L, RCF

https://www.rcf.fr/culture/culturl?episode=550321

Retrouvez le coup de coeur de Sandrine Delanier à propos de La Fenêtre, d’Isabel Alba, traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno dans l’émission Cultur’L du lundi 27 janvier 2025 (à 26 min 47s).

La Viduité

Perspectives paniquées d’un confinement ou quand, en pleine pandémie, une obsession de l’espace sombre dans le retrait, l’insurmontable acuité de perceptions arrêtés. Pour ne pas y saisir seulement le simple récit d’un événement collectif traumatique, dont la mémoire déjà s’oblitère, on lit La fenêtre comme un creusement de la solitude, au féminin, un adieu endeuillé à la jeunesse et une méditation sur la création quand le roman s’orne, en des fragments versifiés, de l’ombre indispensable d’Emily Dickinson. Au plus près de l’évidence, de ses répétitions, de la fausse simplicité de nos routines, de leur aisance à dérailler, à se bloquer sur un détail, une pas si minuscule oppression sociale, Isabelle Alba nous entraîne dans les aléas de la tentation du retrait.


Étrangement, si on veut, on s’est relativement protégés des récits de pandémies, de la littérature à laquelle elle n’a pas donné lieu. On citera seulement, sur le sujet, l’âpre et beau 2020, l’année ou le cyberpunk n’a pas percé de Mathias Richard. Avouons alors avoir ressenti une certaine réticence à revenir sur ce passé. Faussement, on la transforme en cette question : que reste-t-il de nos peurs, comment en faire, sans lourdeur, entendre le contexte, comment (et pourquoi) faire pour que tout ceci ne paraisse pas radicalement dépassé, voire incompréhensible ? Faute, peut-être, de le vouloir on ne se souvient plus (ou avec déplaisir) du masque, de son injonction comme de l’égoïsme de ceux qui se refusaient à le porter ; on se rappelle aussi comment la liberté est devenue de droite plus ou moins extrême, signe de la faillite d’un vivre-ensemble toujours autrement à (re)constituer. Passons pour en venir à La fenêtre. Dès les premières pages, non sans insistance, sur l’obsession de l’espace de sa narratrice. Le confinement ou le moment de se rendre compte de la relativité de notre confort, du pouvoir, de la domination, qu’il offrait. Entendu, sans doute, mais il n’est pas inutile de rappeler que cela n’a jamais été l’occasion de se retrouver, reconnecter ou n’importe quel terme à la con caractérisant l’envahissante exigence de se sentir bien, partout et tout le temps. Rien de bien nouveau, peut-être. L’héroïne, quand elle parvient à sortir de chez elle, marche, redécouvre les quartiers, le séparatisme des riches. Elle redécouvre aussi la difficulté de partager un palier, que chacun n’a pas la même panique du virus. La narration à la troisième personne, l’étrangeté à elle-même du personnage, apporte une certaine froideur. On se retient, aussi, de jauger et juger son comportement. D’une manière, elle non plus pas très inédite, La fenêtre fait entendre la disparition de la biodiversité, cette source d’angoisse. On comprendra également, sans vouloir y voir une explication pour ne pas avoir à en établir la pertinence, la part de deuil qu’alimente cette crainte. La perte d’une proche, le lien qui se défait, des messages que l’on ose pas écouter. Là encore, cette tristesse, son aveuglement et sa prostration, sont restitués dans leur éloignement. Surtout si on pense au magnifique Cher instant je te vois de Caroline Lamarche À notre habitude, on est très moyennement convaincu par l’évocation des réseaux sociaux, l’effondrement d’un monde dont ils entretiennent l’image. Ce sera pourtant, semble-t-il, dans l’infra-ordinaire, dans sa soudaine poétisation qu’Isabel Alba parvient à nous surprendre. Emily Dickinson, of course. Mais surtout, je crois, ce que la peur, sa rancune, a de prosaïque. Une voisine qui terrifie, une question de plantes et de paillassons. Une incapacité réciproque à se parler. On aime le discret soutien final, la perspective, la présence observatrice au monde que, en dépit de tout, préserve La Fenêtre.

Livres Hebdo par Marie Fouquet

Screenshot

Dans ce texte achevé en mai 2021, Isabel Alba dresse une fine analyse des conséquences dramatiques qu’a eues cet épisode de l’histoire sur certaines psychologies. La souffrance et l’isolement que cause la peur, la tristesse de la perte, l’exposition et la confrontation permanente et immédiate à la mort qu’a instituées le Covid sont ici traduits dans un langage de la suffocation, à travers une voix qui cherche à sortir de l’anxiété pour enfin respirer et conjurer le fatum par la désobéissance aux règles. Ici, outrepasser ces dernières est synonyme d’outrepasser la détresse, l’épouvante, la douleur. La désobéissance « n’est-elle pas licite lorsqu’il s’agit de faire une bonne action ? »