Le Nouvelliste
Article dans le journal haitien Le Nouvelliste, publié le 17 mars 2015 :
En ce début d’année, les auteurs ne chôment pas. Ils font la part belle aux lettres haïtiennes. Après Emmelie Prophète avec « Le bout du monde est une fenêtre » (Mémoire d’encrier), Natacha Daciné avec « 52 pensées positives pour 52 semaines réussies » (à compte d’auteur), c’est au tour de Makenzy Orcel de livrer La nuit des terrasses, récemment paru aux éditions La Contre Allée.
La nuit des terrasses est un recueil de poèmes. Mais il ne dit pas son nom puisque la maison d’édition a omis l‘information. On ne l’identifie qu’en feuilletant ces 62 pages dans lesquels des vers s’étendent et s’éloignent quand ils ne se recoupent pas. Tous, ils tournent autour de la passion des bars. La vie qui s’y déroule, les plaisirs qui y naissent sont chantés par un Makenzy Orcel qui, cette fois, délaisse sa prose habituelle pour rendre hommage aux noctambules,
amateurs et grands buveurs d’alcool. L’auteur le déclare d’ailleurs dans une note inscrite dans le deuxième rabat de couverture du recueil :
« J’ai commencé à fréquenter les bars, donc à boire, trèstard dans ma vie. Pour une raison très simple, il faut payer après avoir consommé… Aujourd’hui dès que j’arrive dans une ville, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est d’aller faire la tournée des bars. Carrefour de toutes les occurrences. Des histoires, aussi banales soient-elles parfois, qui hantent toute une vie. Depuis bientôt une décennie, c’est devenu un de mes endroits préférés. Et Dieu sait combien j’en ai fait dans mes voyages. J’ai voulu faire un livre pour habiter, aborder autrement ces vécus… »
Cette appréhension, l’auteur l’illustre ainsi :
Extrait 1
Magloire-Ambroise
avenue fermée dans une bouteille
on boit des vagues
une passante
le temps s’arrête
elle est belle
la bouteille tombe et se casse
des milliers d’oiseaux planent sur ce qui fut (p. 14)
Extrait 2
je me torche à ma santé
mes étoiles noyées
ô soifs qui descendent dans les rues
crier leur j’en peux plus (p.29)
La nuit des terrasses est donc dédiée à toutes ces femmes, tous ces hommes, éparpillés aux quatre vents, qui hantent les comptoirs. Pour se parler, s’évader, s’aimer, ou juste se saouler. « Tous les poèmes du recueil La nuit des terrasses forment ensemble une seule plongée à travers ces espaces réels ou imaginaires, pour combiner non seulement ces instantanés, ces souvenirs disparates, mais aussi inviter l’autre à sortir sa tête de son verre, à la convivialité. Le verbe « boire » ne se conjugue-t-il pas mieux ensemble ? La nuit des terrasses célèbre l’instant, la rencontre des corps et de l’amitié. » Tu le dis, ici Makenzy :
Extrait 3
grog
marées
plongeons-nous l’un dans l’autre
le soleil à venir
donne froid dans le dos
tessons
sur le parcours du funambule (p. 33)
Cet hymne au « boire », Makenzy Orcel n’est pas le premier à l’écrire. D’autres avant lui l’avaient fait. C’est le cas d’Alfred de Musset dont la phrase introduit un poème dans La nuit des terrasses « Buvons au temps qui passe, à la mort, à la vie ! », d’Arthur Rimbaud avec « Viens, les vins vont aux plages », ou encore de Charles Baudelaire en clamant « Enivrez-vous ! » On n’oubliera pas non plus Jacques Brel qui chante « Ami, remplis mon verre ! », Georges Courteline qui dit « L’alcool tue lentement, on s’en fout, on n’est pas pressés », ni Marguerite Duras quand elle déclare que: « L’homme qui boit est un homme interplanétaire. » Tous choisis pour introduire les vers d’Orcel. Il en dit long cet extrait qui commence avec la
phrase « Tout n’est pas cirrhose dans la vie » de Fréderic Dard :
Extrait 4
qu’importe le sens du vent
buvons au scintillement des putes
à leur vulgarité
leur minijupe bouée
pour qui préfère
mourir d’elles que du froid
enculons la raison (p. 40)
Extrait 5
une île
entre les tâtonnements de l’encre
et les paysages du vin
ma bite seule
connaît les hauts et les bas
de mes mains (p. 41)
Ce nouveau-né du romancier, également nouvelliste, rentre dans la collection La Sentinelle des éditions La Contre Allée. Cette collection accorde « une attention particulière aux histoires et parcours singuliers des gens, lieux, mouvements sociaux et culturels ». Le lancement du titre sera justement célébré à Lille, en France, dans un bar, L’Écart, le 8 avril prochain. « La lecture musicale de l’auteur Makenzy Orcel et du violoniste Timothée Couteau sera suivie d’une rencontre animée par Éva Lerat, spécialiste en littérature caribéenne», lit-on sur la page Facebook de l’auteur. Contacté à propos de la disponibilité du livre en Haïti, Makenzy Orcel nous a appris que La Pléiade attendait la sortie officielle du recueil pour placer sa commande. La nuit des terrasses s’exposera donc bientôt en rayons dans les librairies.
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