Revue de presse

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L’Humanité

L’Humanité

Un article sur Le Coeur de l’Europe d’Emmanuel Ruben publié dans l’Humanité par Alain Nicolas le 26 juillet 2018. (À lire ici.

L’autre quotidien

Article sur Le Cœur de l’Europe d’Emmannuel Ruben dans L’autre quotidien, le 7 juillet 2018. (lire directement sur le site)

Emmanuel Ruben : L’Europe à Cœur, en souvenir gai de l’Ex-Yougoslavie

Les Balkans, en un trajet sinueux de routard pensif parmi les réfugiés et l’Histoire.

« Aujourd’hui il n’y a qu’à Ohrid – qui n’a pas connu la guerre, où n’a pas sévi l’épuration ethnique – qu’on peut avoir un juste aperçu de ce que fut la Yougoslavie ; un pays où l’on peut être macédonien, parler albanais, manger bosniaque, rêver des femmes croates et des plages monténégrines, regarder la télé turque ou allemande en buvant de la gnôle serbe. À Ohrid où nous allions siroter un verre de salep le soir dans un troquet tenu par des Albanais, la télé changeait de langue tous les jours et j’ai entendu le même garçon de café blond comme un Russe parler successivement macédonien turc albanais serbe allemand anglais – de sa scolarité yougoslave, il lui restait même des rudiments de français. Il va de soi qu’il ne connaissait pas toutes ces langues par cœur mais il était capable de les baragouiner, de naviguer entre elles comme entre deux eaux, de donner le change d’une langue à l’autre : ce garçon de café parlait la langue de l’Europe dont rêvait Umberto Eco. »

Presque parallèlement à son Terminus Schengen, Emmanuel Ruben publie en ce mois de mai 2018 un autre texte s’appuyant sur son séjour de quelques années à Novi Sad, capitale de la Voïvodine serbe et, bien souvent, avant-dernière station avant la frontière hongroise pour celles et ceux qui « montent », quelles qu’en soient les raisons, vers la terre promise européenne. Le Cœur de l’Europe, dans la belle collection Fictions d’Europe de La Contre Allée – collection qui nous a déjà offert récemment le singulier Ces histoires qui arrivent de Roberto Ferrucci, par exemple – porte le curieux récit d’un musardage sur ces confins balkaniques qui furent, avant-hier et hier, poudrière certainement, mais qui sont encore et toujours puissant creuset humain, et pas uniquement sans doute pour des raisons historiques, géographiques et géopolitiques. S’engouffrant dans la mosaïque si fragmentée issue de l’éclatement de la Yougoslavie (et de l’ouverture de l’Albanie), plus paisiblement sans doute que le Sébastien Ménard de Soleil gasoil et de Notre Est lointain, Emmanuel Ruben sonde, en praticien expérimenté du voyage immersif (en étant toutefois parfaitement conscient de la part d’illusion inévitable que comporte la démarche) et en géographe d’origine, les paysages et les impressions, les histoires et les récits (nationaux ou non), les dits et les non-dits du terrain comme de certaines grandes figures culturelles qui y sont attachées – mais aussi de certains observateurs privilégiés, avant lui. De Novi Sad à la Krajina, de Višegrad  à Goražde, de Sarajevo à Kotor, de Shkodër à Gjirokastër, de Salonique à Belgrade, en compagnie d’Ivo Andrić (Le pont sur la Drina, 1945), de Miloš Crnjanski (Migrations, 1929), de Joe Sacco (Goražde, 2000) ou de François Maspero (Balkans-Transit, 1997), entre autres compagnons de route, au bord de lacs millénaires ou à proximité de barbelés tout frais, Emmanuel Ruben nous offre 80 pages vitales, où le passé et la culture s’entrechoquent avec le présent et les réfugiés, où résonnent des sons terribles et beaux, à l’image d’une région jamais apaisée et profondément vivante.

« J’aurais voulu évoquer aussi les Portes de Fer, les monastères de la Fruška Gora, les ours légendaires de la montagne Tara, les méandres et les vautours de l’Uvac ; j’aurais voulu repartir en pensée à Novi Pazar dans le Sandžak serbe où il y a des maisons dans tous les styles et des plaques d’immatriculation de toute l’Europe ; j’aurais voulu revivre nos virées en scooter sur l’île croate de Dugi Otok où l’on trouve un lac salé et des falaises de marbre mais ce livre aurait fini par ressembler à un guide touristique archilacunaire de l’ex-Yougoslavie, ce qu’il n’est pas. Ce petit livre est un lasso jeté négligemment au cou d’un pays qui n’existe plus ; ce petit livre est un stéthoscope – à l’origine une simple liasse de papiers roulés par le docteur Laennec – qui tente d’ausculter le cœur de cette Europe qui bat encore. »

Emmanuel Ruben sera à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) le 13 juillet prochain à partir de 19h 30 pour nous parler des littératures de l’ex-Yougoslavie, une soirée à ne pas manquer.

France Culture

France Culture

Emmanuel Ruben était l’invité de l’émission de Manou Farine, Poésie et ainsi de suite, sur France Culture, le 15/06/2018 à 15h. (écouter directement sur le site)

Lignes de fuite

Comment éprouver les frontières? Comment écrire les lisières? L’écrivain et poète Emmanuel Ruben éprouve le cœur de l’Europe par ses murs, ses ponts et ses tunnels tandis que les journalistes Jean-Arnault Derens et Laurent Geslin auscultent la ligne de côte, des Balkans aux confins de l’Europe.

Nos invités :

Laurent Geslin, géographe et journaliste, et Jean-Arnault Derens, historien et journaliste, auteurs de Là où se mêlent les eaux (La découverte), récit d’un cabotage sur les rives de l’Adriatique, de la mer Egée et de la mer Noire. Ce trajet est aussi celui des minorités oubliées, des pays qui n’existent plus ou pas encore, des migrations sans cesse recommencées et des rendez-vous toujours ratés.

Emmanuel Ruben, pour Le Cœur de l’Europe (La Contre-allée) et Terminus Schengen (Le Réalgar-Éditions). Écrivain, poète, photographe et dessinateur, Emmanuel Ruben est né en 1980 à Lyon. Après des études de géographie, il effectue de nombreux séjours dans l’Est de l’Europe. Il est l’auteur de plusieurs livres – romans, récits, essais – dont La ligne des glaces (sélection Goncourt 2014), son troisième roman et premier épisode d’une suite européenne à laquelle il travaille depuis plusieurs années. Depuis 2015, il prend part à l’aventure du Collectif Inculte avec lequel il s’engage sur différents projets d’écriture à plusieurs mains. Il dirige aujourd’hui la Maison Julien Gracq et vit au bord de la Loire.

Libération

Libération

Trois pages consacrées à Emmanuel Ruben pour Terminus Schengen et Le Coeur de l’Europe dans Libération Weekend du samedi 2 juin et dimanche 3 juin, écrit par Alexandra Schwartzbrod. (À retrouver ici)

L’intervalle

L’intervalle

Sur L’Intervalle, publié par FABIEN RIBERY le 22 mai 2018 (lire l’article directement sur le site). Les photographies et les dessins sont de l’auteur.

« Europe, bouleau famélique », par Emmanuel Ruben, voyageur, géographe, écrivain

« Mais où sont-elles ces racines et ces souches que vous avez toujours à la  bouche / vous ne savez faire qu’une chose : couper, trancher, délimiter / vous avez réduit vos paroles à ce gazouillis d’un homme face à son écran / vous revendiquez tout le temps vos racines mais en réalité vous parlez aujourd’hui la langue de vos machines / et vous n’avez pas plus de racines que nous / et vous n’êtes pas moins nomades que nous, vous qui vivez toujours entre deux trains et deux avions, peuple des pas perdus et des / tarmacs, peuple des bretelles des échangeurs et des ronds-points »

Il faut lire les deux derniers ouvrages d’Emmanuel Ruben comme un diptyque sur les identités criminelles et les frontières désirables lorsqu’elles sont poreuses.

Terminus Schengen – accompagné de photographies de l’auteur – est un recueil de poèmes publié par Le Réalgar, quand Le Cœur de l’Europe, aux éditions La Contre Allée, est un journal de voyage dans l’ex-Yougoslavie en neuf étapes ou articles.

Tout commence ou se termine à Novi Sad, sur les rives du Danube, dans un vieux train fourbu, en compagnie d’un voyageur ayant pris dans ses bagages quelques bons livres, de Blaise Cendrars, Claudio Magris, Mathias Enard, Camille de Toledo, Jérôme Ferrari.

Vous étiez en 1991 le personnage de Lars von Trier dans Europa, vous êtes aujourd’hui ce privilégié possédant le passeport qui ouvre les barrières.

Derrière le Mur tombé en 1989 reposait notre tristesse, qui est désormais une honte.

Le peuple européen est un pont effondré sur la Drina remplacé par des « clôtures et des portillons métalliques ».

Géographe, Emmanuel Ruben connaît le temps long de la géologie, des climats, et de la tectonique des plaques.

Ce qu’il contemple dans les visages qu’il croise est une odyssée de migrations, de déplacements, d’exils.

« Vous nous appelez « migrants » comme on parle d’oiseaux migrateurs ; / mais ce n’est pas la mort des saisons que nous fuyons, ce n’est pas l’approche de l’hiver qui nous jette sur les routes, c’est la destruction de nos villes et la négation de nos vies, c’est cette interminable saison en enfer qu’on appelle la guerre. »

L’identité européenne est plurielle, multiple, c’est une « écorce tâchée de lichen ».

Nos pères sont des hommes-juifs, des errants en guenilles, des chairs faméliques adossées aux bouleaux de la route.

Et, dans la décomposition des rêves d’unité, c’est partout la chasse à l’homme, les chiens policiers, et le sourire noir des passeurs négriers.

Nous fuyons, nous nous heurtons aux nouveaux rideaux de fer, aux barbelés de la violence blanche, mais « nous ne sommes que les pionniers du monde qui vient – après nous viendront de bien plus grandes migrations, les migrations climatiques, intercontinentales, sidérales / nous sommes l’avant-garde d’un peuple oiseau, d’une humanité nomade. Mais regardez : vous aussi, vous êtes des oiseaux, vous passez votre vie dans des halls d’aéroport, vous allez de tarmac en tarmac / vous piétinez sous des panonceaux bleu nuit aux douze étoiles d’or où il est écrit EU CITIZEN

NON EU-CITIZEN »

Ulysse s’est évanoui sous les coups de matraque des nouveaux Cyclopes.

La carte d’Europe est une carte de sang, quand nous rêvions « d’une utopie, d’un archipel ».

Terminus Schengen est un cri, une clarté : « Cette fois-ci, nous ne sommes pas venus marteau-pilonner vos trottoirs ni violer vos filles ou voiler vos femmes / nous sommes venus réveiller en voix le goût de la révolte / briser les lois gelées de la géographie / et vous insuffler le nouveau sens de l’Histoire. »

Avec Le Cœur de l’Europe, Emmanuel Ruben continue de parcourir les Balkans, jusqu’à se heurter à l’impitoyable Hongrie, refusant le devoir d’asile envers des réfugiés politiques qu’elle criminalise d’emblée, attitude posant la question de son inscription au sein de l’Union Européenne, à moins que, « vérité de l’Europe de Schengen et de l’euro », elle n’en préfigure l’avenir.

D’un côté des touristes allant de spot en spot, de l’autre des exilés fuyant la guerre.

« Cœur de l’Europe », selon la belle expression de Nicolas Bouvier, cité en exergue, les Balkans sont un laboratoire d’une vie en commun possible, ou non.

La multitude des tunnels et ponts que l’on y emprunte (lire Ivo Andrić, prix Nobel de littérature 1961) est une métaphore de la construction de liens nécessaires quand chacun tend à se replier sur le fantasme de la pureté de son origine ethnique.

Pour retrouver le sentiment de ce que fut la Yougoslavie, se rendre immédiatement en République de Macédoine, à Ohrid, avant que les tours operators et les fonds vautours ne s’emparent de cette nouvelle cible : « Aujourd’hui il n’y a qu’à Ohrid – qui n’a pas connu la guerre, où n’a pas sévi l’épuration ethnique – qu’on peut avoir un juste aperçu de ce que fut la Yougoslavie : un pays où l’on peut être macédonien, parler albanais, manger bosniaque, rêver des femmes croates et des plages monténégrines, regarder la télé turque ou allemande en buvant de la gnôle serbe. »

Avec un ton très sûr, Emmanuel Ruben nous rappelle à notre insuffisance géographique fondamentale.

En effet, qui parmi nous, cher lecteur, peut situer sans trop d’erreur sur la carte européenne la Voïvodine, le Banat roumain, la Slavonie croate, la Krajina serbe, la Republika Srpska, la république serbe de Bosnie ?

« Nous ne savons pas grand-chose, en France, de l’exode de 200 000 civils serbes de Krajina, et nous savons encore moins combien de personnes furent massacrées. Sur les ruines de ce triste champ de bataille où l’histoire fut plus complexe qu’on veut bien nous l’enseigner en France, nos Kouchner, nos BHL et nos Finkielkraut n’allèrent pas pérorer, qui préféraient les montagnes de Bosnie et les rivages de Dalmatie à ces mornes plaines fluviales vidées de leurs habitants mais dominées par de belles forteresses. »

Voilà qui est dit, dans un livre ne craignant pas de prendre parti, en dénonçant les délires architecturaux du cinéaste mégalo Kusturica (Kusturigrad, « pacotille capricieuse d’un millionnaire expatrié devenu étranger à son propre pays »), ou faisant l’éloge (pages 42 et 43 superbes) du maître américain du neuvième art Joe Sacco (Goražde et Palestine), plutôt que celui de l’auteur des Chroniques de Jérusalem, Guy Delisle (« la BD restée au stade d’un enfantillage un peu gratuit, pour l’amusement des lecteurs de 7 à 77 ans »).

Livre d’admiration (pour la Serbie, Thierry Vernet, François Maspero/Klavdij Sluban, Hergé), Le Cœur de l’Europe se fera donc aussi des ennemis.

Sarajevo ? « On a tout de même du mal à croire que ce gros bourg étiré d’est en ouest est la capitale d’un Etat européen. Mais il y a peu de villes aussi attachantes, peu d’endroits au monde où l’on se sent comme ça, revenu deux fois à la maison. »

La Bosnie-Herzégovine ? « une terre de contrastes. Contrastes entre le gel matinal et la chaleur estivale de l’après-midi. Contrastes entre l’ombre et la lumière. Contrastes entre les rondeurs des églises à bulbes et le tranchant des minarets, entre les beaux vestiges de neige sur les montagnes et les traces de la guerre qu’on lit partout, dans toutes les villes, dans tous les villages, impacts de balles et d’obus indélébiles, mal rebouchés, encore visibles sous le crépis des fermes et des immeubles. Contrastes, enfin, d’une vallée à l’autre, entre la rudesse d’un paysage et la douceur du suivant. On dit d’ordinaire que c’est en France que les paysages sont les plus variés mais cela ferait rire un paysan bosniaque, car d’une vallée à l’autre, on a l’impression de passer de la Norvège à la Provence… »

Le Monténégro ? « une Corse ou une Sardaigne qui n’a pas la chance d’être une île. »

Le registre est parfois celui du grand Nicolas Bouvier, devancier en enthousiasmes et formules impeccables. Ainsi, ce passage : « On aime fustiger le fait que les Albanais rêvent d’une grande Albanie, les Serbes d’une grande Serbie, les Macédoniens d’une grande Macédoine, les Croates d’une grande Croatie, les Bulgares d’une grande Bulgarie… Mais de quoi voulez-vous donc qu’ils rêvent ? D’une plus petite Serbie, d’une plus petite Macédoine, d’une plus petite Albanie ? Si la France était réduite à l’ïle-de-France ou l’Italie au Latium, ne rêverions-nous pas plus grand ? »

Consacré à la Hongrie d’Orban, Le Cœur de l’Europe, petit livre multiple, Balkans textuels, s’achève dans la rage et la douleur devant les passeurs serbes attendant leur gibier appuyés sur des Mercedes aux vitres teintées, et des policiers redoutables défendant l’honneur des racines chrétiennes de la race blanche, et très souvent saloparde.