Eric Darsan
Un article daté du 17 août, sur le blog d’Eric Darsan :
Nous quittons momentanément les Etats-Unis – ceux du Cerveau à sornettes, des Gaspilleurs et de Papa, tu es fou avant d’y revenir avec Mentir à perdre haleine – pour une petite étape dans les contrées européennes et imaginaires d’Alfons Cervera qui nous entraîne sur Les chemins de retour grâce à la Contre Allée à qui j’adresse un merci ensoleillé. « Les histoires de fiction surgissent toujours d’un lieu donné », d’un « territoire moral ». Avec pour point de départ un travail de commande pour une revue, Alfons Cervera revient, parfois plus de cinquante ans après, sur les lieux et gens « réels » qui ont inspiré ses récits et, ce faisant, sur « le dedans et le dehors d’un roman ».
Une problématique, un travail, une attention et un rapport aux lieux qui me rappellent ceux de Jorge Luis Borgès mais aussi ceux de François Bon. Auteur d’une trentaine d’ouvrages dont quelques-uns seulement ont fait l’objet d’une traduction et d’une édition françaises grâce à Georges Tyras qui « affronte sans relâche l’impossible traduction »de ses « fictions » et du joli travail réalisé « en bonne entente » par la Contre Allée et par la Fosse aux ours, Alfons Cervera nous offre avec Les chemins de retour une porte d’entrée à l’ensemble de son œuvre. Une œuvre abondante, passionnante et engagée marquée par un lyrisme, une poésie, une prose, des images et un ancrage qui rappellent ceux de Jacques Abeille. Toutes choses sur lesquelles nous reviendrons lors de la rétrospective de la rencontre entre l’auteur du cycle des Contrées et de Bernard Noël autour du thème Poésie et fiction. La couleur du crépuscule, Tant de larmes ont coulé depuis, La nuit immobile, Maquis, L’ombre du ciel, Cet hiver-là, Ces vies-là, Bien loin : autant de titres, autant d’étapes qui marquent des tournants dans l’œuvre de l’auteur. Le bar, le village, la grotte, le cimetière civil ou encore la maison, « tant de maisons » : autant de lieux qui les ont inspirés et leurs font désormais écho. Autant de gens enfin, que recouvre la réalité des« personnages » : « Les personnages de mes romans je ne les invente pas, ils existent. Ce sont mes amis. Et quelques ennemis, aussi. ». Tous « fantômes » d’un passé irrésolu, d’un futur révolu, d’une œuvre et d’un auteur qui, à partir des mêmes fondations, des mêmes thèmes et de la même construction, parviennent résolument à découvrir d’autres chemins au lecteur comme en lui-même. Demeure aussi, le berceau du franquisme qui les tous ensemble, semblable à ce Fil Rouge évoqué par Sarah Rosenberg, également publié à la Contre Allée, tyrannie aveugle et sourde qui s’insinue et sourde des vies et lieux évoqués ici et là par leurs noms, leurs spécificités, leurs différences ou ressemblances et parfois même leur disparition. D’ailleurs ces lieux autres et autres personnages, dont Alfons Cervera ne nous propose que des descriptions relativement factuelles et des clichés en noir et blanc, ont-ils jamais existé ? N’auraient-ils pas disparu quand d’autres, bien plus vivants, extirpés du néant et amenés à la vie par leur créateur, gagnaient en couleurs et en réalité ? Et s’ils avaient perdu leur âme au profit de ceux-ci, par cette captation photographique que redoutaient tant autrefois, les peuplades animistes ? Et s’ils étaient eux-mêmes, par leur évocation ou par leur nature même, inventés de toute pièce, dans un unique élan où se mêlent inextricablement les processus imaginaire et mémoriel ? « Est-ce que je sais moi, d’où sortent les romans. Du néant. » De ce néant seuls s’extirpent de façon sûre l’auteur et la maison qu’il habite encore, qui fut celle de ses aïeux et demeure « le cœur qui bat » dans ses romans. De la même façon, les éléments de décoration qui meublent son intérieur, Alfons Cervera, dont le père était acteur, les trouve moins dans ses lectures – la littérature anglaise du XIXème, Les Hauts de Hurlevent ou encore Flaubert – que dans le cinéma. L’homme des vallées perdues, Malvaloca, Le docteur Jivago : « Bien des films naissent des romans qui leur ont donné vie, une vie distincte et parallèle ».
Une vie qu’on ne peut percevoir qu’à travers les images que l’auteur, « maître absolu du roman », accepte de nous délivrer. Le reste, je ne peux que l’imaginer moi-même, en fonction de cette seule lecture, de ce qu’elle m’inspire, de ce qu’elle fait résonner dans mon propre intérieur, dans ma propre maison. Car, en dehors de ces Chemins de retour, je n’ai pas lu Alfons Cervera : ni dans le texte ni dans les quelques traductions déjà parues. Or c’est peu dire qu’il est difficile d’emprunter les chemins de retour d’un auteur avec lequel on n’est guère parti et que l’on n’a pas suivi encore, sinon à travers les argumentaires et extraits de ses éditeurs. Et si, de cette exégèse sans source, se dégage progressivement des anecdotes qui constituent un ouvrage et un univers qui se tiennent eux-mêmes, on ne peut que rester sur notre faim tant que l’on n’a pas été plus loin. Comment parler des livres [qui parlent de livres] que l’on n’a pas lus ? me direz-vous dès lors. Et bien de la même façon que l’on écrit ceux qui n’existent pas encore : avec – selon les cas, mais bien souvent avec tout cela à la fois – une bonne dose d’amour, de passion, d’humour, de ténacité, de savoir faire, de culture, de lectures, d’imagination, d’audace et d’aplomb.
Ce sont ces mêmes qualités qui poussent aujourd’hui La Contre Allée à publier un ouvrage qui paraît à première vue s’adresser à un public de connaisseurs au sujet d’une œuvre et d’un auteur peu traduit et donc peu porté à la connaissance du grand public. Ces mêmes qualités qui font de la Contre Allée une maison proche de ses auteurs par l’attention et le travail d’édition et de diffusion qu’elle fournit, et proche de ses lecteurs qu’elle invite sans cesse à la réflexion par la parution d’ouvrages de fonds engagés dans des enjeux contemporains mêlant littérature et sciences humaines. Sorti le 18 juin dernier, Les chemins de retour s’inscrivent ainsi dans la collection Les Périphéries que la Contre Allée nous présente ainsi : « Les Périphéries nous déportent, nous décentrent, nous amènent à des confins, nous font prendre des parallèles, explorer les recoins, les Périphéries nous relient, aussi. ». Elles m’ont permis ici — et à vous aussi, peut-être — de croiser pour la première fois la trajectoire d’Alfons Cervera, journaliste, poète et romancier connu pour son cycle consacré à la « mémoire des vaincus » de la guerre civile espagnole.
Une mémoire qui pose la question du souvenir et de ses distorsions, de la vérité et de l’imagination confrontées à une « réalité » qui, dans ses retranchements les plus sombres, dépasse cette fiction qui demeure davantage cependant, plus vraie et plus réelle, à travers l’écrit des survivants. « Les romans sont devenus une autre manière d’inventer des exils » nous dit Cervera. C’est chose faite grâce à ce tout petit livre de quatre-vingts pages à peine – dont chacun des dix chapitres prend pour point de départ une photographie en noir et blanc accompagnée d’un court extrait traduit, parfois pour l’occasion, d’un de ses romans – qui parvient à créer en miniature un univers aussi fantomatique que cohérent. Un ouvrage qui, moins encombrant qu’un poche, trouve sa place dans toutes et, par-dessus tous, dans cette série de chroniques que je vous propose. Une série consacrée aux livres de l’été mais également, par un heureux hasard, à l’écriture et aux rapports qu’entretiennent en son sein fiction et réalité. « Tout n’était que mensonge. Tout continue de n’être que mensonge. Plus mensonge encore dans la réalité contemporaine espagnole que dans mes romans » car « Les romans construisent une autre réalité. Comme s’ils mentaient. Mais ils ne mentent pas ».
Témoin, la couverture le dessin du sol à damier qui s’ouvre et figure sur la photo de la maison de Cervera en première page et qui nous laisse d’entrée sur le carreau avant de nous aider à nous relever et à reprendre le chemin des écoliers en direction de la rentrée. Quand le disque solaire du Papa, tu es fou chez Zulma reprenait le sommaire de ce petit conte lumineux, un petit carré qui fait écho au damier de la couverture desChemins de retour revient sur les conditions très particulières de composition – « une saison hivernale particulièrement humide » – de ce petit fascicule. Après le roman de Saroyan qui évoquait sa propre vie à travers le regard supposé de son fils – dont nous aurions pu évoquer le souvenir véritable à l’éclairage de son œuvre propre comme desDommages Collatéraux racontés par Dan Fante au sujet de son propre père – j’aurais en effet le plaisir de vous présenter Mentir à perdre haleine, Une enquête de David Samuels. Un ouvrage passionnant et emblématique du journalisme narratif publié par les Editions du Sous-Sol qui vous révélera « toute la vérité sur les incroyables mensonges et le fabuleux destin de James Hogue, l’imposteur de l’Ivy League » et bien plus encore.
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