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Les Quichottes : Voix de la Laponie espagnole
Sélection livres du dimanche : des points sur le « i » de l’écologie
Par Marine Dusigne
12 sep 2021

Pas franchement surprenant, mais l’idéologie la plus fédératrice, aujourd’hui, serait l’écologie avec les enjeux de l’environnement… préoccupants. Logique que la littérature se saisisse de problématiques comme le retour à la nature, la biodiversité, l’avenir de l’habitat, du patrimoine… avec, au centre du discours, le savoir, dont s’empare le roman contemporain, au rayon anticipation, éco-fictions, éco-thrillers, dystopies i tutti quanti, montrant la condition humaine, dans et avec, le monde qui l’entoure. Pioché cette semaine dans quelques-unes des pages les plus récentes qui, dans ces thématiques, ont eu les faveurs de la critique.

RECIT. Ni roman, ni essai. Davantage un voyage, au coeur de la région la moins peuplée d’Europe, en plein cœur de l’Espagne. Dans cette « Serranía Celtibérica », désignant un vaste territoire (2 500 km) réparti sur dix des provinces officielles du nord de Valence à la Rioja, des confins de Guadalajara et Ségovie à Teruel, en Aragon (65 000 km2, avec 1 355 municipalités). Une terre aride, montagneuse, autrefois investie par l’élevage et dont le dépeuplement, commencé au milieu du XXe siècle, s’installe inexorablement. Tel est le décor dans lequel Paco Cerdà, le reporter, entraîne le lecteur des Quichottes, celui du plus grand désert démographique d’Europe, après la région arctique de Scandinavie, celui que l’on surnomme la « Laponie du Sud » parce que, comme là-bas, y vivent moins de huit habitants au kilomètre carré. D’une écriture magnifique, en évitant le pathétique, l’auteur espagnol sans verser dans l’idéalisation d’un monde rural bucolique, raconte l’abandon, la fin de toute perspective, l’absence d’écoles, de soins, de structures culturelles ou sportives dans ces paysages riches d’histoires, aux habitants riches de tels paysages. Des portraits qui posent des questions politiques, sur les investissements requis pour la survie d’un pays ? Eau courante, électricité, écoles, routes, centres médicaux ? Comment composer avec des ruines de pierres ? Avec des traditions qui réchauffent les trop longues fins d’hiver ? Avec la solitude ? Convaincue avec Cerdà, après l’avoir lu, de l’urgence et de la nécessité qu’il y a à préserver la force et la beauté de telles contrées…

Le Monde Diplomatique

Le Monde Diplomatique

Journaliste et écrivain, Paco Cerdà raconte une immensité désertée au sud-est de Madrid. La pauvreté, la froidure et la dureté du travail en ont chassé les habitants un par un. Parmi les centaines de villages en ruine, envahis par la végétation, vivent encore quelques Don Quichottes, ultimes vigies résistant à l’austérité de leur vie, témoignant de leur fierté d’habiter là et de leur désarroi à se savoir les derniers. Silence de l’isolement, où l’on « entend le pas sur le sol », comparé aux solitudes urbaines des Sud-Coréens qui paient pour partager leur repas avec d’autres par Internet… Une révolte puis sante s’est élevée contre l’abandon de l’État, comme à Teruel; contre l’ouverture de mines à ciel ouvert à Serranía. Une autre vie parfois s’ébauche, avec des natifs qui reconstruisent leur maison familiale, ou encore des néoruraux << multiculturels », pour reprendre le terme de l’auteur, qui inventent là d’autres manières de vivre, suscitant des conflits entre les éleveurs d’animaux et ces nouveaux habitants qui cer nent leurs zones de pâturage. Le récit est entre lacé de textes d’écrivains (Juan Rulfo, Miguel Hernández, Antonio Machado…).

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S’il est un livre qu’il faut lire pendant l’été, c’est celui-ci. D’une rigueur, d’une simplicité, d’une force absolues, car c’est bien d’absolu qu’il s’agit dans ces pages, l’écriture ciselée de Paco Cerdà n’en finit pas de nous habiter. Récit littéraire de voyage de 2500 km à travers les 65000 km2 du plus grand désert démographique d’Europe– après la région arctique de Scandinavie – cette voix de la Laponie espagnole ne nous quittera sans doute jamais. C’est bien le moins que nous devons à la beauté de l’inexorable lenteur, quasi suspendue, de cette zone située entre Valence, Madrid et Barcelone: une fidélité aux femmes et aux hommes, des Quichottes, peints tout au long de ces pages, à leur abandon, subi au nom de la désertification rurale la plus extrême, imposée par un système économique d’une brutalité aveugle. En dix chapitres pour dix régions, cette parole lointaine nous va droit au cœur, sans atermoiements, pour mieux nous rapprocher d’elles, d’eux: leur terre, leur vie, leur incommensurable solitude étirée, à travers le temps, dans les paysages de leur monde rural sacrifié. Rébellion aussi, âpre liberté de résistants, acteurs malgré eux de la décroissance à la Thoreau, qui les conduit à déclarer: « Petit à petit, tu comprends qu’en fait tu n’as pas besoin de tout ce que tu as perdu. »

La Quotidienne

La Quotidienne

Plus que jamais, il y aura mille et une façons de voyager cette année. Parmi celles-ci, un bon véhicule pour aller au devant de territoires isolés, un autre modeste pour s’intégrer dans le trafic, ou attendre chez soi l’au delà des frontières. Trois livres, bonheurs de lecture, en font le tour.

Direction d’abord l’Espagne pour une épopée inédite dans la « Laponie espagnole ». Aussi baptisée Serrania Celtibérica, ce territoire sans accès à la mer s’étend sur dix provinces et cinq communautés autonomes, parfois à 20 ou 50 kms seulement de sites prestigieux, économiquement ou touristiquement, n’a ni identité ni délimitation précise, juste un présent d’abandon.

Paco Cerdà, journaliste, a pris une bonne voiture pour emprunter des routes défoncées, parfois juste chemins, afin de tenter de rencontrer les derniers habitants de villages oubliés des pouvoirs publics et de leurs voisins.

Le surnom de Laponie espagnole vient du fait qu’on y rencontre moins d’habitants au km2 qu’en Laponie où les résidents ont choisi leur sort alors qu’en Espagne, il leur a été imposé par l’émigration vers les grandes exploitations agricoles, les usines ou le tourisme.

Fin observateur et analyste, l’auteur plonge le lecteur dans une ambiance de Don Quichotte hors d’âge d’où le nom du livre, que « L’étranger » d’Albert Camus n’aurait pas dénié. Un grand moment d’introspection, d’enquête froide et sublimée qui doit assurément beaucoup à la belle traduction de Marielle Leroy.

(…)

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L’Écologiste

Parmi les « Livres remarquables » de la revue L’Écologiste

Un reportage sur la vie des habitants d’un territoire rural espagnol sans aucune autoroute de 65 000 km2 à l’Est de Madrid : 1400 villages entre 700 et 2300 mètres dont la population âgée a été divisée par deux en un siècle et dont la diminution s’accélère aujourd’hui.

Sud Ouest

Sud Ouest

« Les Quichottes » au coeur du
désert démographique ibérique

Le journaliste espagnol Paco Cerdà s’est intéressé à la désertification des campagnes ibériques

« Un non-lieu ; dans un nontemps. » C’est ainsi que Paco Cerdà qualifie les terres d’Espagne qu’il a parcourues avant de rédiger « Los Ultimos ». Publié en 2017, ce livre se retrouve aujourd’hui traduit en français, par Marielle Leroy, et édité à La Contre Allée. Voyage dans les « ténèbres espagnoles » – selon l’écrivain Julio Llamazares – le périple du journaliste, long de 2 500 kilomètres, permet de découvrir l’un des plus grands déserts démographiques d’Europe. Avec une densité de 7,34 habitants au km2, les 65 000 km2de ce territoire au sud-est de Madrid – 13 % de la superficie du pays – s’étendent sur cinq communautés espagnoles, dix provinces et 1 355 municipalités. Face à ce ratio, équivalent à celui de la Laponie, Paco Cerdà s’est intéressé aux derniers humains à vivre dans ce désert ibère. Leurs témoignages disent toute la problématique de la désertification des campagnes, ces « zones en extinction » confrontées depuis des lustres à un exode vers des villes devenues mégapoles. L’auteur, lui, chemine aux côtés de grands noms des lettres, pour faire de ces espaces de solitude un récit aux échos littéraires nombreux : d’Antonio Machado à Gabriel García Márquez.
Benjamin Ferret 

Imagine

Sesga, El Collado, Rodenas, Les Alberedes, Aldealcardo… Ils sont des milliers, ces villages espagnols en voie de disparition. Un dernier habitant ici, une dizaine là-bas, plus aucun parfois, ils font partie de la « Laponie espagnole », une zone de 65 000 km² qui constitue le plus vaste désert démographique d’Europe après la région scandinave. Le journaliste Paco Cerdà a parcouru de part en part ces terres vidées de leurs habitants par l’exode rural et nous emmène sur la route pour nous raconter l’histoire de ces abandonnés par l’Etat espagnol. Peu de travail, peu d’équipements et de services publics, mais aussi amour de leur terre, de leur terroir, attachement à leur façon de vivre. Ils sont nombreux à se battre pour revendiquer leur droit à une qualité de vie correcte et défendre leur place dans ce monde globalisé. Un témoignage sensible et touchant sur une réalité qui concerne bien d’autres régions européennes.

Revue Imagine, numéro 144, page 115.

Libération

Libération

Bulles de culture

Paru 2017 en Espagne, aux éditions Pepitas de calabaza  (Graines de courges), sous le titre « Los últimos. Voces de la Laponia española », le livre de Paco Cerdá, journaliste trentenaire vient de paraître en France aux éditions La Contre Allée sous un titre revisité, « Les Quichottes. Voix de la Laponie espagnole ». La critique et l’avis. 

Cet article vous est proposé par le chroniqueur Chris L..

Paco Cerdà à la rencontre des Quichottes

Sous la forme d’une enquête journalistique, durant une longue traversée de 2 500 kilomètres d’une partie de l’Espagne, celle abandonnée par l’aménagement du territoire, Paco Cerdá donne la parole aux survivants des villages, violemment dépeuplés ou déjà devenus des villages fantômes. Les dix provinces où rayonnent entres autres, Guadalajara, Teruel, La Rioja, Burgos, Valence, Cuenca, Saragosse, Soria, Segovie et Castelló, constituent ce qu’il est convenu d’appeler la Serranía Ibéríca ou Laponie espagnole. Sur ces terres montagneuses, aux hivers rigoureux, dignes de la Sibérie, seules 500 000 personnes peuplent les 1 355 villages existants. Cette vaste zone au cœur de l’Espagne, d’un seul bloc de 65 000 kilomètres carrés, bénéficie du triste record de la plus faible densité en Europe avec à peine 8 habitants au kilomètre carré. En hiver, seul, Paco Cerdá s’est lancé à la rencontre de ces Quichottes, dignes du héros éponyme de Cervantès. Ce terme, choisi pour la traduction française, induit des personnes qui se battent dignement, avec fierté, même si leurs combats sont probablement voués à l’échec, mais ils ne sont pas seulement los últimos (les derniers), comme le titre espagnol l’affirmait.

Durant tout le XXe siècle les populations ont été forcées de migrer vers des villes offrant  emplois, services médicaux, enseignement scolaire et services publics. Les nouvelles villes, qui accueillent ces exilés de l‘intérieur, risquent elles mêmes quelques années plus tard un abandon au profit d’un nouvel eldorado. Ces terres conservent néanmoins, pour certaines, quelques rares habitants qui ont vécu toute leur vie en ces lieux austères, où le silence s’écoute comme un bien rare et précieux. D’autres sont revenus après une fuite vers la ville où ils n’ont pas supporté le rythme de vie, l’isolement au sein de la collectivité. D’autres viennent y retrouver les souvenirs magnifiés de leurs vacances d’été chez leurs grands-parents, d’autres de passage s’y sont enracinés, loin de tout. Ainsi l’absence totale ou la pénurie, de routes, d’électricité, d’eau courante, de téléphone, caractérisent ces territoires. Pourtant la modernité est à portée de main avec autoroutes, chemins de fer, panneaux solaires. Desservir ce monde rural aurait coûté trop cher et mieux valait parquer la population dans quelques villes définies.

« une belle analyse sociologique de cette Espagne profonde et abandonnée »

Avec des moyennes d’âge très élevées, la mort programmée de ces villages est annoncée avec le décès du dernier Quichotte. Après ronces et nature reprendront possession des maisons abandonnées et délabrées. Comme les villages engloutis sous des lacs de barrage, bientôt ceux de la Serranía Ibéríca disparaîtront à leur tour des cartes géographiques. Avant qu’il ne soit trop tard, Paco Cerdá a su mettre en lumière tous ces Quichottes, si touchants et émouvants. Qu’ils soient bergers, forgerons, instituteurs, enseignants, écrivains, maires, ou autres, tous sont loin des clichés romantiques d’Henry David Thoreau, sur les bienfaits d’un retour à la vie rurale. Ils sont réalistes sur leurs situations pavées de difficultés, leurs solitudes, leurs quotidiens difficiles. Lucía, soixante-quinze ans, a servi « de guide dans un village mort », Les Alberedes, celui qui fut le sien, immortalisé par Ken Loach dans Land and Freedom, livré désormais aux affres de la nature et du climat. Ella redonne vie à ceux et celles qu’elle a connus, grâce à ses souvenirs, à la « carte sentimentale de qui l’a habité », cette bourgade.  Entre journalisme et littérature, Paco Cerdá, réussit une belle analyse sociologique de cette Espagne profonde et abandonnée, teintée de poésie par instant, peuplée de belles personnes, dans ces espaces vides.

Article source disponible ici

La Libre Belgique

La Libre Belgique

S’il y a, de prime abord, beaucoup de chiffres dans le livre du journaliste Paco Cerdà (Valence, 1985), Les Quichottes, voix de la Laponie espagnole, il en est un, primordial : la Serranía Celtibérica, région comprise, en gros, entre Madrid, Barcelone et Valence, possède une densité moyenne de 7,34 habitants au kilomètre carré (qui peut parfois se réduire à 2 ou 1 !). Ce qui en fait le plus grand désert démographique d’Europe après la région arctique de Scandinavie – d’où l’allusion, dans le titre, à l’extrême bout de la Finlande. C’est aussi le premier cas historique de démothanasie. Néologisme que l’on doit au professeur Francisco Burillo, que Paco Cerdà rencontre à Teruel et qui lui fait une démonstration implacable du désintérêt pour des raisons purement bureaucratiques de cette région qui pourrait bénéficier d’aides de l’Europe. Sur ce territoire espagnol de 65 825 km2  qui comprend 5 communautés, 10 provinces, 1 355 municipalités, Paco Cerdà a parcouru 2 500 km. Il est allé à la rencontre des derniers habitants d’un monde rural en voie d’extinction. Quatre habitants à El Collado, 3-4 résidents permanents à Santa Marina. Il compte en hommes, mais aussi en animaux. Ainsi, du village de Checa qui est passé de 40 000 brebis à 4 000. Mais les chiffres s’appliquent à d’autres domaines. À Selas, il n’y a plus d’école : il faut au moins 4 enfants en âge de la fréquenter pour qu’un village puisse conserver ce type de lieu avec un maître. L’instituteur Héctor Martín qui est arrivé tout jeune, au début des années 2000, à Cuevas de Cañart, a vu les écoles de la région fermer les unes après les autres.

Longs entretiens

Paco Cerdà ne fait pas parler que les chiffres. De sa belle plume poétique, il apporte de la consistance à son reportage. Il a pris le temps de récolter les témoignages de Matías, Faustino, Miguel Ángel, Marcos, Moisés, Ramón, Feli et quelques autres. De ces longs entretiens, il a retenu certains modes de vie. À Bubierca, la camionnette de pain passe trois fois par semaine, la livraison de surgelés, une fois tous les sept jours et il y a un seul bus par jour pour Calatayud. “On est loin du Bubierca qu’a connu Marcelina (dernière femme au village à avoir donné la vie) avec ses deux bars, ses deux boutiques, ses deux charcuteries, ses deux boulangeries”, constate-t-il. Autres infos primordiales : la fréquence des soins infirmiers (tous les 15 jours), le passage du médecin (une fois par semaine) et la proximité des urgences (12km). Que dire de la suppression de la messe du village – l’église de Bubierca ne s’ouvrant plus que pour enterrer ses concitoyens ?

Le dépeuplement de la Serranía Celtibérica a commencé récemment (les années 60) mais, depuis la décennie 90, une poignée de ceux qui étaient partis pour la ville ont tenté de ressusciter certains lieux. Pour vivre à leur rythme, être en symbiose avec la nature, s’éloigner de la société de consommation. Entre autres.

Le livre se termine sur une note positive – tout en mettant en garde contre le néoruralisme. Grâce à l’Association des amis de Sarnago, vingt-cinq maisons ont été retapées ; quant au programme Abraza la Tierra, il a permis à 167 nouveaux colons de s’implanter en 8 ans.

Un Français roi d’Araucanie et de Patagonie

Dans Patagonie, dernier refuge, les écrivains Christian Garcin (Marseille, 1959) et Éric Faye (Limoges, 1963) donnent aussi la densité de cette région à cheval entre le Chili et l’Argentine (dont la simple évocation du nom suscite moult images) : 5 habitants au kilomètre carré. Si la Patagonie partage avec la “Laponie espagnole” des conditions climatiques extrêmes, elle n’a par contre jamais été fort peuplée. Le récit des deux écrivains voyageurs est hanté par nombre de personnages. Sur les traces desquels ils partent, d’ailleurs. Dans un premier temps, Borges, Butch Cassidy et Sundance Kid. On se réjouit, par ailleurs, des références à Francisco Coloane et au regretté Luis Sepúlveda. Les auteurs n’oublient,  videmment pas, Hergé et ses Tintin, Jules Verne et son En Magellanie, Charles Darwin, Antoine de Saint-Exupéry, le controversé Jean Raspail,…

Aux portes de la Patagonie, ils se souviennent du Français Antoine Tounens, qui se renomma Orélie-Antoine 1er et se proclama roi d’Araucanie et de Patagonie. L’on est emporté par l’histoire assez folle de cet homme. Puis la géographie l’emporte dans ces “contrées où l’homme est rare, la nature est reine”. Après El Calafate, sa faune et sa flore, direction El Chaltén qui a bien changé en 40 ans, devenant un haut lieu de l’alpinisme et du trekking avec 120 000 visiteurs par saison. D’autres chiffres, mais qui donnent, ici aussi, le tournis. Comme celui du champ de glace Nord de Patagonie qui a perdu, entre 1945 et 1975, 93 km2 avant d’en céder pratiquement le double (174) les vingt années suivantes.

Quant aux habitants, les auteurs rappellent que la Patagonie a connu une vie avant les Européens. Que ce soient les Tehuelches (décimés par l’alcool) ou Onas (4000 en 1880, 500 en 1900, 50 en 1950, une seule en 1977). Dont la disparition n’est pas due qu’à une extermination programmée, mais aussi aux maladies et épidémies. Deux ouvrages qui nous ouvrent à des horizons si pas insoupçonnés, en tout cas fascinants. De formidables voyages assis, tellement loin de la carte postale.

Version libre

La petite maison d’édition « Pepitas de calabaza » (Graines de courge, un bien joli nom pour une maison d’édition), qui elle aussi emprunte les chemins de traverse, a publié en 2017 Los últimos. Voces de la Laponia española, œuvre d’un jeune journaliste trentenaire originaire de la région de Valencia, Paco Cerdà. La Contre Allée nous fait un bien beau cadeau en en publiant la traduction sous le titre Les Quichottes. Voix de la Laponie espagnole.

La Laponie espagnole ou Serranía Ibéríca, c’est un territoire de montagnes aux hivers rigoureux qui s’étend sur les provinces de Guadalajara, Teruel, La Rioja, Burgos, Valencia, Cuenca, Zaragoza, Soria, Segovia et Castelló. Un territoire qui compte 1355 villages mais au total pas plus de 500 000 habitants, soit une densité d’à peine huit habitants au kilomètre carré. Le territoire le moins peuplé d’Europe « cette tache désertée et agonisante qu’on appelle serranía ibérica » (p.50)

Paco Cerdà a entrepris un voyage hivernal de 2500 km au cœur de cette Espagne dépeuplée, cette « Tierra de los Pocos », ce « País de los Nadie » (la Terre des Peu Nombreux, le Pays des Personne).

Il a parcouru « la route 66 du dépeuplement » dans des conditions souvent difficiles. Il dit :

« C’est une incursion humble dans le cœur européen du dépeuplement le plus extrême pour y écouter les voix et démêler les silences de ses habitants. C’est la rencontre d’un monde traîné jusqu’au bord de l’abîme après avoir été inondé par la pluie jaune et inclémente que déversent le passage du temps et l’abandon. » (p.12).

Au-delà de Julio Llamazares que nous retrouverons plus tard, on ne peut s’empêcher de penser à Antonio Machado qui, parcourant la province de Soria, écrivait : « Tierras pobres, tierras tristes, tan tristes que tienen alma (Campos de Castilla, Romance La tierra de Alvargonzáles »).

C’est cette âme que nous fait découvrir Paco Cerdà et, plus qu’une enquête journalistique, ce livre, c’est une quête humaine, l’histoire d’un monde qui s’éteint, mais aussi l’histoire de ceux qui résistent, qu’on n’entend pas et qui disent : Pourquoi vouloir m’imposer un mode de vie que je ne veux pas ?

Parmi les résistants, il y a Matías Lopez, le berger solitaire, seul habitant de Motos.

Faustino, seul lui aussi à Tobillos, qui dit que la solitude est pesante mais qu’il est né, a grandi là et y a toujours été heureux.

Il y a Marcos, sorte de Che Guevara des Alpujarras de la Rioja, qui organise la résistance à El Collado. Juanito, 77 ans, le seul de trois frères à ne jamais être parti de Sesga. « Moi, ici, j’ai toujours été libre », dit-il.

Il y a aussi cette belle rencontre avec Alfons Cervera (quel bonheur !) attaché à la serranía de Valencia qu’il a « indéfiniment parcourue dans tous les sens », et qui n’a jamais vraiment quitté Gestalgar, le Los Yesares de ses romans.

Il y a Paco l’instituteur de Aras de los Olmos qui, pour ses élèves, a inventé le jeu de « Je rapporte un mot » afin de fabriquer avec eux un dictionnaire répertoriant les mots liés à leur vie quotidienne, pour que ces mots, on ne les oublie pas.

Et il y a enfin parmi bien d’autres, Lucía qui revient à Los Alberedes, village abandonné qui est aujourd’hui « un trou noir géographique » et qui « survit seulement dans la carte sentimentale de qui l’a habité. Et bientôt même cette carte disparaîtra. » (p.250). Et dans ce village choisi par Ken Loach pour y tourner les dernières scènes de « Tierra y libertad », dans ce village fantôme, il ne reste comme témoignage du passé accroché à une patère dans une maison vide que la veste de l’oncle Simon.

Tout au long du livre on ne peut s’empêcher de penser au réalisme magique, à Juan Rulfo, car la Laponie espagnole est à la fois « un monde réel, extraordinaire et étrange ». On peut aussi évoquer Kafka et le début du Château. Mais on pense surtout à Julio Llamazares et à « La pluie jaune » (« La lluvia amarilla ») traduit et publié en 1988 par les éditions Verdier. Julio Llamazares que Paco Cerdà évoque longuement et qui écrit à propos des Quichottes: « Hay libros que a uno le gustaría haber escrito y éste es uno de ellos. « Los Ultimos » es un viaje al corazón de las tinieblas, solo que al corazón de las tinieblas de España. » (Il y a des livres qu’on aimerait avoir écrits et celui-ci en est un. « Les Quichottes » est un voyage au cœur des ténèbres, sauf que c’est au cœur des ténèbres de l’Espagne.)

Françoise Jarrousse

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Politis

Politis

Moins de huit habitants au kilomètre carré! Nous ne sommes pas dans une lointaine terre froide, mais dans une vaste zone située entre Valence, Madrid et Barcelone. C’est dans le plus grand désert démographique d’Europe que nous entraîne Paco Cerdà avec cet ouvrage riche de rencontres. Pourquoi un tel abandon politique ? Comment vit-on quand on est « décroissant» par la force des choses ? Entre enquête et reportage, un livre à l’écriture élégante sur lequel flottent les ombres d’un Thoreau ou d’un García Márquez.

Charlie Hebdo