Revue de presse

← L’Ultime parade de Bohumil Hrabal

Marc Villemain

Un billet de lecture de Marc Villemain, écrivain et directeur de colletion aux éditions du Sonneur, daté du 25 novembre :

De l’ultime parade de Bohumil Hrabal, aura-t-on le fin mot ? Rien n’est moins sûr : jamais, probablement, l’on ne saura si l’écrivain chuta par accident ou délibérément de la fenêtre de sa chambre de l’hôpital de Prague, ce jour de février 1997. Jacques Josse, bien sûr, ne s’attache pas reconstituer le drame, pas plus qu’il ne cherche à l’expliciter ; tout juste semble-t-il songer, mais entre les lignes, que la chose, d’une certaine manière, allait de soi, terme logique, disons concevable, d’une existence brinquebalée par le siècle, d’une trajectoire d’écrivain que la peur « tenait entre ses griffes« . Avec la justesse et la sensibilité qu’on lui connait, Josse dresse du grand écrivain tchèque un portrait à la fois impressionniste et concret, figure quotidienne et hors-normes, pétrie de joies simples, terrestres, mais en butte à un certain nombre de fêlures : une figure terriblement présente.

Les livres de Josse, brefs, limpides, s’agencent toujours le long d’un petit fil de mélancolie : sans doute fait-il partie de ces écrivains qui, sans le vouloir ou spécialement chercher à l’entretenir, ne peuvent s’empêcher de se retourner sur les lieux et le temps d’où ils viennent, et de reconnaître leurs dettes envers ce qui a croisé leur chemin. Ce petit fil de mélancolie, noué à cet écrivain tellement vivant, qui aimait s’asseoir parmi les siens à une table du Tigre d’or et, rageur, malicieux, y boire plus que de raison, donne à Josse l’occasion d’une déambulation délicate et sereine dans l’existence d’Hrabal. De fait, l’évocation discrète des conditions de sa naissance, des innombrables petits métiers auxquels, censure oblige, il fut acculé, de cette sensation de peur qui l’habitait, de l’amour qu’il portait à sa femme, constitue un hommage pudique à l’homme autant qu’à l’écrivain.

De la Seconde Guerre mondiale au Printemps de Prague jusqu’à la Révolution de velours, c’est peu dire que Hrabal rencontra le siècle, à commencer par ses convulsions. Peut-être faut-il y voir les raisons de cette trop bruyante solitude qu’il donna comme titre à l’un de ses textes marquants, cette histoire de mots qui meurent, ce « monologue sorti du fond des caves » qui, comme Josse le suggère, pourrait bien à lui seul contenir tout Hrabal. Lui qui souffrait tant de « la blême, la morne, l’efflanquée, l’insupportable solitude » ne saura jamais qu’au Tigre d’or et bien d’autres bars du monde, les inconsolables se retrouvaient pour lui dire, lui chanter, lui crier qu’il n’était pas seul.

Lire le billet sur le site de Marc Villemain ici

Blog de Fabien Ribery

Un billet sur le blog de Fabien Ribery, daté du 31 octobre, au sujet de L’ultime parade de Bohumil Hrabal et Elisée, avant les ruisseaux et les montagnes :

Le détail délicat de la miette près du verre de vin – quand Bohumil Hrabal rencontre Elisée Reclus

Si l’on décernait des prix Nobel de littérature à titre posthume, nul doute que, parmi la cohorte des oubliés de génie, le poète palestinien Mahmoud Darwich (1942-2008), l’ironiste métaphysique Witold Gombrowicz (1904-1969), ou, dans un tout autre registre, Bohumil Hrabal (1914-1997), écrivain tchèque, bon buveur, esprit carnavalesque, seraient les premiers désignés.

Un beau petit livre du poète et romancier Jacques Josse, L’ultime parade de Bohumil Hrabal, notule de haute saveur, nous permet de redécouvrir l’auteur d’Une trop bruyante solitude (Robert Laffont, 1983) par la grâce de quelques instantanés biographiques, relevant à la fois du document et du fantasme fraternel.

Trop lucide quant au totalitarisme ambiant, Hrabal, ami du dissident Vaclav Havel, fut constamment inquiété, surveillé, espionné, traversant l’ère du soupçon par ses dons d’observation (spectacle de la comédie humaine) et d’écriture, ne pouvant éditer ses livres qu’en samizdat, c’est-à-dire de façon clandestine.

Le style, pornographe et grotesque, voilà l’ennemi, pour qui ne peut supporter la liberté d’un corps pleinement vivant.

Une trop bruyante solitude ? « Ce livre – qui retrace l’arrivée au cimetière des mots d’un lent cortège d’ouvrages à l’agonie, de collections en lambeaux, de bibliothèques entières lancées à la fourche dans la gueule mécanique d’une presse chargée de broyer des tonnes de papier – est un monologue sorti du fond des caves. »

Construire une bibliothèque quand le désert croît est une question de survie.

En 1995, Gilles Deleuze sautait de sa fenêtre pour enfin respirer mieux une dernière fois.

En 1997, au cinquième étage de l’hôpital de Bulovka (Prague), un autre insoumis prenait la poudre d’escampette en défiant l’apesanteur. La légende belle et douloureuse pouvait commençait. Le Breton Jacques Josse en fera trois livres, dont Lettre à Hrabal (Jacques Brémond, 2002) et La dernière pirouette de Bohumil Hrabal (éditions Approches, 2013).

Et puisqu’est enfin venu le temps de la Résurrection – du côté des éditions lilloises La Contre Allée – prolongeons notre voyage au pays des morts bien vivants avec Thomas Giraud, docteur en droit public, et auteur d’un superbe portrait du géographe anarchiste, communard, végétarien, naturiste et promoteur de l’amour libre Elisée Reclus (1830-1905), intitulé sobrement, dans une allusion à deux de ses œuvres majeures, Elisée, Avant les ruisseaux et les montagnes.

Second fils d’une famille de quatorze garçons, ce grand marcheur né en Gironde à Sainte-Foy-la-Grande, connut l’exil et la prison pour ses engagements politiques, et n’enseigna jamais que dans des universités populaires, l’académie l’ayant banni du feutre de ses cercles.

Promis par un père autoritaire et neurasthénique à prolonger naturellement la fonction pastorale qu’il occupait, Elisée Reclus, dont la mère était une institutrice atypique, trouva dans les chemins de l’émancipation son véritable destin.

En douze chapitres construits comme des coupes biographiques permettant d’entrevoir l’énigme de la construction d’une personnalité, Thomas Giraud réinvente, à la façon des Vies de Pierre Michon, c’est-à-dire dans une prose précautionneuse, nourrie de conscience poétique (les quelques vers de James Sacré cités en exergue sont une indication), le sujet Elisée Reclus en accordant la plus grande attention à ces points de singularité et d’irréductibilité à partir desquels se forge un être d’exception.

Elisée marche, traverse des paysages, réfléchit, note, rousseauise. Il est en Dordogne ou en Allemagne (de douze à quinze ans). Des paroles se lèvent, issues de ses ouvrages (« toutes les guerres dans lesquelles les vies des nations se trouvent engagées se sont déroulées dans les plaines », « établir la proportion moyenne de la fonte et de l’évaporation pour les masses de neige qui tombent dans les montagnes ») et ses « bouts de pensée », ou fragments de monologues intérieurs.

« Est-ce que je n’ai pas le droit de rester assis à regarder les feuilles des arbres ? »

« Ces pierres ne sont pas du vent, elles sont de la terre que l’on transporte et un peu de l’espace en poussière. »

Il arrive, et l’on dirait Courbet nous saluant sur un sentier, tel qu’on le voit aujourd’hui encore au musée Fabre de Montpellier : « Au final, il a davantage l’air d’un peintre voyageur que d’un éminent professeur de géographie allant dire sa leçon introductive à l’académie (…) On aurait envie qu’il ait un chapeau de paille. Il l’a sûrement et l’a ôté pour les photographies de Nadar. »

Certaines scènes font penser à du Sacha Guitry, et l’on se met à sourire : « C’était une famille de tousseurs. Le père, Jacques, toussait et tous les enfants, avec des intensités variables toussaient. Ils toussaient tous au moindre rhume, au moindre coup de froid. Au mieux de leur forme, ils toussaient aussi : avant le café, après une promenade, devant une salade de carottes. »

Elisée s’indiscipline, s’affranchit de son père, devient autonome, et c’est merveilleux : « Est-ce que la goutte d’eau que je caresse à un endroit du ruisseau aura la mémoire de ma caresse, plus loin, au moment de se jeter dans un fleuve ? Et cette mémoire, l’eau l’aura-t-elle encore au moment de se jeter dans la mer ? Et si ce sont des mots, resteront-ils prisonniers dans les gouttes jusqu’à la mer ? Est-ce que je peux marquer la nature, sculpter cet espace ? Est-ce que je peux raconter la nature en prenant des parties se fondant dans un tout ? »

L’ordre du monde tient dans une goutte d’eau, ou une phrase, fragile et éternelle. Au géographe d’en témoigner, seul s’il le faut.

A lire sur le blog de Fabien Ribery ici

Lekti-écriture

Lekti-écriture

Un petit billet du préfet maritime, daté du 2 octobre :

Il faut avoir un Hrabal chez soi.

C’est comme les petits pois.

Jacques Josse, son fan numéro 1, nous le rappelle opportunément et régulièrement, joliment aussi.

Cette fois-ci, il relate les derniers jours — ô combien semblables aux précédents — du plus grand poète-zingueur d’Europe.

Le télégramme

Le télégramme

Une chronique dans le Télégramme, du 2 septembre :

Trente minutes de lecture et des semaines de songe. Tel est l’effet magique de ce livre très mélancolique, dont la taille (50 pages petit format) est inversement proportionnelle au plaisir qu’il procure.
Il faut dire que Jacques Josse fait ici le portrait de l’un de ses fétiches littéraires, l’écrivain praguois Bohumil Hrabal, dont Une trop bruyante solitude est un cultissime sésame pour entrer dans le royaume de la lecture. Nourri d’une grande connaissance de l’œuvre, enrichi par une enquête serrée dans la biographie et la correspondance de l’auteur tchèque, cet écrit suspendu a la fragilité d’une bulle, où vérité et fiction (disons plutôt la rêverie qui forge les chaînons manquants de la réalité) se concentrent. Touché par l’atmosphère qui régnait autrefois dans les cafés à palabres de Hrabal, on n‘a qu’une envie au sortir de cet hommage : dévorer son œuvre à pleines pupilles.

Lire la chronique sur le site du Télégramme ici.

Le Matricule des Anges

Le Matricule des Anges

Un très bel article de Thierry Guichard, dans le Matricule de Juillet Août 2016, extrait :

« Liant ainsi les hommes, la bière et la littérature, dans un style qui accroche la beauté des phrases au zinc des estaminets, Josse fait plus que rendre hommage à Hrabal. Il réaffirme l’éthique d’une littérature qui ne vise qu’à rendre leur dignité aux hommes, qu’ils soient buveurs de Pilsner Urquell à Prague ou de Météor en Bretagne… «