La page qui marque
Il n’y pas de logique dans mes choix de lecture, il s’agit plus une succession de hasards, de rencontres. Parfois, dans une coïncidence un peu magique, le bon livre tombe exactement au bon moment entre mes mains. Ce fut le cas de Mère d’invention de Clara Dupuis-Morency. Alors que j’entame les dernières semaines de ma grossesse, je ne pouvais trouver meilleur moment pour lire ces mots qui ont eu une résonance énorme en moi.
Cette lecture est indirectement venu grâce à Anthony qui est une des personnes qui m’aura le plus ouvert mon chant de découvertes littéraires. En quelques mois j’ai, grâce à lui et ses rencontres virtuelles (les fameux Vleel), élargi de manière considérable ma focale et découvert des éditeurs et des auteurs qui sortent trop souvent des radars. Il y a quelques semaines, il y a eu une rencontre avec trois des six autrices du recueil « L’étrange feminin » dont je vous parlais ici. Parmi ces texte, celui de Clara Dupuis-Morency m’avait particulièrement touchée, au point de chercher à lire son premier roman. La maison d’édition La contre allée m’a fait le plaisir de me l’envoyer et le miracle a opéré.
Dans ce livre l’autrice parle de la maternité sous toutes ses formes. Elle évoque le désir d’enfants mais aussi l’absence de désir et l’avortement. Elle parle de la grossesse et de la manière dont on fantasme le rôle de mère. Elle montre que sur une vie de femme le désir d’enfant est quelque chose d’extrêmement fluctuant. Elle lie aussi cela à ses préoccupations sur l’écriture et s’interroge sur la possible perte de son pouvoir créatif à cause de la maternité. En 250 pages elle nous fait traverser tout une série de stades et de questionnements qui peuvent nous habiter. Il n’y a jamais de bienpensance dans son écriture. Elle nous parle des émotions qui la traversent de manière brute, même si cela peut la faire passer pour une « mauvaise mère ». Le ton qu’elle emploie est libérateur et tellement rare.
Ce qui m’a le plus touché, c’est la manière dont l’autrice arrive à traduire l’intensité du désir ou de l’absence du désir d’enfants sans jamais nier son individualité. Son ressenti vis à vis de la maternité ne prend pas toute la place dans ses pensées. Malgré ses questionnements, elle ne perd pas pour autant ce qu’elle est. Ce n’est pas un rôle, ou une absence de rôle, qui la défini entièrement. La question de la grossesse traverse la vie de toutes les femmes mais n’est pas un fin en soi, une obsession. L’autrice la remet à sa juste place, présente et même parfois obsédante mais jamais exclusive dans la construction d’une identité. Elle ne tombe dans aucun des clichés tournant autour de la maternité et donne de la profondeur et du corps à ces questionnements.
Virginia Wolf écrit, dans Three Guineas, que toutes les femmes devraient avoir accès à l’accouchement médicamenté, qu’il est injuste que seules les femmes riches aient cette prérogative. Mais c’est oublier que les femmes penseraient plus tard que la souffrance est féministe. Maitriser la douleur, c’est ce que veulent les femmes. C’est empowering. Moi je ne laisserai pas les médecins s’en sortir si facilement.
Une grande place est donnée à l’intime, au corps. Elle évoque le sang de ses menstruations ou les sensations profondes de ses filles en elle quand elle est enceinte. Elle parle de son accouchement avec une langue toujours subtile mais jamais édulcorée. Elle joue sur les mots avec malice et place une forme de poésie dans ce qui peut faire peur. Elle n’hésite pas non plus à évoquer les souffrances liés à l’avortement, la maternité ou à certaines pratiques gynécologiques.
On veut me provoquer, déclencher l’accouchement, avant que mon utérus ne se transforme en linceul. On veut me provoquer, on a peur que je me prenne pour Médée. Que j’ai idée de les protéger dans la mort. Moi je ne connais que l’attente, de ces enfants.
Le rapport que l’autrice fait entre son activité créatrice, l’écriture, et sa maternité est très intéressant. L’angoisse de perdre la flamme est constante. Il y a tant d’artistes à travers les siècles qui ont délaissé ou même abandonné leurs activités créatives une fois devenues mères. C’est une crainte légitime au regard de l’histoire mais aussi au regard de la vision que la société a encore globalement du rôle de mère. Le corps et l’intellect sont liés, impossible de les déconnecter. Alors qu’elle tente d’achever sa thèse, l’autrice ne peut envisager de créer la vie. La thèse elle l’a écrit dans la souffrance, dans le doute. Sa grossesse la déroute car la vie se créé sans qu’elle n’y fasse rien. Son corps sait seul et il n’y a rien à intellectualiser dans le processus.
C’est tout mon corps qui a décide de quitter le langage propre. Il sait qu’il est contaminé, qu’il est habité. Il sait ce qu’il a à faire, mieux que moi. Il rejoint une langue d’avant les hiéroglyphes, d’avant l’idiomatique. Une langue de l’embryonnaire.
C’est un roman d’auto-fiction, genre qui a ses limites et ses écueils et que, pour ma part, je ne lis presque jamais. Mais ici l’autrice réussi à y ajouter un touche plus universelle. Elle évoque son intimité et son rapport à la maternité d’une manière nouvelle et audacieuse qui trouvera certainement des résonances en chacune. Ce livre me confirme le grand talent stylistique de Clara Dupuis-Morency et me donne vraiment envie de suivre ses prochaines publications.
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