Le petit carré jaune
Un billet dans la rubrique Ma bib’ à lire du blog Le petit carré jaune :
« Parfois on rencontre des gens qui croient tout savoir. Ils viennent de la ville sur leur grand cheval et nous parlent comme à des campagnards qui connaissent rien à la vie. Finalement on voit deux oreilles, un costume et rien du tout. Ils veulent faire des trucs dans des petits villages mais ils s’inspirent pas de ce qui se passe ici. J’ai envie de leur dire, Venez vivre avec nous et on verra. Y’en a tellement de gens qui ont du vent dans les oreilles ! Ils pensent qu’on a pas de culture. […] Encore maintenant. Quoi ? Tu vis là ? Y’a quoi ? Les gens se demandent comment on fait pour vivre. Mine de rien, de plus en plus de monde vient habiter notre rien. Il doit y avoir un truc dans l’air. »
Tout commence par un inventaire à la Prévert, un inventaire remplit de vents et trous d’air, d’éoliennes et de moulins à vent, de chemins de terre ou de goudron.
Tout commence comme une liste de voix, une liste qui compose un paysage, une région, un bout de territoire entre le France et la Belgique, une ligne frontalière invisible, des hommes et des femmes, des enfants et des ados se heurtant, aimant indéfiniment ces terres boueuses, minières, ces terres du Nord de la France.
En résidence littéraire durant quelques semaines en terre wallonne à Mons, Amandine Dhee s’est lancée à la rencontre des habitants qui peuplent cette contrée rurale et humainement haute en couleurs. Une belle contrée, de belles âmes, poètes, créatives, supportant les vicissitudes et les bonheurs/douleurs de ce haut pays. Et pour de belles rencontres, ce furent de belles déambulations, pleines de tendresses, de douceurs, humaines.
« Contrairement à ma première impression, je découvrirai qu’il existe ici moultes façons de se rencontrer, et puisque le suspens est insoutenable, je les livre de suite : le comité des fêtes, la gendarmerie nationale, le club des jeunes curés, facebook, l’usine, les cambriolages. »
Mais trouver un thème liant ce partage ne fut pas simple.
« Un écrivain, ça ne débarque pas en vélo sans prévenir. Pour écrire sur le thème du vent, en plus, bonjour la crédibilité. »
Allant de ferme en ferme, de village en village, sillonnant à vélo les routes sinueuses et vallonnées par les anciennes mines, Amandine Dhée finit par s’assoir à la table de Clara qui sera sa première héroïne du Nord, la meilleure trayeuse de l’année 1945, photo à l’appui, son premier portrait, une femme unique, une femme qui aime la vie, une femme le nez au vent. Et puis il y a Julien qui est arrivé dans ce pays wallon avec en tout et pour tout sept cent quatre-vingt euros de bourse. Julien découvrant avec plaisir, envie, bonté un pays que l’on surnomme noir, brumeux, boueux. Cette envie de donner, d’ouvrir à ceux qui compose ce pays, une ouverture vers un autre monde, d’offrir une forme de culture, de partage.
Et toujours cette route, ces chemins boueux, ces terres à la lisière des cimetières de guerres, de bois délaissés, des ronces et des monticules d’herbes sauvages, les terrils, les déserts sociaux où les hommes se regroupent autour d’un bal, d’une baraque à frites, d’une église redécouverte en musée local car désertée par ces ouailles, ces grands espaces perdus où la campagne réside à peine à dix huit kilomètres de la grande place de Mons, ville classée patrimoine culturel par l’UNESCO, ville du bout du monde.
Amandine Dhée s’égare sur ces chemins perdus entre vents et lumières. Perchée sur son vélo, elle avale les kilomètres pour retrouver la solidarité, l’humanité qui habitent ces terres. Et le vent toujours, toujours en ligne de mots.
« Nous marchons longuement dans les champs. La terre s’accroche à nos semelles. J’enfile mon bonnet de laine. Durant les échanges en amont de ma venue, les habitants m’ont invitée à écrire sur le thème du vent… Je comprends mieux pourquoi ! […] Comment représenter le vent ? De cheveux décoiffés, un parapluie retourné, un drapeau ? […] Ici la vraie star c’est la nature. Avec les vraies bosses du paysage et les fausses bosses du terril. »
Ce même vent qui joue avec les cerisiers du Japon symbolisant l’éphémère et le renouveau, la tempête et la renaissance, les propriétés privées qui voient leur panneau propriété privé s’envoler et s’ouvrir aux âmes poètes, à la bise du nord, le vent entre les oreilles, dans le cerveau, sur les joues, une fraicheur salvatrice, des rencontres galvanisantes.
« Jamais j’empêcherai ma fille d’aller dans la boue. […] Mes enfants n’auront pas peur d’un papillon ou d’un ver de terre. »
Ces changements de couleurs, ces bourrasques de vent comme pour se remettre en selle. Tout est question de couleurs de paysage, de poursuivre la rencontre artistique, la béatitude du voyage, sourire aux lèvres, esprit aiguisé, curiosité bonhomme. « La folie est nécessaire. » des rencontres, des partages, de l’humanité qui réside dans chaque être croisé.
« Ici sont passés des Espagnols, des Allemands, des Autrichiens, des Italiens… ça fait une fameuse ratatouille. Même si notre pays est merdique, je suis contente dans ce patelin de rien du tout. Ici, on rit encore. »
Et seule la poésie déambulante, peut nous rappeler la beauté de ces paysages et de ces habitants qui y résident.
« Je vais où va la nue
Je vais où va le vent
La route est peu connue
Et je m’y perds souvent »
« Délaissant les grands axes, j’ai pris la contre-allée » (Alain Bashung)
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