Revue de presse

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Le langage dément

Entre 2013 et 2014, la poète Sophie G. Lucas suit des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes. De ses observations naît Témoin, un recueil atypique et nécessaire, qui paraît en 2016 aux éditions La Contre Allée.

« Elle dit. J’ai eu peur. Je l’ai planté. Dans le cou le couteau. Dans la rue. Un inconnu. J’ai pris peur. Mais je sais pas de quoi. »

La démarche de Sophie G. Lucas est singulière, car l’auteure la présente elle-même comme une volonté de se rapprocher de celle de Charles Reznikoff, dont l’œuvre Testimony est bâtie grâce à des archives de tribunaux. On pourrait également la rapprocher du travail de Truman Capote : puiser dans les faits divers de quoi nourrir une œuvre qui touche à l’universel.

« On sait pas communiquer. On donne des coups. Il dit On pour Je. Il remonte son jean. Des violences sur sa compagne. Sa compagne est enceinte. Il a frappé. Il s’emporte et il frappe. On vit toujours ensemble. Il dit. Mais. Mais comment rester ensemble. »

Tout au long du recueil, de courts textes se succèdent. En une ou deux pages, les propos des accusés et des témoins s’enchaînent, tantôt durs, tantôt touchants – toujours vrais. Car Sophie G. Lucas attaque frontalement le réel : les mots sont là pour donner la voix à ceux qui, bien souvent, n’ont pas eu l’occasion d’être entendus.

« Dans une cabane de jardin on a trouvé un couteau et une lampe oubliés. Et de l’ADN. Le vôtre. Trente condamnations en vingt-cinq ans. Il a quarante-six ans. C’est l’alcool. C’est ce qui m’a foutu dedans. »

Et c’est à travers les mots de ces hommes, de ces femmes, de ceux que le malheur a touchés de près ou de loin, que l’auteure retrouve la parole. Entre les récits d’inconnus, c’est le récit intime, celui du père, qui se dessine.

« Mon père était plusieurs personnes. Il n’a jamais pu garder un travail. Il n’a jamais eu de logement à lui. Sur sa main il avait tatoué trois points. Mort aux vaches. »

Un père qui « imposait le silence au petit-déjeuner », qui « volait », qui « manipulait les mots comme des armes » : un père que l’auteure n’a « pas assez tué ». En se plongeant dans l’histoire des autres, en tentant de déceler l’origine de toute violence, c’est ce père qu’elle retrouve, ce père qui n’était pas « quelqu’un de bien », et qui a laissé en elle son empreinte.

« Il avait su pourtant, il avait su donner le change un temps, il avait donné l’impression que tout tenait debout. Je l’avais vu avec d’autres hommes, groupés sur des carrés de pelouse autour de tables à pique-nique, bières en main, il semblait être des leurs alors. (…) Il avait fait partie de ces hommes, il avait essayé, plusieurs fois même, mais quelque chose aura mal tourné. »

Œuvre marquante, Témoin n’est pas seulement le reflet d’une facette de notre société contemporaine, mais également un ouvrage où affleure une autofiction pudique et libératrice. Un grand moment de lecture.

Pour lire cet article sur le blog Le langage dément, c’est ici !

Presse Océan

Presse Océan

Un article dans Presse Océan sur le prix littéraire des lycéens des Pays de La Loire obtenu par Témoin de Sophie G. Lucas (lire l’article)

Le prix littéraire des lycéens à Sophie G. Lucas, poètesse nantaise

Des lycéens des Pays de la Loire ont décerné le prix littéraire à Sophie G. Lucas, poète nantaise. Après une série de rencontres entre écrivains et élèves de décembre à mars dernier, les jeunes jurés ont choisi leur livre préféré, Témoin de Sophie G. Lucas (éditions La Contre‐allée), parmi la sélection de 8 ouvrages, après échanges et débats animés par le coordinateur du Prix. L’ensemble des 500 participants ainsi que tous les partenaires du projet se sont retrouvés, aujourd’hui pour la cérémonie de remise du prix au Manège à La Roche‐sur‐Yon accompagnés d’Isabelle Merand conseillère régionale de la commission Education et Lycées.

En savoir plus sur l’auteur Sophie G. Lucas

Poète nantaise, Sophie G. Lucas est née en 1968 à Saint‐Nazaire. Révélée avec son recueil Nègre blanche (Le dé bleu, 2007) qui a reçu le Prix de Poésie de la ville d’Angers présidé par James Sacré, elle a notamment publié aux états civils Notown (2007) et moujik moujik (2010), réédités en un seul volume en 2017 à La Contre Allée. Elle partage son écriture entre une démarche autobiographique et intime, et une approche sociale et documentaire. Pour écrire Témoin (Éditions La Contre Allée, 2016) Sophie G. Lucas assiste pendant plusieurs mois en 2013 et 2014 à des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes, avec le souhait d’essayer d’approcher ce qui se cache derrière les violences, les faits divers. Au fur et à mesure, sa démarche documentaire, en faisant écho à la vie de son père, se mêle à une démarche autobiographique.

En savoir plus sur le prix

La Région des Pays de la Loire a organisé son cinquième Prix littéraire des lycéens pour l’année scolaire 2017‐2018. Cette action au long cours, inscrite dans les Actions éducatives ligériennes, vise à sensibiliser les jeunes à la création littéraire contemporaine, à favoriser leur esprit critique, leur créativité et tout simplement à partager le plaisir de la lecture grâce aux rencontres vivantes avec les écrivains. À cette fin, la sélection des ouvrages se veut à la fois exigeante, accessible et diversifiée, représentative de la création littéraire actuelle. Ce projet culturel et éducatif doit permettre par ailleurs de fédérer les acteurs du livre et de l’enseignement autour d’une aventure commune, de faire découvrir les métiers du livre, et d’inciter les participants à fréquenter les lieux de médiation et de diffusion du livre en région.

Des chiffres

5e édition du prix littéraire des lycéens

11 lycées participants soit 17 classes et 500 jeunes

30 rencontres avec les auteurs (3 rencontres par classe)

9 librairies et 9 bibliothèques et médiathèques partenaires

Liste des établissements :

Lycée Grand Air ‐La Baule (44)

Lycée général Saint‐Dominique ‐Saint‐Herblain (44)

Lycée général et technologique Pays de Retz ‐Pornic (44)

Lycée polyvalent Chevrollier ‐Angers (49)

Lycée polyvalent Sadi Carnot ‐ Jean Bertin ‐Saumur (49)

Lycée général et technologique Champ Blanc ‐Sèvremoine (49)

Lycée général et technologique Sainte‐Marie ‐Cholet (49)

Lycée polyvalent Estournelles de Constant ‐La Flèche (72)

Lycée polyvalent Atlantique ‐Luçon (85)

Lycée polyvalent Rosa Parks ‐La Roche‐sur‐Yon (85)

Lycée polyvalent François Rabelais ‐Fontenay‐le‐Comte (85)

Liste des ouvrages choisis par le comité de sélection 2017‐2018 :

Les Cosmonautes ne font que passer, Elitza Gueorguieva, éditions Verticales,

Témoin, Sophie G. Lucas, éditions La Contre‐allée,

La Mer c’est rien du tout, Joël Baqué, éditions POL,

Double nationalité, Nina Yargekov, éditions POL,

L’Abandon des prétentions, Blandine Rinkel, éditions Fayard,

Frère des astres, Julien Delmaire, Grasset,

Sombre aux abords, Julien d’Abrigeon, Quidam,

Manuel d’exil, Velibor Čolić, Gallimard.

Ouest France

Ouest France

Un article sur le prix littéraire des lycéens des Pays de La Loire décerné à Témoin de Sophie G. Lucas, par Delphine Blanchard sur Ouest-France (lire l’article)

Les lycéens ligériens décernent leur prix littéraire à une auteure nantaise

Organisé par la Région, le Prix littéraire des lycéens a été remis, vendredi 18 mai à La Roche-sur-Yon, à Sophie G. Lucas pour son livre « Témoin ». Une plongée poétique au tribunal de grande instance de Nantes.

À l’annonce de la gagnante, les 500 lycéens présents à La Roche-sur-Yon, hier, ont laissé éclater leur joie. Raphaël, lycéen à Angers, a voté pour Sophie G. Lucas et veut absolument son selfie avec l’auteure. « J’ai lu son livre d’un trait. Elle raconte les histoires de délinquants avec une dimension humaine qui m’a vraiment plu. J’ai eu de la peine pour eux. Je me suis mis à leur place. »

L’objet de tant d’admiration ? Le récit poétique Témoin, écrit par cette Nantaise qui a assisté pendant plusieurs mois à des procès en correctionnelle au tribunal de grande instance de Nantes.

Le prix est remis chaque année par 500 élèves de onze lycées de la région Loire-Atlantique qui doivent faire leur choix parmi huit ouvrages. Chaque classe rencontre trois des auteurs. Raphaël n’avait pas eu la chance de « voir en vrai » Sophie. Il exulte. Qui a dit que les jeunes n’aimaient plus lire ?

« J’ai mis le Wifi en congé »

Sophie G. Lucas confirme : « Je suis agréablement surprise. Ça me rassure. Je ne vois jamais de jeunes dans les rencontres en librairies. Leur retour est très intéressant et je suis étonnée par leur choix. Mon livre n’est pas le plus facile à lire. »

Certains lycéens avouent : « J’ai un peu fait le kangourou pour les autres ouvrages. » C’est-à-dire ? « Bah, j’ai sauté des pages ! » Pour cet autre, c’est « le wifi que j’ai mis en congé pour lire tous ces livres ». Mais, au final, « c’était hyperbien. On se dit : zut, c’est fini. Je vais lire quoi, maintenant ? » Et si certains allaient ainsi choper le virus ?

« C’est tout l’enjeu, explique la Région, à l’initiative du projet. Permettre aux jeunes de lire des oeuvres qu’ils ne choisiraient pas d’eux-mêmes. » Des ouvrages « exigeants, accessibles et diversifiés », choisis par un comité de lecture composé d’éditeurs, de libraires et documentalistes de la région. Les lycéens ont eu la main heureuse en désignant ce récit édité chez un éditeur peu connu (La Contre-Allée). Le choix du néophyte vient toujours du cœur.

Delphine BLANCHARD

Kroniques

Kroniques

Témoin de Sophie G. Lucas – 18 mars 2018 par Amandine Glevarec sur Kroniques 

La poésie, me dit Sophie, est panel, est partout. Et moi je ne lis pas de poésie. Alors j’achète la poésie de Sophie. Au tribunal la poésie, elle se trouve, aussi, gros – bloc – noir. Nantes. Micro-séquences, des mots, sur des maux, facile, évident, vrai. Témoignages et Sophie Témoin. Ça déferle. Répétitions. Alcool en premier. La poésie n’est pas que rimes, mais alcool rime avec alcool, histoires de trop-pleins qui débordent, débordements. Avec vol alcool rime, aussi. Et de vol à violence, assonance. Parfois viol tout court, oui. Doit en avoir marre le gros – bloc – noir de toujours, toujours, entendre les mêmes mots, les mêmes rimes, pauvres. Entre les vignette, la vie, Sophie, celle de son père, le peu qu’il a laissé derrière lui, avant de repartir, encore, faire des enfants, encore, tout quitter, toujours, pour aller où, finir où, mourir où. Mystère. Est-ce que les vignettes se collent pour compléter l’album de Sophie, est-ce que Sophie comble les trous avec les manques des autres, témoin, témoin, alors le jeu de mots là, il est facile. Mais tu es bien plus que ça, Sophie.

Je parle avec mes nerfs

 

Je vais te tuer. Je vais te crever. C’est depuis que je suis avec elle. Il a déjà été condamné. Les mêmes faits contre sa compagne. Elle était enceinte de leur enfant. Ils se sont séparés. Ils se sont remis ensemble. Il a recommencé. Il dit. C’est elle. Elle s’est fait passer pour une inconnue sur un site. Elle l’a piégé. Alors je me suis énervé. Elle aurait pas dû faire ça. C’est pas bien. Il frappe. Les murs. Les portes. Les volets. Avec ses poings. Avec un marteau. Il se défoule. Sur les objets. La télévision. Et il donne des coups de poing. Sa compagne. Il s’acharne. Je m’énerve vite. Je l’aime. Mais je la tape. J’ai jamais pensé vouloir la tuer. Je parle avec mes nerfs. Il y a l’alcool. Le cannabis. Condamné huit fois depuis trois ans. En attendant il vit chez son père. Il est peintre en bâtiment. Intérimaire. Je suis toujours amoureuse de lui. Mais je le reprendrai pas tant qu’il changera pas. Je veux rien pour les violences physiques. Je demande juste. Qu’il rembourse la télévision.

Ma poésie, bon c’est de la prose, elle est délicate, je comprends tout, je me porte bien, tout va bien. Dernier texte synthèse, là aussi poésie, et là aussi ça me parle. Toujours. Ravie. Bêtement ravie d’affronter mille vies brisées, mille cous brisés, mille coups envoyés. La poésie est partout, même au fond du trou et de l’écrou. Verrouillée. D’une traite. Reprendre sans doute, plus tard, encore. C’est précieux un témoignage, des fois on oublie dans quel monde on vit, alors ça rafraichit. Sophie, pour oublier, je le sens moins, ça doit défiler, les questions, les manques, les colères. Les mots auraient-ils valeur curative. Pour ceux à qui on les demande, qui doivent rendre mots autant que comptes, des explications fais pas le con, pour celle qui écoute, qui note, qui transmet. La poésie serait-elle onguent. Retenir une phrase, en faire un titre, de mille titres faire un poème, de mille personnes tenter, recréer un homme, le seul et vrai, l’absent. Parce que mort. Ça devait arriver un jour dit la mère. Ah bah oui, ça. Ça c’est dire pour ne rien dire, mais ça soulage, juste celle qui le dit, sans doute pas celle qui l’entend.

La longue peine (18)

 

Mon père est cet homme qui ment, mon père est cet enfant qui frappe, mon père est ce jeune homme perdu dans le box, mon père est cet homme qui tient une arme, mon père est cet homme alcoolique, mon père est celui qui abandonne ses enfants, mon père est ce voleur, mon père est ce chauffard, mon père est celui qui court sous les balles, mon père est ce petit caïd, mon père est celui qui se raconte des histoires, mon père est ce type qui traîne ses journées dans les bars, mon père est ce jeune homme qui ne s’en sort pas, mon père n’est pas quelqu’un de bien, mon père est celui qui ne se souvient de rien, mon père est cette jeune femme sur les nerfs, mon père est celui qui s’arrange de tout, mon père est l’homme de plus en plus ivre, mon père est un grand fleuve, mon père est cet homme seul, mon père est quelqu’un de bien, mon père est l’homme qui crie, mon père est l’homme qui a toujours raison, mon père est le type qui ne s’excuse de rien, mon père est cet homme malade, mon père n’est pas un ange, mon père est un homme nombreux, mon père n’a pas de loi.

Témoin. Je suis le témoin de celle qui est témoin. De celle qui assiste. Sans fin, langue française, double sens, à tous les étages, comment fait-on avec des mots qui changent de sens. Écriture constructive, si elle assiste c’est qu’elle n’agit pas, Sophie, si elle assiste c’est qu’elle veut aider, Sophie. Que dit-elle déjà ? Et toujours. La violence. En moi. Tout contre moi. Tout contre moi. En trois mots, fabuleux, juxtaposés les trois mots, sens sans fin. Contre pour dire près, ok, tout est à un s près. OK. Voilà c’est ça Témoin. Un règlement de comptes entre elle et lui, elle et elle, eux et eux. Mais eux et eux finalement, c’est un cadre, c’est utile un cadre mais ça ne fait pas le tableau. On se déplace un tout petit petit peu, le pas, le côté, et Sophie en plein, et l’absent au milieu. La vie est poésie, la vie est fiction, même si Sophie s’y refuse, à s’y essayer. Des faits, des faits, rien que des faits, des mots, des mots, rien que des mots. Et pourtant, mille fois mille fois mille plus. Parce que parlés, les mots. La poésie, me dit Sophie, est oralité. Alors je regarde, je m’écoute, je me lis. Et je vois, et les points, et les virgules, et ça ne sonne pas pareil, ni au début, ni à la fin. Il y a quelque chose dans les mots, il y a quelque chose entre les mots, et dans Témoin, il y a une poète, ma poète, la poésie.

Pour lire le texte directement sur le site, c’est par ici.

Charybde 27

Pour son film «10e chambre, instants d’audience», sorti en 2004, Raymond Depardon avait filmé pendant deux mois la succession des audiences de la dixième chambre correctionnelle de Paris. Adoptant une approche en apparence similaire, la poète nantaise Sophie G. Lucas a suivi pendant plusieurs mois des procès en correctionnel au tribunal de Grande Instance de Nantes, pour écrire ce livre publié en octobre 2016 aux éditions de La Contre Allée.

Avec leurs titres qui reprennent quelques mots ou une expression du prévenu prononcée à la barre, les textes courts se succèdent, descriptions des accusés et des faits comme des brèves, sans transitions ni guillemets. Les mots entièrement inscrits dans ce qui s’est passé et dit au tribunal et la construction remarquable des textes donnent au lecteur la sensation d’être lui-même le témoin des procès, et permettent de ressentir ce qui se joue là, au cœur du tribunal, au-delà des faits de violence conjugale, d’alcool au volant, de vol de cartes bancaires, de conduite sans permis, de viol ou de surendettement : la misère et le désarroi, la difficulté de vivre et de dire des accusés qui sont «comme des enfants perdus».

Évoquant «Témoignage» de Charles Reznikoff, poèmes composés à partir archives judiciaires des tribunaux américains, les paroles brutes et le rythme donnent l’impression du réel. Le lecteur se confronte et se frotte, sans aucun commentaire, à la parole brute des prévenus, aux histoires que ceux-ci racontent et qu’ils se racontent.

«Caïd

Il tire. Deux fois. Mais les coups ne partent pas. On ne saura pas si le fusil était chargé. Ou enrayé. Il ne dit pas. Le fusil a été jeté dans le fleuve. Son complice a commandité l’expédition. Il voulait se venger. Se venger de son patron. Se venger de sa vie. Il avait été renvoyé. Et il lui a demandé. À son ami. De le faire. Il l’a emmené en voiture. Au restaurant du patron. Lui. Il ne parle pas beaucoup. Je ne sais pas. Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Je me le demande encore. Des mois que je suis en prison. Et je me le demande. Je sais pas. Mon ami avait été humilié. Des cartouches 22 long rifle retrouvées dans la rue. Des résidus de poudre sur ses mains. J’ai essayé l’arme avant. Pour voir. Il y avait l’alcool. Il y avait l’honneur. Il y a qu’il voulait être un caïd. Il a vingt-quatre ans. Vingt-trois mentions au casier judiciaire. Il venait de sortir de prison.»

À cette approche documentaire font écho dix-huit fragments de témoignages intimes, sous le titre « La longue peine »,  numérotés de (1) à (18), anecdotes intimes au long cours sur l’absence et la mort sans fin d’un père, héros et antihéros de l’enfant. Ce père largement inconnu a mené une vie en marge ponctuée de petits délits. Son absence et l’imagination de l’enfant devenue adulte permettent de situer ce père entre fiction et réalité, de le faire apparaître comme un personnage de roman à l’identité fluctuante, auquel tant de ces faits divers et de ces morceaux de vie auraient sans doute pu être attribués.

«La longue peine (8)

Mon père vole. Un singe à la maison c’est pour un ami. Mon père vole. Des bijoux dans une boîte c’est pour un ami. Mon père haut comme deux hommes était un faiseur d’histoires. Mon père haut dans le ciel, sa vie n’était pas assez réelle. J’aurais préféré qu’il braque des banques. Des inconnus. J’aurais préféré que ça ait plus de gueule. Que ce soit moins personnel. Mon père manipulait les mots comme des armes.»

Un livre brut et sensible, aux bouleversantes résonnances intimes, dont Marc Ossorguine évoque très justement la force sur La cause littéraire ici.

Article du 2/08/17

La cause littéraire

Certains médias aiment à parler de violence et de misère sociale, mais pas trop tout de même. Des politiques aiment aussi à exploiter ce filon sociétal pour racler quelques voix à peu de frais. Pas sûr que les uns et les autres sachent de quoi ils parlent. Pas sûr. Et même, il ne paraît pas idiot de penser qu’ils n’en ont au fond pas grand-chose à faire. Que « ces gens-là » restent où ils sont. Tout sera bien. On sait bien ce que c’est. Pas besoin d’y aller voir de plus près.

Tout le monde ne se contente pas d’images toutes faites. Heureusement. La poétesse Sophie G. Lucas, elle, est allée y voir de plus près. Non pas dans une immersion pseudo-ethnographique, ou carrément journalistique, mais en un lieu où se disent leurs histoires et où peuvent aussi se décider ce que la société fera d’elles et eux, ce que « nous » leur permettrons de faire de leur vie. Des semaines à suivre les audiences d’un tribunal de la misère ordinaire. Un de ces lieux où l’on enchaîne des histoires, les « cas » de petites délinquances, souvent récidivées.

Avec bienveillance mais sans chercher à excuser, à justifier, Sophie Lucas témoigne de ce qui se dit, avec simplicité et justesse. Sans en rajouter. Sans retrancher. Conduite sans permis. Violence conjugale. Vols réitérés. Alcool. Chômage interminable. Un peu de drogue. Ou un peu plus. Aller-retour de prison. Surendettement chronique. Menaces, remords et répétitions. Peur. Défi. De courts textes factuels, sans commentaires. Paroles des uns et des autres. Situations réduites à l’essentiel. Cette littérature-là ne fait pas dans la littérature, comme on dit quand on n’aime pas. Pas de misérabilisme non plus. Ni de réalisme pittoresquement souligné. Pas de recherche de terroir, fut-il urbain. Juste des mots, des paroles, des faits. Et cela dit. Dit beaucoup.

Cela dit et fait écho à l’histoire du père. Au roman méconnu du père qui tire son fil rouge, page après page. A l’image d’une autre fil rouge, aussi publié par la Contre Allée, celui que défilait Sara Rosenberg (1) : à la recherche de la mémoire et pour tenter de capturer ce qui toujours fuit.

Mon père a fait la guerre. Et la guerre ne fabrique pas des hommes, elle les détruit. A un moment, il s’est engagé. Il a fait comme son père militaire. Peut-être pour se racheter aux yeux de son père. Je ne sais pas. Peut-être qu’il ne savait pas quoi faire de sa vie d’homme. Je ne sais rien. Une vie mal engagée. On dit ça.

L’écriture de Sophie G. Lucas semble chercher la plus grande simplicité − ce qui est tout ce qu’on veut sauf une facilité − pour nous mettre face à ce qui est. Tout simplement. A nous de lire. De voir et d’entendre. De peut-être commencer à comprendre. Comprendre : prendre avec soi, sans chercher à expliquer. Juste comprendre.

La force de ce livre, finalement, c’est sans doute sa modestie et son ambition. Nous voilà nous aussi témoin de ces vies-là. Ces vies invisibles qu’on oublie et qu’on efface souvent en prétendant parler d’elles. Ce n’est pas ce qui se passe ici. Redisons-le. Cette littérature-là, pour savoir éviter la littérature, fait toute la valeur de la littérature. Ou de l’écriture, plutôt.

Marc Ossorguine

(1) Sara Rosenberg, Un fil rouge, traduit par Belinda Corbacho

Pour lire cet article sur la page web de La cause littéraire, c’est ici !

Le blog du petit carré jaune

« Il a une voix douce. Il fait des cercles lents avec ses mains. Il dit. Que son quartier n’est pas sûr. Que son fils a douze ans. Qu’il a traduit aux policiers. Que peut-être il s’est trompé. Que peut-être il a mal compris. Escroquerie à l’assurance. Il hausse les épaules. Il murmure quelques mots. Le traducteur dit. Des bouches à nourrir. C’est comme ça. »

Il y a cette femme qui conduit sans permis et qui va chercher ses filles à l’école. Arrêtée sept fois, endettée jusqu’au cou. Ne peut payer l’amende. Il y a celui qui a déplacé une voiture et qui ne savait pas qu’elle était volée. La police était planquée et l’a interpellé les mains dans des chaussettes sur le volant. Ces autres qui le soir d’un 31 décembre ont investi un hypermarché et qui ont tenté de passer sans payer. Du fait, ils ont consommé sur place. Les CRS sont intervenus.Ces quatre qui sont partis en Espagne et sont revenus chargés d’herbes enroulées dans une couette parce qu’ils ont vu ça dans une émission de télé. Go-fast. Contrôle à un péage, ils jettent l’herbe dans une poubelle et se font choper la main dans la couette.

Et puis il y a celui qui est là, sur le banc des accusés, celui qui s’apprête peut-être à purger sa peine, une condamnation exemplaire, l’absence d’une vie. Celui qui ne sait pas encore mais qui est là. Sur ce banc. Chemise froissée, cheveux en bataille. Assis. Il ne voit personne. Il est juste là. Dans un box. Celui qu’on va retrouver au gré des journées, des pages, un fil rouge, un homme qui a commis un délit. Ce père.

« Mon père est mort mais ne le sait pas. Il est assis sur un banc de la  Chambre d’audience numéro trois, cheveux en bataille, chemise froissée, il semble ne pas me voir, il est juste là. Il n’est pas dans le box des accusés. Il n’est pas à la barre. Il est à côté de moi. Mon père est mort. Je n’ai pas assez tué mon père. »

Sophie G. Lucas a suivi une série de procès durant deux ans. Telle une romancière des petits ou grands faits-divers elle voulait retranscrire sans ombrage, sans jugement, juste les faits et comptes-rendus.

Retranscrivant telle un script, un greffier, les réactions, les paroles, les jugements, Sophie G Lucas nous amène à nous poser les questions qui retracent une vie, les petits larcins qui amènent derrière les barreaux. « Les petites rivières font de grands fleuves. ». Une émotion sans filtre qui nous bousculent, nous font repenser à ces petits délits quotidiens, l’alcool, les coups qui partent, les franchissements de lignes, de feux, les abus et qui pulvérisent des vies parce que non structurées, parce percutantes, parce que pauvre de connaissances, simples, parce que pauvre tout simplement.

« On sait pas communiquer. On donne des coups. II dit On pour Je. Il remonte son jean. Des violences sur sa compagne. Sa compagne est enceinte. Il a frappé. Il s’emporte et il frappe. On vit toujours ensemble. Il dit. Mais comment rester ensemble. On sait parler qu’avec des poings. »

Témoin donc, comme celle ou celui qui est dans la salle d’un tribunal correctionnel à attendre le jugement rendu qui donnera la mesure, la sentence au geste commis. Témoin comme celui qui témoigne d’une scène, de ce qu’il a entendu, relevé mais n’a pas porté de jugement, juste porté les faits, les récolter et témoigner. La parole est livrée, sans ombrage, brute de décoffrage, avec ses lacunes et ses fautes lexicales. Brute. Comme celles ou ceux qui sont sur ce banc, dans le box, attendant le jugement final.

Des phrases brèves comme des coups portés aux visages, sans gants. La justice est tombée, un couperet. Doit-on la reconsidérer, revoir nos jugements, nos valeurs, notre justice face aux injustices que peuvent avoir certains des justiciables ? Telle n’est pas la question et telle n’est pas non plus l’attente, le fil conducteur de ce récit.

Sophie G Lucas pousse plus loin l’analyse, les esquisses. En de courtes nouvelles, saynètes, elle pose la douleur, la souffrance, l’anxiété, la colère et les attentes, la violence, la pauvreté, les doutes, les consciences.

Un tribunal de peines perdues, un tribunal des peines de l’âme.

L’humanité dans le prétoire.

Finesse et regard sur ceux qui retiennent les mots, ne savent pas les exprimer, ne sont que ces simples, ces sans esprits qui se dressent contre leur vie au mépris des lois, des connaissances, de leurs états. Aucun jugement, juste retranscrire l’humain. Juste retranscrire la vie qui échappe, le destin qui s’envole. Escroc. Menottes. Poings fermés. « Aidez-moi. […] Je veux la paix. ».  Dignité des sans ressources. Dignités de ceux qui n’ont plus rien.

« Il m’arrive de ne voir dans le box que ces enfants perdus. Je ne voudrais croire qu’ils ne sont que des enfants perdus. Même ceux qui sont censé être des hommes. Certains n’ont connu que la prison ou les institutions depuis l’adolescence. Mon père a été enfermé dans une maison de correction. L’abbaye de Fontevrault. […] Qu’a-t-il laissé là, son enfance, sa vie d’homme, ses espoirs, quoi ? »

« Le plus haut des tourments humain est d’être jugé sans loi. » Albert Camus.

« Comme on énonce les hypothèses dans un tribunal, j’émets des possibilités sur la vie […]. Je reconstitue des faits. A partir de pièces, de souvenirs, de témoignages. Mais je n’ai pas de vérités. […] Il n’y  pas de héros. Il n’y a pas de perdants même magnifiques. »

Pour découvrir cet article sur le blog du petit carré jaune, c’est ici !

Version Libre

Étrange petit livre que celui-ci, publié l’année dernière par les éditions de la Contre Allée invitées à la prochaine Comédie du Livre de Montpellier. Pour l’écrire, Sophie G. Lucas, qui y sera également présente, a assisté pendant plusieurs mois aux audiences du tribunal de grande instance de Nantes et ce sont comme les minutes de ces audiences qu’elle nous livre là. Des textes courts au style incisif, rugueux, dépouillé, comme des coups de poing qui réveillent les consciences. Plusieurs voix racontent, ce qui donne de la profondeur à chaque petit texte. Et à travers ces paroles c’est tout un pan de notre société malade qui nous saute à la figure, celle des laissés pour compte, de ceux qui n’ont pas eu de chance et qui souvent reproduisent la violence qu’ils ont eux-mêmes subie. :

«J’ai une fille. Mais je la vois pas. Sa mère veut pas. Je sais pas pourquoi. Elle a déménagé je sais pas où. Il a été en famille d’accueil. Ses parents sont alcooliques. Mes parents m’ont déçu. J’ai essayé de les voir. Ça n’a pas marché. Tout me déçoit. J’ai tout essayé. » (p24)

« Il a vingt-trois ans. Il a commencé à mettre le feu. Comme ça. Quand ses parents se sont séparés. Il ne dit rien. Gorge nouée. Visage doux. Puis. En pleurs. Ce que j’ai fait est mal. J’étais au bout. Cette histoire me bouffait. J’ai pensé à rentrer à l’intérieur de l’immeuble pour en finir ». (p82)

Mais il y a autre chose et c’est comme si l’évocation de ces vies cassées, gâchées, renvoyaient Sophie G Lucas à sa propre histoire et à celle de son père dont la figure se dessine peu à peu sous le signe de « La longue peine ». Et ce qui aurait pu être perçu comme un exercice de style, même s’il se fait l’écho d’une réalité sociale, acquiert une profonde vérité humaine. Nous ne sommes plus dans le domaine du constat mais dans celui d’une quête personnelle douloureuse et sans doute nécessaire, et profondément émouvante :

« Il m’arrive de ne voir dans le box que des enfants perdus. Je voudrais croire qu’ils ne sont que des enfants perdus. Même ceux qui sont censés être des hommes. Certains n’ont connus que la prison ou les institutions depuis l’adolescence. Mon père a été enfermé dans une maison de correction. L’abbaye de Fontevrault. Jean Genet, dans « Miracle de la Rose » écrit : « De toutes les centrales de France, Fontevrault est la plus troublante. C’est elle qui m’a donné la plus forte impression de détresse et de désolation, et je sais que les détenus qui ont connu d’autres prisons ont éprouvé, à l’entendre nommer même, une émotion, une souffrance comparables aux miennes ». C’est là qu’était mon père. Suite à son arrestation pour port d’armes. Ou pour cette fugue avec une jeune fille de son âge. Il était un jeune homme révolté avant d’entrer dans cette prison pour mineurs. Qu’a-t-il laissé là, son enfance, sa vie d’homme, ses espoirs, quoi ? » (p78)

Une lecture qui secoue, une lecture nécessaire.

Françoise Jarrousse

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Les découvreurs

OÙ SE TROUVE TOUJOURS LA POÉSIE. TÉMOIN DE SOPHIE G. LUCAS.

À quoi donc correspond cette poésie dépoétisée dont parlent aujourd’hui certains et qui s’élaborerait indépendamment des propriétés d’image et de chant sur lesquelles ce genre s’est, depuis les origines, construit ?

Le fait est que nous assistons depuis un certain temps déjà à l’affirmation d’une poésie en apparence prosaïque, appliquée au réel, délivrée de surcroît, du fameux besoin d’expression héritée de ces romantismes abâtardis dans lesquels se complaisent toujours tant d’affligeants et prétentieux poètes.

La sortie du livre de la nantaise Sophie G. Lucas, Témoin, me fournit l’occasion de dire quelques mots de ces ouvrages en grande partie inclassables, écrits par des auteurs qui ont décidé d’inscrire leur parole dans cet espace générique hybride, largement redéfini, où la poésie semble pouvoir emprunter aussi bien au récit qu’au théâtre, aux sciences, à l’ensemble des savoirs, pour témoigner à sa façon du monde. Et des diverses manières dont nous le construisons.

Nous avons vu en 2016 avec les Découvreurs comment le livre de Laurent Grisel, Climats entrait dans cette catégorie d’ouvrages qui subvertissait en profondeur les catégories traditionnelles au point qu’un certain nombre de nos amis enseignants se sont  émus de le voir considéré par nous comme un texte de poésie.

Il en sera peut-être de même avec le texte de Sophie G. Lucas, Témoin, qui dans la ligne ouverte par le poète américain Charles Reznikoff avec Testimony (1965), affirme avoir entamé son travail en « suivant des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes de septembre 2013 à janvier 2014 pour essayer d’approcher ce qui se cache derrière les violences, les faits divers. »

Lisant ces lignes, les étudiants de lettres penseront, j’imagine, davantage à rapprocher le travail de Sophie G. Lucas de celui des romanciers naturalistes de la fin du XIXème siècle ou des déclarations d’un Balzac qui déjà voulait faire concurrence à l’état civil, que de celui d’un Rimbaud, d’un René Char ou d’un Guillaume Apollinaire. Peut-être, espérons-le, penseront-t-ils quand même un peu au Parti Pris des Choses de Francis Ponge qui fournit un relais essentiel à la compréhension de l’évolution d’une partie de notre poésie dite contemporaine.

Effectivement, le livre de Sophie G. Lucas se présente sous la forme d’une suite de compte-rendu croquant de façon rapide, sinon même elliptique, des scènes de la vie judiciaire à travers lesquelles se découvre la dureté, la violence, toute la souterraine et malheureuse âpreté de notre inégale société. Shéhérazade de ce début de troisième millénaire, Sophie G. Lucas raconte ainsi aux lecteurs d’aujourd’hui les Mille et un Désastres d’une époque habile à compliquer, empêcher, broyer, par toutes les déterminations de la misère matérielle, culturelle, psychologique ou sociale, les destinées de nos contemporains.

Cela se fait chez elle sans fioriture. Dans un style sec. Tranchant. Économe de mots. Avec l’apparent détachement de qui se refuse à juger. A décidé de taire ses émotions. De laisser se parler directement les choses. Qui sont ici des êtres. Pris dans leur émotion, leur émotivité propres. L’intelligence particulière qu’ils ont de leur situation. Leur besoin de reconnaissance aussi. Leurs petites stratégies personnelles. Leurs aveux comme leurs dénis. Leur soumission plus ou moins grande à la fatalité. Et la nécessité dans laquelle ils se trouvent de se dégager de l’image toujours défavorable que la nature du procès tend à imposer d’eux.

Dans cette écriture qu’invente ici Sophie G. Lucas tout parle. La parole bien sûr mais tout autant le geste, le regard, les silences. Le vêtement. Et surtout puisque c’est une écriture, le rythme. La ponctuation. Le montage. L’ellipse. La chute surtout qui met ponctuellement fin à la scène. Et impose au lecteur, en concurrence avec le titre, son essentielle tonalité.

Jusque-là, me direz-vous, rien de bien différent de ce que pourrait nous faire entendre une chronique bien écrite. Un journaliste talentueux. Certes. Si ce n’est que cette comédie humaine que l’auteur remet ici en scène, est aussi l’occasion, à partir de ses multiples personnages, d’évoquer, de façon plus intime la présence ou plutôt l’absence douloureuse d’un père dont l’auteur semble n’avoir jamais cessé tout au long de sa vie d’instruire le procès en négligence, en abandon, en violences diverses et qu’elle revoit en chacune des lamentables, pathétiques ou insupportables figures que son expérience au tribunal de Nantes lui permet de découvrir.

Alors, par le détour des autres peut se dire pour elle et se comprendre, le caractère jusqu’alors mal déchiffrable d’un être qui n’avait pas de loi, conciliait les contraires, coupable et victime à la fois d’une vie excessive, mal dirigée, et qui désormais ne relèvera plus pour elle du jugement à porter mais d’une forme puissante et surtout non démonstrative d’empathie qui l’amène à reconnaître simplement ce qu’il fut, dans sa complexe et difficile humanité. Instable. Inaccordé. Fuyant. En un mot inappropriable.

Et c’est peut-être là que nous touchons au poétique. Si par poétique non entendons, non plus simplement un certain caractère d’ornement qui s’impose au discours, voire plus ambitieusement une forme supérieure, énigmatique et parfois même absconse d’édicter la Vérité, mais une certaine reconnaissance à travers la parole de l’excédence du réel par rapport aux pensées, aux systèmes, aux morales.

Car le propre de la poésie est peut-être simplement là. Dans cet effort de langue qui, non pas appliqué au réel, mais s’efforçant avec, travaille à de réciproques ouvertures, de symétriques reconnaissances, s’emploie à libérer toute la puissance de métamorphoses et de compréhension que derrière les apparences, le bloc figé des représentations soumises, le monde, que nous réfléchissons et inventons par la parole, attentive, agissante, dure sans doute parfois, possède et continue depuis toujours à vouloir nous proposer.

Par Georges Guillain

01/03/17

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Revue 303

Revue 303

Par Alain Girard-Daudon pour la revue 303

À la recherche du père perdu Fin 2013, la poétesse Sophie G. Lucas entreprend de suivre des procès en correctionnelle au tribunal de grande instance de Nantes. À la manière du grand poète américain Charles Reznikoff, elle veut «frotter l’écriture à la réalité, comprendre ce que ces procès disent de notre société». On voit ainsi que la poésie ne se tient pas hors du monde. C’est même le monde dans toute sa misère qui est ici relaté en textes brefs, violents, désespérants parfois, comme le sont ces faits divers qui arrivent quotidiennement près de chez nous. Ces récits de vies ratées sont servis par une langue sèche, brute, tendue à l’extrême, sans effets de dramaturgie. Ce serait superflu. Les faits suffisent. «Je m’explique pas mon geste. C’est quand j’ai bu. Je peux tout faire quand j’ai bu. Je suis des soins. J’ai jeté tout l’alcool de chez moi. J’essaie. J’essaie.» L’alcool revient toujours dans les parages du désespoir, et la drogue, le chômage. Le côté obscur de notre société nous est donné à l’état brut. «Il m’arrive de ne voir dans le box que des enfants perdus. Je voudrais croire qu’ils ne sont que des enfants perdus.» Sophie G. Lucas dit les choses sur le mode objectif de certains poètes américains, comme un témoin. Mais n’est-elle que cela? Il y a dans ce tribunal comme une ombre. Il y a dans la mémoire comme une présence qu’il faut bien éclairer. Un autre récit court le long de ce livre. C’est le récit du père de l’auteure. Intercalé entre les audiences du tribunal, il a pour titre La Longue Peine. C’est ainsi que l’on qualifie une punition dont on ne voit pas la fin. «Je n’ai pas assez tué mon père», dit-elle, puis «Je veux toujours remuer le passé.» Ce père coupable de quelques larcins, et surtout d’absence, incarcéré à Fontevraud, ne laisse presque pas de souvenirs, seulement des questions. C’est peut-être des réponses que la poétesse cherche dans la litanie des malheurs, pour ne pas être «témoin» de sa vie. «Comme on énonce des hypothèses dans un tribunal, j’émets des possibilités sur la vie de mon père. Je reconstitue des faits. À partir de pièces, de souvenirs, de témoignages. Mais je n’ai pas de vérité. Je ne sais toujours pas qui est mon père.» On aura compris que ce livre dur est aussi bouleversant, que ces histoires nous touchent et trouvent en nous des échos. Il est dédié «à nos mères, à nos pères».

Danactu-resistance

Un billet sur le blog de Danactu, dédié à toutes les résistances, celles de la politique, de l’écologie, de la culture…, daté du 10 décembre :

Les éditions La contre-allée ont publié en octobre dernier un texte passionnant de Sophie G. Lucas, intitulé sobrement, Témoin. Un seul mot pour ce titre, mais l’ensemble de ses textes brefs est pourtant là. Une des bonnes surprises de cet automne.

L’auteure a suivi des procès en correctionnel au Tribunal de Grande Instance de Nantes durant quatre mois en 2013 puis six mois en 2014. Que nous disent ces faits que l’on qualifie de « divers » ? Toute notre société est là, au quotidien, dans sa diversité, dans sa banalité, une réalité nue, une sorte de banalité du mal, de la souffrance, de la misère du monde disait Bourdieu… Pas plus d’une page ou parfois une demie-page pour raconter un drame, celui d’une vie. Comme un face à face à distance de la vie déchirée et de l’écriture future. Pas facile et pourtant Sophie G. Lucas réussit ce pari. Avec en écho, la vie chaotique de son père. Peu à peu elle comprend que ces histoires difficiles, ces voix, ces paroles entendues dans le prétoire peut avoir un sens intime avec son père.

Sophie G. Lucas, née à Saint-Nazaire a écrit des articles dans un quotidien local, des notes de lecture, des portraits pour la Maison de la poésie de Nantes, des livres et des plaquettes de poésie, sans oublier des publications dans plusieurs revues poétiques : Décharge, Liqueur 44, Contre-allées ou N4728… Si sa démarche est sociale, les S.D.F ou la désertification d’une ville comme Détroit, elle réussit à y mêler l’intime comme lors de la mort de son père (Nègre blanche, en 2007). Chaque texte a un titre, et chaque texte s’ouvre sur une courte phrase :

« Je vais te tuer. »

« Il roule. »

« Il a quarante et un ans. »

« Il ne parle pas la langue. »

« J’ai tout essayé. Je vais te fumer. »

Un texte qui nous parle, qui parle de nous, nous qui pourrions être à leurs places. Un texte qui nous touche, près de l’os, dans le réel. Approcher de la vérité de ceux qui sont tombés.

Lire le billet sur le blog Danactu ici

L’Humanité

L’Humanité

Un article d’Alain Nicolas dans l?édition du 8 décembre de l’Humanité :

Sophie G. Lucas a promené au tribunal de Nantes une oreille poétique, à l’écoute du bruit de fond de notre époque. Témoin,  de Sophie G. Lucas Éditions La Contre Allée. 88 pages, 12 euros

La criminalité la plus sanglante n’est pas la seule source du romanesque policier. La vie des cours correctionnelles est pour les romanciers une mine de destins tordus, de paroles à la dérive, au point que le compte rendu d’audience est presque devenu un genre à part entière. Avec ses réussites, mais aussi ses codes, ses facilités, et parfois une difficulté à surprendre.

Sophie Lucas, qui a suivi pendant des mois les procès du tribunal de grande instance de Nantes, n’est pas tombée dans le piège. Le réel qui se réfracte dans Témoin est évidemment celui qu’on trouve dans tous les lieux de ce genre en France, et sans doute ailleurs. Un disque de blues collecté chez des non-professionnels avait pour titre Slavery, Prison, Women, God and… Whiskey (Esclavage, prison, femmes, Dieu et… whisky). Remplacez « esclavage » par « salariat » ou « chômage », « femmes » par un terme moins « genré », ajoutez « cannabis » à l’alcool et vous aurez une idée du blues de la petite délinquance dont Sophie Lucas se fait la caisse de résonance.

Il s’agit bien de chant. Sophie Lucas est allée aux audiences avec une oreille musicale, et fait du prétoire une scène où se joue un opéra de quatre sous contemporain. « Je parle avec mes nerfs », dit l’accusé dans le premier des textes. Cette parole circule dans l’enceinte, rapportée, adressée au juge, échangée entre accusés et témoins. Parfois, elle surgit, phrase unique embusquée au milieu de l’exposé des faits : « Je vole aussi pour ma consommation. » Sans guillemets dans le texte original. Au lecteur d’ouvrir les oreilles.

Ne pas aggraver les choses, sauver les apparences

Ce qui se dit dans ces scènes, c’est le bruit de fond, le chœur des anonymes, ceux qui n’ont pas échappé aux coups du sort. Ceux qui ne tiennent pas l’alcool, qui ne savent retenir ni leurs mots ni leurs gestes, ceux qui refont toujours les mêmes erreurs, ceux qui croient que cette fois-ci ils ne se feront pas prendre, ceux qui n’ont pas de chance, qui n’ont rien compris aux règles du jeu.

S’y mêle la figure d’un père aussi peu père que possible, qui commence sa vie dans une maison de correction à Fontevraud, et lui lègue un roman familial impossible.

À eux, une dernière chance : trouver des mots pour s’en tirer, ne pas aggraver les choses, sauver les apparences. Sophie Lucas écoute ces mots, les transforme, les fait siens. Elle les verse au dossier de notre condition. Écoutons le témoin.

Lire l’article sur le site de l’Humanité ici

L’1dex

L’1dex

Un article dans l’1dex, média alternatif, « critique et libertaire », daté du 20 novembre :

Un livre dans la veine de la rubrique Coup de barre du Canard.

Témoin que t’es plus

T’es moins que rien

Témoin que tu n’en peux plus

Témoin que rien ne change

Témoins qu’on ne te laisse que tes moignons

Témoignons

Témoin garde à vue, de nez et à la barre

Témoin ou Martyr

Témoin que martyr c’est pas pour rire

Témoin sans preuve

Témoin à l’épreuve

Témoin que t’es moins en mots qu’en actes

Témoin de déveines.

Comme un testament. Un test témoin.

Prendre ce livre dans tes mains

Et laisser ce livre te prendre à témoin.

De courts textes dans lesquel « je », « tu », « il » ont la parole. L’intensité judiciaire varie. Du « Je tue » à la grosse tuile.  Des paroles entendues au tribunal de Nantes : captées, transcrites, asséchées. Des paroles en un rythme tendu. Un livre qui rend les lectures assises inconfortables.

Lire l’article sur le site de L’1dex ici

Chien de Lisard

Un billet de Daniel Morvan sur le blog Chien de lisard, daté du 20 novembre :

« Nous assistons, en ce moment, m’a-t-il dit, à un spectacle vraiment extraordinaire, unique, dans toute l’histoire de la poésie : chaque poète allant, dans son coin, jouer sur une flûte, bien à lui, les airs qu’il lui plaît ; pour la première fois, depuis le commencement, les poètes ne chantent plus au lutrin. » Les mots de Mallarmé s’appliquent au vers, mais conviendraient aussi à la matière choisie. Et Sophie G. Lucas a elle aussi choisi de s’éloigner du lutrin d’une poésie figée pour s’investir d’une autre tâche: le suivi des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes de septembre 2013 à janvier 2014. Ainsi est né Témoin, de Sophie G. Lucas, qui vise ainsi à suivre le modèle de Charles Reznikoff (Testimony), afin d’aller voir ce qui se cache derrière les faits divers. Juste pour cela? Alors, ce ne serait que de la justice avec un peu plus de talent, rien d’autre.

Ce qui se cache ici, c’est le mystère d’un père en marge, arrêté à Nantes en 1957 pour détention d’armes de guerre et munitions. Un père qui boutonnait toujours mal les manteaux de ses enfants le matin. Et dont le secret serait peut-être caché là, dans d’autres vies que la sienne. « A ce travail, explique-t-elle, d’autres fils se sont mêlés, inattendus, personnels, ceux d’un père en marge, dont la vie chaotique a trouvé des échos dans celles des prévenus, au fur et à mesure des procès. Et si c’était là l’objet de toute cette démarche initiale ? Tenter de comprendre un père impossible en me faisant témoin d’autres vies, essayer de faire se manifester une vérité parmi d’autres possibles ? »

Sophie G. Lucas n’entend pas faire parler poétiquement le fait divers, à la faveur d’une scansion travaillée, d’un récitatif qui porterait le compte rendu d’audience à la hauteur du chant. Mais on n’échappe pas à la rhétorique: Elle s’en tire autrement qu’un audiencier de presse, grâce à la réduction drastique du fait par le style, ne subsistant du fait qu’un précipité cristallin, comme au fond d’une éprouvette portée à la flamme. Le style est sèchement lyrique. Il installe une tension maximale du texte vers sa chute.

Ce prévenu comparaît pour avoir mené une course poursuite après une rave party: chômeur, casier lourd, ça se passera forcément mal au barrage de police, il était sous stupéfiants et sans permis. Il a forcé le barrage car il voulait voir son amie une dernière fois. Une amie étudiante en « master 1 de psychologie criminelle. Ma vie avait changé ».

Ou cette fille qui plante un couteau dans le cou d’un garçon, sans raison: « Il doit y avoir une raison pourquoi j’ai fait ça. Au fond. » Texte en regard d’un autre, de la série autobiographique, intitulé « la longue peine », où la narratrice se souvient des jeux de guerre avec son frère. Et sa mère ne comprenant pas pourquoi une fille aime jouer avec un fusil. « Et toujours. La violence. En moi. Tout contre moi. »

C’est ainsi un tribunal intime qui s’ouvre, devant lequel ce père est convoqué, mêlant sa voix au cortège des éclopés, pour savoir enfin, l’entendre s’expliquer, en insérant ses blocs de silence, ses mâchoires serrées entre celles des autres, les mains crispées sur la barre, des mains tatouées de taulard. Ici, c’est le nerf qui fait vers, l’effort au style est l’enfant du trou, venant nier la prose goguenarde des pages de faits divers. Le texte réduit à l’os qui fait poésie est directement ponctionné sur la prosodie des bredouillements de correctionnelle, de la rage mêlée d’alcool, des abus noyés dans l’amnésie des brutes. Quarante-sept moments de désastre où se dessine peu à peu la silhouette paternelle, cette forme de père mort qui revient, fantôme, sur un banc de la chambre d’audience, ou « dans le box que des enfants perdus. (…) Certains n’ont connu que la prison ou les institutions depuis l’adolescence. Mon père a été enfermé dans une maison de correction. L’Abbaye de Fontevrault. » Celle dont Jean Genet dit qu’elle est « la plus troublante » des centrales de France, dont le nom seul faisait frémir. Au terme de ces comparutions, quel roman, quel poème pour ce père sans loi? Une multiplicité de visages faites de tous ceux-là.

Lire le billet sur le blog Chien de lisard ici

Décharge

Une chronique de Témoin dans la revue de poésie Décharge, datée du 9 novembre :

Accueillons avec faveur les livres de poésie qui agrandissent notre domaine, ils sont rares. Justement en voici un : Témoin, de Sophie G. Lucas, aux éditions La Contre allée (qu’on ne confondra pas avec la revue Contre-Allées, d’Amandine Marembert et Romain Fustier, et où cette même poète a publié naguère deux plaquettes aujourd’hui épuisées). Je me réjouis d’autant plus de cette parution que la dernière fois où je signalais un ouvrage de Sophie G. Lucas (je ne prétends pas non plus tout lire d’un auteur, aussi intéressant soit-il), c’était pour la saisir dans le désarroi d’une panne d’écriture, avec Carnet d’au bord, proposé par les éditions Potentille (voir l’I.D n° 505 : Accident de travail).

Peut-être ce Carnet indiquait-il en fait l’épuisement de la veine autobiographique que depuis Ouh la Géorgie, polder n° 126, et qu’allait bientôt confirmer Nègre blanche, prix de la Ville d’Angers (au Dé bleu), Sophie G. Lucas cultive ; et la dédicace du présent ouvrage : à nos mères, à nos pères, pourrait aussi sonner comme une prise de distance, encore que ce sont bien des pères et des mères, tour à tour indignes et humiliés, violents et pitoyables, qui sont les acteurs des drames quotidiens ici évoqués.

Témoin s’inscrit dans une veine sociale et documentaire, peu représentée dans la poésie française. Cependant je rapprocherai volontiers ce livre du mémorable Croquis/Démolition de Patricia Cottron-Daubigné, dans cette même ambition de témoigner d’une parole jamais écoutée. Néanmoins c’est bien vers la poésie américaine que Sophie G. Lucas va se tourner, et la lecture de Testimony de Charles Reznikoff sera déclencheuse. Pour réaliser son projet, l’auteur suivra pendant plusieurs mois les procès en correctionnel au Tribunal de grande instance de Nantes pour essayer d’approcher ce qui se cache derrière les violences, les faits divers. De cette matière orale, elle tisse à plusieurs voix, celles des protagonistes, accusés, victimes, magistrats, mêlées à celle de la narratrice, des textes remarquables, proses vigoureuses et rigoureuses, qui brisent le cœur. Et dès la première page : en conséquence, je ne vois pas de raison d’aller chercher plus loin un poème exemplaire :

Je parle avec mes nerfs

Je vais te tuer. Je vais te crever. C’est depuis que je suis avec elle. Il a déjà été condamné. Les mêmes faits contre sa compagne. Elle était enceinte de leur enfant. Ils se sont séparés. Ils se sont remis ensemble. Il a recommencé. Il dit. C’est elle. Elle s’est fait passer pour une inconnue sur un site. Elle l’a piégé. Alors je me suis énervé. Elle aurait pas dû faire ça. C’est pas bien. Il frappe. Les murs. Les portes. Les volets. Avec ses poings. Avec un marteau. Il se défoule. Sur les objets. La télévision. Et il lui donne des coups de poings. Il s’acharne. Je m’énerve vite. Je l’aime. Mais je la tape. J’ai jamais pensé vouloir la tuer. Je parle avec mes nerfs. Il y a l’alcool. Le cannabis. Condamné huit fois depuis trois ans. En attendant il vit chez son père. Il est peintre en bâtiment. Intérimaire. Je suis toujours amoureuse de lui. Mais je le reprendrai pas tant qu’il changera pas. Je veux rien pour les violences physiques. Je demande juste. Qu’il rembourse la télévision.

Lire l’article sur le site de la revue Decharge ici

remue.net

remue.net

Un article de Jacques Josse, sur le site de littérature Remue.net, daté du 29 octobre :

« C’est une drôle de chose l’écriture », Sophie G. Lucas

De septembre 2013 à janvier 2014, Sophie G. Lucas a suivi des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes. De là est né Témoin, un ensemble de textes brefs, taillés au scalpel, qui disent avec force ce que sont les vies en morceaux de la plupart de ceux et de celles qui défilent à la barre. Ce qui la happe, et qu’elle restitue avec précision, c’est leur parcours, leur sensibilité émoussée, leurs mots maladroits, leur façon de s’apitoyer sur eux-mêmes, leur absence de compassion vis à vis des victimes, leur impossibilité à justifier leurs actes et leur envie, à tous ou presque, de briser enfin le cercle infernal qui les broie et les porte constamment à la récidive. Ils sont là parce qu’il y a eu vol, attaque à main armée, violences conjugales, conduite en état d’ivresse, viol, exhibitionnisme, falsification de chèques bancaire, etc.

« Il revient d’une rave party. Il conduit sans permis. Il a pris des stupéfiants. Il force le contrôle routier. Course-poursuite sur vingt kilomètres. Il percute une voiture de policiers. S’enfuit à pied. Et rentre chez lui. Je savais que ça allait mal se passer. Mon casier. J’ai paniqué. Je voulais voir mon chien et ma femme une dernière fois. Il a dix-sept condamnations à son casier. Il est libre depuis dix ans. Il est sans emploi. Il vit avec sa compagne étudiante en Master 1 de Psychologie criminelle. Ma vie avait changé. »

De nombreux prévenus se présentent à la barre. Tous paraissent marqués. En rupture. Chargés d’un passé lourd. Livrés à eux-mêmes. De plus en plus fragiles et précaires. Sophie G. Lucas fixe leur portrait en une seconde. Chaque texte est construit à coups de phrases courtes. Ce qui lui insuffle un rythme vif, saccadé. Elle trouve l’angle juste pour toucher de près l’être déboussolé et perturbé qui se cache derrière l’accusé. La forme qu’elle parvient à donner à cet ensemble est imparable. Elle juxtapose les propos des uns et des autres (prévenus, juges, témoins) en un maillage subtil. Les voix s’entrecroisent. Les scènes décrites deviennent très visuelles. Sans qu’il y ait le moindre élan de voyeurisme dans l’air. Elle reste au contraire discrète, toujours à sa place, allant à l’essentiel.

« Arrêt du tramway. Il jette une bouteille par terre. Éclats. Un passant lui fait une remarque. Que ça ne se fait pas. Que c’est dangereux. Il sort une lame. Il le menace. Le passant se protège avec son parapluie. Il manque d’être touché. S’enfuit en courant. Mais l’homme ivre lui court après. Le passant se réfugie dans un magasin. L’homme finit par être interpellé. Il avait deux grammes d’alcool dans le sang. Condamné sept fois en dix ans. Violences. Et il a fait onze ans de prison. Pour meurtre. »

La ronde des petits et gros bras qui fréquentent le box semble sans fin. Attentive, Sophie G. Lucas les regarde défiler. Ils ont tous de nombreux points communs. Des sorties de route prévisibles. Que les peines successives ne parviennent pas à stopper. Elle en dresse un constat presque clinique. Dans un livre puissant et percutant où elle se révèle être bien plus qu’un simple témoin. Et se montre d’autant plus touchée par ce qu’elle voit, entend, écoute et note qu’elle se remémore, régulièrement, au fil de textes titrés « la longue peine », la figure de son père dont, dit-elle par ailleurs, « la vie chaotique a trouvé des échos dans celles des prévenus, au fur et à mesure des procès ».

« Mon père est cet homme qui ment, mon père est cet enfant qui frappe, mon père est ce jeune homme perdu dans le box, mon père est cet homme qui tient une arme, mon père est cet homme alcoolique, mon père est celui qui abandonne ses enfants, mon père est ce voleur, mon père est ce chauffard, mon père est celui qui court sous les balles, mon père est ce petit caïd, mon père est celui qui se raconte des histoires, »

Elle dédie son livre « à nos mères, à nos pères », et cela est loin d’être anodin.

Lire l’article sur le site remue.net ici.

Terre à ciel

Une chronique de Cécile Guivarch sur le site de poésie contemporaine Terre à ciel, datée du mois d’octobre :

Dans Témoin, Sophie G. Lucas prête sa voix à ceux qu’elle a écouté pendant plusieurs mois au Tribunal de Grande Instance de Nantes. De faits divers en faits divers, Sophie G. Lucas assiste aux audiences et note faits et paroles. En témoin, et non en juge, elle retranscrit les violences, les faiblesses et les blessures des prévenus et/ou des victimes. Elle reporte sur le papier un concentré de paroles frappantes, celles qui l’ont certainement atteintes au plus près. Les mots sont forts, les faits souvent liés à l’alcool, à la souffrance, au mal-être, au manque d’amour. Sophie G. Lucas assiste mais ne prend jamais parti, elle se contente de retranscrire l’ambiance juridique au plus juste. Ainsi un homme boit mais n’est pas alcoolique, un autre bat sa femme tout en ne le voulant pas, un autre voudrait qu’on l’aime, une femme après avoir reçu des coups demande simplement que sa télévision soit remboursée. Il y a les petites gens, sans études, sans éducation, ceux qui n’en sont pas à leur première condamnation, ceux qui ont des soucis avec l’alcool ou la drogue, ceux qui ne savent pas communiquer, ceux qui voudraient être des gens bien, qui regrettent et voudraient tout effacer. Sophie G. Lucas est témoin de leur fragilité, d’un pan de la société où il existe des fissures. Le ton utilisé est donc celui de la parole et le livre s’articule autour d’un certain nombre de séquences. Au départ, si Sophie G. Lucas a pour but de continuer le travail documentaire qu’elle avait déjà entamé dans Moujik, moujik ou Notown, au fil du livre s’intercalent des textes plus personnels, portant pour titre « Une longue peine. » On pense à Nègre blanche, paru à L’idée bleue. Assister à ces audiences fait remonter à la mémoire la personnalité d’un père peu connu, que l’auteur cherche à comprendre dans chacune de ces personnes jugées.

Mon père est mort mais ne le sait pas. Il est assis sur un banc de la Chambre d’audience numéro trois, cheveux en bataille, chemise froissée, il semble ne pas me voir, il est juste là. Il n’est pas dans le box des accusés. Il n’est pas à la barre. Il est à côté de moi. Mon père mort. Je n’ai jamais tué mon père.

Lire la chronique sur le site de Terre à Ciel ici

Le Matricule des anges

Le Matricule des anges

Un article de Camille Cloarec dans Le Matricule des anges n°177, d’octobre 2016 :

Longues peines

Le recueil de Sophie G. Lucas retrace avec minutie des parcours de vie chaotiques qui questionnent l’inégalité sociale face à la loi.

Je veux assister à des procès. Je veux frotter l’écriture à cette réalité. Je veux capter des paroles, travailler des voix, des histoires. Je veux comprendre ce que disent ces procès de notre société.  » Telle est la démarche de Témoin. De spetmbre 2013 à janvier 2014, Sophie G. Lucas a assisté aux procès en correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Nantes. Ces longs mois d’observation donnent naissance à des textes courts, fragmentaires, qui retracent dans leur extrême diversité le parcours de ces accusés. Les délits, qui strucutrent chaque poème, vont des infractions du code de la route aux meurtres, en passant par les violences conjugales. Quant aux personnages, si l’on peut les nommer ainsi, ils sont souvent masculins et en grande précarité, bénéficiant des minima sociaux, ou en situation irrégulière.
L’approche de Sophie G. Lucas rappelle la sociologie. Froidement, objectivement, elle déroule les faits, qu’elle reprend de la bouche même du juge (« Vous aviez bu forcément plus. » ; « Vous trembliez. » ; « Vous avez une soeur qui s’occupe de vous. »). Derrière ces affirmations irrréfutables se dévoile une misère béante. Les quotidiens sont gouvernés par la drogue, l’alcool et les magouilles, enfermant les prévenus dans un engrenage implacable. La récidive est d’ailleurs très frappante : la plupart d’entre eux n’en sont pas à leur première comparution. La dérive à laquelle ils se sont abandonnés semble, au fond, avoir été la seule alternative. Car, comme le dit l’un d’entre eux : « J’ai tout essayé« . Une grande pudeur enveloppe ces récits morcelés, qui échappent à tout voyeurisme. Car ici, pour reprndre les termes de la mère d’un accusé, « on n’est pas au cinéma. » Sophie G. Lucas écoute et retranscrit fidèlement les discours de chacun, entre ellipses et fautes de langue. Leurs expressions (« je lui ai mis ue poussette assez violente« ), leurs aveux à demi-mot (« j’ai donné une éducation un peu stricte« ) sont reproduits avec une délicatesse bouleversante. Ce qui frappe le plus est le déni dans lequel s’enferment certains, qui se justifient désespérément à coups d’euphémismes et de négations aveuglées : « Je suis pas dingue« , martèle un homme, accusé d’avoir séquestré sa femme et sa voisine. Leur parole maladroite n’a sans doute aucun pouvoir, puisque tout est perdu d’avance. Leurs supplications (« faites-moi une fleur« ), leurs litanies (« digne digne digne« ), leurs excuses impuissantes (« c’est un passage à vide« ) ne les tireront certainement pas de ce mauvais pas. Mais elles élèvent en leur restituant une forme de dignité désespérée, qui se débat encore et appelle au secours.
La veine presque documentaire de Témoin (nourrie par l’expérience du Reznikoff de Testimony) est parfois mise à mal par l’autobiographie, qui prend le pas, comme malgré elle, sur la réalité des procès. La figure du père, auréolée d’une part de mystère jamais tout à fait éclairée, marginale, surgit au hasard des audiences. « Mon père est mort mais ne le sait pas. Il est assis sur un banc de la Chambre d’audience numéro trois, cheveux en bataille, chemise froissée, il semble ne pas me voir, il est juste là. » Ces poèmes, répertoriés sous le titre de « La longue peine« , hantent le recueil, de plus en plus obsédants. Cette irruption de l’intime dans un endroit aussi glaçant et déshumanisé qu’un tribunal ébranle les comptes rendus exacts du livre, et nous pousse à nous interroger sur les limites de la culpabilité. En effet, il est si facile de tomber bien bas et de ne pas se relever. Aucune de ces histoires ne nous est étrangère, si l’on y réfléchi bien. C’est ce délicat mélange d’autobiographie et de sociiologie qui, en alternant mise à distance et identification, fait la grande force de Témoin. Sans jamais prendre position, son auteure se contente de citer Camus : « Mais le plus haut des tourments humains est d’être jugé sans loi. »

À retrouver ici, sur le site du Matricule des anges.

Mobilis

Mobilis

Un article de Gérard Lambert-Ullmann publié dans le magazine Mobilis le 17 octobre :

Sophie G. Lucas a suivi des procès pour “essayer d’approcher ce qui se cache derrière les violences, les faits divers”. Pour Gérard Lambert-Ullmann, qui lit Témoin pour Mobilis, ce livre «  tape sec avec l’uppercut des mots”.

Ils ont tous des “problèmes avec l’alcool”, fument des joints, sont au chômage, au RSA, surendettés, “sur les nerfs”, se tapent dessus pour des broutilles, et disent tous vouloir “arrêter leurs conneries” sans cesser d’y replonger. Le défilé des paumés qui se retrouvent au tribunal chaque jour est impressionnant de balbutiements, de maladresse chronique, de lourde stupidité, de misère, de désarroi. Tous sont coincés, broyés par les mêmes engrenages absurdes de la délinquance : petite “connerie”, condamnation, récidive, nouveau “dérapage”, condamnation plus forte, etc. Il y a presque toujours le mec qui picole et tape, sur la femme, la copine, les copains, le voisin, (“J’ai pété les plombs”), et parfois la femme qui l’imite. Il y a ceux qui conduisent sans permis et bien imbibés. Il y a les petits voleurs souvent stupéfiants de balourdise. Il y a ceux que leur zizi travaille. Et aussi les pauvres gars coincés pour défaut de “papiers” et sur lesquels tombe un couperet aussi tranchant qu’inefficace. À l’exception de fils à papa auxquels on pardonnera d’avoir “jeté leur gourme” un peu trop fort, et de Zadistes à l’engagement militant affirmé, tous sont des “bras cassés” que les sanctions ne raccommoderont pas. L’auteure les voit comme des “enfants perdus” d’une société déboussolée et qui ressemblent beaucoup à son père dont la vie chaotique lui a fait “longue peine”.

Pendant quelques mois, la nantaise Sophie G. Lucas a suivi des procès pour “essayer d’approcher ce qui se cache derrière les violences, les faits divers”. Elle ne l’a pas fait en sociologue, quoique son travail soit édifiant. C’est en écrivain qu’elle “capte les paroles, travaille les voix” dans toute leur abrupte vérité: “J’ai eu des nouvelles de ton père. Il est mort”. Et le résultat percutant, ce petit livre, donne plus à penser que bien des gros pavés analytiques. Il tape sec avec l’uppercut des mots.

Lire l’article sur le site de Mobilis ici

Le Clavier Cannibale

Un billet de Claro sur son blog le Clavier Cannibale, daté du 13 octobre :

Le palais des peines perdues: « Témoin », de Sophie G. Lucas

Bon, aujourd’hui, c’est le Nobel côté lettres. On va donc plutôt vous parler de choses sérieuses. Du poète américain objectiviste Charles Reznikoff, par exemple, et de son impressionnant Témoignage, où il travaille à partir de « rapports d’audience de tribunaux amenés à juger aussi bien de conflits de voisinage ou de succession que d’accidents du travail ou de faits divers atroces » – et ce pour bâtir une chorale du désastre avec des matériaux bruts. Ou plutôt non, parlons d’un livre qui lui rend hommage à sa façon, puisque l’auteur a voulu perpétuer l’approche de Reznikoff et a « suivi des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes de septembre 2013 à janvier 2014 ». Ainsi est né Témoin, de Sophie G. Lucas, que publient ces jours-ci les éditions de la contre-allée.

Retranscrire est une chose. Scander en est une autre. Ici, les propos retenus/détenus – que ce soit ceux de l’accusé, de la victime, du juge, des témoins… – ont subi une sorte de catalyse, et les voilà ré-agencés au gré d’un récitatif qui souligne leur âpreté tout en laissant voir l’os, un récitatif où ce qui est dit est ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on ne peut changer – hors jugement, donc. L’auteur-témoin devenu greffier, entre autres détails, de l’insaisissable. Travail de précision, où les voix luttent contre leur propre souffle, où l’aveu et le déni, les faits et les absences, la colère et l’abandon ne cessent d’échanger leurs intensités:

« Il est sec et mince. Petit. Ramassé. Il y a lui. Il y a sa femme. Il n’y a pas la fille. Il a abusé de sa fille. Elle avait sept ans. Aujourd’hui elle est majeure. Il est tremblant à la barre. Un an avec sursis. Il repart avec sa femme. Elle lui porte sa veste. Sa femme. Elle a ce geste. La mère de la fille. Elle a un geste. Pour. Lui. Ils sont ensemble. Le père et la mère. La mère et le père. Ils traversent le tribunal. Ils sont serrés l’un contre l’autre. Le père. La mère. »

Au fil des pages, par brefs blocs, des destins pris dans le cadre judiciaire, l’alcool, le vol, la récidive, les excuses, les justifications, l’impuissance, la tristesse, la rage, le besoin, des hommes pour la plupart, bien sûr, violences, abus, disputes… La phrase souvent réduite au mot, à la force et la fébrilité du mot venu cacher la forêt des pulsions. Ici, on « parle avec [ses] nerfs », ça « dérape », on « n’est plus cet homme-là » et « peut-être c’est bien de m’arrêter ».

Mais entre ces quarante-sept moments de vie au bord de la bascule, Sophie G. Lucas tisse un autre fil, expose une autre histoire, celle de son père, ou plutôt l’histoire lacunaire de ses liens avec un père absent, mort puis vivant, menant plusieurs vies, semant ici et là les enfants comme des petits poucets négligeables, un père qui « n’est pas quelqu’un de bien », qui « était plusieurs personnes ». En le convoquant au tribunal des souvenirs et témoignages, l’auteur accomplit un geste fort, intime, violent. Il fallait que s’avance une foule en désastre, fracturée, pour que puisse se préciser, entre deux témoignages, la silhouette insaisissable du père:

« Il m’arrive de ne voir dans le box que des enfants perdus. Je voudrais croire qu’ils ne sont que des enfants perdus. Même ceux qui sont censé être des hommes. Certains n’ont connu que la prison ou les institutions depuis l’adolescence. Mon père a été enfermé dans une maison de correction. L’Abbaye de Fontevrault. »

En moins de cent pages, à l’économie et au ciseau, Sophie G. Lucas s’attaque, littéralement, au vif du sujet, à ce qui fait, qu’à vif, il chute, et chute encore, laissant des mots, après l’écho des coups, comme ce père impossible, « homme nombreux », pénombreux, auquel elle consacre dix-huit chapitres intitulés « La longue peine » – rendant au mot de « peine » son sens fort, son sens poignant.

Lire le billet sur le blog la Clavier Cannibale ici
Poezibao

Poezibao

Une note de lecture par Jacques Morin daté du 5 octobre, sur le site Poezibao, le journal permanent de la poésie conçu et réalisé par Florence Trocmé. Un almanach poétique, l’actualité de la poésie, des portraits, des notes de lecture, des interviews, des comptes rendus d’évènements…

Sophie G. Lucas a assisté à des procès en correctionnelle au Tribunal de Grande Instance de Nantes pendant plusieurs mois. C’est son témoignage qu’elle livre. Brut. Constat sur l’état de la société aujourd’hui dans un concentré de violence et de sordide. Toutes les affaires montrent un certain délabrement des relations humaines dans les classes sociales où  pauvreté, chômage et alcool dégradent le quotidien et créent le fait divers. Il y a ce défilé de personnes, souvent jeunes, déjà bosselées par la vie. On pourrait imaginer des portraits en noir et blanc, façon Depardon, ou des croquis d’audiences, mais Sophie G. Lucas par l’audace de son style va restituer fidèlement la vérité des séances, grâce au prisme des mots. En effet, elle met en avant tout ce qui est parole, en supprimant les éléments qui pourraient parasiter le discours, à savoir intervenants ou locuteurs, et bien sûr toutes les incises, guillemets et ponctuations que le lecteur rétablira intuitivement. Ce style-direct raccourci confère force, vitesse et authenticité au texte. De même le passage ping-pong parole / description succincte ou narration express crée un effet de vie et de vrai. La gamme des pronoms personnels devient un  jeu d’indices. Qui dit quoi, de qui, à qui ? La lecture rétablit dialogue, aparté, intervention des juges ou avocats. Les phrases sont brèves, elliptiques. Dures, incisives. Ce n’est pas réaliste, c’est réel. Les prévenus, parfois multirécidivistes, trouvent des excuses qui n’en sont pas. J’ai pas fait exprès dit l’un. C’est vrai. J’ai frappé mes gamins, mais pas comme un fou. C’est des enfants. Je suis pas dingue dit l’autre. Sophie G. Lucas observe, note, écrit, sans juger. Aucune leçon de morale à l’adresse de quiconque. Le titre atteste de l’objectivité de l’auteure. Elle rapporte dans un cadre resserré les audiences scrupuleusement. Le livre est dédié : « à nos mères, à nos pères ». Importance des familles et des parents pour les destins tortueux des accusés défilant dans le box… Dans ces micro-scènes de délinquance, de violence… Au fil des pages, se mêle en filigrane sa propre histoire, égrenée en feuilleton, à l’intérieur des consignations quotidiennes. Et celle de son père, qui ressemble un peu à toutes celles qui passent devant la barre. Mauvais garçon, puis mauvais père auquel l’auteure voue tout d’abord une haine féroce, quasi meurtrière, qui se mue au fur et à mesure des souvenirs, des pièces et des photos en une tendresse relative. Certains n’ont connu que la prison ou les institutions depuis l’adolescence. Et cette phrase de passation et de filiation : Mon père manipulait les mots comme des armes. Le livre de Sophie G. Lucas est cru et râpeux, mais il illustre bien les carrefours et les impasses de vies cabossées si fréquentes aujourd’hui.

Lire l’article sur le site de Poezibao ici