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Podcast « A comme Babel »

Podcast « A comme Babel »

Retrouvez Corinna Gepner dans un bel entretien pour le podcast A comme Babel réalisé par Guillaume Métayer.

Revue internationale d’études en langues modernes appliquées, no 14, 2021

Compte-rendu de Rodica Baconsky. Pages 92 à 94.

Julien Delorme

Et ce matin dès le réveil, prendre le temps nécessaire pour parler de ce livre de Corinna Gepner, TRADUIRE OU PERDRE PIED, l’un des deux qui ouvrira, la semaine prochaine la collection Contrebande aux éditions La Contre-Allée. J’y suis venu en me disant que j’allais, dans la foulée de mes deux dernières tables rondes, lire un bon texte sur la traduction ; un domaine passionnant qui intéresse un public un peu plus large ces dernières années (pas encore assez large malgré tout) grâce notamment aux festivals VO/VF et D’un pays l’autre, au collège international des traducteurs d’Arles ou la MEET de Saint-Nazaire. Erreur. Traduire ou perdre pied est un grand texte, point. Par le prisme de la traduction, c’est de la lecture, de la sensibilité, de la famille que nous parle Corinna Gepner. Au fil de textes courts qui se répondent les uns les autres avec une grande virtuosité, elle nous confie un bout de son âme avec une pudeur et une élégance folles. Un grand livre de l’intime donc qui ne s’attache pas à mettre en scène les mêmes lubies psychanalytiques et autres délires nombrilistes dont l’autofiction nous rebat les yeux depuis de (trop) nombreuses années. C’est un livre de mise à nu, mais pas pour l’exhibition, pour le partage ; qui ne tait rien des affaires personnelles qui traversent la tête du traducteur lorsqu’il se penche sur son ouvrage, qui évoque le doute autant que la passion. Un grand livre sur la langue, oui, mais pas seulement. Un livre profondément emprunt d’humanité. Et, une fois de plus cette année, une leçon pour moi qui ne voyais pas d’intérêt personnel dans cette volonté littéraire de parler de l’intimité. Comme quoi on peut se tromper, et Annie Ernaux me l’a prouvé en janvier, et Tove Jansson en février, et Gyrdir Eliasson en mars, et bien d’autres encore, presque chaque mois jusqu’à Corinna Gepner hier soir. Oui, l’intime peut donner lieu à des explorations passionnantes, et force est de constater que, meme en étant sélectif, on peut ignorer tout un champ de lecture par préjugé, par manque de recherches, par ce qu’on veut continuer de ronchonner tranquille sur les Moix et autres scories médiatiques. Mais rien n’est grave, il ne s’agit que d’un texte pour ouvrir de nouvelles perspectives littéraires, pour peu que l’on s’aventure un peu plus loin que ce qui nous fait directement envie. Bref, lisez TRADUIRE OU PERDRE PIED, parce que c’est un grand livre.

Marcelline Delbecq pour Entre-temps

Chemin faisant : sur, d’après, avec, autour de et pour « Traduire ou perdre pied » de Corinna Gepner

La rencontre avec certains textes donne parfois le sentiment d’être fortuite. À l’inverse, d’autres nous attendaient là, quelque part, depuis toujours semble-t-il, depuis bien avant qu’ils n’aient été écrits. Et c’est l’effet produit par Traduire ou perdre pied de Corinna Gepner, publié en 2019 dans la collection La Contrebande des éditions lilloises La Contre-allée – une collection entièrement dédiée aux écrits de traductrices et traducteurs dont les voix sont, par définition, toujours plus ou moins tues. 

Non pas parler comme un Irlandais ou un Roumain dans une autre langue que la sienne, mais au contraire parler dans sa langue à soi comme un étranger.

Gilles Deleuze et Claire Parnet, Dialogue, 1977

Une photographie ouvre l’ouvrage, image noir et blanc sur laquelle rien n’est dit : bulles de savon envolées dans les airs ? Vue aérienne pré-bombardement ? Nuages au-dessus d’une campagne anonyme ? Amas de poussière photographié en plongée ? Impossible de saisir ce qui y est figuré et l’image n’a pas non plus de légende. Peut-être la comprendrons-nous plus tard, ailleurs.

Sobrement composé de fragments aux longueurs variables, forme rare et pourtant si juste, le texte distille son contenu au fil de pages où le blanc, celui du fond comme celui des marges, a lui aussi toute sa place, nous donne à lire entre les lignes, confronte notre regard au vide, laisse notre pensée s’échapper.

« La distance de vision fait tout »

Au fur et à mesure que se tournent les pages, chaque fragment révèle, avec une intensité et une humilité qui vous serrent la gorge, non seulement ce qui ne cesse de préoccuper Corinna Gepner lorsqu’elle traduit mais aussi, et cela y est intimement lié, pourquoi « traduire » est, dans son cas, une manière d’accepter de taire un passé pour mieux le faire renaître.

« Une des impasses, peut-être : faire dire par d’autres ce que j’aurais eu à dire sur le passé familial. Ce faisant, je n’attrape que de l’air.

Traduire, en l’occurrence, n’est que prolonger une forme de silence. »

« N’attrape(r) que de l’air », mais « de l’air volé » ainsi qu’Ossip Mandelstam définit extraordinairement la poésie comme acte de résistance, qu’elle soit en russe, en yiddish, en allemand, en français. Et ce n’est pas un hasard si la première traduction confiée à Corinna Gepner fut celle d’un recueil de textes de Kafka. « D’emblée, la traduction : un point de rencontre entre l’allemand et la judéité. »

Denn wir sind wie Baustämme im Schnee.

Quant à « prolonger une forme de silence », à nous d’interroger sa prégnance, sa vastitude, voire sa définition. Car pourquoi « traduire » — c’est-à-dire donner à lire à celles et ceux qui, autrement, ne comprendraient pas ce qui fut écrit dans une langue qui leur est « étrangère » — pourquoi traduire prolongerait-il le silence plus qu’écrire ne le fait ? D’ailleurs traduire n’est-ce pas écrire ? Écrire, n’est-ce pas dire ? Dire n’est-ce pas parler ?

En écrivant Traduire ou perdre pied, la traductrice germaniste élevée en France nous fait entendre, malgré le profond silence qu’elle évoque et convoque avec virtuosité dans son livre, sa voix unique, celle qui d’ordinaire se tait derrière chaque mot, phrase, page traduits, écrits par d’autres en premier lieu. Et en d’autres temps.

« J’aimerais pouvoir quitter passé présent futur pour parler de présence. »

Écrire c’est se rendre présent au présent de l’écriture, s’engager corps et âme dans une aventure au cours indéfini dont on ne sait d’ailleurs jamais trop jusqu’où elle vous conduira. Sans avoir peur des détours ou impasses ni de ne jamais parvenir tout à fait à destination.

Traduire c’est également s’embarquer dans une aventure dont on sait qu’elle est, dès le départ, une fausse piste. C’est cheminer en compagnie d’un texte, de l’esprit de son auteure ou auteur — son corps parfois ; se laisser guider à l’intérieur du contexte historico-culturel qui le sous-tend et de tout ce qui ne demande qu’à y être deviné. L’achèvement d’une traduction, si tant est que cela soit possible, n’est qu’une étape du chemin parcouru, jamais une destination. Et qu’importe, elle ne figurerait sur aucune carte.

« Je repense à ces cours d’eau qui serpentent dans les estampes japonaises. C’est à peu près ça. »

Lire enfin, puisque c’est bien ce à quoi poèmes, romans, essais, mythes nous engagent, quelles que soient leurs langues, lire signifie être mis en présence d’une entité dont chaque traduction démultiplie la force de vie. Or, et c’est toute l’ambivalence de la traduction, pour donner vie il faut se résoudre à générer une forme de perte et savoir l’entreprise d’emblée vouée à l’échec. Sans pour autant jamais y renoncer.

Lire Traduire ou perdre pied, c’est tenter de comprendre jusqu’à quel point marcher dans les pas d’une ou un autre finit par vous transformer. C’est accepter la discrète invitation de Corinna Gepner : nous approcher au plus près de ce qui est écrit sans lui faire d’ombre, nous immiscer quelque part où l’on ne serait pas à vue et faire émerger une lumière nouvelle.

« Comme cette lumière des étoiles mortes. »

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Des livres rances

Dès la première phrase je soupçonne que je serai confortablement installé dans mon élément : « Adolescente, j’ai découvert Dostoïevski avec passion. Ma première rencontre avec lui a été ˝Crime et châtiment˝ ». Ici il sera question du métier de traducteur, couplé avec le destin d’une famille – celle de l’auteure – meurtrie par la guerre.
D’emblée, plusieurs traductions disponibles des premières phrases de « Crime et châtiment » sont recopiées, pour bien mettre le doigt sur la difficulté de traduire, de trouver les bons mots, les bonnes images, qui divergent selon les expressions. C’est la mère de Corinna GEPNER qui lui a donné cette envie de traduire et de partager, d’aller au plus précis, au plus près de l’auteur, de son univers, loin du mot-à-mot poussif et contre-productif, voire illisible. « Je traduits avec dictionnaire, avec des dictionnaires, qui se multiplient, se complètent, parfois se heurtent. Toujours avec dictionnaire. Que souvent j’utilise comme des béquilles qui me rassurent, allant jusqu’à chercher chaque terme, non par ignorance : les termes que je connais. C’est presque un rituel, c’est aussi ce qui déclenche l’écriture, me donne des idées, amène les mots, qui sont parfois si difficiles à venir ».
Corinna GEPNER prend sa profession très au sérieux, elle ne veut surtout pas reproduire une pâle copie décharnée du texte original : « Il serait sans doute faux de croire que l’œuvre ne s’écrit qu’une seule fois. Dans la traduction, elle se réécrit, autrement, et chaque traduction en est une réécriture de plus, qui ne peut ignorer les autres réécritures. L’œuvre première n’est que l’apparition tangible d’un début d’écriture ».
La première parution d’une traduction de Corinna GEPNER fut celle d’un recueil de KAFKA, rien que ça. Il était dédié au grand-père maternel de la traductrice, le métier se mélangeait déjà à la famille. La famille justement : celle des quatre grands-parents, touchée par la guerre, la déportation. Issus côté maternel de la Prusse orientale, côté paternel de Pologne, on fait mieux comme entrée en matière dans la vie. La grand-mère maternelle parlait français, c’est avec elle que Corinna a appris cette langue, rapidement choyée. Le parcours familial, tragique, égrené au sein même du récit sur la traduction, est un élément supplémentaire dans sa perspective de traductrice.
« Traduire c’est se montrer humble », ne pas chercher à doubler le texte, à le détourner de son sens premier, mais l’aider à revivre, à se remettre en marche, à faire perdurer un héritage. Pour se faire, la traductrice procède de la manière suivante : elle s’interdit de lire le texte une première fois avant de le traduire, elle commence son travail en même temps qu’elle découvre le récit, pour ne pas se sentir influencer par ce qu’elle trouvera plus tard. Elle se refuse également à s’approprier la langue française, à se la rendre comme acquise, même si elle doit être un appui : « Si je ne pense pas ma propre langue comme langue étrangère, je passe à côté de l’essentiel. Ou l’autre langue, celle que je traduis, comme langue maternelle ».
Corinna n’ambitionne pas de révolutionner un texte, elle n’en a d’ailleurs pas la fibre : « Le traducteur souffre d’un désavantage inné : il vient toujours après, il n’est jamais premier, mais toujours second. Viendrait-il d’abord qu’il serait au-dessus de tout soupçon. Si talentueux soit-il, il n’est qu’un mime ». L’humilité, toujours, se recentrer sur le texte original, en respecter l’auteur, mais aussi chaque mot, chaque image, chaque ponctuation dans un travail de longue haleine. Ne pas le déformer.
Ce petit livre est une mine d’informations sur le difficile métier de traducteur, il est écrit tout en poésie, délicatesse et passion. De plus, il est présenté de manière aérée, parfois une seule phrase sur une double page. Ceci en facilite la lecture, les yeux pétillent tout en se reposant. Chaque paragraphe est mis en valeur sur une seule page, souvent la droite, car la gauche est souvent vide. De ce fait, il se lit très vite, mais pourtant sans s’affoler, sans risquer la déchirure pour avoir voulu le terminer à la vitesse de l’éclair afin de parvenir tel un sprinter à la dernière ligne.
Certains textes originaux (de Gesine AUFFENBERG, Hilde DOMIN) sont présentés dans leur langue originale (l’allemand) puis traduits par Corinna GEPNER, là aussi ils occupent une page pleine. Comme pour ses traductions, Corinna met un point d’honneur à écrire humblement, en total respect pour la langue qu’elle utilise. Le résultat est remarquable : un récit fluide, clair, entre littérature et histoire familiale, où les deux se rejoignent en quelque sorte. Paru en cette année 2019 chez la Contre Allée, « traduire ou perdre pied » est une immersion tout en finesse dans le monde de la traduction comme dans celui de la poésie. Ne jamais oublier que c’est grâce au travail de ces linguistes que nous pouvons découvrir des œuvres qui nous seraient inaccessibles sans ce sacerdoce.

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Céline Leroy (traductrice)

Quand il s’agit de parler de traduction, pratique aussi vieille que l’humanité, on en vient toujours un peu à répéter les mêmes choses, à quelques idiosyncrasies méthodologiques près, à quelques analogies près. Et dans ces deux livres, Corinna Gepner et Diane Meur se rejoignent sur de nombreux points. Ce qui fait donc toute la saveur, l’intérêt et pour moi, l’émotion, de cette nouvelle collection consacrée à la traduction par les Editions La Contre Allée, ce sont à la fois ces résonances entre le travail de l’une et de l’autre, mais aussi, et surtout, les sensibilités propres qui s’y expriment. La traduction est un paradoxe, c’est en allant chercher dans ce qui nous constitue profondément, dans des vibrations très intimes et personnelles que l’on parvient in fine à s’effacer pour laisser surgir l’altérité et la rendre accessible. J’ai kiffé, quoi.

Version libre

Corinna Gepner est traductrice, elle a même été la présidente de l’Association des Traducteurs Littéraires de France (ATLF). Germaniste, elle vient d’être récompensée avec le prix Eugen-Helmlé.

Dans ce texte fragmenté, elle nous livre ce qui l’anime, ce qui la pousse, ce qui la fait douter… en permanence ! Cela se lit d’une seule traite, c’est un pur régal.

Morceaux choisis :

« Plus je traduis, moins je sais. Plus j’ai d’habileté, plus le sol se dérobe sous moi, plus les mots, les phrases révèlent leur double, leur triple fond et bien plus encore. Je ne cesse de composer avec le vertige. Le texte, foncièrement, m’échappe, et pour travailler je dois faire comme si je savais, juste comme si. »

« La traduction est pour moi une lente et systématique destruction de ce que je croyais savoir. Car il y avait la croyance en un savoir possible et le désir de bâtir sur du solide. Cette croyance-là s’effrite de jour en jour. »

« En travaillant l’écriture de quelqu’un, on s’approche de lui comme on le fait rarement d’un inconnu. »

« Le traducteur souffre d’un désavantage inné : il vient toujours après, il n’est jamais le premier, mais toujours le second. Viendrait-il d’abord qu’il serait au-dessus de tout soupçon. Si talentueux soit-il, il n’est jamais qu’un mime.

Voire. Si cela était, il n’y aurait pas grand-chose à en dire.

Cela supposerait que le texte premier soit univoque, sans mystère. Or lorsqu’on traduit, on fait œuvre de création presque à son corps défendant. Le texte premier ne dit pas, il propose, et moi, traductrice, je développe certaines de ses potentialités par les choix que j’opère et la cohérence que j’essaie de tenir d’un bout à l’autre. Parfois, la marge de choix est telle que j’ai moins le sentiment de travailler à une traduction qu’à une interprétation de l’oeuvre. Je ne peux qu’être confrontée à l’ambiguïté foncière de la langue, à sa capacité de se dérober dès qu’on la regarde d’un peu trop près. »

« Cette expérience lors d’une de mes premières traductions : une phrase difficile, retorse à toute compréhension. Aucun des germanophones que j’avais sollicités n’avait pu m’éclairer. J’ai lu, relu, je ne sais combien de fois. Et puis l’étincelle a jailli. J’ai compris, mais intuitivement, je n’étais pas plus capable qu’avant de déchiffrer cette phrase. J’ai compris en quelque sorte du coin de l’œil. Compris aussi que j’étais la seule à pouvoir comprendre, parce qu’à fréquenter ce texte j’en avais assimilé la pensée, et qu’à cet endroit, c’était ce qu’il fallait saisir : la façon dont l’auteur avait pensé. »

« Perdre pied en effet, mais peut-on apprendre à nager si l’on veut constamment avoir pied ? »

Voilà. Je pense qu’il n’y a rien à ajouter : si les mystères de l’écriture particulière qu’est la traduction vous intéressent, foncez lire ce texte, vous y trouverez abondamment de quoi alimenter vos réflexions.

Laurence Holvoet, traductrice aussi.

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Radio Campus

Radio Campus

Nikola Delécluze, Paludes, le 13 décembre 2019.
À écouter ici.

LivreHebdo

LivreHebdo

Marine Durand, le 20 septembre 2019:
Déjà très engagé sur les questions de traduction à travers le festival D’un pays l’autre, l’éditeur lillois La Contre Allée donne la parole à ceux qui portent les mots des autres avec la nouvelle collection « Contrebande », qu’il lance le 18 octobre. « Nous pensions depuis quelques années à recueillir la parole des traducteurs sur leur métier, et les professionnels de notre comité de traduction ont exprimé le même désir. Chaque texte, littéraire, exprimera un point de vue singulier », détaille l’éditrice Anna Rizzello.
Diane Meur, auteure chez Sabine Wespieser et traductrice de l’allemand et de l’anglais, inaugure cette nouvelle ligne avec le récit Entre les rives, en même temps que Corinna Gepner, présidente de l’Association des traducteurs littéraires de France, qui publie Traduire ou perdre pied, à la tonalité poétique. Elles seront toutes deux présentes au festival VO-VF de Gif-sur-Yvette le 5 octobre, pour dévoiler « Contrebande » en avant-première.