Revue de presse

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Remue

Remue

Chronique publiée sur le site Remue le 12 novembre 2018 dans les Notes de lecture de Jacques Josse

« Je n’ai jamais su si nous écrivons pour laisser des traces ou pour les effacer », Alfons Cervera

Après avoir évoqué la lente agonie et la mort de sa mère dans Ces vies-là (La Contre Allée, 2011), Alfons Cervera se penche ici sur la vie de son père. Quand celui-ci disparaît, à l’improviste, son cœur le lâchant en pleine rue, là-bas, à Los Yesares, où se situent ses romans, l’écrivain a conscience qu’il ne connaît pas vraiment le parcours de cet homme. Il était très silencieux et est parti avec ses secrets.

« Il y a un tourbillon d’eau croupie plein de larves mortes dans l’inventaire de ce que tu n’as jamais dit à qui que ce soit, nulle part, comme s’il y avait une vie pour être vécue et une autre destinée à rester jusqu’à la mort dans une géométrie obstinée et invisible de l’obscurité. »

Il plonge dans ses souvenirs, fouille au grenier, en ressort de vieilles photographies. En parallèle à cette recherche, il lit, note, décèle de précieux points d’appui chez des écrivains qui lui sont lui chers et qui n’ont pas leur pareil pour comprendre la complexité de l’âme humaine. Peu à peu, des fragments reviennent. Il revoit son père, qui exerçait le métier de boulanger, les réveillant, lui et son frère, alors qu’il faisait encore nuit, pour qu’ils viennent l’aider au fournil.

« Tu te plantais là, devant la bouche du four, la pelle à la main, avec l’habituel et insignifiant petit verre de gnôle pour atténuer la chaleur insupportable des braises. Les dalles mauresques couvertes de poussière de cendre noire. Cette couleur semblable à celle du crépuscule que l’on devine au fond de la voûte de briques. »

Les images qui refont surface ne touchent d’abord que les moments que l’auteur a pu partager avec son père. Il se souvient que cet être mutique, qui ne se confiait pas, s’exprimait par contre aisément, et avec talent, au théâtre. Il faisait résonner les mots des autres mais cadenassait les siens. Il garde également à l’esprit ces incessants déménagements qui intervenaient sans raisons apparentes, lançant la famille sur les routes, de village en village.

« Les maisons où nous avons vécu. Où se trouvaient-elles. Que sont-elles devenues. Parfois je m’imagine que je reviens et je me vois parcourir les rues, les mêmes rues qu’alors, je m’arrête devant les vieilles façades mangées par des fenêtres insignifiantes, je regarde les trous que le temps a creusés au coin des bâtisses. »

Il est un mystère qui intrigue celui qui est tout à la fois fils, écrivain, narrateur et personnage du livre. Il en parlait déjà dans Ces vies-là. C’est un élément essentiel de sa quête autobiographique. Il le décrypte patiemment. Il s’agit d’un papier qu’il a découvert par hasard dans une serviette où sa mère rangeait des documents. Elle disait ne pas connaître l’existence de cette pièce où il était écrit que le père avait été condamné à douze ans d’emprisonnement en 1940, après l’arrivée au pouvoir des fascistes.

« Le temps de la mort, c’est celui de la lenteur. Bien que la tienne soit survenue sans préavis, cela faisait des années que tu voulais au premier détour abandonner ta mémoire. Personne ne connaissait ces papiers. Je me demande qui les aura placés là… »

Chez Alfons Cervera, la mémoire familiale et la mémoire collective se rencontrent et se complètent fréquemment. Ici, le silence du père ne diffère pas de celui des vaincus. Tous ont farouchement résisté avant de devoir vivre en retrait (voire en prison ou en exil). Ils portaient en eux une peur que ne pouvait qu’attiser le long règne du dictateur. Ce roman suit le rude cheminement de l’un d’entre eux. Il met à jour une mémoire longtemps interdite pour redonner vie, vingt ans après sa mort, à un homme qui aura légué bien plus que ses silences.

La chronique est également disponible ici

Blog Version Libre

Chronique publiée sur le blog Version Libre le 16 septembre 2018 par Françoise Jarrousse

Alfons Cervera, nous l’aimons bien. Marc nous en parlait déjà il y a quatre ans, après sa lecture de Tant de larmes ont coulé depuis et l’an dernier, à l’occasion de la Comédie du Livre, nous avions participé activement à l’animation d’une rencontre avec le tandem Alfons – Georges menée par JulienDelorme.

Or, nous vous le disions dans l’article précédent: la rentrée de La Contre Allée est prometteuse. Après Le Nord du monde de Nathalie Yot, paraîtra début octobre Un autre monde / Otro mundo d’Alfons Cervera, traduit par Georges Tyras. Françoise qui l’a lu en version originale, a décidé de partager avec nous sans attendre ses impressions !

« Il est des livres dont on n’arrive pas à se déprendre parce qu’ils créent en nous une sorte d’onde de choc et dont il est difficile de rendre compte par peur de n’être pas à la hauteur. « Otro mundo », « Un autre monde » d’Alfons Cervera dont la parution à La Contre Allée est imminente (le 4 octobre) est de ceux-là.

Dans ce livre de peu de mots, qui est comme une fugue musicale, Alfons Cervera nous ramène une fois encore à son Macondo personnel, Los Yesares, et à son thème récurrent, la mémoire. La sienne et celle des vaincus, de ceux qui ont été condamnés au silence. C’est pour eux qu’il écrit et pour son père qui fut l’un d’eux : « C’est pour toi que j’écris. Pour sortir ta mémoire du silence auquel t’ont condamné les années d’infamie ».

Et « Otro mundo » c’est la tentative d’un dialogue impossible avec un père par delà la mort, pour briser le silence qui a été celui de toute sa vie même s’il a la certitude « qu’un jour tu as voulu parler et que tu as décidé de te taire pour toujours ».

« Otro mundo c’est un livre sur le silence, sur un passé dont il ne reste qu’un souvenir incertain que l’écriture tente de redessiner mais dont les lignes restent à jamais floues. Car ce sont les brumes du passé, si chères à Leonardo Padura que nous restitue Alfons Cervera à travers « la calligraphie fragile de l’oubli ».

C’est aussi un livre sur le temps qui passe, sur l’enfance, « ce temps qui se prolonge à l’infini », sur la jeunesse perdue, un livre écrit avec « la couleur orangée du crépuscule ».

Un livre impressionniste fait de petites touches couleur sépia, d’une délicatesse extrême où Alfons Cervera questionne l’écriture (« écrire, c’est arriver nulle part »), fustige les écrivains qui font de la littérature de la mémoire leur fonds de commerce, s’interroge sur la façon dont le livre se prolongera chez le lecteur.

Un livre où il convoque les écrivains qui ont accompagné sa vie, qui lui ressemblent et qui, comme lui, écrivent « à la marge ». Et parmi ces compagnons de route figure Patrick Modiano, son double français.

Et ce livre, il s’insinue en nous, au plus profond et sa musique entêtante nous renvoie à nos propres questionnements. Ce petit livre, d’une profonde humanité, est un grand livre.

Il sera dans les librairies le 4 octobre dans la traduction de Georges Tyras, son traducteur de toujours, qui connaît si bien Alfons que ses traductions semblent venir de l’intérieur des mots. »

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Blog Bonnes feuilles et mauvaise herbe

Chronique publiée sur le blog Bonnes Feuilles et mauvaise herbe le 14 décembre 2018

« Por alla se viene la muerte,

Mientras que aqui, ay senora ! … Es la anarquia !

Se atrevieron a vivir

la libertad en la esperanza… »(1)

Cette chanson de Serge Utge-Royo, où il dit vouloir apprendre de son « vieux compagnon », « dont la jeunesse est à la douane » m’a toujours foutu des frissons. La guerre d’Espagne est une période qui me fascine depuis des années. J’ai lu quantité de livres sur le sujet, des témoignages, des biographies, toujours dans le camp dit « républicain », même s’il s’agit pour la quasi totalité de femmes et d’hommes libertaires de la Fédération Anarchiste Ibérique ou de la CNT. Des exilés pour la plupart. Le père de l’auteur, lui, est resté en Espagne, condamné au silence par la dictature, la tristesse que son camps est été vaincu, par la peur peut-être.

Peut on rattraper le temps perdu, les silences, 20 ans après la mort de celui avec qui on voudrait échanger ? Quand les seuls souvenirs sont d’enfance, donc fragmentés, parcellaires ? Quand le silence fut le seul témoignage ? L’auteur entame ce dialogue avec son père disparu et choisi la littérature comme vecteur, comme outil de reconstruction de ce qui n’a pas été dit. Outil spéculatif, nourri des livres lus et qui offrent, éventuellement, des pistes, nourri des gestes et des mots dont la signification lui a peut être échappé. Alfons Cervera explore à tâtons ces voies qui pourraient lui faire enfin comprendre ce père taiseux qu’il a suivi de village en village, de boulangerie en laiterie.

Véritable hommage à la littérature qui nous permet de voir l’invisible, d’entendre l’inaudible.

Véritable hommage aussi aux résistances et aux vaincu(e)s de cette guerre civile, celles et ceux qui furent contraint(e)s à l’exil, et celles et ceux qui furent condamné(e)s au silence. Ces vaincu(e)s qui avaient porté, peut être, cet autre monde du titre.

Cet autre monde qui est aussi, sans doute,  celui du père de l’auteur, cet vie d’avant dont il ne dira plus rien, laissant derrière lui des souvenirs aux contours flous et incertains que le fils, en dépit du temps qui passe, tente de redessiner dans une « calligraphie fragile ».

Magnifique récit d’une profonde humanité, superbement traduit par Georges Tyras.

(1)Là-bas, c’est la mort qui s’avance

Tandis qu’ici: Ah madame c’est l’Anarchie

La liberté dans l’espérance

Il ont osé la vivre aussi

La chronique est également disponible ici

Addict Culture

Addict Culture

Chronique publiée sur Addict Culture le 28 janvier 2019 par L’ivresse Littéraire

Un autre monde d’Alfons Cervera : raconter le silence

Peut-on raconter les silences ? Peut-on redonner voix à celui qui, parti vingt ans plus tôt, a laissé dans l’air des questions sans réponses ?

Dans ce récit poétique, Alfons Cervera dialogue avec l’ombre de son père. Cette même ombre qui se portait au-dessus de lui et de son frère au milieu de la nuit. Ombre, disparue il y a plus de vingt ans.  Le cœur qui lâche au beau milieu du printemps. Ce père qui fut un jour soldat, du mauvais côté. Condamné par la suite à douze ans de prison. Ce père qui se levait chaque nuit, peu importe sa ville de résidence, pour pétrir la pâte avec son verre de gnôle. Passionné de théâtre, exilé dans son propre pays.

Très jeune, l’auteur fut confronté aux silences de son père. Aux questions sans réponses, parfois un discret sourire aux lèvres. Il a cherché les causes, les raisons de ces non-dits. Les trouve-t-on jamais ? Et si oui, qu’en faire ?

« Aucune vie n’existe, aucun voyage. Seul existe ce que nous en racontons. »

Dans des fragments éparpillés entre les pages, Alfons Cervera retrace ces souvenirs d’enfance auprès de ce père dont la mort aura dévoilé quelques mystères. Il utilise les mots pour évoquer ce qui n’a jamais été dit.

Chez eux, il n’y avait pas de livres, à part ceux dont son père ne se séparait jamais. Ceux qu’il relisait sans cesse lors des grands événements familiaux. Chez eux, il y avait le four mauresque et l’odeur du pain. Il y avait l’eau-de-vie. Il y avait les pièces de théâtre griffonnées sur des papiers. Des rôles joués aux côtés des plus grands. Il y avait le Ciné Musical, aujourd’hui disparu. Comme son père. Comme ces tours de magie qu’il jouait à l’enfant.

Un autre monde, est le récit de ce monde silencieux. Du poids de ce mutisme mais aussi de ce qu’il transmettait, sans mots. Par l’écriture, il est le moyen d’aborder ces souvenirs impérissables, ces découvertes sur le tard et cette complexité relationnelle.

Il y a ce que la mémoire est capable de mettre en lumière, ce qu’elle altère aussi. Le temps passé et le temps présent se confondent car selon lui « si nous n’ancrons pas les romans dans le passé pour fouiller le présent, comme le faisait Ross Macdonald, où est-ce que nous allons bien pouvoir les ancrer. ». En s’adressant à ce père, comme s’il pouvait l’entendre, Alfons Cervera joue avec ce lien ténu entre le réel et la fiction.

Il n’est pas question ici de vérité ou d’un souhait absolu de vouloir retracer une vie, il est question d’exploration. Obscure, mélancolique, philosophique.

« Je sais bien qu’évoquer des événements qui se sont produits il y a plus de soixante ans, c’est parler de quelque chose qui aussi bien ne s’est pas passé comme dans notre souvenir. Mais la mémoire est ainsi faite, elle creuse les lagunes bien souvent dangereuses à traverser et en même temps laisse une planche de salut pour le faire dans l’incertitude que provoquent les tempêtes. Le récit ne s’interrompt pas lorsque sa durée est menacée par un espace en blanc sans solution de continuité. Il nous faut continuer à raconter pour que tout finisse par faire sens […] ».

En faisant appel à la mémoire, fouillant les souvenirs parfois incomplets, déformés, fictionnels pour trouver du sens, Alfons Cervera invoque aussi ses piliers littéraires, écrivains et poètes (Kafka, Lampedusa, Doïstoveski, Chirbes…) qui l’ont porté et le portent encore. Des hommes qui sont parvenus à lui montrer le chemin vers l’intime, à qui il rend hommage, dont il se sert pour développer sa propre intimité et sa propre réflexion sur l’acte d’écrire.

Un autre monde est ainsi ce regard posé sur l’enfance, la transmission familiale et littéraire. Et l’on se laisse bercer par ces vagues qui nous entraînent ici et là dans les époques non chronologiques, dans l’errance des souvenirs et des élucubrations personnels qui nous semblent peu à peu devenir universels.

La chronique est également disponible ici

La petite revue

« L’étrange mémoire de ce que nous n’avons pas vécu »

Alfons Cervera appartient à la génération des fils, ceux à qui on a tu le passé et qui tentent par l’écriture d’affronter les fantômes qui ont hanté leur enfance. « Un autre monde » est une adresse au père mort, une réaction à son silence, métaphore de celui de l’Espagne sur la guerre civile et les années de dictature. Dans le dialogue fantasmé qui s’engage tardivement – vingt ans après la mort du père – , les voix de l’enfant, de l’adulte et de l’écrivain s’entremêlent autour d’une même interrogation : la littérature peut-elle combler le silence ? Pour Alfons Cervera, l’écriture est un acte profondément intime, une nécessité. Mais elle est aussi « pleine de lacunes, d’espaces blancs, de vies et de morts ». Empreinte de poésie, elle respecte les ombres et leur discrétion, elle ne cherche pas le faux réalisme de la narration historique. C’est une écriture en biais, en marge du récit, qui s’attarde sur des traces – images et souvenirs déformés du passé.

Le père était-il boulanger, laitier, acteur de théâtre ou républicain emprisonné pendant des années ? Le portrait fragmentaire qui en est dressé ne prétend pas à la reconstitution biographique, mais à la quête du sens passant à la fois par le souvenir et par le dialogue avec d’autres auteurs. Pour l’écrivain, la littérature ne cherche pas à atteindre la vérité, mais à dessiner subtilement la place de l’auteur dans la constellation d’ombres qui peuplent le passé et le présent. « Les livres ne se terminent jamais, ils sont là, les uns à côté des autres, comme les vies qui ont fait leur apparition dans ce parcours quelque peu chaotique […] ». Cette œuvre profonde offre un regard subtil et poétique sur la mémoire et l’écriture.

A.K.

Pour lire cet article sur le site de La petite revue, c’est ici !

Charybde

Un écrivain s’adresse à son père décédé, qui ne répond pas davantage que de son vivant. D’une mémoire apparemment bien nourrie, mais principalement parcellaire comme l’est le plus souvent parcellaire comme l’est le plus souvent celle de l’enfance, il parvient à extraire quelques certitudes nostalgiques, et beaucoup de doutes et d’interrogations. Si le père fut sans aucun doute boulanger, dur à la tâche, ne ménageant jamais sa peine au service des villages successifs de résidence, dans la province espagnole de Valence, puis peut-être bien laitier, ne fût -il pas aussi – ou peut-être surtout – acteur de théâtre doué ayant décliné les propositions des plus grands, propriétaire d’un mystérieux pistolet, dépositaire de livres dépareillés et d’une boîte en fer-blanc dont les vieux papiers administratifs ne révèleront leurs nouvelles interrogations que bien plus tard, trop tard ?

Publié en 2016, traduit en français en octobre 2018 par Georges Tyras àLa Contre Allée, le dix-neuvième roman d’Alfons Cervera voit son narrateur s’escrimer largement en vain – mais avec quelle puissance d’acharnement ! – face aux béances laissées par une mémoire et par une imagination qui ne peuvent combler les silences et les omissions d’un père, sa vie durant. Obligé à la spéculation indicielle, c’est dans la confrontation avec les messages secrets de nombre de ses auteurs préférés, et dans la frustration résolue face aux impostures de la vie – quand bien même elles surviennent avec les meilleures intentions du monde, sans doute -, qu’il tente malgré tout de reconstituer un treillis de significations face aux instants gommés et aux significations échappées. Rafael Chirbes, Francisco Gonzalez Ledesma, Franz Kafka, Patrick Modiano ou Stefan Zweig, et bien d’autres, tentent de fournir à l’écrivain des pistes de salut ou des succédanés autorisant le deuil véritable, qui se dérobe. Croisant subtilement les brouillards géographiques locaux et les fumées mémorielles qui peuvent évoquer aussi l’art de Juan Benet, de « Tu reviendras à Region » à « Une méditation », il organise inlassablement, et pour notre grand bonheur de lectrice ou de lecteur, une poignante relation posthume nourrie de pudeurs et de sentiments, définitivement enterrée ou presque, par la sombre magie de l’un de ces arbres à infarctus chers au Christopher Boucher de « Comment élever votre Volkswagen ».

Hommage à un père par un écrivain hanté, certainement, hommage aussi aux résistances discrètes, viscérales, et au prix qu’elles paient lorsque le fascisme gagne, bien entendu, hommage au silence des lions déguisés en agneaux, lorsqu’une compréhension finale des raisons probables du peu de parolessemble se faire jour, « Un autre monde » est tout cela. Et il offre, en plus, une formidable leçon à propos du pouvoir heuristique de la littérature, une démonstration en actes (en écrits) de la manière dont elle nous permet de comprendre les mystères du monde, même le plus intime et le plus proche. Et la citation de Jean-Luc Godard, dans « La Chinoise », finement reprise parAlfons Cervera, résonne alors de toute sa sourde puissance : « Qu’est-ce qu’un mot ? Ce qui se tait. »

Pour lire cet article sur le site de Charybde, c’est ici !

blog des Collecteurs

blog des Collecteurs

Alfons Cervera, nous l’aimons bien. Marc nous en parlait déjà il y a quatre ans, après sa lecture de « Tant de larmes ont coulé depuis » et l’an dernier, à l’occasion de la Comédie du Livre, nous avions participé activement à l’animation d’une rencontre avec le tandem Alfons – Georges menée par JulienDelorme.

Or, nous vous le disions dans l’article précédent : la rentrée de La Contre Allée est prometteuse. Après le Nord du monde de Nathalie Yot, paraîtra début octobre « Un autre monde / Otro mundo » d’Alfons Cervera, traduit par Georges Tyras. Françoise qui l’a lu en version originale, a décidé de partager avec nous sans attendre ses impressions !

« Il est des livres dont on n’arrive pas à se déprendre parce qu’ils créent en nous une sorte d’onde de choc et dont il est difficile de rendre compte par peur de n’être pas à la hauteur. « Otro mundo », « Un autre monde » d’Alfons Cervera dont la parution à La Contre Allée est imminente (le 4 octobre) est de ceux-là.

Dans ce livre de peu de mots, qui est comme une fugue musicale, Alfons Cervera nous ramène une fois encore à son Macondo personnel, Los Yesares, et à son thème récurrent, la mémoire. La sienne et celle des vaincus, de ceux qui ont été condamnés au silence. C’est pour eux qu’il écrit et pour son père qui fut l’un d’eux : « C’est pour toi que j’écris. Pour sortir ta mémoire du silence auquel t’ont condamné les années d’infamie ».

Et « Otro mundo » c’est la tentative d’un dialogue impossible avec un père par delà la mort, pour briser le silence qui a été celui de toute sa vie même s’il a la certitude « qu’un jour tu as voulu parler et que tu as décidé de te taire pour toujours ».

« Otro mundo c’est un livre sur le silence, sur un passé dont il ne reste qu’un souvenir incertain que l’écriture tente de redessiner mais dont les lignes restent à jamais floues. Car ce sont les brumes du passé, si chères à Leonardo Padura que nous restitue Alfons Cervera à travers « la calligraphie fragile de l’oubli ».

C’est aussi un livre sur le temps qui passe, sur l’enfance, « ce temps qui se prolonge à l’infini », sur la jeunesse perdue, un livre écrit avec « la couleur orangée du crépuscule ».

Un livre impressionniste fait de petites touches couleur sépia, d’une délicatesse extrême où Alfons Cervera questionne l’écriture (« écrire, c’est arriver nulle part »), fustige les écrivains qui font de la littérature de la mémoire leur fonds de commerce, s’interroge sur la façon dont le livre se prolongera chez le lecteur.

Un livre où il convoque les écrivains qui ont accompagné sa vie, qui lui ressemblent et qui, comme lui, écrivent « à la marge ». Et parmi ces compagnons de route figure Patrick Modiano, son double français.

Et ce livre, il s’insinue en nous, au plus profond et sa musique entêtante nous renvoie à nos propres questionnements. Ce petit livre, d’une profonde humanité, est un grand livre.

Il sera dans les librairies le 4 octobre dans la traduction de Georges Tyras, son traducteur de toujours, qui connaît si bien Alfons que ses traductions semblent venir de l’intérieur des mots. »

Françoise Jarrousse

Livres Hebdo

Livres Hebdo

Dossier de la rentrée littéraire Automne 2018 de Livres Hebdo

Romans Étrangers

Bibliographie établie par Marie-Claire Vierling, avec Electre.com

186 nouvelles et romans étrangers publiés d’août à octobre 2018.