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Le Monde

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Roberto Ferrucci signe un article intitulé « Venise, une ville à l’agonie ».
« Venise a été transformée en un Disneyland unique en son genre. Rien n’a été fait pour préserver son histoire, son art, sa singularité, et surtout, sa fragilité. »

Belvedere

Un article d’Andrea Genovese dans sa revue franco-italienne Belvedere n°44 des mois de novembre et décembre :

Estuaire-lagune aller-retour 

Ecrivain italien né à Venise, Roberto Ferrucci partage sa vie entre sa ville natale et la ville française de Saint-Nazaire. De la lagune à l’estuaire de la Loire, l’auteur de Ça change quoi (Editions du Seuil 2010) publie dans la traduction de Jérôme Nicolas un récit (Venise est lagune, Editions La Contre Allée), prolongé d’un bref Epilogue écrit à Paris en 2015. Sujet, le désarroi et l’indignation de l’écrivain et de nombreux vénitiens, voire italiens d’ailleurs, qui se sont jusqu’ici inutilement mobilisés contre le passage des paquebots de croisière dans les canaux de Venise, ombres menaçantes, Léviathans, énormes villes flottantes (hélas, Jules Verne, comme toujours, avait bien anticipé) qui dépassent parfois en hauteur le Clocher de San Marco. Spectacle dégoûtant, conséquence d’une lâche acceptation d’un tourisme infernal et simoniaque, de la perte de tout repère devant les diktats du dieu Money. Ce serait de la simple chronique, même relevée par un style virilement blessé, si Ferrucci ne nous faisait pas état des contradictions profondes dans lesquelles la globalisation marchande nous a cloués, et cela donne de la respiration au récit. C’est justement à Saint-Nazaire qu’on construit une bonne partie de ces paquebots (qui sait si le célèbre Concordia de l’ineffable capitaine Schettino ne l’a pas été lui aussi ?), ses habitants suivent avec joie la mise en chantier de chaque navire et les étapes de sa construction jusqu’à la fête populaire le jour du lancement. C’est la fierté d’une ville orgueilleuse de son chantier naval, c’est l’espoir des commandes futures, du travail assuré, de la richesse économique. Dans ses aller-retour de la lagune à l’estuaire, Ferrucci montre sa lucidité d’écrivain, son questionnement intérieur dramatique, tout en se laissant emporter par la passion du citoyen vénitien qui voit sa ville s’abîmer de plus en plus, en tombant, même électoralement, dans les mains des marchands. Le mani sella città ! Quel renversement historique et géographique : fi de Palerme, la mafia porte chemise blanche et cravate, s’est incrustée au Nord même dans la ville quo aurait dû être la conscience écologique, outre que culturelle, de la péninsule. Tout y est marché, d’ailleurs, y compris la foire d’empoigne du festival du Cinéma et la Biennale d’Art, avec ses artistes de pacotille, devenus millionnaires grâce aux mêmes capitalistes des paquebots. L’un desquels, observé avec rage impuissante par l’auteur, porte le nom de Poesia ! Poésie, ces mastodontes babéliques, incongrus, obstruant le soleil à chacun de leurs passages ! Le cri de Ferrucci est amer et horrifié, mais encore porteur d’un fil d’espoir dans le combat et l’engagement citoyen.

Mobilis

Mobilis

Un article de Gérard Lambert-Ullmann, dans le magazine Mobilis, publié le 14 novembre :

Vénitien, Roberto Ferrucci voit la lagune envahie par les paquebots du tourisme. À Saint-Nazaire, il découvre la fierté des nazairiens dont les chantiers navals construisent ces paquebots…

Le bonheur des uns fait le malheur des autres, prétend un vieux dicton. C’est un peu la conclusion que l’on pourrait tirer du livre de Roberto Ferrucci. Vénitien, Roberto voit la lagune de sa ville, fleuron de la plus belle époque italienne, très régulièrement envahie par les paquebots monstrueux du tourisme de masse, dont le passage dans les canaux de la vieille cité en secoue les fondements au point d’en menacer la survie. Il s’irrite fort, bien sûr, de cet état de fait contre lequel les vénitiens semblent désarmés.

Puis il est invité à Saint Nazaire, ville où il fait de belles rencontres et qu’il apprécie au point d’y revenir régulièrement. Et, là, il découvre la fierté des nazairiens dont les chantiers navals construisent ces paquebots. Dilemme. Il comprend bien la légitimité de cette fierté, aussi le fait qu’il faut bien gagner sa vie et qu’à Saint Nazaire les chantiers sont un important “bassin” d’emplois. Mais il continue à maudire les mastodontes qui ravagent sa lagune.

Témoigner ici de cette absurdité, c’est le but de ce livre, petit mais dense, qui est bien un livre d’écrivain et non de journaliste, et qui trouve les mots justes pour nous faire sentir le trouble de l’auteur.

C’est aussi un livre qui pose la problématique des rapports des citoyens d’aujourd’hui aux hommes de pouvoir et la difficulté pour “ceux qui croient que le progrès, l’égalité et la solidarité sont des valeurs inaliénables” à ne pas se faire écraser par le “populisme de pacotille”. Un petit livre mais un grand sujet.

Lire l’article sur le site de Mobilis ici

Charybde 27

Charybde 27

Deux notes de lecture en une, sur le blog de la librairie Charybde, l’une datée du 26 septembre et l’autre du 19 juin :

Le suicidaire appât du gain illustré par le paquebot géant inséré de force dans la fragile lagune vénitienne.

 

Toute personne n’étant pas directement affiliée à l’actuelle chambre de commerce et d’industrie de la ville de Venise – et saine d’esprit -, ayant déjà assisté, de ses propres yeux ou sur écran, à ce spectacle incongru et quelque peu terrifiant que constitue la présence d’un gigantesque paquebot contemporain au milieu des eaux étroites du bassin de San Marco ou du canal de la Giudecca, ne peut qu’éprouver d’emblée une empathie presque violente pour ce court texte, rageur et poétique, de Roberto Ferrucci, publié en 2015 et traduit en français en 2016 aux éditions de La Contre-Allée par Jérôme Nicolas.

Nous avions laissé à quelques dizaines de mètres derrière nous le vieux pêcheur installé comme toujours au coin à angle droit de la riva dei Partigiani et du viale des Giardini Pubblici. Le vieil homme et la lagune comme je l’appelle, histoire de rendre hommage à un homme qui dans la lagune allait, hélas, à la chasse, mais après avoir écrit quand même des chefs-d’œuvre. Il va pêcher sur la riva à peu près aussi régulièrement que je vais écrire au café juste après son coin à angle droit. Nous nous sommes toujours demandé ce qu’il peut bien remonter des eaux vertes, troubles et combres du bacino di San Marco. Je ne suis jamais arrivé à le croiser à l’instant précis où quelque chose mordait à son hameçon, mais je l’ai vu plus d’une fois se lever d’un bond de sa chaise de camping et- droit debout, autant que son dos abîmé le lui permettait – rembobiner à toute allure le fil de sa canne à pêche en faisant grincer son moulinet comme une plainte. Les premières fois j’ai cru au miracle, à une seiche ou à une dorade, mais l’hameçon était toujours vide et j’ai fini par comprendre : dès qu’un grand bateau envahit l’horizon, à l’entrée ou à la sortie du port, il rembobine tout et c’est comme s’il se réfugiait là, dans son coin à angle droit, tantôt appuyé contre le parapet, l’air abattu, tantôt plus droit, les mains dans les poches, en attendant que tout rentre dans l’ordre, que les eaux de la lagune redeviennent comme elles devraient être, uniquement traversées par les transports publics et par les petites embarcations chargées de marchandises. Quand j’ai compris ça, c’est comme si j’avais trouvé un allié, même si je ne comprends pas vraiment s’il s’agit de sa part d’une vague tentative de protéger son équipement ou d’une forme timide de protestation silencieuse, d’un geste de désapprobation contre ces saboteurs du paysage. Un jour que j’arrivais du côté opposé et que le soleil derrière moi éclairait son visage, pendant qu’il observait un de ces monstres lui passer devant, j’ai cru voir couler, juste sous sa paupière, une larme, que j’ai interprétée comme une larme de résignation, ou d’une colère désormais apaisée, maîtrisée par la vieillesse. Une larme, m’a dit Teresa quand je lui ai raconté ce que je croyais avoir vu, que les affairistes des croisières, si c’étaient eux qui l’avaient croisé, le vieil homme et la lagune, se seraient empressés d’utiliser à leur avantage, en la présentant comme une manifestation de la nostalgie du voyage, de la pleine mer, émue, évidente, qu’ils auraient immédiatement divulguée sans la moindre pudeur en collant une belle photo sur un dépliant.

Proposant une dénonciation aussi technique que ressentie, Roberto Ferrucci mobilise bien entendu, avec la force de l’évidence, les dégâts irréversibles causés aux fondations de Venise et au délicat équilibre de la lagune, déjà gravement mis à mal ces cinquante dernières années par, entre autres mais de manière déterminante, l’activité incessante du port pétrolier de Marghera, et les oppose à l’absence de retombées économiques réelles de ces croisières si largement autarciques – à part sans doute pour quelques marchands de « droits à » qui infestent les circuits de décision municipaux de leurs sollicitations et de leurs cadeaux plus ou moins occultes.

C’est toutefois grâce à un détour par Saint-Nazaire et ses chantiers navals désormais dédiés, précisément, à la fabrication de ces géants contemporains, à la faveur d’une résidence littéraire, que ces soixante pages enlevées gagnent leur sel et leur puissance.

Il y a toujours un bateau de croisière italien en construction qui joue au timbre-poste sur ma fenêtre. Un bateau blanc, mais d’un blanc encore brut, provisoire, qui devient vaguement doré la nuit – les lumières toujours allumées, les ouvriers toujours au travail -, que je regarde  avant de tourner la manivelle du volet en sens inverse, et bonne nuit.

Roberto Ferrucci nous avait déjà montré, dans son puissant « Ça change quoi » (2010), à propos de la répression féroce conduite à Gênes en 2001, son exceptionnelle capacité d’empathie avec les composantes humaines et géographiques d’une problématique mortifère. Le détour par Saint-Nazaire, où les restes vivaces d’une fierté ouvrière témoignent d’une réalité, et par les entrailles d’un paquebot en cours d’ultime finition avant le départ, permettent de saisir plus intensément encore que la seule désolation semée dans les eaux vénitiennes, l’appât forcené du gain qui guide tous ces pans d’une mondialisation réputée heureuse – comme le rappelle joliment Patrick Deville dans son excellente préface.

Mais je sais bien que le geste de Teresa qui s’est retournée et m’a serré fort le bras, est un geste qui ne vaut que pour maintenant, pour cet instant précis, que sa colère comme la mienne et celle d’autres Vénitiens continuera à écumer, continuera à essayer de les chasser, les monstres de la lagune, et maintenant que la séquence de photos est interrompue, le téléphone dans ma poche, Teresa me tire vers elle et, en nous contrefichant de la fumée noire qui sort du bateau derrière nous, nous nous embrassons devant ces silhouettes tout là-haut, qui font coucou de leurs petites mains, qui prennent des photos de notre baiser qui deviendra social dans un instant, rendu public par le petit doigt de centaines d’insensés qui ne comprennent pas – ni eux, ni ceux qui les transportent, ni ceux qui leur ont vendu leurs billets -, ou qui font semblant de ne pas comprendre, que les paquebots de Saint-Nazaire, si énormes, si exagérés, sont faits pour naviguer en haute mer et pas pour détruire la lagune de Venise.

Ma collègue et amie Charybde 7 en parle magnifiquement ici. Roberto Ferrucci sera présent à la librairie Charybde (129 rue de Charenton 75012 Paris) le mardi 4 octobre 2016 à partir de 19 h 30 pour une lecture-discussion autour de « Venise est lagune ». Entrée libre et gratuite, bien entendu.

Lire le billet sur le blog de la librairie ici

Ouest France

Ouest France

Un article de Jean Dalavaud à Ouest France, daté du 05 septembre :

Bénis à Saint-Nazaire, honnis à Venise

Adulés dans leur berceau, ils meurtrissent sa lagune. Regards croisés de l’écrivain italien Roberto Ferrucci sur les paquebots.

Roberto Ferruci est un auteur italien devenu familier de Saint-Nazaire. Il avait été reçu en résidence, à la Maison des écrivains et traducteurs étrangers qui surplombe le port, et il y revient régulièrement. Ce qui lui a valu de découvrir la face méconnue d’une réalité qui empoisonne sa vie de Vénitien : ces paquebots de croisière, qu’il a pu contempler pour la première fois à l’état embryonnaire.

Roberto Ferrucci n’a pas de mots assez durs pour les « saboteurs de paysage » qui, une fois lancés, défigurent et surtout meurtrissent sa lagune à coups d’« effet piston et remous », un crève-coeur pour nombre de ses concitoyens. Rien, dans ces « écomonstres », ne trouve grâce à ses yeux et surtout pas le type de tourisme dont ils relèvent, ni a fortiori l’intérieur de l’un de ces navires, qu’il a pu visiter à la faveur d’un séjour nazairien : c’est « le triomphe du kitsch. »

Tout juste manifeste-t-il un peu d’indulgence pour la ferveur dont ces bateaux font l’objet dans leur berceau. Roberto Ferrucci les avait à peine remarqués au début mais il a communié à la fierté ressentie par les habitants pour leur « patrimoine sentimental » et économique : « C’est depuis que j’ai compris, senti et partagé tout cela que je regarde ces paquebots avec moins de rancoeur […]. »

Mais la tonalité dominante de ce petit livre, bâti sur les visions alternativement vénitienne et nazairienne de la croisière, reste pessimiste. Ces géants taillés pour la mer n’ont, pour Ferrucci, décidément rien à faire dans une lagune, présentement sacrifiée sur l’autel de la raison économique immédiate. Un bémol salutaire, dans le concert de louanges quasi univoques et consensuelles qui célèbre l’âge d’or de la croisière, fût-il pourvoyeur d’emplois.

Lire l’article sur le site de Ouest France ici

L’intervalle

L’intervalle

Une chronique dans le blog littéraire de Fabien Ribery, L’intervalle, du 6 septembre :

Pour qui connaît Venise, le passage régulier – plusieurs par jour au cœur de l’été – d’immenses paquebots, temples de la vulgarité marchande, terreur des pêcheurs, le long de ses rives, est insupportable.

Fragilisant les fondations mêmes de la cité sublime par la violence des vagues que leur circulation provoque – une des causes de l’acqua alta –  l’interdiction de tels mastodontes, nouveaux Moloch, si près des quais de la Salute, paraît une évidence pour qui se soucie de préserver la singularité d’un lieu propice à la merveille comme aux immenses solitudes (Nietzsche).

Si Carpaccio peignit en son temps Saint Georges terrassant le Dragon, il importe aujourd’hui d’imaginer les figures d’un combat à mener contre une nouvelle forme du mal.

Dans un bref essai tonique et nécessaire, dénonçant sans détour le cynisme et la bêtise démagogique du nouveau maire de la ville arborant fièrement son populisme et sa haine de la culture, l’écrivain italien Roberto Ferrucci (Ça change quoi, Sentiments subversifs ont été traduits en français en 2010) rappelle ce que voyagistes et commerçants cupides préfèreraient oublier : « Venise n’est pas une ville de mer. Venise est lagune. (…) Venise n’est pas seulement une ville de la culture, Venise est culture. Venise est née d’une grande idée, Venise, ce sont les villes invisibles d’Italo Calvino. Venise n’est pas instinct, mais pensée pure. Et Venise est peut-être aujourd’hui entre les mains d’un homme qui veut la transformer en un grand barnum commercial, un barnum de la consommation. »

Si les vaisseaux amiraux des hordes touristiques paraissent si choquants aux yeux des vrais amoureux de Venise, c’est qu’ils avancent imperturbablement, avec morgue et méthode, faisant des promeneurs et des bâtiments de beauté de simples cibles à photographier, puissance de mort capable de tout écraser sur son passage, de la vieille dame partant au travail en empruntant le vaporetto à l’enfant dévorant sa glace, pure incarnation d’un nihilisme ayant désormais pris le pouvoir à l’échelle planétaire, et pour longtemps.

Invité en résidence d’écrivain à Saint-Nazaire, dans un immeuble faisant face aux chantiers navals, Roberto Ferrucci se retrouve une nouvelle fois confronté, ironie biographique, à l’origine de son tourment, comme si l’histoire ne pouvait que se répéter selon une logique farcesque et macabre : « Il vient juste de larguer les amarres du quai du port où il avait accosté, avec ses moteurs et ses groupes électrogènes continuellement en marche, il a rejeté dans l’air de la fumée noire qui se mélange aux fumées industrielles de Porto Marghera, pas loin derrière, il a fait vibrer sans interruption les maisons tout autour, anéanti les téléviseurs et rendu muets les téléphones portables, dominés par ces tonnes d’acier d’alliages variés et de champs magnétiques invincibles. Ils sont comme des villages entiers, les paquebots qui stationnent à Venise, grondants et ronflants, devant les fenêtres de nos maisons. »

En effet, comment accorder l’hospitalité à de tels envahisseurs, à la fois exhibitionnistes et voyeurs, chargés, paquets de linges sales (« Un grand bateau rejette dans l’air en une journée une quantité de particules fines équivalant à celle de quatorze mille voitures »), sur le dos d’un monstre, croyez-le ou non, appelé Poesia ?

Pointant en préface « la déréalisation de notre monde, le refus de l’histoire et de la géographie que concrétisent et symbolisent le grand navire de croisière et la croisière touristique » (souvenons-nous du Film socialisme de Godard, 2010, se déroulant en partie à bord du Costa Concordia de sinistre mémoire), Patrick Deville rejoint ici l’écrivain italien voyant en ces navires féroces, temples du kitsch, des exemples parfaits du « mauvais goût qui a envahi l’Italie et les Italiens au cours des dernières décennies ».

Si Venise est lagune se termine par un épilogue douloureux, écrit à Paris en juin 2015 au moment de la victoire de Luigi Brugnaro, nouveau maire de la ville proche du parti Forza Italia (« Elles seront pire qu’un cauchemar, pour Teresa et pour moi, et pour beaucoup de gens, les cinq prochaines années à Venise. »), reste à inventer, dans les interstices du faux omniprésent, le prologue d’un nouveau monde habitable possible, pour lequel une Venise retrouvée pourrait jouer l’un des tout premiers rôles.

Telle est sa vocation.

Lire l’article sur le blog, agrémenté de très belles images, ici

L’Humanité

L’Humanité

Un bel article pleine page d’Alain NIcolas dnas l’Humanité du 11 août :

Venise et ses monstres

Les grands paquebots mettent en péril le plus beau paysage maritime du monde. Roberto Ferrucci tire le siganl d’alarme

Roberto Ferrucci, depuis toujours, passe ses journées à lire et écrire dans un café de la riva dei Sette Mrtiri, à Venise, sa ville. Là, il ne fait même pas attention au passage des bateaux de croisière, qui, toujours plus gros, toujours plus nombreux, « empoisonnent » le regard que l’on peut poser sur le plus beau paysage du monde. Ce jour-là, pourtant une matinée de fin juillet, la poupe du Carnival Sunshine passe si près du rivage que l’écrivain a le réflexe de le filmer sur son téléphone. « Une manoeuvre normale », dira le capitaine du port. Il est possible que le paquebot n’ait enfreint aucun réglement. Est-il normal qu’un mastodonte passe à quelques mètres des quais « les plus beaux et les plus fragiles du monde », les remous de ses hélices profondes, les dizaines de milliers de tonnes d’eau et sédiments déplacés par ses mouvements ébranlant les fondations mêmes de la cité ?

Tout cela serait resté anecdotique si la vidéo ne s’était trouvée sur la Toile, et n’avait suscité à son auteur une gloire instantannée, l’exposant du même coup à des attaques médiatiques virulentes de tous ceux à qui ses monstres font gagner de l’argent, regroupés en comité, Cruise Venice. Les lobbyistes ont trouvé un soutien de poids avec le nouveau maire (de droite) de la ville, qui accuse l’auteur d’être un « manipulateur de perspective », et qui, dès son arrivée, a censuré l’exposition « Monstres à Venise » de Gianni Berengo Gardin.

Pourtant, Roberto Ferrucci ne déteste pas les paquebots. Quand il séjourne à Saint-Nazaire, une autre ville où il a été écrivain en résidence (à la MEET où il a écrit Sentiments subversifs en 2010), où il aime revenir, il les voit, les plus hautes constructions de cette ville basse, s’élever peu à peu, puis partir faire leurs essais à la mer. Il partage l’émotion des habitants qui font du carnet de commandes des Chantiers le baromètre de leur avenir, leur joie quand ils les voient quitter les cales de Penhoet pour l’estuaire et l’océan.

Mais Venise n’est pas un port océanique. C’est une ville posée sur une lagune, fragile équilibre entre terre et eau, entre brique et ciel. Miracle écologique, esthétique, mis en péril par ceux qui prétendent permettre à tous de les admirer. Cri de colère et d’angoisse, Venise est lagune est une méditation sensible sur un imaginaire maritime qui doit rester à l’échelle de l’homme.

Lekti-ecriture

Lekti-ecriture

Un article par Le Préfet maritime, le 21 juillet 2016 :

Venise malaxée (pour pourrir les vacances des adeptes de la croisière de masse)

Les mercenaires salingues du reportage audiovisuel raffolent du sujet : les gros paquebots, quelles merveilles alors ! En construction ou en fonction, fabriqués pour absorber à la pelle des milliers de passagers stupides comme des oies. Des HLM flottants pour oublier le stress de la vie urbaine ! Quelle connerie monumentale ! Et il y en a désormais pour tous les nigauds qui adorent se presser contre leurs congénères pour être bien sûrs de faire exactement la même chose que tout le monde. C’est à la mode ! (« tendance » disent les éperdus de la presse magazine). Et puis ça se fabrique à Saint-Nazaire, quelle gloire ! Vous avez déjà vu ça à la tévée, n’est-ce pas ? Notamment lorsque l’une de ces boîtes de sardines (1) va s’éventrer sur un caillou au large de l’Italie, tuant à l’occasion quelques inconscients, parce que le personnel de bord est aussi con que ses armateurs sont de vulgaires ploutocrates.

C’est à ce genre de phénomène de foire inepte que l’on peut constater que l’époque est au saugrenu.

Roberto Ferrucci, habitant de Venise et visiteur de Saint-Nazaire, sait quelque chose de l’oppression que ce type d’industrie commerciale impose à son monde. C’est lui qui avait filmé un paquebot manœuvrant dangereusement près des rives de la Sérénissime. Ses images avaient fait le tour du monde. Naturellement, des menaces des industriels de la croisière s’ensuivirent. Dans un rapide petit livre qui relève lestement les symptômes de l’acharnement et du cynisme contre cette représentation de la part belle de l’humanité que représente Venise, l’Italien dit le vrai de son constat, de son ressenti et de son analyse. Et pour une bonne raison :

Or Venise n’est pas seulement une ville « de la » culture, Venise « est » culture. Venise, ce sont les villes invisibles infinies d’Italo Calvino. Venise n’est pas instinct, mais pensée pure.

Mais voilà toute la légitimité de la chose : la croisière de masse est rentable et elle est commerciale, elle est donc pratiquée. Mais Le commerce de masse a-t-il jamais fait avancer quoique ce soit, mis à part le plastique et le mauvais goût ?

Impossible de résister aux guets-apens du commerce et de décider de manger tous les jours au sefl-service volontairement anonyme – menu fixe – du dernier étage, destiné aux passagers du « tout compris ». Comment te regarderont les autres ? Ceux qui choisiront chaque soir un restaurant à thème différent, avec sa décoration à thème, son papier peint à thème, sa serveuse à thème, son menu à thème et son petit orchestre à thème ?

Ah, les vacances grotesques !

Replaçant le sujet de la croisière vomitoire pour petit salary-man blanc et sa famille dans son contexte, Roberto Ferrucci met en évidence un autre problème, très grave lui aussi : à l’instar de la lutte souterraine (plus ou moins) contre la culture, menée souventes fois mêmes dans les bastions de la culture elle-même – institutions et entreprises confondues dont il n’est pas difficile de lister les noms (une visite en librairie, en musée, au cinéma et à la Fnac suffit) – il approche ce qui sous-tend le fascisme rampant qui suinte de l’administration européenne et des pouvoirs politiques en place. Une phrase suffit à Roberto Ferrucci pour expliquer la situation :

Pour certains politiciens, pour certains hommes de pouvoir, la culture, c’est l’ennemi à abattre, capable de les marquer de près, de se mettre en travers de leur route, de les démentir et pour finir de les démasquer.

Et si vous maintenez votre croisière, n’oubliez surtout pas la ceinture de sauvetage. On n’ira pas vous chercher.

Le site Lekti-ecriture ici.

France Culture

France Culture

Chronique d’Elisabeth Franck-Dumas dans l’émission La Dispute sur France Culture le 17 juin

BenZine

BenZine

Un article daté du15 juin 2016, par Delphine Blanchard :

De Saint-Nazaire à Venise, Roberto Ferrucci livre un pamphlet contre les bateaux de croisière qui font les riches heures de certains armateurs mais le malheur des Vénitiens. Une plume acérée qui vise juste.

Si vous avez déjà traîné une fois vos guêtres à Venise, alors vous les avez forcément vu. Ils font tanguer la pointe de la Douane. Même les vaporettos défient les lois de la gravité à leurs passages. Les bateaux de croisière, ces immeubles flottants sont un fléau pour les Vénitiens… Ils déversent leurs lots de touristes se précipitant, appareil photo en bandoulière, vers le Ponte dei Sospiri (comprenez pont des Soupirs). Les Vénitiens enragent. Roberto Ferrucci en particulier. Sa colère se lit au fil de ces 96 pages virevoltantes. Elle est contagieuse. Elle est justifiée. Sa ville adorée meurt à petit feu sous les coups de boutoir de ces coques disproportionnées. Alors Roberto Ferrucci, journaliste et écrivain, livre le combat qu’il peut, fait de mots et de harangues. Il s’essouffle parfois mais ne lâche jamais. Même quand le nouveau maire de Venise, Luigi Brugnaro, cautionne ces bateaux monstrueux défilant si près des terres. Même quand il censure une exposition photo montrant la ville engloutie par ces paquebots.

Le récit vénitien est entremêlé de résidences d’écriture de l’auteur à Saint-Nazaire, ville portuaire d’où sortent chaque année des dizaines de monstres des mers. Un comble pour Roberto Ferrucci ! Mais une aubaine pour lui qui cherche à comprendre. Et surtout une belle mise en abyme littéraire. Une partie de l’année, l’écrivain se retrouve face aux chantiers STX. Au loin, il voit peu à peu ces géants des mers prendre corps. La vue est bouchée comme à Venise mais, ici, elle a un sens. Le chantier fait travailler des centaines de Nazairiens. Et surtout l’Atlantique n’est pas la lagune vénitienne.

Passant de l’une à l’autre, on sent Roberto Ferrucci tiraillé entre ces deux villes. L’une de naissance, l’autre de cœur. C’est la lagune versus l’estuaire. C’est l’ensoleillée versus la grisâtre. Mais sous sa plume, la grisaille de Saint-Nazaire devient lumineuse et mystérieuse. Il dissèque l’amour immodéré des habitants pour ces monstres blancs : “Ils se rappellent leurs noms, dans l’ordre, bateau après bateau, comme si c’était la formation de leur équipe de foot préférée. Je n’ai pas vu de maison, de lieu public ou de bureau municipal qui n’expose pas un signe de ces bateaux, une photo, un livre, une maquette, un tableau ou une affiche.” Lui-même se laisse prendre… “C’est depuis que j’ai compris, senti et partagé tout cela que je regarde ces paquebots avec moins de rancœur…”

Puis parfois la colère reprend du terrain… “Ils lèvent l’ancre et quittent l’estuaire de la Loire, les bateaux de croisière, et je les retrouve sous mon nez à Venise quand je suis au bord de la lagune en train d’écrire et que je lève les yeux de mon écran, de mon cahier ou des feuilles posées sur la table.” Roberto Ferrucci traque les “écomonstres”, tempête et vitupère. Comment faire comprendre à toutes ces compagnies maritimes que la lagune n’est pas la mer ? À tous ces touristes que Venise ne livre pas ses secrets en la visitant de cette manière-là ? Venise ne se traverse pas au pas de course en une journée. Venise, il faut la découvrir de l’intérieur. Ce n’est pas un clic et un clac sur le pont d’un bateau qui donnera l’instantané le plus vrai de cette ville si belle, si majestueuse, si attachante. Venise, il faut s’y perdre un soir près du pont Rialto après avoir dégusté des cichettis (les tapas locaux). Il faut aller découvrir le quartier de Castello, là où la foule ne s’amasse pas. Il faut humer l’ambiance populaire vers Cannaregio… Non, définitivement, un clic et un clac ne suffisent pas.

Lire l’article sur le site BenZine ici