Bruneau Norman, Terre à ciel
https://www.terreaciel.net/Chevalier-Montre-moi-tes-seins-Par-Bruno-Normand-decembre-2024
Bonjour / suivi de / Hot dog. Natyot. (éditions) La Contre Allée / collection La Sente. 2024.
/ « Réalité, documentaire, témoignage : j’ai besoin de ces mots pour exprimer la nécessité d’un espace vivant et bien plus / un espace de combat que le texte réclame pour ne pas s’en remettre à la fatalité » annonce Natyot dans la 4è de couverture.
L’invisibilité de certains groupes d’hommes et de femmes, (SDF, femmes de ménage […]), / des photographes, vidéastes, cinéastes, écrivains s’en émeuvent, de tout temps cela a été : mettre le projecteur sur la violence de quelques quotidiens. Là / un travail sur la langue, avec leurs mots, donner forme à un chant, le chant d’un lien avec l’Autre, entrelacer leurs souffles au sien / porter leurs cheminements, les raconter un peu ces personnes. Laisser ces personnes vous accorder une place.
Dans ces deux textes Bonjour et Hotdog / à défaut de n’avoir pas celui de la Parole, Natyot leur offre là, un droit à l’écrit, elle joue ce rôle pour elles / Dans son avant-propos / Journal de résidence : / elles parlent arabe. Je ne comprends pas ce qu’elles disent […] Mais je connais les sons […] l’humeur des sons […] Ce doit être des banalités, mais des banalités qui leur font du bien […] Pour m’accueillir, elles ont des sourires […] Se dire déjà des choses avec ce contact. On va le faire.
On va raconter. On l’a voulu. On y est. / c’est un travail collectif, ce livre / […] une générosité dans ces femmes : […] Je vois que c’est pour me faire plaisir qu’elles sont là […] J’écoute les histoires. J’apprends des tonnes de trucs. Tout ne va pas me servir mais je vis le présent. […] Elles s’intéressent à moi. Elles regardent mes vidéos. […] Petit à petit une lueur.
Ces femmes jouent le jeu, Natyot joue le jeu / en cela, le Jeu de la Vie, elles s’entendent / Nous convenons tous d’exister.
Chacun a son endroit […] Les phrases de ces femmes sont fortes, Natyot les livre telles quelles, ce sont de simples phrases, celles utiles à l’apprentissage d’un métier, elles aussi transmettent quelque chose, un savoir-faire, un savoir-être là où la vie vous a posé : / « […] Pour retirer une tache de vin rouge sur une moquette ou un tapis, / versez une grande quantité d’eau pétillante (la Perrier fonctionne moins bien) » / pendant ce temps Natyot absorbe :
Je m’appelle Eponge, ponge, ponce, pense, pende, bande, bonde, boude, bouge, bouche, boucha, Bouchra. / Natyot habite / les faits et gestes là d’une Bouchra, prend corps en / Je m’appelle Bouchra / Je suis femme de ménage / Quand je travaille / Je disparais / / […] on ne me voit pas /
On voit mon travail / Mais pas moi […] Personne ne me voit / Sauf les enfants /Mais il faut qu’ils soient des tout-petits […]
/ dans ce texte, on ne sait plus très bien qui est qui et c’est très bien, les moi(s) / les égos s’usent au fil des jours et des pages et c’est très bien ainsi. Plus rien n’est étanche, les corps, les cœurs, les âmes s’ouvrent / L’Art est la Vie et c’est très bien /
beaucoup d’humilité chez ces femmes de ménage, elles nettoient :
[…] je nettoie / Je rends net quoi / Je net toi / Toi et tes déchets que tu laisses derrière toi / Je nette toi / Voilà
/ Natyot se met dans la peau de l’autre, lentement la devient cette femme Voilà pour mieux la dire, le dire l’Autre / Natyot, elle la raconte la fatigue : Et tous les soirs c’est la même chose, ça tombe / Mais ça ne fait pas de bruit / Comme les bombes / Le bruit de la fatigue n’existe pas / La fatigue est silencieuse / Elle tombe en silence / Comme une bombe / Sans le bruit /
[…] / La propreté dans les hôpitaux, cela… le rôle de la propreté dans les hôpitaux, c’est dit là […] et
si on accepte de se laisser toucher, ce livre est touchant, ne serait-ce que cette femme soufflant « y a pas de sous-métier » / à la place de / sot métier / […] elle cette femme, elle l’a entendue ainsi cette expression / il y a des passages touchants, ne serait-ce que cet épisode où :
Un héron cendré s’est posé devant la fenêtre de la chambre / Et il m’a regardée / Lui, m’a regardée / Avec ses beaux yeux de héron cendré […] / J’ai aimé ce regard de héron cendré / Ce fil nous reliait / Ce sentiment d’appartenir à l’espèce des vivants / On est restés un long moment comme ça […] / Je n’étais plus invisible
Il y a aussi Amina, elle est bac+4. Mais comme elle a pas bien la langue, / elle fait femme de ménage
Il y a […] LA LANGUE LA LANGUE LA LANGUE
Il y a Denise : Denise nous apprend le français. / Denise nous dit qu’on est intelligentes. / […] / il y a des bleus à l’âme
Quand je retourne au Maroc / Je dis pas que je fais le ménage […] On ne me demande pas / Parce qu’ils savent / […] Et par respect ils ne posent pas la question / Je dis : je travaille à l’hôpital
Natyot prend pouls, je crois qu’elle le sait au fond d’elle-même / ces sangs, ces corps sont un peu le sien / et ces femmes / qui se confient, également le devinent que Natyot, c’est un peu / corps d’elles, elles le devinent qu’elles sont toutes en lien / que tout cela ressemble à une mauvaise pièce, que les rôles ont été distribués. Natyot parvient bien à les traduire ces vies lasses de vivre parfois… et pourtant des corps fatigués, des présences se battent pour l’avoir un peu, le recevoir un peu, ce droit à exister
in Hotdog la violence des jours, l’amour un peu, l’amour d’un chien un peu : Hotdog me tient chaud / c’est pour ça son nom / Hotdog ! Viens Ici ! / ma couverture / mon radiateur / Couche toi là ! Bouge plus ! / on est pareil tous les deux /
Hotdog ! Tu fais chier ! / il me protège / […] Au pied ! Con de chien ! / Hotdog c’est un frère
c’est un dog, c’est de l’amour qui reste là / qui ne s’en va pas / Natyot la raconte comme ça la misère un peu, en rapportant des histoires, des scènes de vies, des souffrances qui se disent un peu, des enfants qui n’en sont pas vraiment, plus vraiment / des parents qui n’en sont pas vraiment, plus vraiment. Des existences ainsi
à la merci de qui veut bien les considérer un peu. Se reconnaître en elles, c’est acter une solidarité, c’est tendre du / Voilà !
Natyot lie, accorde quelques solitudes, les auréole de leurs propres vérités. Un livre pour les regarder autrement les vies, la regarder autrement la Vie. A un moment éteindre les contours, leur accorder Espace. Natyot fait cela.
Un premier mai / […] heureusement l’Atlantique […] / c’est de la Conscience liquide là devant / Eau devant / […] cette part d’Océan en nous, en quoi / une matière : celle dont on fait les trames, celle dont on capte le Vide vif, la force capable de sur -vivre à ce qui meurt ou semble mourir / l’iode par lequel ces mots m’arriment à ce mouvement, et élan de lumière /ce mouvement lumineux dans l’épaisse matière / […] et quelque chose entre / une matière ainsi […] heureusement Cela / océanique suspens
ce face à face, ce face à lui, ce dos à lui / ce Vide comme il est, comme il se montre parfois […] c’est Art Cela comme il est / comme il se montre en de puissants ressacs / parfois nous
nous aimons un peu, cela arrive nous nous voyons
[…] nous le tentons le Ciel, le Ciel pour chemin / nous le choisissons le Ciel pour / demain, pour présent à venir, pour / chair à sentir, à aimer […] / le Ciel comme s’il était gué d’une matière à une autre / […] / par morceaux, nous le recevons Ciel, par fragments
[…] Imagine profession : fragmentaire ! comme on dit diamantaire ! / En faire métier : tailler le fragment / afin qu’il reçoive mieux la lumière et surtout qu’il la renvoie mieux / qu’il renvoie mieux la lumière qu’il porte / faire métier d’écrire : le Jour, les jours / la Nuit, les nuits / […] faire métier de regarder, de contempler ce qu’il y a / d’il y a / faire métier de les enrichir de silence, les mots / les enrichir de mots, les silences / faire métier d’écrire le Jeu, la Danse / […] le Ciel c’est une page blanche – la page blanche c’est du Ciel / écrire à condition qu’on y voit toujours le Ciel, toujours une page blanche / […] essayez de faire ça