Revue de presse

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La viduité

D’une rationalité déniée aux femmes, des simples secours qu’alors elles auraient trouvés dans les plantes, dans l’autre forme de récit de soi qu’elles permettent, de la langue universelle ainsi humblement, secrètement, esquissée pour un savoir qui dépasserait la dichotomie, instaurée par Descartes – personnage central de ce roman qui autrement, dans l’intime, se fait historique – entre l’intelligence et le corps. D’emblée, on en vient à se demander si la figure de la sorcière ne dessine pas ce qui serait devenu un cliché du récit émancipateur féministe. Néanmoins, par cette évocation de la relation de René Descartes avec Catherine de Suède et avec Hélène Jans, Teresa Moure invente un matrimoine de plantes et de soin, de soutien aussi, qui formerait, à l’écart de l’histoire cartésienne des hommes, une langue universelle.


On continue à penser qu’il serait loisible d’esquisser une histoire littéraire à partir des clichés que le roman invente, de la façon dont une incarnation émancipatrice devient une quasi-figure obligée, un lieu-commun presque démis de sa valeur subversive. Ce sera sans doute une des menaces qui pèsent sur le féminisme : la dilution, l’impression, sans doute fausse, d’un discours admis, sans revendication politique profonde. C’est ce que, spontanément, non sans idiotie peut-être, nous vient à l’esprit quand on entreprend de parler d’un livre dont l’héroïne serait une sorcière. Sans rien y connaître, on s’interroge sur la représentation, sauvage, ainsi véhiculée. Cependant, cette optique semble très vite insuffisante, seulement sans doute un argument de vente. La morelle noire n’échappe pas à la nécessaire décompensation du récit de femmes puissantes. Pour en finir avec la figure de la sorcière, on trouve assez intéressant que ces figures de femmes (Catherine de Suède, Hélène Jans et Inès Andrade) soit découplées de toute figuration maternelle et invente d’autres filiations, d’autres transmissions de traverses d’un savoir, sinon occulte, discret et quotidien. Un des sujets que va aborder, sans y sombrer, La morelle noire sera alors le cartésianisme, sa conception non seulement de la nature, mais de l’âme et du corps et, partant, sa relégation du féminin. Il n’est jamais mauvais, je crois, de rappeler les fondements intellectuels de la misogynie. La femme serait un vide, un creux appelé seulement à enfanter. Les clichés ont la vie dure. Teresa Moure en donne à voir les méandres, les inscriptions différentes précisément par celles qui y résistent. Pointons, sans trop en dire, malgré tout, un des artifices qui permet au roman d’échapper à la reconstitution historique, à excuser une certaine normalisation stylistique, une sorte d’urgence, de rythme de chapitres un rien calibrés : l’autrice fait varier les sources, les types de discours (lettres, note de cours, livres de recettes et de soin), tout en se plaçant, on le devine à la toute fin, dans le point de vue du dernier personnage.

Et peu importe que ceux qui boivent mon savoir viennent de mon ventre ou de celui d’un autre, car c’est la nature qui nous relie et fait que nous ayons des intérêts communs.


Comme une silhouette, chaque personnage sera d’emblée d’ailleurs présenté dans une sorte de flou, l’histoire commence avec Christine de Suède, son refus de la maternité, son désir d’une compréhension, cette longue tradition aussi de subordonner des philosophes au pouvoir. Une étrange passion, une relation incertaine, une écoute à contre-temps liera cette reine à Descartes qu’elle invite en Suède. Teresa Moure enchaîne lettres et passages narratifs pour mieux en cerner les attentes. Une sorte de lien humain qui dépasse la sidération amoureuse, une forme d’incompréhension aussi. Nous aurons, dans ses indispensables contrastes, un joli portrait de Descartes : attentif et curieux, à l’écoute des sciences de son époque, dans un désir d’imposer une très grande, systémique, rationalité. On peut comprendre que les femmes y feraient obstacle, que leur savoir invisible, leur discrétion et résultat assez aléatoire deviennent miroir, façon de vivre. « C’est comme pour tout dans la vie ; si ce n’est pas certain, cela pourrait bien l’être. » La vie du philosophe a la cours est entrecoupé des écrits d’Hélène Jans qui tentent, vraie langue universelle précisément dans ses limites et incertitudes, de transmettre une forme de sagesse existentielle. « Vous avez à votre disposition un authentique manuel des femmes » À travers ce livre, c’est aussi cela que Teresa Moure veut sans proposer par non tant des recettes, infusions et décoctions, que les circonstances, accidents et séductions, qui contraignent à les prendre. Vision dès lors de la vie quotidienne, des communautés d’entraides discrètes qui s’instaure. On en perçoit aussi tous les interdits dont on rappelle ici les fondements : à cause de cette ridicule histoire de péché originel, la femme doit souffrir chaque mois et en enfantant, toutes celles qui s’y opposeront seront déclarées impies, promises au bûcher. L’ignorance du corps des femmes est ce qui conduit à la création des sages-femmes tant les hommes ne veulent surtout pas voir le corps des femmes, ne rien savoir de la gynécologie. « car la vie n’est que ça, une marmite sur le feu, et le pire c’est qu’on est à la place des pommes de terre. » Hélène et Catherine, à la mort du philosophe, forment une sorte de distance amitié, une correspondance encore qui dit la vie dite ordinaire, la saveur des plantes que l’on parvient à ressentir. Peu à peu apparaît une troisième personne, une thésarde sur Descartes qui, entre guillemets, divague et se penche donc sur les rapports aux femmes, sa petite fille perdue. Bref, là encore tout ce qui dépasse la pensée, ressemble à ce qui pourrait être un mode de vie féminin, à son effacement. On retrouve alors une jolie communauté féminine qui donne à voir une certaine image de l’Espagne, toujours par sa discrète résistance. Là encore, une autre filiation qui ne passe pas seulement par la maternité. Une explication d’ailleurs à la redécouverte de l’ensemble de ses textes, au soin que cela peut permettre. On ressent alors ce besoin de communauté.

Livres Hebdo, spécial rentrée littéraire

Composé en galicien par Teresa Moure, avant qu’elle ne le réécrive en castillant, La Morelle noire met en scène des femmes qui s’affranchissent du modèle patriarcal.

Actualitté : « La Morelle noire, se soustraire au patriarcat  » par Louella Boulland

Reine refusant de prêter son corps pour donner un héritier au trône, sorcière défiant l’ordre établi, ou encore étudiante irrévérencieuse, les protagonistes de La Morelle noire ont toutes choisi de se soustraire à l’ordre patriarcal établi.

Les héroïnes de Teresa Moure démontrent avec force, et à travers leurs choix de vie, l’appauvrissement moral et intellectuel qu’il peut y avoir à se laisser conter le monde par le prisme d’un discours unique, et la faible source d’empathie qui en résulte.

Les éditions de la Contre Allée nous en offrent un extrait en avant-première :

https://actualitte.com/article/117648/avant-parutions/la-morelle-noire-se-soustraire-au-patriarcat