Sarah de la librairie Terre des livres (Lyon)
A travers le duel emblématique échiquéen Fischer/Pomar, Paco Cerdà livre un récit singulier à la croisée de l’Histoire, de l’actualité et de l’intime qui expose les mouvements profonds de nos sociétés, raconte une décennie de changements radicaux qui trouve des échos incessants dans le présent.
Il met à jour les interférences politiques dans l’espace intime et interroge le métier de vivre et de s’engager, les luttes collectives, l’éveil politique, le quotidien de l’activisme et les raisons qui peuvent nous mener au combat. Il creuse aussi la question de la violence politique et des idéologies de la supériorité. Comment et pourquoi continuer le combat quand l’adversaire semble trop grand pour être défait ? Quelle rôle le sacrifice individuel joue dans les révoltes collectives ?
Mais ce qui est bluffant, c’est qu’il déjoue avec ingéniosité les codes d’une littérature à thèse dans un roman captivant et immersif, en perpétuel mouvement et qui se lit d’une traite : roman d’espionnage et d’aventures, satire sociale, fragments d’un discours amoureux, compte-rendu journalistique, transcriptions radiophoniques, épopée de perdants magnifiques qui dans la dureté de la solitude arrive au plus profond d’eux-mêmes, réquisitoire contre l’oppression. Le Pion est rigoureusement documenté, mais Paco Cerdà est un raconteur d’histoires hors pair !
Tel un jeu de matriochki, Le Pion est un formidable roman polyphonique aux récits enchâssés, où chaque personnage encapsulé est saisi dans un moment décisif. L’on y rencontre de nombreux pions voués à une cause politique, arrivés là volontairement ou non, qui montrent concrètement comment on vit ses idées. Paco Cerdà ne tombe jamais dans les travers du manichéisme, il ne cesse de montrer à quel point les parcours, les vies et les impressions parties d’un même point peuvent mener à des choix divergents.
Ce texte constitue une singulière geste sur les grand.e.s oublié.e.s de l’Histoire qui donne envie au lecteur de partir à la rencontre des différents pions. Le Pion est aussi un texte captivant sur la fabrique de l’Histoire, sur la manière dont on façonne les récits nationaux et les légendes ; une exploration de l’écart entre ce qui est vécu et ce qui est dit, une mise en abyme captivante qui rappelle que les luttes sont romanesques pour ceux qui ne les ont pas vécues.
La narration est époustouflante, l’écriture circonstanciée, au cordeau et douce-amère, que viennent chahuter des percées poétiques, aériennes et tendres.
En bref, un récit revigorant qui nous renvoie à nos engagements, à nos espoirs insensés, qui nous fait penser aux incertitudes de l’avenir.
Un roman ardent des révolutions politiques, des luttes et des guerres intimes, éclairant notre capacité à laisser une place à d’autres vies potentielles en nous.
Un splendide manifeste célébrant l’engagement & l’intranquillité comme armes de combat.