
Christian Roinat, pour America nostra / nos Amériques
Eduardo BERTI
ARGENTINE

Né en 1964 à Buenos Aires, Eduardo Berti a très jeune été journaliste, dans la presse écrite et pour la radio. Il est romancier et traducteur. Il est membre de l’Oulipo depuis 2014. Il réside en France.
Mauvaises méthodes pour bonnes lectures
2023
Eduardo Berti aime partager, c’est bien connu. Et il aime partager ses jeux divers, d’inspiration oulipienne, de facture bertienne.
Si l’on suit ces mauvaises méthodes, on part d’un texte, écrit ou à écrire, et on applique les instructions, un peu à la manière de celles de son compatriote Julio Cortázar, réservées ici à la création littéraire. Par exemple intégrer quelques phrases pillées dans un roman qu’on est en train de lire à une lettre (d’amour ou de rupture) qu’on est en train de rédiger. Ou bien souligner dans un roman vieux de trente ou cinquante ans les éléments typiques de l’époque et qui ont disparu depuis de notre environnement. On peut aussi résumer en style télégraphique un roman fleuve.
Ces conseils, modes d’emploi ou instruction peuvent être suivis au pied de la lettre, du n°1 au n°135, mais on peut, comme pour Rayela / Marelle, du même Julio Cortázar, passer arbitrairement (ou mathématiquement, par séries ou suites), du 5 au 18, puis au 13, et ainsi de suite. Bref, le lecteur (le bon lecteur, puisque le titre impose une vision très morale) est aussi libre que l’auteur de prendre le livre comme il lui plaira. Et il lui plaira, sûrement, ce petit bijou d’humour raffiné et absurde.
Avertissement tout de même au lecteur crédule, le résultat peut être parfois un véritable massacre littéraire, si l’on se met à découper arbitrairement la trame d’un chef d’œuvre reconnu pour le recomposer en fonction de la règle choisie, le malheureux naïf pourrait être poursuivi pour crime de lèse-belles-lettres.
Ce petit manuel présente d’ailleurs un autre intérêt : il peut nous aider à classer notre bibliothèque. On peut le faire en rangeant les ouvrages en fonction de leur odeur propre, ou bien, l’ordre alphabétique étant d’une banalité attristante, en adoptant l’ordre chronologique (ou anti-chronologique) de leur publication, ou en regroupant les auteurs complètement fous ou seulement affligés d’un léger grain dans un lieu à part, une sorte d’asile pour créateurs psychopathes.
Quelques planches dessinées par Étienne Lécroart servent judicieusement (et humoristiquement) de modes d’emploi aux textes correspondants.
Les trouvailles paraissent inépuisables, infinies. Certaines sont follement farfelues, mais d’autres sont applicables. Lâchez-vous, lecteurs, bons, moyens ou pitoyables ! Un dernier conseil (si le maître du jeu me l’autorise) : pourquoi ne ferait-il pas subir une partie des suggestions aux romans d’Eduardo Berti ? Et pourquoi ne lui enverrait-il pas le résultat de ses expériences ?
Mauvaises méthodes pour bonnes lectures, éd. la Contre-Allée, 160 p., 8,50 €, illustrations de Étienne Lécroart.