July Robert, pour la Revue nouvelle
Voici le dossier de July Robert au sujet de Sur les bouts de la langue. Traduire en féministe/s. publié dans la Revue nouvelle n°1/2023
Voici le dossier de July Robert au sujet de Sur les bouts de la langue. Traduire en féministe/s. publié dans la Revue nouvelle n°1/2023
S’abandonner / Improviser / (.) / Se soumettre / (se) décentrer / (..) / Interpréter / Corriger / (…) / Elargir /Inclure ? / (…) / Apprendre / Traduire / (…..) / Tisser / Citer
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Ce sont les titres des 17 chapitres du livre de Noémie Grunenwald, qui alternent entre analyse théorique de sa pratique de traductrice (les chapitres qui portent des verbes pour titre) et récit personnel (les chapitres où les points s’additionnent entre parenthèse). Le verbe « traduire » vient seulement en 14eme position, ce qui laisse à penser qu’un parcours préalable est nécessaire pour que l’autrice puisse aborder le sujet. Au début, le lectorat peut s’étonner de l’utilisation de termes qui semblent a priori éloignés de la pratique de la traduction, on retrouve un vocabulaire traditionnellement associé à la danse ou à l’expérience sensorielle. Les premiers verbes sont également réflexifs et portent sur des actions individuelles engageantes, et tendent à devenir des verbes d’action collective (inclure, tisser, et citer).
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Le sous-titre Traduire en féministe/s comporte une typographie particulière, avec l’utilisation du signe « / » à l’intérieur d’un mot pour en démultiplier le sens. Tout au long du texte, l’autrice reprendra ce début de phrase telle une anaphore pour définir, préciser ce que cela signifie pour elle. Ainsi, traduire en féministe/s signifie traduire des textes féministes, mais également les traduire (ceux-là et d’autres) de manière féministe, c’est-à-dire en prenant conscience de l’oppression systémique envers les femmes et les minorités de genre présente dans la langue, en utilisant une écriture démasculinisée par exemple. Elle montre la nécessité de son utilisation dans les textes littéraires et ailleurs, comme un acte militant. Mais traduire en féministe/s signifie également travailler en féministes, c’est-à-dire dans une relation sororale avec textes, les auteurices et toutes les collègues. C’est une pratique et une disposition personnelle, mais c’est aussi un engagement et une posture politiques.
Retrouvez l’intégralité de la recension https://revues.univ-tlse2.fr:443/lamaindethot/index.php?id=1120
Noémie Grunenwald était l’invitée du podcast Les Mécaniques du livre des Editions du commun. Le septième épisode de la saison deux est dédié à la traduction en féministe. L’occasion pour l’autrice de Sur les bouts de la langue. Traduire en féministe/s d’expliquer sa démarche et les enjeux fondamentaux de la traduction.
Logo : Marine Ruault.
Traduire (verbe) : Défaire les mots de leur caractère oppressif pour en faire un vecteur d’émancipation, d’empuissancement et de (re)connaissance.
Traduire pour (se) connaître,
traduire pour (s’)exprimer,
traduire pour (dé/re)construire.
Qu’est-ce que la traduction ? Y a-t-il une bonne manière de faire ? Plus important encore : peut-on traduire «en féministe/s» ?
Noémie Grunenwald est venue à la traduction presque par hasard : elle voulait rendre accessibles au plus grand nombre des textes militants importants.
En nous racontant son parcours de traductrice, et par extension d’éditrice (chez Hystériques et associés), sa démarche, sa manière de travailler, elle nous livre ici un essai à la fois littéraire et politique.
Pour que le choix des mots soit toujours au plus proche de la pensée des auteurs et des autrices.
Passionnant !
Il y a quelques jours sortait enfin sur la table aux géométries variables de notre librairie le livre de Noémie Grunenwald, traductrice des livres de Julia Serano, Dorothy Allison, bell hooks, et bientôt même Silvia Federici.
L’objet est hybride, l’œuvre est marquante. A la fois journal terriblement émouvant d’une traductrice autodidacte, fort de tous ces petits moments de vie qui côtoient des réflexions plus théoriques, allant jusqu’à être insérés en tranche tout au long du livre. A la fois réflexion sur l’acte de la traduction (d’essais féministes en particulier mais le discours se généralise volontiers), le degré d’adaptation de tous textes traduits, les liens qui se tissent, avec le texte et son autrice certes, mais également entre traductrices, éditrices, organisatrices de festivals, travailleuses du livre à toutes les échelles…
Noémie Grunenwald donne à voir de la traduction autant une approche macroscopique, à travers le travail quotidien de recherche, de remise en contexte, l’appropriation de la pensée complexe d’une chercheuse/autrice, qu’une approche microscopique, au stade du mot. Les mots qui sont ses outils, autour desquels gravite l’inesquivable question du mot « juste ».
Alors on suit avec un plaisir qui grandit et une curiosité sans cesse entretenue l’autrice, à travers la jungle de l’androlecte, du patriarcat qui s’immisce dans notre langage, à travers les cascades de l’humilité qui nous force à nous laisser traverser par ce texte tout comme la traduction appelle une sorte de lâcher-prise…
Une lecture belle et inspirante, qui nous fait voir sous un autre angle tout un pan de la production et de la propagation des savoirs.
Encore une fois le détour s’avère le plus sûr moyen de l’accès ! Publié à La Contre Allée dans une collection consacrée aux questions que posent la traduction, « Sur les bouts de la langue, traduire en féministe/s » de Noémie Grunenwald éclaire par ricochet, l’explosive question de la langue inclusive. C’est sans doute son parcours atypique au sein de cette profession qui donne à son propos, tout à la fois récit de vie et d’engagement ainsi qu’essai théorique, une aussi grande richesse. Militante de la cause féministe, elle a commencé à traduire par besoin. Besoin de pouvoir disposer en français de textes fondamentaux d’autrices féministes de langue anglaise, dont les écrits, déterminants dans la lutte féministe, demeuraient pourtant inaccessibles. Là où l’édition n’avait pas organisé l’accès aux textes, elle a commencé sur un mode artisanal leur traduction et leur diffusion, puis en a fait son métier, celui de traductrice en féministe/s, c’est-à-dire traduire principalement des textes féministes et les traduire dans une perspective féministe.
C’est grâce au doute obsédant de l’autodidacte qui envahissait alors sa pratique, et qui persiste d’ailleurs dit-elle, qu’elle parvient aussi clairement à nous montrer les enjeux de toute écriture inclusive, ou plus exactement de toute écriture respectueuse des identités. A l’instant « du traduire », les options sont en effet nombreuses (et pas que inclusives), complexes, voire au premier abord contradictoires (une terminologie neutre pour une littérature dé-genrée peut conduire à ne pas féminiser des termes même si l’autrice est une femme).
Le grand intérêt du livre de Noémie Grunenwald est de nous dire avec beaucoup de sérénité que sa pratique est essentiellement contextuelle, toujours mobile, qu’il n’existe aucune solution absolue. Pour établir ce nouveau rapport à l’écriture, elle écoute avant tout le texte, elle écoute la voix qui en émane, pour tenter de la rendre avec le plus de pertinence possible. Elle nous rappelle enfin que nous sommes libres, que la langue est certes codifiée pour sa transmission, mais qu’en dehors les auteur.ices et les traducteur.ices sont libres, libres de faire acte de littérature.
Parce que la traduction est toujours une question de choix, de justesse et de justice, Noémie Grunenwald nous montre l’importance de donner à entendre des voix plurielles et libérées du silence. Un essai passionant qui explore la place du féminisme comme théorie et pratique mais aussi comme outil d’émancipation dans le champ de la traduction littéraire. Un coup de coeur.