Revue de presse

← Nom d’un animal

Strophe, par Jean Legay

Dans un monde où tout s’accélère, Antoine Mouton choisit la lenteur, la résonance et l’incarnation. Poète sans préméditation, il inscrit son écriture dans le corps, dans l’oralité, et dans une conscience sociale qui refuse l’hermétisme. Sa poésie est un espace d’expérimentation, un lieu où les mots ne sont pas figés mais vibrent au rythme du réel.

Poète malgré lui

Antoine Mouton ne s’est jamais rêvé poète. « J’ai toujours écrit, sans me poser la question du genre », confie-t-il. Ce n’est qu’avec la parution de Au nord tes parents en 2004 qu’il réalise que son écriture est perçue comme poétique. « J’ai décidé de jouer le jeu », dit-il avec détachement. Un jeu qui, loin de la contrainte, lui permet d’explorer une poésie en mouvement, ancrée dans la spontanéité.

Loin d’une écriture rigoureusement structurée, ses textes naissent d’une nécessité, d’une urgence. « Ce que j’écris est souvent un geste spontané. Ce n’est que plus tard que cela prend une forme, un rythme, un souffle », explique-t-il. Cette approche instinctive le conduit à une poésie fluide, insoumise aux carcans traditionnels.

Le corps comme territoire poétique

Son rapport à la poésie a été profondément transformé par la découverte de l’oralité. Assister à des lectures publiques, notamment celles de Christine Angot et Edith Azam, a bouleversé sa perception de l’écriture. « J’ai compris que l’écriture n’était pas seulement une affaire de mots posés sur le papier. C’était une question de présence, de souffle, d’engagement physique », raconte-t-il.

Dès lors, la voix devient un élément central de son travail. Il refuse une langue désincarnée et célèbre l’impureté des accents, des inflexions, des rythmes corporels. « La langue n’est pas une abstraction. Elle vient du corps, de ses tensions, de ses rythmes », affirme-t-il. Cette sensibilité le rapproche d’un courant poétique contemporain où l’oralité reprend sa place, où la poésie ne se lit pas seulement, mais se vit.

Une écriture engagée

Antoine Mouton rejette l’idée d’une littérature neutre. Pour lui, toute écriture est politique, même lorsqu’elle feint de ne pas l’être. Son prochain livre, Nom d’un animal (voir encadré ci-dessous), témoigne de cette réflexion en abordant le rapport au travail et la manière dont il façonne les identités. « J’ai voulu explorer ce que signifie quitter le ‘travail’. Pas seulement un emploi, mais tout ce que ce mot charrie en termes d’identité, de rapport au monde », explique-t-il.

Son écriture se nourrit des rencontres, des échanges avec des travailleurs sociaux, des précaires, des militants. « La poésie peut être un outil de transmission, un lieu où se rejouent certaines luttes. Écrire, c’est interroger les mots qu’on nous impose et voir ce qu’on peut en faire autrement », ajoute-t-il.

Une poésie face aux défis du numérique

Si la poésie contemporaine connaît un regain d’intérêt, notamment grâce aux réseaux sociaux, Antoine Mouton reste méfiant face à la logique de mise en scène imposée par Instagram et TikTok. « Ces plateformes permettent de toucher un public plus large, mais elles imposent aussi des cadres rigides. La poésie a besoin de temps, de silence. On ne peut pas tout résumer en trente secondes », regrette-t-il.

Face à une société qui valorise l’instantanéité, il revendique une poésie qui ralentit, qui impose son propre tempo. « La littérature n’est pas là pour être séduisante à tout prix. Elle doit parfois déranger, questionner, ouvrir des brèches », insiste-t-il.

Un combat pour la transmission

Si le paysage poétique semble plus vivant que jamais, Antoine Mouton s’inquiète des menaces qui pèsent sur la transmission de cette littérature. Les coupes budgétaires fragilisent les festivals, les maisons d’édition indépendantes et les lieux de lecture. « Il y a un engouement réel pour la poésie aujourd’hui, mais si on ne soutient pas les structures qui la portent, tout cela peut s’effondrer », alerte-t-il.

Pour lui, la poésie est avant tout une manière de créer du lien, de partager une expérience collective. « Je n’écris pas seulement pour moi. Ce que je cherche, c’est une langue qui traverse, qui interpelle. Une poésie qui ne soit pas un objet figé, mais une matière vivante », conclut-il.

Avec Nom d’un animal, Antoine Mouton poursuit son exploration d’une poésie libre, hybride et ancrée dans le monde. Une voix qui, loin des salons feutrés, résonne dans la rue, dans les luttes, et dans la cadence des vies ordinaires.