Revue de presse

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En attendant Nadeau par Gabrielle Napoli

D’Antoine Mouton, on se souvient de Chômage monstre (La Contre Allée, 2017), qui questionnait la manière dont le travail occupe nos vies, sur le plan intime et collectif. Dans un texte étonnant et stimulant, Nom d’un animal, en partie écrit dans le cadre d’une collaboration avec la compagnie théâtrale Jeanne Simone, l’écrivain interroge de nouveau le mot « travail ». Sa langue prend corps au fil des pages, une langue étonnante qui virevolte et grince, faisant danser ensemble le rire et la gravité.

En intégrant dans Nom d’un animal les paroles des uns et des autres, l’auteur s’en prend à nos représentations, avec beaucoup de fantaisie et une certaine gaieté. C’est à partir de cette mise en commun des langages que nous pouvons questionner au mieux la manière dont nous avons, dans notre rapport au travail, un lien qui relève d’une expérience singulière, parfois presque secrète, mais aussi une relation empreinte de tout ce qui fonde la façon dont une société envisage le travail. Et c’est à cette mise en commun passée au tamis de l’écriture d’Antoine Mouton et de son esprit délicieusement critique que nous accédons en lisant Nom d’un animal, ce qui fait de cette lecture un moment de pur plaisir. Page après page, la finesse d’Antoine Mouton nous fait du bien, et lorsqu’il écrit : « Un jour j’aimerais écrire un texte qui rendrait la parole à quelqu’un qui l’aurait perdue », c’est exactement ce à quoi il parvient, en restituant à chacun d’entre nous une parole que nous négligeons souvent, celle de la sagacité tendre.

Le travail habite les corps et les âmes, et le langage qui est censé critiquer le travail semble envahir tout autant l’intimité des êtres, ce qui rend sa dénonciation ardue, et la déconstruction des stéréotypes indispensable, travail de sape qu’Antoine Mouton mène avec drôlerie et sérieux. Par exemple, plusieurs pages sont consacrées au burn-out, et à la manière dont l’expression, d’après l’auteur, prive ceux qui le vivent de toute parole, à la manière dont l’identification du burn-out achève la dépossession, ce mot qui s’est « infiltré » dans la langue : « Dire qu’on a fait un burn-out mais pas qu’on a envie de se pendre de temps en temps. Dire qu’on a fait un burn-out à cause des méthodes de harcèlement dans l’entreprise pour laquelle on travaille, mais taire le fait qu’on est harcelés depuis l’enfance par un père ou une mère qui nous ont préparés à endurer le maximum de violence. Attaquer la société mais protéger encore et toujours la famille, comme si c’était différent. » Et pourtant, la dénonciation de ce noyautage est elle aussi une manière de déposséder ceux qui vivent l’expérience de cette souffrance, lorsqu’elle conduit à adopter un point de vue surplombant qui est précisément ce que refusent l’écriture d’Antoine Mouton et tout le livre dans la manière dont il est pensé.

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https://www.en-attendant-nadeau.fr/2025/06/26/poesie-au-travail-nom-dun-animal

La Viduité

Ce qui en nous travaille, tente de s’émanciper des oppressions salariales et de celle patronymique ; ce qui hors de nous, dans l’écriture et ses déplacements de sons et de sens, invente une autre manière d’être au monde, une identité dans l’écart et l’ironie, dans le sérieux de l’amusement et du partage. Entre essai et poésie, réflexion sur le travail et sur les noms que l’on met sur les dominations et sur leur reproduction, Antoine Mouton poursuit une poétique de la réticence, de la résistance, une langue de l’écart où enfin, joyeusement, être ensemble au monde. Dans sa forme versifiée ou dans celle fictionnalisée, dans sa légèreté et dans ses hantises, Nom d’un animal invite à la variation et à l’errance.

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Cult.news par Julien Coquet

L’œuvre d’Antoine Mouton se divise en deux catégories. La première, plus abordable, regroupe des romans bien souvent teintés de fantastiques, gorgés de poésie et de réflexions sur ce que vivre veut dire : Le Metteur en scène polonais, Toto perpendiculaire au monde ou encore Imitation de la vie. L’autre partie de son œuvre oscille entre poésie et écrits en prose réflexifs, comme Les Chevals morts (sur la séparation) ou encore Au nord tes parents (un roadtrip dans les yeux d’un bambin). En 2017, Chômage monstre questionnait la place de l’absence de travail dans nos vies. Nom d’un animal se penche également sur la question du travail sous toutes les coutures.

Pour découvrir l’article complet :

https://cult.news/livres/nom-dun-animal-dantoine-mouton-je-zone-desormais-entre-habiter-et-travailler-sans-rien-atteindre-jamais

Sitaudis par Cécile A. Holdban

Antoine Mouton est indéniablement une voix singulière dans le nouveau paysage poétique. Son œuvre est déjà riche, reconnaissable par un ton, un univers. Il y règne une forme de fausse légèreté qui lui permet d’entraîner le lecteur dans des cheminements qu’il n’aurait pas forcément suivis de lui-même, et à le faire basculer dans une autre perception de la réalité contemporaine.

Comme le laisse entendre l’une des deux citations placées en exergue, celle de Roberto Scarpinato, revendiquant un « droit à la fragilité des individus », Nom dun animal poursuit cette quête entreprise par Antoine Mouton des chemins de traverse, des chemins buissonniers de l’époque, de ce qu’il appelle, citant cette fois Alain Bashung et Jean Fauque, la « contre-allée » (mise en abyme délicate du nom de l’éditeur). Cette part de fragilité, qui n’a pas sa place dans les grands axes, autrement dit dans la masse et l’engorgement du troupeau, est ce qui permet « de ne pas renoncer à sa propre humanité » (toujours Scarpinato).

Le livre est construit comme une sorte de long monologue beckettien. Mais où la dureté du discours de l’écrivain irlandais renouerait ici avec une forme de mélancolie hébétée, venant adoucir le caractère implacable de la condition humaine selon Beckett. L’absurde revêt ici une dimension de funambule, pour qui l’équilibre n’est possible que si la légèreté vient contrebalancer la force. La chute est une possibilité omniprésente, et paradoxalement, elle seule permet d’avancer. On sent, à lire ce texte, une oralité efficace dans son déroulement et son déploiement. Comme le flux de conscience d’un passant :

Je connais des gens qui n’existent pas. Je leur donne rendez-vous chez des gens absents. Nous nous asseyons en cercle. Nous posons nos pieds sur un tapis où des dizaines de pieds d’autrefois murmurent : j’y étais j’y étais j’y étais. Nous sommes entrés dans l’absence, nous ne voyons plus les gens, devinons leur histoire. Ou bien pas leur histoire, pas seulement : surtout leur façon d’être. D’avoir été. De revenir aussi. J’aime bien que les gens soient, j’aime voir quelqu’un qui fut, mais j’aime par-dessus tout chez les gens leur façon d’être. L’absence est aussi une façon d’être. Une façon de mettre du temps dans l’être. De laisser passer du temps dedans. De la distance entre soi et les autres, ou soi et son histoire, ou soi et soi. Une façon de se multiplier. Quelqu’un d’absent est partout. Quelqu’un de présent est là. J’aime être là, mais il y a des endroits où je suis partout. Dans les endroits que j’ai quittés, je suis partout. Et je n’y reviendrai jamais. Les gens peuvent partir. C’est merveilleux. Nous avons des pieds. Nous avons des pieds qui nous permettent de ne pas être là, pas y rester, pas seulement là, ici aussi, et puis partout : j’y étais j’y étais.

Nom dun animal évolue ensuite vers un propos politique ironique, mordant, une réflexion sur le travail intelligente et originale. L’alternance des longs passages en prose, qui déroulent la pensée en marche d’un ministre du travail ayant perdu ses repères à la suite de la perte de son travail :

La pluie tombait et chaque goutte en s’écrasant sur toi se mettait à parler.

Chaque goutte disait : c’est faux.

C’est faux sur ton épaule

c’est faux sur ton crâne

c’est faux sur le bout de ton nez

même sur tes doigts c’est faux

et sur tes lunettes c’est faux c’est faux c’est faux

c’est c’est c’est faux

faux

faux

faux.

Je suis ministre du travail

et j’ai été viré

Le propos est pertinent, et cette réflexion sur l’absurde du monde du travail, sa perte de sens, est  très originale dans son approche et efficace dans cette sorte de « pas de deux » qu’effectue l’écriture, il y a une invention convaincante dans ce texte, servi par un humour écorché. Le sujet pourrait très vite sombrer dans le propos revendicatif ou prédicateur. Il n’en est rien.

Antoine Mouton parvient à restituer parfaitement cette incompréhension qui gagne de plus en plus de gens face à la transformation du monde du travail. Le monologue final, qui vient répondre à celui du début, devient une affirmation de la part d’humanité défendue face àl’absurdité écrasante de la perte de sens.

https://www.sitaudis.fr/Parutions/nom-d-un-animal-antoine-mouton-1749440703.php?fbclid=PAQ0xDSwKzsvhleHRuA2FlbQIxMAABp5Hp5i0eZIOr3dXX3roOqyzSNKEdno5o18BOHfbWlF02o4iWgMfMyDeXeJFv_aem_ztnPKSRmulAnU-BNuvlpRg

Choisir & lire : Les notes

« Inclassable, ce nouveau texte d’Antoine
Mouton déroule autour d’une réflexion critique sur le monde du
travail, des souvenirs, de son père en particulier, des choix de
vie entrevus au hasard de rencontres etc. »

Strophe, par Jean Legay

Dans un monde où tout s’accélère, Antoine Mouton choisit la lenteur, la résonance et l’incarnation. Poète sans préméditation, il inscrit son écriture dans le corps, dans l’oralité, et dans une conscience sociale qui refuse l’hermétisme. Sa poésie est un espace d’expérimentation, un lieu où les mots ne sont pas figés mais vibrent au rythme du réel.

Poète malgré lui

Antoine Mouton ne s’est jamais rêvé poète. « J’ai toujours écrit, sans me poser la question du genre », confie-t-il. Ce n’est qu’avec la parution de Au nord tes parents en 2004 qu’il réalise que son écriture est perçue comme poétique. « J’ai décidé de jouer le jeu », dit-il avec détachement. Un jeu qui, loin de la contrainte, lui permet d’explorer une poésie en mouvement, ancrée dans la spontanéité.

Loin d’une écriture rigoureusement structurée, ses textes naissent d’une nécessité, d’une urgence. « Ce que j’écris est souvent un geste spontané. Ce n’est que plus tard que cela prend une forme, un rythme, un souffle », explique-t-il. Cette approche instinctive le conduit à une poésie fluide, insoumise aux carcans traditionnels.

Le corps comme territoire poétique

Son rapport à la poésie a été profondément transformé par la découverte de l’oralité. Assister à des lectures publiques, notamment celles de Christine Angot et Edith Azam, a bouleversé sa perception de l’écriture. « J’ai compris que l’écriture n’était pas seulement une affaire de mots posés sur le papier. C’était une question de présence, de souffle, d’engagement physique », raconte-t-il.

Dès lors, la voix devient un élément central de son travail. Il refuse une langue désincarnée et célèbre l’impureté des accents, des inflexions, des rythmes corporels. « La langue n’est pas une abstraction. Elle vient du corps, de ses tensions, de ses rythmes », affirme-t-il. Cette sensibilité le rapproche d’un courant poétique contemporain où l’oralité reprend sa place, où la poésie ne se lit pas seulement, mais se vit.

Une écriture engagée

Antoine Mouton rejette l’idée d’une littérature neutre. Pour lui, toute écriture est politique, même lorsqu’elle feint de ne pas l’être. Son prochain livre, Nom d’un animal (voir encadré ci-dessous), témoigne de cette réflexion en abordant le rapport au travail et la manière dont il façonne les identités. « J’ai voulu explorer ce que signifie quitter le ‘travail’. Pas seulement un emploi, mais tout ce que ce mot charrie en termes d’identité, de rapport au monde », explique-t-il.

Son écriture se nourrit des rencontres, des échanges avec des travailleurs sociaux, des précaires, des militants. « La poésie peut être un outil de transmission, un lieu où se rejouent certaines luttes. Écrire, c’est interroger les mots qu’on nous impose et voir ce qu’on peut en faire autrement », ajoute-t-il.

Une poésie face aux défis du numérique

Si la poésie contemporaine connaît un regain d’intérêt, notamment grâce aux réseaux sociaux, Antoine Mouton reste méfiant face à la logique de mise en scène imposée par Instagram et TikTok. « Ces plateformes permettent de toucher un public plus large, mais elles imposent aussi des cadres rigides. La poésie a besoin de temps, de silence. On ne peut pas tout résumer en trente secondes », regrette-t-il.

Face à une société qui valorise l’instantanéité, il revendique une poésie qui ralentit, qui impose son propre tempo. « La littérature n’est pas là pour être séduisante à tout prix. Elle doit parfois déranger, questionner, ouvrir des brèches », insiste-t-il.

Un combat pour la transmission

Si le paysage poétique semble plus vivant que jamais, Antoine Mouton s’inquiète des menaces qui pèsent sur la transmission de cette littérature. Les coupes budgétaires fragilisent les festivals, les maisons d’édition indépendantes et les lieux de lecture. « Il y a un engouement réel pour la poésie aujourd’hui, mais si on ne soutient pas les structures qui la portent, tout cela peut s’effondrer », alerte-t-il.

Pour lui, la poésie est avant tout une manière de créer du lien, de partager une expérience collective. « Je n’écris pas seulement pour moi. Ce que je cherche, c’est une langue qui traverse, qui interpelle. Une poésie qui ne soit pas un objet figé, mais une matière vivante », conclut-il.

Avec Nom d’un animal, Antoine Mouton poursuit son exploration d’une poésie libre, hybride et ancrée dans le monde. Une voix qui, loin des salons feutrés, résonne dans la rue, dans les luttes, et dans la cadence des vies ordinaires.