Le Fictionaute, par Franck Brénugat
Auteur de plus de 150 traductions, dont celles des œuvres de Raymond Queneau, Delphine de Vigan ou encore Hervé Le Tellier, armé d’un double doctorat en littérature — en langue française — et en littérature comparée, premier membre espagnol de l’Oulipo en 2014, Pablo Martín Sánchez bénéficie de quelques lettres de noblesse à son actif. Lesquelles peuvent s’avérer précieuses pour notre affaire. Assurément. Le récit témoigne en ce sens d’une construction irréprochable et fait montre d’une réelle empathie à l’égard de ses protagonistes. Sa force tient dans cette aptitude justement à restituer les inquiétudes et joies éparses des uns et des autres. Une bien belle exécution qu’un Max Scheler n’aurait pas reniée, tant les pensées et sentiments de nos protagonistes s’avèrent nôtres, éloignée de tout solipsisme cartésien enfermant notre conscience dans une insularité appauvrissante. Nous saisissons au contact de cette petite communauté combien sa survie se montre des plus précaires, et combien le fragile équilibre peut être mis à mal au moindre imprévu. En cela, la forme narrative du journal se révèle des plus pertinentes et les chapitres s’enchaînent les uns à la suite des autres avec aisance.
Si le propre de tout journal est de s’autoriser quelques digressions de-ci de-là, comme aime à le rappeler notre diariste, force est de constater que ces dernières se montrent parfois un tantinet envahisssantes. Entre exercices de rééducation du gros orteil, large inventaire à la Prévert des souvenirs générationnels d’objets et produits perdus dans les limbes de l’histoire, entrées d’un Dictionnaire visuel d’anatomie, considérations techniques sur les arcanes de la typographie — fort instructives au demeurant —, ou encore embardées sur la poésie et la littérature espagnoles, nous saisissons mieux tout l’intérêt porté à cette bien salutaire mise en garde… A fortiori lorsque l’auteur émaille ses nombreuses digressions de schémas et autres dessins pour le moins singuliers… Si ces apartés ne viennent point trop phagocyter les quelques rebondissements de ce récit aux allures de roman post-apo, ils peuvent néanmoins se montrer redondants et sans réelle valeur ajoutée pour les habitués de ce registre science-fictif. Une aération que d’aucuns trouveront toutefois bienvenue, légitimée par le principe même du journal intime. Une ode à la lenteur, servie par une réflexion oulipienne sur le langage que d’aucuns apprécieront. Dont acte.
Sur le plan conceptuel, l’auteur nous livre un récit pour le moins dystopique, tant les quelques décennies nous séparant de cette année 2066 dépeignent une société ayant échoué à faire de notre humanité une humanité libérée de ses faiblesses. Un vingt-et-unième siècle horribilis, tristement digne de comparaison avec le précédent. Notre chère humanité future ne semble manifestement guère avoir tiré les leçons du passé, au regard des nombreux désordres qu’elle donne à voir. En témoignent, pêle-mêle : un conflit syrien dans les années vingt, une attaque aux armes chimiques de la Grande-Bretagne et des États-Unis contre l’Inde en 2042, une Troisième Guerre mondiale en 2056, ou encore l’attentat bioterroriste du Stade de France — lequel provoqua la terrible épidémie du virus de Marburg emportant quelque trente millions d’Européens et provoquant trois années de guerre civile sur la péninsule ibérique, prémisses de notre récit. Tristes itérations d’une Histoire déjà vue et entendue…
Pablo Martín Sánchez semble manifestement avoir pris beaucoup de plaisir à écrire ce dernier opus. L’amour du verbe transpire à chaque chapitre — vérité d’évidence pour un auteur par ailleurs membre de l’Oulipo argueront certains. Avec Reus 2066, l’auteur complète le dernier volet de ses autobiographies fictives en campant notre sympathique cabochard, notre écrivain devant fêter ses 89 printemps en 2066. À supposer que les cieux de notre Histoire à venir se révèlent plus cléments que ceux de notre récit… S’il est vrai que l’exercice se montre toujours un brin périlleux pour un écrivain de littérature générale d’arpenter nos territoires plus ou moins codifiés, nous ne saurions bouder notre plaisir à l’idée justement de nous frotter à un écrivain aussi chevronné que notre hidalgo. Si le roman ne se montre pas le plus généreux qui soit dans sa dimension scénaristique et science-fictive, Reus, 2066n’en constitue pas moins un récit brillamment écrit et une formidable ode à l’esprit de résistance. Tout autant qu’une élégante porte d’entrée vers nos territoires pour les lecteurs étrangers à ces derniers. Le journal de notre cabochard mérite en cela toute notre attention.
Auteur de plus de 150 traductions, dont une collaboration pour les traductions de la monumentale Histoire des Indes de Bartolomé de las Casas et des Œuvres complètes de Christophe Colomb, Pablo Martín Sánchez bénéficie de quelques lettres de noblesse à son actif. Lesquelles peuvent s’avérer précieuses pour notre affaire. Assurément. Le récit témoigne en ce sens d’une construction irréprochable et fait montre d’une réelle empathie à l’égard de ses protagonistes. Sa force tient dans cette aptitude justement à restituer les inquiétudes et joies éparses des uns et des autres. Une bien belle exécution qu’un Max Scheler n’aurait pas reniée, tant les pensées et sentiments de nos protagonistes s’avèrent nôtres, éloignée de tout solipsisme cartésien enfermant notre conscience dans une insularité appauvrissante. Nous saisissons au contact de cette petite communauté combien sa survie se montre des plus précaires, et combien le fragile équilibre peut être mis à mal au moindre imprévu. En cela, la forme narrative du journal se révèle des plus pertinentes et les chapitres s’enchaînent les uns à la suite des autres avec aisance.
Si le propre de tout journal est de s’autoriser quelques digressions de-ci de-là, comme aime à le rappeler notre diariste, force est de constater que ces dernières se montrent parfois un tantinet envahisssantes. Entre exercices de rééducation du gros orteil, large inventaire à la Prévert des souvenirs générationnels d’objets et produits perdus dans les limbes de l’histoire, entrées d’un Dictionnaire visuel d’anatomie, considérations techniques sur les arcanes de la typographie — fort instructives au demeurant —, ou encore embardées sur la poésie et la littérature espagnoles, nous saisissons mieux tout l’intérêt porté à cette bien salutaire mise en garde… A fortiori lorsque l’auteur émaille ses nombreuses digressions de schémas et autres dessins pour le moins singuliers… Si ces apartés ne viennent point trop phagocyter les quelques rebondissements de ce récit aux allures de roman post-apo, ils peuvent néanmoins se montrer redondants et sans réelle valeur ajoutée pour les habitués de ce registre science-fictif. Une aération que d’aucuns trouveront toutefois bienvenue, légitimée par le principe même du journal intime. Une ode à la lenteur, servie par une réflexion oulipienne sur le langage que d’aucuns apprécieront. Dont acte.
Sur le plan conceptuel, l’auteur nous livre un récit pour le moins dystopique, tant les quelques décennies nous séparant de cette année 2066 dépeignent une société ayant échoué à faire de notre humanité une humanité libérée de ses faiblesses. Un vingt-et-unième siècle horribilis, tristement digne de comparaison avec le précédent. Notre chère humanité future ne semble manifestement guère avoir tiré les leçons du passé, au regard des nombreux désordres qu’elle donne à voir. En témoignent, pêle-mêle : un conflit syrien dans les années vingt, une attaque aux armes chimiques de la Grande-Bretagne et des États-Unis contre l’Inde en 2042, une Troisième Guerre mondiale en 2056, ou encore l’attentat bioterroriste du Stade de France — lequel provoqua la terrible épidémie du virus de Marburg emportant quelque trente millions d’Européens et provoquant trois années de guerre civile sur la péninsule ibérique, prémisses de notre récit. Tristes itérations d’une Histoire déjà vue et entendue…
Pablo Martín Sánchez semble manifestement avoir pris beaucoup de plaisir à écrire ce dernier opus. L’amour du verbe transpire à chaque chapitre — vérité d’évidence pour un auteur par ailleurs membre de l’Oulipo argueront certains. Avec Reus 2066, l’auteur complète le dernier volet de ses autobiographies fictives en campant notre sympathique cabochard, notre écrivain devant fêter ses 89 printemps en 2066. À supposer que les cieux de notre Histoire à venir se révèlent plus cléments que ceux de notre récit… S’il est vrai que l’exercice se montre toujours un brin périlleux pour un écrivain de littérature générale d’arpenter nos territoires plus ou moins codifiés, nous ne saurions bouder notre plaisir à l’idée justement de nous frotter à un écrivain aussi chevronné que notre hidalgo. Si le roman ne se montre pas le plus généreux qui soit dans sa dimension scénaristique et science-fictive, Reus, 2066 n’en constitue pas moins un récit brillamment écrit et une formidable ode à l’esprit de résistance. Tout autant qu’une élégante porte d’entrée vers nos territoires pour les lecteurs étrangers à ces derniers. Le journal de notre cabochard mérite en cela toute notre attention.