Revue de presse

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Fabien Ribery, pour L’Intervalle

« La traduction littéraire est une activité de création, davantage liée à la question de la représentation artistique du réel qu’à un savoir académique. Traduire ne fait pas seulement appel à l’intellect, mais à une intelligence des choses poétique, sensible. Comme tout processus d’écriture, cela engage l’ensemble de l’être : émotions, perceptions, imagination, souvenirs de lecture ou de vie, les deux d’ailleurs souvent mêlés. Sans compter le rôle que joue dans toute authentique rencontre, humaine comme littéraire, le réseau des racines souterraines qui court au fond de chacun de nous et nous relie à notre insu les uns aux autres. »

On peut interroger la roue karmique, mais l’on ne sait pas pourquoi, au fond, les vocations se manifestent, ni par quels chemins elles décident de requérir ceux qu’elles ont élus.

Corinne Atlan n’avait pas rêvé de devenir traductrice d’œuvres littéraires japonaises, et pourtant cette activité, ce métier, ce rôle de passeur, d’une rive à l’autre, est devenue sa vie rêvée.  

Dans un essai à la fois très riche et sensible, Le Pont flottant des rêves, allusion poétique au « pont flottant du ciel » de la mythologie shintoïste (relire le Kojiki), la fameuse traductrice de Haruki Murakami et de Ryôichi Wagô (l’impressionnant Jets de poèmes évoquant la catastrophe de Fukushima) vivant entre Paris et Tokyo tente de comprendre le voyage de sa vie à partir de l’adoption de la langue japonaise comme proximité et lointain désiré.   

Réside en chacun de nous un territoire étranger, dont les traducteurs ne cessent de se rapprocher comme on cherche à atteindre au contact d’un seuil infranchissable la vérité de soi-même.

Voyage immobileplongée dans l’inconnudécentrement, tels sont les termes qu’emploie Corinne Atlan pour décrire sa tâche quotidienne vécue essentiellement comme joyeuse, jusque dans le doute, depuis la traduction, confiée par Philippe Picquier, de deux nouvelles d’Ôgai Mori, contemporain de Sôseki Natsume.

La littérature (on peut y inclure l’engagement dans la traduction) est cette zone mystérieuse où les vivants et les morts dialoguent.

« La question du lien entre vie, enfance et écriture est au centre de l’activité de traduction. »

La petite fille, qui entendait parler l’arabe et le kabyle en Algérie, qui étudia le grec ancien et s’essaya à l’allemand sans en avoir reçu d’enseignement, se décida à dix-sept ans pour le japonais à l’Inalco, avant que d’étudier le népali, le sanskrit et le tibétain.

La confidence est étonnante : « Je n’avais jusque-là manifesté aucun intérêt particulier pour l’Extrême-Orient et ignorais tout de cette partie du monde, totalement absente de mon environnement. Tous, y compris moi-même, se demandaient d’où avait surgi cette idée. »

Plus loin : « Je ne me sens véritablement exister que lorsque plusieurs langues dialoguent en moi. Je n’ai jamais compris comment il était possible de vivre dans une seule culture, tourné vers un seul horizon. (…) Les langues ne s’excluent pas l’une l’autre, elles se renforcent. »

Le choix du japonais ouvrait donc la possibilité d’une réinvention de soi, un espacement, un estrangement, une conversation dans le multiple.

Corine Atlan ose des formules magnifiques.

Ainsi : « Il est plus important à mes yeux d’ordonner poétiquement le mystère de la vie que de lui trouver une explication. C’est peut-être pour cela que je traduis, pour prendre part à ma façon à cet ordonnancement, contribuer à tracer les lignes d’improbables rencontres formant dans le temps et l’espace une vaste figure aux contours toujours mouvants, qui a nom ‘littérature’. »

Pour bien traduire, il faut beaucoup lire, beaucoup vivre, beaucoup aimer sûrement.

Chaque nouveau texte est un autre voyage, vers l’exil et les espaces du dedans.

On peut aussi tenter de traduire sa propre langue (en quelque sorte du français au français), c’est-à-dire de se mettre à l’écoute de la dimension intérieure de la parole, à la façon de Pascal Quignard dont elle fait l’éloge.

Le japonais possède peut-être au suprême la sensation de la beauté éphémère et poignante de toute chose (mono no aware), comme un « ah ! » ininterrompu face à l’ensemble de la réalité.

Delphine Horvilleur est citée : « Or personne ne parle avec une seule lèvre. […] Aucun de nous ne peut faire sortir un son de sa bouche s’il n’agite pas les deux lèvres. S’il n’y a pas un espace, une séparation, un creux, un vide entre les deux côtés de la bouche. C’est dans ce passage-là, dans cet entre-deux, que surgit la parole. […] Je crois que dans le judaïsme, il y a une conscience très forte qu’à l’origine, nous n’avions pas une seule langue. »

Ne surtout pas croire que la langue est pure, seule, non contaminée.

« A la lecture de ces phrases, qui résonnent profondément en moi, commente Corinne Atlan, une pensée me frappe comme une évidence : si je me suis lancée si jeune, sans comprendre moi-même pourquoi, dans l’apprentissage du japonais, c’était une manière d’opérer un retour à mes origines juives, par le détour le plus lointain qui soit. »

Il fallait à l’auteure de L’Empire de l’harmonie (Nevicata, 2016) et de Un automne à Kyôto (Albin Michel, 2018) deux langues, deux visions du monde, deux origines (au moins).

« Chercher à instaurer ou restaurer un lien entre les langues, les traditions, les spiritualités, poursuit-elle, mettre l’accent sur ce qui réunit plutôt que ce qui sépare est peut-être ma façon de lutter contre la tentation, toujours présente, de la rupture et de la fuite. »

Une bonne traduction n’est-elle pas toujours une interprétation réussie ?

Que faire du doute et des deux mille onomatopées disponibles en japonais ?

Comment ne pas manquer la polysémie de la langue d’origine, son système d’organisation sonore, les trouvailles et frictions opérées par l’écrivain avec sa propre langue ?

« Tout en travaillant à la clarté du texte d’arrivée, précise-t-elle, je m’efforce pourtant de garder à l’esprit cette « nostalgie de la langue absente » que, selon Walter Benjamin, une bonne traduction doit porter en elle, et de respecter autant que faire se peut le rythme, le style, voire les sons de cet original perdu, toujours présent en moi. (Derrida parle de « l’expérience endeuillée de la traduction ».) »

Traduire ? Echouer, échouer mieux, mieux encore, et trouver un chemin entre altérité et universalité.

« Le lieu vibrant où se rejoignent la nostalgie de l’exil, le sentiment d’impermanence et le chagrin de la perte, conclut l’essayiste avec beauté, voilà ce qu’est la littérature, voilà ce qu’est la traduction. »

Corinne Atlan, Le Pont flottant du ciel, direction éditoriale Benoît Verhille, couverture et maquette Valérie Dussart, (Editions) La Contre-Allée, 2022, 128 pages

Le livre de Corinne Atlan a obtenu le prix Asie 2022 en catégorie Essai

http://www.corinne-atlan.fr/

Zone critique

Zone critique

Un article de Maxime Patry, publié le 12 décembre 2022, sur Zone critique

Dans son dernier ouvrage, Le pont flottant des rêves, la traductrice du japonais et autrice Corinne Atlan revient sur le sens qu’elle donne à l’acte de traduction. Le titre, qui fait référence au dernier chapitre du classique Dit du Genji, montre bien l’importance du passage d’une langue et d’une culture à une autre: transposer des mots permet de relier profondément les êtres. Cet ouvrage est le quatrième de la collection «Contrebande», déployée par les éditions La Contre Allée pour donner voix aux traducteurs.

Dans Le pont flottant des rêves, Corinne Atlan nous fait pénétrer dans son atelier de travail – au cœur de sa réflexion de praticienne. Elle met en avant les raisons qui l’attachent à l’acte traductif, dont elle a fait son métier et qui l’a amenée à transcrire en particulier les livres d’auteurs importants de la littérature japonaise (Ôgai Mori, Yasushi Inoue, Sôseki Natsume,…), y compris contemporains (Haruki Murakami, Keiichirô Hirano,…), dans des genres divers, pour une centaine d’œuvres en tout.

Faire pont entre les cultures

Elle décrit la traduction comme un voyage, qu’elle semble avoir initié dès qu’elle entama ses études, en choisissant le japonais et la linguistique alors que l’Extrême-Orient n’avait jusque-là aucunement attiré son attention – constituant une sorte d’inconnu dont elle ignorait tout.

La traduction apparaît alors comme un entre-deux. Celle qui est convaincue d’avoir entendu résonner plusieurs idiomes au cours de sa petite enfance en Kabylie tente d’expliquer son attrait pour le passage d’un langage à l’autre : il s’agirait pour elle d’un moyen de se réinventer pour combler le déracinement vis-à-vis de son histoire familiale. Bien plus, cela devient le moyen partageable de relier des cultures en apparence si différentes : « La traduction est pour moi recherche permanente de conciliation – ou de réconciliation – entre deux visions du monde, entre Orient et Occident. » Il s’agit donc ici de réparer mais aussi de transmettre ; si la traduction réclame des connaissances rigoureuses, elle permet avant tout de mettre en avant la sensibilité qui caractérise la démarche artistique de l’auteur.

Transformer les signes

La traductrice fait également part de son émerveillement face à la manière dont le langage prend sens à travers les signes : comme elle le rappelle, Pascal Quignard souligne que la lettre « A » était à l’origine le dessin d’une tête de taureau sacrifié (ce que l’on voit bien lorsqu’on la retourne). Atlan dresse alors un parallèle avec les idéogrammes présents dans plusieurs langues asiatiques, dont on peut parfois nettement voir l’origine dessinée : « Le taureau [sacrifié] ne différait sans doute guère du bovidé chinois dont les os ont présidé à la naissance des idéogrammes. » Ainsi les mots s’ancrent-ils dans le réel et en restituent-ils la chair : « Il s’agit en tout cas de découper, démembrer le réel, d’en racler les os et de résoudre ses intrigues pour que cela fasse sens, un sens à partager pour apaiser nos angoisses d’humains. »

De même que l’écriture, la traduction renvoie à la nécessité d’une transposition : Atlan montre comment, au vu des ressources qu’exploite parfois la langue traduite mais qui n’existent pas en français, elle est amenée à transposer de manière créative et compréhensible l’audace originelle des auteurs. Ce qu’elle fit par exemple pour les textes de Ryôichi Wagô, qui a publié ses courts poèmes sous forme de tweets au moment où les catastrophes naturelle et nucléaire eurent lieu au Japon en 2011. Lorsqu’un noyer plusieurs fois centenaire, contaminé comme d’autres arbres de Fukushima, a été abattu, il a publié plusieurs lignes composées entièrement (telles un cri répété) de l’idéogramme ki (木), signifiant « arbre », et dont les traits rappellent bien ce végétal. Comment, dès lors, transposer cette mise en abyme du signe représentant et signifiant dans le même temps l’arbre? La traductrice a fait le choix d’écrire sur de nombreuses lignes « L’arbre », mais en disposant les mots sous forme de calligramme représentant la plante, avec son tronc et son feuillage.

Elle précise ainsi que « [p]our traduire, il faut se laisser traverser. » Cela consiste non pas à essayer de transcrire directement le texte dans la langue d’arrivée mais à « [s]implement s’ouvrir à un processus de pensée, un imaginaire, un style, tout ce qui fait la singularité d’une œuvre […] et qui passe par cette langue-là. »

Atlan souligne enfin ce qu’il y a d’ondoyant et d’instable dans le passage ainsi créé : le traducteur aboutit avec sa sensibilité à une représentation du texte d’origine, de même que le lecteur se représente ce qu’a voulu exprimer l’auteur. Il y a là interprétations, dans tous les sens du terme :

« Rien n’est statique dans le passage d’une mimésis à une autre. Représentation d’une représentation. Reflet mouvant, contours vagues. Mouvement qui floute les formes, comme sur une photographie tremblée. »

La lecture devient de cette manière une forme de rencontre permettant d’établir « le réseau de racines souterraines qui court au fond de chacun de nous et nous relie à notre insu les uns aux autres. » Ce qui constitue en définitive l’un des rôles de l’art : « Le lieu vibrant où se rejoignent la nostalgie de l’exil, le sentiment d’impermanence et le chagrin de la perte, voilà ce qu’est la littérature, voilà ce qu’est la traduction. »

L’Arbre du voyageur

Le 20 octobre 2022, à l’occasion de la parution du Pont flottant des rêves, Corinna Gepner recevait Corinne Atlan à la librairie L’Arbre du voyageur pour une rencontre autour de la traduction. Découvrez leurs échanges et revivez cette rencontre en cliquant ici.

Journal du Japon

Elles nous racontent leur Japon #24 Corinne Atlan, un entretient proposé par Sophie Lavaur, publié le 3 novembre 2022, pour le Journal du Japon.

Rencontrer Corinne Atlan, c’est naviguer dans les flots de l’écriture et de la littérature japonaise, qu’elle raconte comme personne d’autre.

Après de longs mois d’échanges, je la retrouve dans son refuge français, quelque part dans la forêt de Fontainebleau. Nous buvons un hojicha et elle me parle de sa longue carrière en littérature, de ses expériences d’Asie et de Japon. 

Un moment de pur délice, j’en suis repartie avec une longue liste de lectures.

Sophie Lavaur : Bonjour Corinne, qu’auriez-vous envie de nous dire pour vous présenter ?

Corinne Atlan : Ce n’est pas facile de répondre à cette question, c’est d’ailleurs pourquoi j’écris des livres. Disons que je suis auteure et traductrice, avec pour point central l’écriture, qui est le moteur de ma vie depuis très longtemps. De la lecture, je suis passée à la traduction et à l’écriture, dans une continuité naturelle. Littératures et voyages sont mes deux grandes passions, mais plus encore que voyager, c’est vivre dans le pays que j’aime le plus, car j’ai une grande curiosité pour les gens, les cultures et les différences.

Pourquoi le Japon ?

C’est un hasard ou plutôt, comme je le raconte dans mon dernier livre Le pont flottant des rêves, une forme de déterminisme inconscient. Nous sommes guidés par des rêves, des aspirations qui vivent en nous depuis l’enfance, et qui ne demandent qu’à s’exprimer quand on est face à des choix de vie, de métier ou autres.

À l’INALCO, j’ai choisi d’apprendre le japonais puis je suis partie vivre au Japon après ma licence, à vingt ans. Comme j’avais soif de visiter aussi d’autres pays asiatiques, j’en suis revenue au bout de deux ans, en voyageant, pour finalement m’installer au Népal où j’ai enseigné le français et épousé un médecin tibétain. 

À cette époque, j’étais passionnée par la culture de la vallée de Katmandou, une ville à la croisée de l’Inde et du Tibet. Le bouddhisme est passé par là avant d’aller en Chine, en Corée puis au Japon. De ce point de vue, tout cela fait partie de la même culture, celle du bouddhisme du Grand Véhicule, qui me fascine et me nourrit. 

Le Japon est lié à la Chine mais aussi à l’Inde. Ces cultures sont très différentes, pourtant on retrouve leur influence dans le bouddhisme japonais et même dans le shintoïsme. 

Parler japonais ouvre à des rencontres avec des Japonais où qu’on soit dans le monde car c’est un peuple très curieux de nature, j’en ai croisé partout où je suis allée, parce qu’ils voyageaient ou parce qu’ils vivaient à l’étranger. Il n’y a rien de plus simple que de se lier d’amitié avec eux quand on maîtrise leur langue. Cela m’a permis de rester en lien avec le Japon  pendant mes dix années passées au Népal. C’est d’ailleurs au Népal,  via des amis japonais, que j’ai découvert Haruki Murakami, que j’ai pu traduire par la suite à ses débuts en France.

C’est un texte de Sawako Ariyoshi qui m’a donné envie de devenir traductrice. C’était au début des années 90, et je vivais au Népal. Cherchant à utiliser ma faculté de lire le japonais pour gagner ma vie, j’ai démarché les éditions Picquier lors d’un été passé en France. Le texte de Sawako Ariyoshi n’a pas été retenu pour des questions de droits, mais Philippe Picquier m’a confié un autre texte. 

Je raconte ces débuts dans mon dernier livre. Nous étions en plein boom de la littérature japonaise en France, la traduction m’a permis de travailler à mon retour en France, tout en restant chez moi pour m’occuper de ma famille. 

En  2003, j’ai bénéficié d’une résidence à la Villa Kujoyama à Kyoto, après quoi je me suis installée à Tokyo. Je suis revenue en France en 2005 et depuis, je passe au moins la moitié de l’année, voire plus, à Kyoto. Du moins jusqu’au confinement en 2020 : comme j’étais en France à ce moment-là, je n’ai pas pu rentrer au Japon.

Et c’est lors de cette résidence que vous avez fait vos premiers pas d’autrice ?

J’avais déjà publié un livre en 2002 sur mon expérience de vie au Népal, et signé divers textes de commande, mais la Villa Kujoyama a été le véritable point de départ de mon écriture personnelle. J’avais besoin de dégager du temps pour écrire mon premier roman, Le monastère de l’aube, car je traduisais beaucoup. Après la résidence, j’ai continué ma démarche d’autrice, à mon rythme. 

Écrire et traduire sont des activités complémentaires, énormément d’écrivains ont traduit ou traduisent des romans, c’est un tout, avec en son centre le goût de la lecture. Quand les auteurs se racontent, on retrouve souvent les mêmes parcours : il y a les premières lectures durant l’enfance, qui canalisent l’imaginaire et ouvrent à d’autres mondes. 

Je suis devenue traductrice par amour de l’écriture et de la littérature, et parce que cela me permettait de vivre de ma plume. Mais aujourd’hui je prends davantage de plaisir à écrire. 

Combien de livres sur le Japon avez-vous écrit, pourquoi c’est important ?

J’en ai écrit huit, mais pas uniquement sur le Japon, parce que j’avais des choses à transmettre, au-delà de ce pays. Je me sentais reconnue en tant que traductrice, mais j’avais l’impression qu’il manquait des pans entiers de ma vie : les années passées au Népal, si importantes et enrichissantes pour moi, n’existaient plus. 

Dans Le monastère de l’aube, je raconte l’histoire d’un moine japonais, qui voyage jusqu’au Népal et en Inde. Le héros est fictif mais c’est un roman historique, qui m’a permis de partager ma compréhension de cette culture-là en la transposant dans le temps. Le cavalier au miroir se situe au Tibet, mais il y a des personnages historiques japonais car je tenais à mêler ces deux mondes.

Mes autres ouvrages sont dans la lignée de mon travail de traduction : j’ai écrit  Un automne à KyotoPetit éloge des brumes et Le pont flottant des rêves avec la motivation d’affiner et de rendre plus lisible le Japon et un certain art de vivre asiatique tels que je les vis. Car même si le rôle du traducteur est d’inscrire ici la parole d’un autre et de la rendre compréhensible par le lectorat français, il faut garder en mémoire que l’auteur japonais écrit au départ pour les Japonais. 

Prendre la plume est alors une autre forme de traduction. Le Japon et l’Asie ont conditionné la personne que je suis, mon univers intérieur est nourri d’eux et je ne peux parler que de ça. C’est important pour moi de poursuivre cette activité d’écriture, avec pour point de départ mon ancrage dans cette réalité-là.

La connaissance ne passe pas uniquement par la cérébralité, l’Asie m’a appris cela. Je crois à l’importance de l’expérience et de la sensorialité pour se nourrir littéralement des choses, et avoir accès à une culture à travers le vécu. C’est pour cela que j’aime vivre sur place, pour m’imprégner, tout en revenant en France régulièrement. C’est une histoire d’allers et retours : pour garder la distance par rapport aux choses, il faut que cela circule.

Parmi les livres que vous avez écrits, quel est celui qui vous est le plus cher ?

Peut-être Un automne à Kyoto. Ce livre a rempli son objectif premier : les lecteurs disent qu’ils ont pu voyager et mieux connaître cette ville à travers mon récit. Il m’est cher aussi par la forme qu’il a pris et que j’ai adoptée sans le vouloir, au fur et à mesure de l’écriture. C’est une sorte de nikki, un journal intime à la japonaise écrit “au fil du pinceau”, avec des notes non datées, un mélange d’événements vécus, d’anecdotes et de réflexions philosophiques ou littéraires.

Autant que du Japon et de sa langue, je suis éprise de littérature japonaise, qui me passionne par sa richesse et la façon dont elle a évolué au travers des époques. Son histoire est extraordinaire, absolument unique. Elle puise ses origines dans des récits de dames de cour, dont les plus connus sont les Notes de chevet de Sei Shônagon et le Dit du genji de Murasaki Shikibu. À l’ère Meiji, la littérature japonaise s’est écartée de ce style monogatari (contes et récits) sous l’influence de la littérature occidentale puis a évolué dans une sorte de chemin double. 

J’aime beaucoup cette écriture par fragments, par juxtapositions, avec des récits non construits et des histoires qui ne finissent pas vraiment. Au début, cela a dérouté les amateurs de littérature japonaise, ils ont fini par l’apprécier.

Depuis que je traduis moins, je relis les livres que je lisais il y a une quarantaine d’années : Yasunari Kawabata, Yukio Mishima, Junichirô Tanizaki, Ryûnosuke Akutagawa, Ueda Akinari… Je les lis en français ou en japonais selon ce qui me tombe sous la main, c’est un vrai régal. Cette littérature est celle que je préfère au monde et je crois que si je n’avais pas fait des études de japonais, je n’aurais pas eu cette approche sensible de l’écriture.

La part de l’écriture dans votre quotidien ?

J’écrivais toute la  journée à l’époque où je faisais beaucoup des traductions. Maintenant, j’alterne les périodes où j’écris et celles où je me nourris, toujours en prenant des notes.

Une fois que le projet a avancé dans mon esprit, j’écris chaque jour, pour être portée par le flow. Quand je suis au Japon, j’écris le matin à l’aube, car on s’y lève tôt, les journées étant plus courtes.

Et celle du Japon ? 

Par habitude, même quand je suis en France, je me déchausse en entrant chez moi, je m’assieds par terre, je dors sur des tatamis. Je n’ai pas de salle à manger, car en Asie c’est un accueil tout autre, on partage plein de plats posés en même temps sur une table basse. Ce mode de vie asiatique est resté le mien. Je prépare peu de plats français mais j’apprécie aussi le modèle des repas dominicaux, avec la famille ou les amis réunis autour d’une table. 

Votre livre ou auteur préféré sur le Japon ?

Les chroniques japonaises de Nicolas Bouvier, parce que j’ai une tendresse particulière pour l’auteur, que j’ai rencontré peu de temps avant sa mort. C’était un personnage tellement délicieux. Je suis fascinée par le fait qu’il ait pu avoir une approche aussi fine de la culture japonaise sans vraiment parler la langue.

Concernant les écrivains japonais, je suis plongée en ce moment dans l’œuvre de Junichirô Tanizaki regroupée dans La Pléiade. Il est un des plus grands auteurs japonais. Son répertoire varie du récit historique à des histoires contemporaines. Ces deux volumes contiennent des textes et des nouvelles méconnues, il faut tout lire, c’est extraordinaire.

Il y a aussi Ryûnosuke Akutagawa, auteur du début du vingtième siècle, disparu très jeune. Il a peu écrit, essentiellement des nouvelles fantastiques d’une grande finesse psychologique. 

Parmi ceux sur lesquels j’ai travaillé, Yasushi Inoué est incontournable. Il est moins lu qu’il y a vingt ans mais je suis fière de l’avoir traduit. C’est un écrivain qui fait rêver, par le caractère historique et dépaysant de ses romans, situés aussi bien au Japon qu’ailleurs en Asie. Je l’avais découvert avec Les chemins du désert, et de lui, j’ai traduit entre autres Vent et vagues, le roman de Kubilai-Khan. C’était un vrai régal, j’ai aimé faire des recherches pour reconstruire ces univers fictifs dans lesquels des personnages évoluent dans un monde ayant réellement existé.

D’ailleurs, cet exercice de traduction de récits historiques m’a grandement influencée dans ma propre écriture. Pour le Monastère de l’aube, je visitais les lieux de Kyoto où se déroulaient certaines scènes, en essayant de les voir tels qu’ils étaient dans le passé. À force, mes personnages se sont mis à évoluer d’eux-mêmes dans ce cadre que j’avais imaginé, j’ai eu au final le sentiment qu’ils avaient été réels. À en parler, cela me donne envie d’en écrire un troisième.

Un secret d’écriture ?

Sur ce roman justement. À un moment, je voulais emmener mon personnage en Inde et au Népal et je cherchais un événement qui pourrait le décider à quitter son monastère. Je me disais : “il lui faut un choc”, sans trop savoir lequel.

Un matin, en descendant en ville depuis ma résidence à Kyoto, j’ai assisté à un accident de vélo extrêmement violent. Un moment où tout s’est figé, où j’ai eu l’impression d’un temps infini, même si l’ambulance est arrivée très vite. J’étais littéralement sous le choc. 

Je tenais mon idée : voir quelqu’un mourir violemment sous ses yeux. J’ai transposé cet événement à l’époque de mon moine, une période de guerre civile entre partisans de l’Empereur et ceux du Shogun. 

Je suis revenue sur les lieux deux jours après, à la recherche de ce qui aurait pu se passer à cet endroit il y a deux cents ans et pour ressentir l’atmosphère. Et là, je suis tombée par hasard sur une stèle de pierre où était écrit : “Ici, en 1864, Sakuma Shôzan est tombé sous les coups de son assassin”. Ce personnage qui a influencé la politique de la fin de l’époque d’Edo avait été attaqué là en plein jour, devant témoins. 

Je suis allée me renseigner plus précisément dans une bibliothèque, pour connaître les circonstances exactes de sa mort et pouvoir en faire le récit détaillé. Mon personnage est devenu le témoin de cet assassinat. Et j’ai décrit les choses à partir de mes propres émotions en assistant à l’accident de vélo. La chronologie de tout le roman s’est organisée ensuite autour de la date précise de cet événement. Ça a été un grand moment, j’étais un peu perdue dans le déroulement de mon récit, et tout s’est éclairé d’un coup, par le fruit du hasard.

De toute votre carrière en littérature, qu’avez-vous appris de plus important ?

Qu’il faut se mettre à écrire pour savoir ce qu’on va produire ou ce qu’on a en nous : il y a un phénomène inhérent à l’écriture, c’est très différent de penser ou de réfléchir. C’est difficile à expliquer, comme quelque chose qui vous traverse et vous entraîne. Et au-delà de la technique d’écriture, il faut s’ouvrir à ça, laisser la place à ce qui peut advenir, oser écrire, dépasser ses blocages, arriver à se livrer. C’est mon idéal d’écrivain, et ce n’est pas une histoire de narcissisme. Cette dimension n’existe pas dans la traduction, même si on se laisse traverser par la voix de l’auteur.

Les prochains projets ?

Je repars au Japon en Novembre. Ça a été une expérience de rester trois ans en Europe, sans l’Asie. Cela m’a permis de redécouvrir le côté agréable de vivre ici, de rester longtemps au même endroit. Mais il y a tellement de choses qui m’ont manqué du Japon… 

Je fais beaucoup moins de traductions depuis quelques années. Je travaille surtout pour le théâtre, pour des catalogues d’expositions ou des textes d’artistes. Je préfère me concentrer sur mes projets d’écriture personnelle, car mon temps n’est pas illimité. Si je ne me laisse pas cet espace-là, je ne pourrais pas réaliser ce que je veux faire.

J’adore toujours autant lire en japonais, et je lis d’autant plus que je n’ai pas besoin de rester six mois sur le même roman pour le traduire. Grâce à la pandémie,  j’ai retrouvé le pur plaisir de la lecture comme quand j’étais adolescente. 

De retour au Japon, je vais passer à une phase plus productive car la vie là-bas stimule mon désir d’écriture. 

Je vais vous laisser le mot de la fin…

Quelques mots peut-être sur mon dernier livre, Le pont flottant des rêves ? J’y ai intercalé mon parcours global, qui a nourri mon activité de traductrice et d’écrivaine, avec des réflexions sur la langue japonaise et la traduction. Je décris notamment mon premier voyage en transsibérien vers le Japon, ce point de départ de toute une vie dédiée à aller vers “ l’ailleurs ”. 

C’est quelque chose que j’aimerais refaire, un long périple en train à la rencontre d’un peuple. C’est un peu utopique vu ce qui se passe dans le monde. Avec la  guerre en Ukraine, j’ai réalisé à quel point tout cela était du passé. Je suis très nostalgique de ce voyage à travers la Russie pour arriver jusqu’au Japon et de la fraternisation entre des passagers cosmopolites.

En somme, c’est important d’être dans l’instant, de vivre pleinement chaque moment. C’est une notion très japonaise, et c’est le travail de toute une vie.

Merci Corinne pour cet échange si riche et pour vos conseils de lectures, je vous souhaite de belles retrouvailles avec le Japon.

Le dernier ouvrage de Corinne Atlan, Le pont flottant des rêves est publié aux Éditions La contre allée. Vous y trouverez dans les dernières pages la liste de ses œuvres personnelles et de ses traductions.

Quelques ouvrages, écrits ou traduits par Corinne Atlan – Crédit photo : Sophie Lavaur

France Culture

France Culture

À l’occasion de la parution de l’ouvrage collectif Haikus (Folio/Gallimard), une anthologie de plus de trois cents poèmes qu’elle a préfacée et rassemblée en compagnie de Zéno Bianu, Corinne Atlan était l’invitée de Manou Farine dans son émission Poésie et ainsi de suite sur France Culture. L’occasion pour elle d’aborder les questions de traduction qui lui sont chères et qu’elle développe dans Le Pont flottant des rêves.

Maison de la Culture du Japon à Paris

Le 19 octobre, Corinne Atlan était l’invitée de la Maison de la Culture du Japon à Paris, où elle a participé à une conversation à propos de son ouvrage Le Pont flottant des rêves. Une belle rencontre à retrouver ci-dessous :

Journal du Japon

Une article d’Alice Monard, publié le 19 octobre 2022, sur le site Journal du Japon :

Si vous lisez de la littérature japonaise, vous êtes probablement déjà tombée sur son nom dans les premières pages ou au dos d’un livre. Corinne Atlan est en effet depuis des décennies une traductrice talentueuse et renommée. Elle publie cet automne un livre merveilleux qui nous plonge au cœur du cheminement d’une traductrice, d’une voyageuse, ainsi qu’au cœur de la langue japonaise, de ses subtilités et de sa beauté. Passionnant !

Un parcours de voyageuse traductrice…

Le Pont flottant des rêves de Corinne Atlan, éditions La contre allée : couverture

Ce livre est un parcours de vie au milieu des mots. De sa toute petite enfance en Kabylie où elle baigne dans une langue inconnue à son amour pour le latin et l’anglais découverts en classe de Sixième puis le grec ancien en Quatrième (avec en parallèle l’allemand qu’elle apprend seule dans les livres de ses frères) en passant par la linguistique et le japonais à l’INALCO sans oublier le népali en autodidacte ainsi que le sanskrit et le tibétain, les langues sont une passion pour Corinne Atlan.

« Je ne me sens véritablement exister que lorsque plusieurs langues dialoguent en moi. Je n’ai jamais compris comment il était possible de vivre dans une seule culture, tourné vers un seul horizon, et faire partie de ceux que Nancy Huston nomme joliment « les monolingues impatriés ». Je ne comprends pas non plus la notion d’ »intégration », si elle exige d’un exilé ou d’un descendant d’exilé de renoncer à l’autre langue, l’autre culture qu’il porte en lui. À quoi peut-on s’intégrer, que peut-on intégrer, si l’on est privé d’une partie de soi-même ? C’est tellement important, de savoir d’où l’on vient. Les langues ne s’excluent pas l’une l’autre, elles se renforcent : en parler plusieurs donne le goût de nommer les choses. »

La traduction est venue naturellement. D’aussi loin qu’elle s’en souvienne, elle a toujours eu la passion du décryptage. Puis cette activité s’est faite dans une mise en mouvement comme un train qui s’ébranle (pareil au Transsibérien qui la conduira au Japon), qui se met en route vers une destination inconnue. Les paysages défilent, s’impriment, les langues s’écoutent, se vivent.

Traduire c’est d’abord « se laisser traverser », c’est lire un texte « comme un devin lit l’avenir ». Une fois qu’on s’est bien laissé « envelopper » par cette autre langue, on peut revenir au français devenu « langue d’écriture » pour offrir le texte au lecteur.

Traduire c’est interpréter : « On est obligé d’interpréter, et je ne suis pas loin de penser qu’une traduction est une interprétation, rien de plus, rien de moins. Rien n’est fiable, rien n’est fidèle, hormis le texte original, et parfois, face à lui, la langue française, pourtant si riche, me paraît déficiente. Lire est une chose (s’imprégner, ressentir, absorber), traduire en est une autre (choisir, trancher, voire retrancher). »

Traduire c’est faire des allers et retours : « Renoncer à la langue maternelle, puis y revenir : la traduction est, dans tous ses aspects, un mouvement d’aller et retour perpétuel. Il n’y a nulle part où se poser. On est en permanence dans l’entre deux. »

La littérature est mondiale : « Il n’y a pas au fond de littérature « traduite », juste une littérature mondiale. Et la question du lien entre vie, enfance et écriture est aussi au centre de l’activité de traduction. »

Un amour profond de la langue et de la culture japonaise

Aux réflexions passionnantes sur l’art de la traduction, Corinne Atlan mêle de nombreux éléments sur les spécificités de la langue et de la culture japonaise, sur les découvertes qu’elle a faites, sur les émerveillements qu’elles ont suscité en elle. C’est émouvant et fascinant.

De la construction de la phrase aux onomatopées, du style de Murakami à la composition des kanji, elle présente au lecteur toutes les subtilités, toutes les beautés de la langue japonaise !

La découverte de la langue japonaise : « Il y avait dans la langue même une sorte d’inversion des valeurs qui me réjouissait : plus de sujet obligatoire, le verbe à la fin et tout le reste y raccrochant ses wagons de façon presque ludique à l’aide de particules grammaticales aux allures de petits crochets, un suffixe indiquant le conditionnel en guise de futur (n’est-ce pas logique ?), une seule forme de passé (le passé n’est plus qu’un rêve), mais une quantité de suffixes verbaux très précis pour nuancer la réalité présente : fait rapporté, constaté, ressenti, vague impression ? Sans compter bien sûr l’infinie variété du vocabulaire et de la syntaxe en fonction du degré de déférence ou d’humilité que l’on souhaite exprimer. »

Et la culture japonaise : « Le décalage permanent avec ce que l’on m’avait appris jusque-là m’enchantait; Les saisons n’étaient plus quatre mais au moins cinq en tenant compte de la « pluie des pruniers » (la saison des pluies), traditionnellement vingt-quatre et même soixante-douze avec toutes les subdivisions. Aucune superstition n’entachait le chiffre treize, mais le quatre, homonyme de « mort », était banni. Noël se fêtait en amoureux et le nouvel an était l’occasion de grandes réunions de famille. Au réveillon on se contentait d’une soupe de nouilles, plat qu’il convient, par politesse et pour ne pas se brûler, d’aspirer à grand bruit. Au printemps on festoyait sous les cerisiers en fleur des parcs mais aussi des cimetières, car la mort avoisine toujours la beauté. La langue, la culture, l’histoire, les traditions, j’absorbais tout avec enthousiasme. »

Haïku, collectif, édition bilingue Folio : couverture

Mais traduire le japonais s’avère au final bien difficile, surtout quand on n’a pas baigné dans cette culture depuis la naissance. Allusions cachées, métaphores, jeux de mots, proverbes… autant de subtilités complexes difficiles à transposer.

Malgré les difficultés, c’est un amour profond du Japon et de sa langue qui nous est livré dans ces pages. Un vrai bonheur de lecture pour celui qui aime ce pays et tente d’apprendre sa langue !

Un livre comme un voyage, sur un pont flottant au milieu des brumes, que nous vous conseillons vivement !

« Il y a bien longtemps – aussi loin que mes souvenirs remontent -, j’ai trouvé refuge dans la lecture et la littérature. Puis ce fut dans l’entre-deux de la traduction, ce pont flottant au milieu des brumes, sur lequel je me sens plus à ma place qu’enracinée sur n’importe quel sol. »

Plus d’informations sur le site de l’éditeur.

À noter la sortie ce 20 octobre d’un recueil de haïkus en édition bilingue chez Folio, traduit par Corinne Atlan. Plus d’informations sur ce recueil sur le site des éditions Folio.

Entretien avec Corinne Atlan

Journal du Japon : Vous aviez déjà produit un petit opus sur la traduction littéraire en 2005. Comment est venue l’envie, l’idée de ce livre ? Un besoin de transmission, de partage de votre amour pour ce métier et pour cette langue ?

Corinne Atlan : Il y a tellement à dire sur la traduction ! Le petit livre paru chez Inventaire/Invention en 2005 ne prétendait pas épuiser le sujet : c’était le texte d’une conférence que j’avais donnée à l’Institut Français du Kansai en 2003 pendant ma résidence à la Villa Kujoyama. Comme ce texte est maintenant disponible en ligne (https://www.tokyo-time-table.com/corinne-atlan-entre-deux-mondes), j’ai finalement décidé d’écrire tout autre chose et de parler de mon parcours, de ce qui a nourri ma vocation de traductrice et d’auteure (car depuis 2005 j’ai publié 8 livres personnels !). J’étais heureuse aussi de prendre place dans « Contrebande », cette belle collection des éditions La Contre Allée dédiée aux voix des traducteurs.

Votre parcours de lectrice traductrice commence dès l’enfance. Quels sont vos premiers souvenirs de lectrice, les livres qui restent gravés dans votre mémoire ?

Il n’y avait chez moi aucun livre concernant le Japon ou l’Asie, mon attrait pour la littérature japonaise est venu plus tard, quand j’ai commencé l’étude du japonais à 17 ans : j’ai dévoré tout ce qui était traduit à l’époque, à commencer par les Notes de chevet de Sei Shonagon, Pays de Neige de Kawabata ou encore Je suis un chatde Natsume Sôseki, des livres que j’aime toujours autant aujourd’hui. J’ai découvert aussi Akutagawa, Mishima, Tanizaki… avec le sentiment extraordinaire de découvrir un nouveau continent fascinant, dont j’ignorais tout jusque-là. Par la même occasion j’ai découvert l’univers de la traduction car je lisais bien sûr ces textes en traduction française.

On lit avec émotion vos souvenirs de votre première traduction de Ôgai Mori. Quels autres travaux de traduction vous ont particulièrement marquée ?

Beaucoup de titres à mes débuts : La Fin des Temps de H. Murakami, La Favorite de Inoue Yasushi, il me semblait que traduire créait une forme d’intimité avec ces auteurs que j’aimais, sensation que je n’avais jamais ressentie jusque-là. Il y a eu aussi Les Bébés de la consigne automatique de R. Murakami, un travail très enthousiasmant et de longue haleine, ou encore le Bouddha Blanc de H.Tsuji qui a obtenu le prix Femina étranger en 1999 : j’avais travaillé de tout cœur sur ce livre auquel je croyais énormément. Mais toutes mes traductions m’ont marquée : toutes ont été des aventures magnifiques, des rencontres ou des retrouvailles avec les univers d’auteurs que j’admirais, qu’il s’agisse de textes proposés par des éditeurs ou choisis par moi-même.

Vous traduisez beaucoup de romans, mais également de la poésie et du théâtre. Vous n’avez pas été tentée par la traduction de mangas ?

J’ai un peu de mal avec l’univers du manga, où dessins et textes sont intimement mêlés. En revanche, j’aime beaucoup les livres illustrés pour enfants, et j’en ai traduit une quinzaine, pour L’école des Loisirs ou pour Kaléidoscope. Il y a des auteurs-illustrateurs formidables comme Tomoko Ohmura ou Shinsuke Yoshitake.

Quels conseils donneriez-vous à quelqu’un qui veut se lancer dans ce beau métier ?

Lire, lire, lire, lire ! (de la littérature japonaise mais aussi française, traduite, mondiale.) La curiosité et le goût pour les textes sont primordiaux.

Zoom Japon

Un bel article de Odaira Namihei dans Zoom Japon, à propos du Pont flottant des rêves de Corinne Atlan :