À mains nues est le dernier roman d’Amandine Dhée. Paru en janvier 2020, il est porté à la scène par l’autrice et comédienne, accompagnée au violoncelle par Timothé Couteau. Les Grenades ont eu la chance de les voir au théâtre 140.
La performance est simple : une femme, debout face à un lutrin, lit. Un homme, à côté, joue du violoncelle. La beauté naît de la précision de leur accord. Timothé Couteau et Amandine Dhée travaillent ensemble depuis de nombreuses années et cela se sent.
La mise en musique du texte fonctionne parfaitement ; les silences se répondent, les emballements aussi. Leur écoute absolue des notes et des mots crée une alchimie envoûtante entre les deux artistes, et la musique fait partie intégrante du récit. Le texte prend vie et entraîne les auditeurs et les auditrices dans une histoire intime, une auto-sexo-graphie qui, bien que personnelle, concernera toutes celles et ceux qui un jour ont vécu de “magnifiques histoires de cul”, de magnifiques histoires d’amour.
Quelle révolution sexuelle ?
Dans cette adaptation de son roman, Amandine Dhée explore les paradoxes de l’amour et de la sexualité. Alors qu’on nous répète que la “révolution sexuelle” a eu lieu, sommes-nous désormais libres de faire de nos corps ce qu’on entend ? L’injonction à jouir à tout prix est-elle plus émancipatrice que celle de ne pas jouir ?
Dans la rencontre, animée par Soraya Amrani, qui suit le spectacle, l’autrice nous explique avoir dû couper des parties de son texte pour le mettre en scène afin que la lecture ne soit pas trop longue. Elle a choisi de suivre une des thématiques qui traversent le roman.
La lecture musicale explore donc particulièrement le paradoxe entre une vie de couple stable et l’envie de renouer avec un désir sexuel brutal et impératif, celui qui “fait mal jusqu’au bout des doigts”. La comédienne évoque avec humour la délicate situation de jeunes parents qui veulent tout accomplir : la famille, la carrière, la vie sociale, et dont la vie s’est muée en un combat contre la montre.
Alors qu’on nous répète que la “révolution sexuelle” a eu lieu, sommes-nous désormais libres de faire de nos corps ce qu’on entend ? L’injonction à jouir à tout prix est-elle plus émancipatrice que celle de ne pas jouir ?
Le texte est structuré en deux parties qui s’alternent : une voix en “je”, au présent, explore les désirs et frustrations, les luttes et contradictions d’une femme en couple, jeune maman sur le papier épanouie, mais qui doute parfois de sa réussite à “faire famille”.
Savoir dire non, savoir dit oui
Une voix en “elle”, au passé, retrace le parcours sexuel de la narratrice, petite fille, adolescente puis jeune adulte. Première masturbation, premier baiser, première fois, première fois vraiment réussie, première fellation, premier cunnilingus… Tant d’étapes franchies, avec plus ou moins de facilité, plus ou moins de plaisir, pour finalement se connaître soi-même. Connaître son corps, son désir, savoir dire non et savoir dire oui.
Il y a de la joie dans le texte d’Amandine Dhée. Mais cette joie n’est pas naïve. Si la sexualité, dans son texte, semble la plupart du temps heureuse, émancipatrice, révélatrice même, elle est aussi parfois honteuse, contrainte, effacée, violente.
Il y a des femmes qui sont soulagées d’arrêter le sexe, écrit-elle. C’est peut-être de là que vient la nécessité de dire. De là que vient l’émotion à entendre, aussi. “Pour que nos sexualités arrêtent d’être du silence”, il faut les raconter, qu’elles soient douces ou violentes, et il faut les écouter.
Raconter et écouter aussi la lutte que la connaissance de notre propre corps représente. Dans le cas de l’hétérosexualité, cette lutte se livre parfois contre les partenaires sexuels. Celui qui veut “révéler les femmes à elles-mêmes” et n’entend pas les conseils, celui qui refuse le cunnilingus parce que le sexe féminin reste tabou ; celui qui, adolescent, ne devra jamais se soucier de faire un test de grossesse.
“Pour que nos sexualités arrêtent d’être du silence”, il faut les raconter, qu’elles soient douces ou violentes, et il faut les écouter
A mains nues retrace un parcours du cul parfois course d’obstacles, parfois chemin de roses, avec humour, sensualité et honnêteté. Un texte fort, porté à la scène avec subtilité, qui parle d’une femme pour finalement parler de tou.tes, peut-être plus toutes que tous, empêtré.es dans des injonctions contradictoires, des hontes dont on a oublié l’origine, des ambitions démesurées et des joies solaires.
Le désir met en vie, et “le meilleur est à venir”, promet Amandine Dhée. On a envie de la croire.